Derek avait insisté pour qu'ils s'assoient, tous les deux. Evidemment, il tenu à ne pas le déranger ou faire s'étendre cette peur qui lui rongeait jusqu'au regard: ainsi, il était assis au bord du lit tandis que Stiles se trouvait sur sa chaise de bureau, laquelle était tournée dans sa direction. Un bon mètre cinquante les séparait, une distance suffisante, selon Derek, qui entendait bien avoir une véritable discussion avec Stiles. Un échange à cœur ouvert qui permettrait sans doute – du moins il l'espérait – dissiper cette ambiance si lourde et si difficile à supporter. Il ne parlait même pas de son nez, assailli par la puissance de la terreur de l'hyperactif. Le simple fait qu'il ne fuit pas restait impressionnant. Il se contrôlait à sa manière – et donnait là son maximum, cela se voyait. Il fallait qu'il se détende… Raison de plus pour que Derek, qui n'était pas dans un meilleur état mental que le sien, fasse en sorte d'éclaircir cette situation. Leur conversation ne pouvait pas rendre leur relation plus inconfortable qu'elle ne l'était déjà, de toute façon.

- Je sais que tu n'es pas responsable de ce qui est arrivé, commença-t-il maladroitement.

Derek se savait particulièrement nul lorsqu'il s'agissait de discuter tout comme il avait conscience du fait qu'il n'était absolument pas subtil dans sa démarche. Qu'importe: il savait par quoi il voulait commencer et c'était là l'essentiel.

Rassurer Stiles sur ce point précis. Une fois qu'il y serait arrivé, ils pourraient réellement converser.

L'hyperactif secoua alors la tête, mais Derek continua, sûr de lui:

- Tu as tout autant subi que nous… Peut-être même plus.

Le «peut-être» était factuellement de trop, mais il essayait de laisser ce pan-là de ses propos suffisamment visible pour lui donner l'occasion de rebondir s'il en avait envie.

Stiles se râclala gorge.

- C'est parti de moi, rétorqua-t-il en se triturant les mains.

Voilà comment il laissait s'exprimer sa nervosité – la version contrôlée de sa peur. Quoiqu'elle transparaissait déjà dans sa voix quelque peu tremblotante.

- Je sais, reprit Derek, mais je suis certain que ce n'est pas de ta faute.

La situation, il l'avait tournée et retournée dans tous les sens. Evidemment, il n'avait pas le fin mot de l'histoire, mais… Il pouvait mettre sa main à couper tant il était sûr de lui: Stiles n'avait rien d'un coupable. Et Derek avait sa petite idée sur la question. Bien sûr, il n'avait pour l'instant aucun moyen de le prouver, mais il y arriverait.

Parce que même si cela paraissait purement et simplement invraisemblable, il savait que… C'était possible. Tout concordait.

- Je pense que c'est Scott, lâcha-t-il enfin.

Stiles ne put cacher sa surprise et elle fut d'ailleurs si grande qu'il en oublia momentanément sa peur pour regarder Derek dans les yeux… Lesquels exprimaient toute sa confusion sans retenue. Ces yeux-là n'étaient pas ceux d'un coupable. C'est en tout cas la réflexion que se fit le loup-garou en s'efforçant de ne pas détourner le regard. Parce que celui de Stiles le désarçonnait tant il était particulier et banal à la fois… Tant il lui rappelait des choses, aussi.

Des choses qui n'auraient jamais dû se passer mais qu'il fallait accepter.

- Scott? Répéta bêtement Stiles.

Il secoua alors la tête.

- Non, ça ne peut pas être lui, reprit-il, l'air songeur. Il était avec nous, lui aussi.

- Stiles, est-ce que tu te souviens de tout ce qu'il s'est passé? Lui demanda Derek, les sourcils froncés.

Il pouvait comprendre son déni mais ne laisserait pas celui-ci l'aveugler pour autant. Malgré la violence du souvenir, Derek se devait… De lui dire les choses tant qu'il s'en rappelait bien. Il y avait des choses qu'à la longue, son cerveau mettrait de côté, faisant passer cela pour des oublis dans le but de le protéger. Il avait déjà commencé, sauf que Derek résistait. Il fallait qu'il lui parle, qu'il lui dise.

- Je crois, répondit l'hyperactif en déglutissant bruyamment. Oui, je pense.

