CHAPITRE 35
Thranduil chevauchait fermement le cheval gris tacheté qu'il s'était procuré pour le voyage. Ses cheveux et sa cape flottaient derrière lui, d'un blanc éclatant contrastant avec le gris anthracite, et il regardait vers l'avant avec une intensité féroce, les yeux rétrécis, les traits marqués par des lignes dures. Feren et une poignée de gardes suivaient de près, s'efforçant de suivre le rythme du roi des elfes. Thranduil, pour l'heure, ne pensait qu'à atteindre sa destination, et il n'accordait qu'à contrecœur quelques heures de repos de temps à autre, au fil de leur périple.
S'ils continuaient au rythme qu'il s'était fixé, ils atteindraient le Bois d'Or en sept jours au lieu des dix prévus. Thranduil était déterminé à atteindre Lothlorien le plus tôt possible ; il était en mission et rien ne pouvait l'arrêter.
À chaque lever et coucher de soleil, son chagrin griffait impitoyablement son cœur, creusant et s'enfonçant de plus en plus profondément à chaque heure qui passait. Il lui fallait lutter pour garder son sang-froid et ne pas s'effondrer alors que son chagrin le submergeait comme une marée écrasante.
Feren dut sentir ce changement alarmant chez son roi, mais il garda sagement toutes ses questions et pensées pour lui, se contentant d'acquiescer lorsque Thranduil lui donnait un ordre. Mais Thranduil pouvait sentir ses yeux vifs braqués sur lui, évaluant et essayant de comprendre ce qui avait vaincu son roi pour provoquer une humeur aussi troublante. Mais Thranduil ne donnait pas de réponses, et Feren ne demandait jamais - l'une des raisons pour lesquelles il avait choisi l'ellon pour l'accompagner.
Ils suivirent la rivière Anduin, dont les courants rapides provoquaient un grondement claudiquant lorsqu'ils la longeaient. Thranduil scrutait la ligne des arbres, sachant par expérience qu'il y avait des maréchaux postés à proximité, toujours en train de surveiller et de garder leur terre sacrée. Ils offriraient un passage sûr à travers la rivière torrentielle qui envoyait actuellement une fine bruine sur son visage - mais il ne les avait pas encore aperçus.
Son agitation grandit - ils auraient déjà dû se manifester ! Thranduil n'eut d'autre choix que de continuer et ils arrivèrent bientôt à une section de la rivière plus calme.
Thranduil s'arrêta, sentant soudain qu'ils étaient observés. Il était temps ! Il releva le menton, gardant un silence de pierre en attendant qu'ils se montrent.
Il n'eut pas à attendre longtemps avant qu'un elfe ne surgisse des arbres qui poussaient en abondance sur la rive opposée. Il était accompagné d'un autre, tous deux portant avec aisance une petite barque.
Thranduil regarda l'elfe monter dans la barque et pagayer vers lui, debout et droit. Alors qu'il s'approchait, Thranduil fut surpris de constater qu'il s'agissait d'Haldir - d'habitude, l'ellon patrouillait les frontières du nord. Il était donc inhabituel qu'il vienne à la rencontre de l'elfe. Mais il était soulagé de le voir, car Haldir se comportait d'une manière calme et prudente ; son caractère réservé serait un baume pour sa fëa meurtrie, car Thranduil savait qu'Haldir était l'un des rares à pouvoir discrètement l'empêcher de se noyer dans ses émotions.
Haldir amarra le bateau et en sortit avec une grâce rapide. Il se tint devant Thranduil, revêtu de sa cape grise qui lui permettait de se fondre facilement dans son environnement. Il avait rabattu son capuchon, ses longs cheveux dorés et lisses tombant sur ses épaules, et il regardait Thranduil avec des yeux bleus et froids.
- Roi Thranduil, salua-t-il de sa voix douce et mélodieuse, en inclinant respectueusement la tête et en enroulant sa main sur son cœur. Haldir se redressa et ajouta : Ma Dame m'a envoyé pour préparer votre arrivée.
C'est maintenant qu'elle le fait ?, songea Thranduil avec amertume. Il n'était pas en bon terme avec Galadriel en ce moment, et il ne prit pas la peine de cacher son irritation.
