Chapitre 5 Illumination

Emma observait David redresser le sapin, au milieu du mur du salon de ses parents. Mary-Margareth avait enfin trouvé la boîte des décorations de Noël. Elle semblait aux anges, malgré les coups d'œil furtifs vers Emma, s'assurant, de cette façon, que sa fille se portait bien. Le canapé moelleux avait englouti la blonde depuis un bon quart d'heure, et elle n'était pas pressée d'en être extraite de force. Elle se laissait bercer et chouchouter. Il y avait longtemps que cela ne lui était pas arrivé. Et ces derniers jours avaient été plus qu'éprouvants. Un peu de délassement lui faisait le plus grand bien. La voix de sa mère était devenue un bourdonnement lointain, tandis que son père grognait sous l'effort. Le silence reprit soudainement ses droits. Étonnée, Emma redressa la tête et interrogea à la volée.

- De quoi?

David soupira. Il coula un regard vers sa femme, avant de reprendre sa question.

- Que dirais-tu que j'installe la guirlande électrique, pour qu'ensuite, vous puissiez décorer avec les guirlandes traditionnelles et les boules?

- Ah. Oui, pas de problème.

Emma avait grappillé quelques minutes supplémentaires, bien au chaud. Elle se tut à nouveau, regardant son père s'escrimer à défaire les nœuds du fil électrique. Elle sourit. Jamais elle n'avait eu le bonheur de connaître cette ambiance, et ces petites joies simples, lorsqu'elle était enfant. Les foyers se contentaient de mettre trois ou quatre guirlandes rachitiques, oubliant le reste, qui avait été bien souvent cassé. Noël au foyer n'avait rien de magique, mais possédait plutôt un air sordide.

Elle se leva, et tira une guirlande dorée, épaisse et lourde. Elle la fixa, dubitative.

- Ce n'est pas trop pesant pour le sapin? Les branches vont ployer…

- Celle-ci est plus indiquée pour le buffet, derrière toi. Il faut piocher dans les autres guirlandes.

La shérif haussa les épaules.

- D'accord.

Mary-Margaret lança une playlist composée de chansons de Noël. Emma écarquilla les yeux.

- Et on aura droit à du lait de poule?

- Pas d'alcool pour toi, Emma!

- Même un petit verre? Tout petit?

- Non.

La blonde soupira, mais ne regimba pas. Elle ne voulait pas être à l'origine d'un esclandre et gâcher ce moment unique. Sans rien laisser paraître, son âme s'apaisa grâce à cette ambiance douce et familiale.

Alors qu'elle posait la seconde boule rouge dans les branches vertes, la blonde sentit un vertige l'étreindre. Elle s'appuya sur le mur, chancelante. David s'en aperçut, et l'aida à s'asseoir sur le canapé.

- Hey, doucement. N'en fais pas trop. Tu sors tout juste de l'hôpital. Et si la magie de Regina est puissante, il peut tout de même y avoir des effets secondaires. Alors repose-toi, s'il te plaît.

Emma ne répondit pas et se laissa faire. Elle retrouva sa place et s'empara du plaid posé à ses côtés, pour s'enrouler dedans. Elle se sentait bien, ainsi dorlotée. Cela faisait bien longtemps qu'elle n'avait ressenti une telle sérénité. Pourtant, à la vue de ses parents terminant la décoration du sapin de Noël, elle ne put s'empêcher de penser à son fils. Que ne donnerait-elle pas pour qu'ils fassent la même activité, tous les deux?

Sans s'en rendre compte, Emma s'était assoupie dans le canapé. Ses parents n'avaient pas trouvé le courage de la réveiller. Pour une fois, leur fille avait un air juvénile sur le visage, sans contrariété ou douleur. D'un commun accord, ils choisirent leur chambre, pour se reposer également. Mary-Margaret faisait bonne figure depuis trois jours, mais elle était sur le point de s'écrouler. Le couple s'endormit à son tour, dans les bras l'un de l'autre.

Lorsque la blonde émergea de son sommeil, elle n'avait plus qu'une idée en tête: recréer cette magie de Noël avec Henri. Peu importe ce qu'en dirait Regina, elle ne pouvait pas laisser son fils passer ce moment inoubliable des fêtes sans elle. Elle se leva, remise de son étourdissement, et ne vit pas âme qui vive dans l'appartement. Elle fronça des sourcils, et partit, sans prévenir personne. Elle était obnubilée par son idée. Et cette idée lui donnait des ailes.

Une fois devant les manoir, elle monta les marches du perron quatre à quatre et toqua énergiquement à la porte. Elle s'apprêtait à recommencer, lorsque Regina lui ouvrit la porte, maussade. Elle resta dans l'encadrure, observant la blonde, qui la dérangeait clairement.

- Miss Swan. Vous avez l'air d'avoir meilleure mine.

- Oui, euh… Henri est ici?

- Ne me remerciez pas, surtout… Vous êtes toujours aussi impolie…

Emma la fixa, le front plissé. Elle ne souhaitait pas lui faire la conversation, mais seulement parler à son fils. Était-ce si difficile que cela à comprendre?