Il n'avait toujours pas détourné le regard, ce que Derek essaya de considérer comme une victoire. Au moins, il ne fuyait plus: mieux encore, il avait toute son attention. Il y avait de grandes chances que tout ceci se termine bien et qu'il n'ait pas à le surprendre à nouveau comme il l'avait fait en arrivant.

- Alors tu sais qu'il n'était pas dans le même état que nous, insista Derek.

Ça, Stiles ne pouvait pas le nier. Il s'était raconté beaucoup de choses par rapport à cette fameuse soirée, allant jusqu'à trouver une justification au comportement de Scott, mais… Il ne pouvait rien faire d'autre qu'avouer que l'ancien alpha avait raison.

- Il était sûr de lui, il n'allait pas vers les autres, souffla Stiles d'un air absent.

Il ne pouvait pas oublier ce qu'il s'était passé. En fait, il aurait beau se raconter ce qu'il voulait, il savait, au fond.

- J'étais avec Jackson et Isaac, raconta-t-il de façon presque automatique. Il est venu me chercher. Il est venu me chercher, et…

Et la suite, il ne voulait pas la dire tant ces mots-là étaient graves, porteurs d'un sens impossible… Mais pourtant bien réel. Les prononcer, ce serait comme accepter que cette idée-là était réelle et Stiles n'en avait pas envie… Pour la simple et bonne raison qu'elle détruirait beaucoup de choses en lui. Une petite voix en lui pouffa. Comme si ce n'était pas déjà fait, ricana-t-elle. Et elle avait raison. Stiles ne ressemblait plus vraiment à celui qu'il avait toujours été.

Parce que cette soirée l'avait condamné à plusieurs niveaux… Et qu'il n'avait vraisemblablement pas droit au luxe de l'oubli.

- Calme-toi, tout va bien.

Or, la voix de Derek ne l'était pas: Stiles y percevait des tremblements inédits, le genre de choses qu'il ne s'attendait ni à voir, ni à entendre chez lui. Il revint alors à lui et baissa les yeux, tombant sur les mains de Derek ramenées en poings sur ses cuisses. Il se contenait. Par rapport à quoi, il l'ignorait. Mais il réprimait quelque chose, c'était certain. Toutefois, Stiles n'allait pas suffisamment bien pour prendre le temps d'interpréter la chose. Il n'avait qu'une pensée, reliée à ses souvenirs: celle que Derek avait sans doute raison. Parce qu'il venait de se rappeler de quelque chose de précis.

- Quand je lui ai dit d'arrêter, que je ne voulais pas… Il m'a dit que j'allais vouloir, balbutia-t-il en relevant à nouveau les yeux vers lui. Mais ça n'est pas venu, comme avec toi ou les autres.

Et puis quelque chose dans sa propre phrase le fit tilter. Le rouge lui monta aux joues: le rouge de la honte. Très vite, la lueur de peur qui s'était graduellement atténuée dans ses yeux reprit de l'ampleur. Il se tendit comme un arc et se retrouva submergé par l'idée qu'il allait payer le fait d'avoir inclus Derek dans sa confession.

- Pardon, je… Je ne voulais pas dire, enfin…

- Stiles, tempéra Derek, ça va. On était tous dans le même état.

Mais ça n'allait pas, pas vraiment. Toutefois, il valait mieux pour Stiles qu'il croie à ce mensonge, au moins le temps de leur discussion. Pour cette fois, il était important que Derek passe après – de son point de vue, en tout cas.

- Le fait est qu'il savait ce qu'il faisait, reprit le loup-garou.

Recentrer la conversation était le seul moyen pour lui de ne pas perdre la face.

- C'est pour cette raison que je n'ai pas voulu le prévenir de notre dernière réunion. Parce qu'il n'était pas dans le même état que nous. Ce qu'il a cherché à te faire, je ne peux pas le tolérer.

Parce que cet acte-là n'avait rien anodin. Il n'avait toutefois pas désiré en parler lorsqu'il avait réuni tout le monde… Pour une raison somme toute évidente: c'était Stiles, qui avait vécu cela… Et il n'aurait sans doute pas apprécié l'idée que cette partie-là de son intimité soit révélée au grand jour sans égard pour sa personne.

Et Derek eut bel et bien raison quant à sa démarche puisque le regard de Stiles changea encore, pour laisser apparaître toutes les cassures que cette soirée avait provoqué chez lui.