Thranduil scruta la rive opposée. Tout ce qui le séparait de l'inévitable confrontation avec la Dame de la Lumière était une rivière jaillissante qu'il était presque impossible de traverser sans aide.
Il reporta son attention sur Haldir, qui l'observait tranquillement en attendant patiemment le choix du roi.
- Alors, ouvrez la voie.
Thranduil ne put s'empêcher de faire preuve d'une certaine agressivité dans son ton. Il avait fait trop de chemin et sa patience (ou son manque de patience) ne lui permettait pas d'attendre plus longtemps. Haldir semblait indifférent et non affecté par l'humeur acariâtre de Thranduil et fit un signe d'assentiment avant de se retourner et de remonter dans le bateau.
Si Thranduil n'était pas d'humeur aussi massacrante, il se serait arrêté pour s'émerveiller de la finesse et de la beauté de l'embarcation elfique qui reposait sur la surface ondulante de l'eau sombre. Au lieu de cela, il reporta son attention sur Feren, qui s'était tenu à une distance respectable derrière lui.
- Vous pouvez rentrer. Je pars seul à partir d'ici.
Feren fronça les sourcils, visiblement peu satisfait de cette décision. Son roi était manifestement en grande détresse, même s'il s'efforçait de le leur cacher, mais Feren le sentait. Un tel chagrin n'était pas facile à cacher, et il ne lui convenait pas de quitter le chevet de Thranduil. Il ouvrit la bouche pour protester.
- S'il vous plaît, intervint Thranduil, sa voix s'étant transformée en une supplique douce et déguisée.
Feren entrevit la désolation qui brillait dans les yeux bleus cristallins de Thranduil, et cela ne le rassura guère. Mais son roi lui avait donné un ordre et il devait y obéir, qu'il le veuille ou non. Il inclina la tête.
- Oui, mon Roi.
Thranduil descendit de cheval et monta dans la barque, sans prendre la peine de jeter un coup d'œil en arrière tandis qu'Haldir poussait la barque dans l'eau et les dirigeait sur les flots. S'il l'avait fait, il aurait vu que Feren s'attardait, observant avec inquiétude Thranduil et son guide atteindre l'autre rive. Une fois que l'elfe disparut dans les arbres, Feren détourna son cheval, l'abattement se dessinant sur son visage, et reprit le chemin de Vertbois-le-Grand avec la petite compagnie de gardes.
ooOoo
La marche jusqu'à Caras Galadhon fut pour le moins longue et dura plus d'une journée. Thranduil et Haldir ne discutèrent guère, car il n'en avait pas l'énergie. Cette angoisse dévorante le noyait lentement, et chaque respiration, chaque pensée, était un combat. Mais il devait continuer. Encore un peu.
Au moment où il pensait se perdre dans sa tourmente, Haldir le distrayait, soit en lui offrant sa gourde, soit en lui montrant quelque chose d'intéressant au loin. Une fois, il émit un sifflement mélodieux, et bientôt les bois s'emplirent du chant des oiseaux qui revenaient dans les hauteurs. Thranduil se rendit compte qu'Haldir le guidait hors de ses pensées torrentielles par un tact discret, bien qu'il n'eût pas la force d'apprécier l'effort.
Ils atteignirent enfin le sommet et les yeux de Thranduil furent attirés par la multitude d'arbres de Mallorn qui s'élevaient en hauteur, spectaculaires tant par leur beauté que par leur stature, et qui s'étendaient loin à la ronde. C'était vraiment un spectacle magnifique, et en jetant un coup d'œil à Haldir, il remarqua le regard fier qui émanait de l'autre elfe.
Ils pénétrèrent dans la cité de Caras Galadhon, où des escaliers sculptés s'enroulaient autour des arbres et menaient aux demeures des habitants elfiques. Des lanternes flottantes jetaient une lueur éthérée tout autour de la ville, lui donnant un air enchanté.
Ils arrivèrent bientôt à l'arbre le plus grand et le plus majestueux de tous, situé au milieu de la ville. Des escaliers en colimaçon s'enroulaient autour de l'ancien tronc, les marches semblant ne jamais s'arrêter alors qu'elles montaient vers le ciel.
C'était le moment. Bientôt, il aurait la confrontation qu'il désirait tant. Tout ce qu'il avait à faire était de faire le premier pas.