- Merci. Mais je venais pour voir Henri. J'ai une question à lui poser.

- Le téléphone, ça vous parle? Il s'agit d'une invention fort pratique. Vous devriez essayer.

- Je me passe bien de votre sarcasme! Je veux voir mon fils! C'est bientôt Noël. Il est normal qu'il passe du temps avec sa famille et qu'on fasse des activités de saison.

- C'est une plaisanterie? Vous croyez réellement être sa famille?! Vous l'avez abandonné! Comme un vulgaire chiot, qui vous empêchait d'avancer dans votre pitoyable vie de rebus de la société!

Emma encaissa durement la réalité, certes dévoyée, mais partiellement vraie, de la tirade.

- Je ne vous permets pas…

- Je me le permets toute seule. C'est ce que font les adultes. Un monde fort mystérieux pour vous.

La shérif se crispa et referma ses poings, prête à le lui envoyer en travers de la figure.

Regina se recula, et claqua la porte au nez de la blonde, stoppant net l'échange d'incivilités. La shérif eut le souffle coupé face au toupet de la mairesse. Regina, de son côté, fulminait. Décidément, leur relation n'était pas au beau fixe. La shérif eut un moment de flottement, se demandant quelle stratégie adopter. Elle fit quelques pas, pour partir, mais se reprit et lança, face au manoir.

- Je n'ai pas dit mon dernier mot! C'est noël, vous ne pourrez pas me priver éternellement de Henri!

Le gamin, qui se trouvait à sa fenêtre, certes fermée, mais qui possédait une assez bonne ouïe pour entendre distinctement la mise en garde de sa mère biologique, écarquilla les yeux. Il était partagé, entre les deux femmes et ses deux familles. Il avait réellement envie de passer un peu plus de temps avec sa mère biologique, mais Regina n'était vraiment pas au mieux de sa forme, et le petit savait pertinemment bien qu'il était le seul susceptible d'adoucir la terrible reine, lors de ces moments lugubres. Il vit la shérif repartir dans sa voiture, furibonde.

La voiture n'effectua pas une grande distance, avant de s'immobiliser contre un arbre. Henri dévala l'escalier, ayant tout vu de la scène, et héla Regina au passage.

- Emma a eu un accident!

- Je sais, Henri, ce n'est pas très frais, comme information…

- Non, je veux dire, là, tout de suite!

- Mais de quoi parles-tu?

La mairesse vit de la fumée s'élever depuis la rue, par sa fenêtre. Elle hoqueta.

- Non, mais dites-moi que c'est une mauvaise plaisanterie! Elle n'en rate vraiment pas une…

Elle talonna le garçon, qui s'était déjà élancé sur le perron.

- Henri, pas si vite, ça pourrait être dangereux!

L'enfant était déjà à la vitre passager de la voiture de la blonde. Il la vit affalée sur le volant. Il ouvrit la portière et fut brutalement tiré en arrière par Regina.

- Non!

Elle le fit tomber sans ménagement sur le bitume, affolée.

- Tu as respiré?

- Tu m'as fait mal!

- Je t'ai posé une question!

- Respiré quoi?!

- L'air de l'habitacle!

Le garçon était totalement déboussolé, et craignit que Regina ne devienne folle.

- Mais je sais pas, moi! Faut la sortir de là!

- Pas avant d'avoir pris des précautions.

Henri voulut rétorquer, mais il vit les prunelles de sa mère se parer de violet, et il sut que quelque chose de grave était en train de se dérouler. Il ne pipa mot et se mit en retrait, afin de laisser la puissante sorcière travailler.

La mairesse resta concentrée, sur ses gardes. Elle avait perçu une effluve, presque surnaturelle. Ça n'avait duré qu'une poignée de secondes, et encore. Mais cela avait été suffisant pour que tous les poils de ses bras se hérissent. Elle connaissait cette odeur. Et elle en savait la dangerosité. Car l'odeur ainsi échappée de l'habitacle ne pouvait signifier qu'une seule et unique chose: la dose était importante. Si importante qu'elle n'était pas certaine de pouvoir y faire face sans précaution, vu son état actuel. Elle se savait un peu diminuée. Elle n'aurait jamais admis davantage. Même si la réalité était bien pire que cela. Elle fit un filet protecteur, autour de la voiture, et le rapetissa progressivement, jusqu'à ce qu'il s'enroule autour du corps de la blonde. Elle ouvrit alors la portière, mais s'en tint éloignée. Elle fit léviter le corps mou, et l'attira à elle. Une fois la shérif extirpée de cette maudite voiture, elle descendit le corps sur le trottoir, sous les yeux horrifiés de son fils.

- Elle est morte, c'est ça?

Des sanglots avaient produit des trémolos dans la voix de l'enfant. Les larmes commençaient à lui échapper.

- Non, bien sûr que non. Mais elle est empoisonnée…

- Quoi?

- Henri, je vais la porter dans la maison, par magie. Peux-tu préparer le canapé, s'il te plaît?

Le garçon dérapa en partant, tellement son empressement à sauver sa mère biologique lui tenaillait les tripes. Regina sourit intérieurement. Il était un enfant aimant et protecteur. Elle se demandait parfois d'où provenaient ces qualités, en lui. Puis elle se tourna vers la blonde, et ses sourcils se froncèrent. La réponse était probablement allongée sous ses yeux.

La manœuvre, une fois effectuée, draina la grande majorité des forces de Regina. Mais la shérif dormait paisiblement, lui sembla-t-il, dans son canapé. C'était déjà ça de gagné. Elle réfléchissait à toute allure, passant en revue les cas dont elle se remémorait. Son ancien maître, ce vieux serpent de Gold, lui en avait déjà parlé, mais cela remontait à une période oubliée de l'Histoire. Elle murmura, perdue dans ses pensées et ses souvenirs.

- De la poudre de vérité… Très dangereux à haute dose. Qui pourrait encore en avoir en réserve? Car elle semble si pure. Pas une poudre raffinée récemment, mais quelque chose d'ancien… Trop ancien, même pour moi…

Henri, qui se tenait coi dans un fauteuil, enregistrait mentalement les bribes de mots qu'il décryptait.

La reine se détendit soudain, et laissa son dos retomber contre le dossier du fauteuil, d'où elle surveillait sa «patiente». Elle se tourna vers son fils.

- Henri, je pense que Emma a reçu une dose importante de poudre de vérité. Cela oblige les gens à dire ce qu'ils pensent. Et ça expliquerait bien des choses… Ce n'est pas tout à fait comme un sérum de vérité. Disons plutôt que cela annihile les limites sociales des victimes. Ces dernières donnent l'impression de n'en faire qu'à leur tête. Mais c'est plus ambigu que cela.

L'enfant opina du chef, et comprit le concept, sans en saisir les subtilités. Il remua sur son siège, inquiet.

- Mais ça veut dire quoi, pour Emma? Elle va aller mieux?

- Je l'espère, mon grand… Je l'espère. On ne guérit pas de la poudre de vérité. Elle s'évacue progressivement du corps. Mais dans de rares cas, elle reste et la personne subit alors les désagréments que notre shérif a connu: maux de tête, étourdissements, logorrhée verbale, susceptibilité… Le sujet ne peut plus mettre son cerveau au repos, dans les cas les plus extrêmes, et sombre alors dans la folie.

Henri pâlit.

- Elle était malade, alors?

- On peut dire ça. Son organisme tente d'évacuer la poudre, mais elle a du en recevoir une bonne quantité. Je préfère la garder ici, pour voir comment elle réagit.

Henri l'observa, peu rassuré.

- Et toi, tu as respiré cette poudre?

Regina se tut. Lorsqu'elle avait soigné Emma à l'hôpital, elle avait senti quelque chose se transvaser dans son propre corps. Cette maudite poudre… Ses pouvoirs en avaient été affectés. Et aujourd'hui, elle avait la désagréable impression d'avoir couru un marathon, et d'être à bout de force. Elle pria pour qu'aucune attaque ou mauvaise surprise ne surviennent à Storybrooke très prochainement. Les deux plus puissantes dépositaires du pouvoir n'étaient plus en mesure de protéger qui que ce soit.

Emma resta endormie tout le reste de la journée. Regina la surveillait, et Henri avait fait réchauffer les lasagnes de sa mère. L'ambiance était étrange au manoir. La blonde ouvrit un œil tardivement, alors que la nuit était déjà tombée. Regina avait appelé les Charmant, afin qu'ils ne s'inquiètent pas inutilement. En réalité, elle devait admettre que c'était sur la demande de son fils Henri. Il était déjà beaucoup trop responsable pour son âge. Elle avait prétexté des micro-guérisons magiques à intervalle régulier, pour expliquer la présence de la blonde chez elle. Maintenant qu'elle était réveillée, Regina se pinçait l'arête du nez, se demandant bien quelle mouche l'avait piqué.

Henri avait servi de médiateur entre les deux femmes, et la sorcière avait donné enfin des explications à la shérif, qui tombait des nues.

- Alors c'était ça, la poudre qu'il m'a jeté au visage! J'avais peur que ce soit de la drogue…

- C'est tout comme. Je préfère vous savoir à mes côtés, au cas où une crise se déclencherait.

- Une crise?

- Maux de tête, envie de dire tout ce qui vous passe par la tête et que vous tenez pour vérité absolue… Vous savez, ce qui est arrivé en début de journée…

Emma fixa ses pieds, penaude. Elle comprenait les efforts fournis par la brune pour garder son calme, alors qu'elle l'avait invectivé comme une malpropre.

- Et qu'est-ce que je vais bien pouvoir faire, durant ce temps?

- Vous réclamiez à corps et à cri de participer à des activités de Noël avec Henri. Cela me paraît opportun. Néanmoins, vous resterez ici, le temps de votre rétablissement.

Emma en resta abasourdie. Elle avait obtenu gain de cause. Certes, c'était à cause de son état de santé préoccupant, mais elle prit cela comme une petite victoire. Elle admettait qu'elle avait peut-être un peu forcé la main à Regina, sans le vouloir, mais le résultat était à la hauteur de ses espérances.