Thranduil inspira profondément par le nez et jeta un coup d'œil à Haldir, qui regardait résolument devant lui, mais il ne faisait aucun doute qu'il attendait patiemment que Thranduil fasse le premier pas. Thranduil s'avança et commença la longue montée, Haldir le suivant. A chaque pas, Thranduil sentait son humeur monter en lui, sa colère se frayer un chemin jusqu'à ce qu'elle soit tout ce qui occupait son esprit.
Enfin, ils atteignirent le sommet de la grande plate-forme. Thranduil leva les yeux, son regard acéré la cherchant.
Elle était là !
Dame Galadriel se tenait au sommet de l'estrade dans toute sa splendeur dorée : de ses douces ondulations dorées qui coulaient dans son dos, à la lumière intérieure qui rayonnait de son essence même. Elle portait une robe d'un blanc pur qui s'étirait derrière elle en une traîne soyeuse, et tandis qu'elle le fixait de ses yeux omniscients, un petit sourire doux ourlait ses lèvres.
La fureur traversa Thranduil. Comment osait-elle lui sourire alors qu'elle lui avait causé une douleur insupportable !
Les yeux de Galadriel se posèrent sur Haldir, qui se tenait à côté de Thranduil, et elle lança un doux commandement. Haldir inclina la tête et sortit aussi silencieusement qu'il était arrivé, laissant Thranduil et la Dame de Lumière seuls face à face, l'un avec la sérénité peignant ses traits et l'autre avec une colère non dissimulée.
- Salutations, roi Thranduil.
- Dame Galadriel, répondit-il avec raideur.
Oh, comme il avait envie de s'emporter contre elle ! Galadriel pencha la tête sur le côté, l'étudiant, ou plutôt l'évaluant.
- Tu as beaucoup changé, Thranduil, dit-elle.
- Assez de plaisanteries, Galadriel, s'emporta-t-il. Tu sais très bien pourquoi je suis ici.
Galadriel se contenta d'esquisser un sourire énigmatique face à son courroux.
- Tu me dois une explication, grogna-t-il sombrement. Il resta immobile, mais on ne pouvait nier la tempête qui se préparait et qui menaçait d'éclater en lui.
Galadriel descendit les marches et se dirigea vers lui d'un pas léger. Lorsqu'elle s'arrêta devant lui, ses yeux bleus ne laissaient transparaître aucune trace de peur.
- Dis-moi, Thranduil, qu'as-tu appris ?
- Si tu penses que je suis ici pour discuter des leçons apprises, alors tu te trompes lourdement ! cria-t-il, son ton tonitruant se répercutant dans la pièce.
Galadriel se contenta de soutenir son regard avec un calme froid et posé.
- Mais n'était-ce pas là le but de ton aventure dans le monde de Charlotte ? Apprendre une leçon ? Elle arqua un sourcil délicat en posant sa question.
- Cela n'a rien à voir avec une leçon, et tu le sais bien ! rugit-il en écartant le bras pour souligner son propos, son visage se tordant de rage.
Galadriel le fixa, indifférente, et Thranduil observa avec consternation qu'elle lui tournait délibérément le dos et s'éloignait.
- Qu'en est-il de l'empathie ? demanda-t-elle.
Thranduil cligna des yeux, momentanément consterné par ce changement de cap.
- Quoi ?
Galadriel se retourna pour lui faire face, les lèvres plissées en un sourire. Elle joignit ses mains devant elle et le regarda en cercle.
- N'as-tu pas fait preuve d'empathie envers Tauriel alors qu'elle pleurait la mort de Kili ?
Thranduil fronça les sourcils. Qu'est-ce que cela avait à voir avec quoi que ce soit ?
- Aurais-tu fait preuve de la même empathie envers Tauriel si tu n'avais pas perdu Charlotte ? Galadriel insista.
Thranduil ravala la boule à la mention de son nom.
- Non, admit-il finalement.
Galadriel poursuivit.
- N'as-tu pas aussi appris la miséricorde ?
Thranduil s'immobilisa. Son acte de miséricorde envers Eric n'avait été fait qu'à cause de Charlotte.
- Tu as aussi laissé Legolas partir et suivre le chemin qui lui était destiné.
- Seulement parce que je savais que cela devait être fait pour qu'il puisse accomplir certains événements futurs, chuchota Thranduil.
- Et si tu n'avais pas glané cette connaissance grâce à ce que Charlotte t'avait montré, aurais-tu agi de la sorte ?
Thranduil se sentit figé sur place.
- Probablement pas.
Galadriel continuait de l'entourer, mais il ne se concentrait plus sur elle. Son esprit était un déluge de souvenirs : les beaux moments qu'il avait partagés avec Charlotte, parfaits dans leur imperfection, et les choses qu'elle lui avait apprises par inadvertance. Et elle lui avait appris tant de choses.
Le souvenir de leur bataille de boules de neige revint à l'esprit et des larmes fraîches lui piquèrent les yeux. Il en était venu à apprécier les plaisirs simples, à mettre de côté son côté blasé et à apprendre à rire et à s'amuser, tout simplement.
Elle avait en quelque sorte brisé chacun de ses murs et de ses défenses. En ouvrant son cœur à Charlotte, il avait aussi appris à être lui-même. Galadriel s'arrêta devant lui.
- Qu'est-ce que Charlotte t'a appris d'autre ?
Thranduil croisa son regard. Charlotte avait été sa leçon, réalisa-t-il avec une clarté cristalline.
- Tout, murmura-t-il, le combat le quittant.
Il baissa la tête, ses cheveux blancs argentés tombant autour de son visage comme un rideau alors que des larmes lui piquaient les yeux.
- Elle m'a tout appris. Elle était... tout pour moi.
Et maintenant, elle est partie...
Il se laissa finalement emporter par son chagrin, et une seule larme coula de ses yeux. Une main chaude prit la sienne et il leva lentement la tête pour rencontrer celle de Galadriel. Elle le regarda avec chaleur et compréhension.
- Ne perds pas espoir, Thranduil, dit-elle doucement.
Thranduil ferma les yeux.
- Mon espoir, ainsi que ma raison de vivre, ont été emportés avec Charlotte.
Il y eut une longue pause.
- Je pense qu'il y a quelque chose que tu dois voir.
Thranduil poussa un soupir de lassitude.
- S'il te plaît, ne joue plus, Galadriel. Je n'ai pas le cœur à cela.
- Je pense, peut-être, que c'est quelque chose que tu voudrais observer par toi-même...
Elle laissa tomber sa main et glissa jusqu'à l'endroit où un pont reliait cette plate-forme à un autre flet. Thranduil la regarda traverser. Son cœur brûlait de partir et de trouver un lieu de solitude où il pourrait succomber à son chagrin. Mais quelque chose d'inexplicable s'agita en lui et, prenant une décision, il décida de suivre Galadriel. Elle l'attendit patiemment de l'autre côté et ils passèrent ensemble d'un flet à l'autre, ne prononçant aucun mot tandis qu'ils descendaient des escaliers et traversaient de nombreux ponts.
- Où allons-nous ? demanda-t-il enfin.
- Tu le verras bientôt, répondit-elle d'un ton énigmatique, les yeux pétillants de son secret.
Ils traversèrent un dernier pont et elle s'arrêta devant une porte. Elle jeta un coup d'œil par-dessus son épaule, son sourire rayonnant, mais ce n'était pas un sourire qu'il pouvait, ou voulait, lui rendre. Au lieu de cela, il la dévisagea avec un masque réservé. Galadriel reporta son attention sur la porte et l'ouvrit, s'écartant pour lui permettre d'entrer.
- Entre, lui demanda-t-elle.
Thranduil la dévisagea pendant un moment. Puis, prenant une profonde inspiration, il entra dans la pièce.
Il se trouvait à présent dans une salle de soins, les lanternes éclairant l'intérieur d'une chaude lueur dorée. Des rideaux diaphanes flottaient et dansaient dans la douce brise qui traversait les fenêtres, cachant les lits et leurs occupants à sa vue.
Puis la brise se calma, les rideaux se remirent en place et son regard se porta sur un lit en particulier. Là où les autres lits étaient vides, celui-ci était occupé.
Thranduil jeta un coup d'œil par-dessus son épaule à Galadriel, qui fit un signe de tête. Thranduil s'avança d'un pas prudent et tendit la main pour écarter le rideau. Il se figea sur place, l'air même de ses poumons s'envolant.
Car Charlotte était là, allongée sur le lit.
À suivre...
