La franchise et l'univers de Fire Emblem ne m'appartiennent pas. Ils ont été créés par Shouzou Kaga, et développés par Intelligent Systems.

Il s'agit ici d'une Fanfiction.

Zakuro Ruby Kagame
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Le cerveau humain est un labyrinthe insondable, un territoire où s'entrelacent le rationnel et l'instinctif, l'éclair de génie et l'abîme de la folie. Cet organe complexe, maître et esclave à la fois, murmure à la conscience des vérités troubles, des impulsions sourdes que nous n'osons parfois nommer. Il se joue des frontières de notre volonté, danse sur le fil ténu qui sépare le possible de l'impensable. Car le cerveau, ce compagnon insaisissable, ne se contente pas de réagir: il invente, manipule, déforme, jusqu'à nous pousser au-delà de nos propres limites. C'est une entité à part entière qui fredonne, qui bourdonne. Un confident obscur qui confie à nos sens des mélodies auxquelles il est impossible d'échapper, nous invitant à franchir des seuils que, dans la lumière apaisante du quotidien, nous n'aurions jamais osé approcher. Jamais.

Les Elus de Minuit

C'était environ six semaines après la rentrée, enfin je crois. Je ne me rappelle pas de la date exacte de cette journée. Journée si ordinaire de prime abord après tout. Mais je me souviens des cris en provenance du toit sur les coups de seize heures puis de ceux extérieurs. Peut-être était-ce plus tôt. Et peut-être que cela s'est passé aussi vite que dans mes souvenirs ou au contraire, bien plus lentement. Nous nous sommes tous levés cependant pour quitter nos chaises, nos bureaux et nos classes comme les professeurs eux-mêmes l'avaient fait, délaissant leurs manuels, explications et longues tirades soporifiques. Je me souviens des cris, peut-être pas de l'heure exacte, mais je me rappelle de la vision encore imprimée sur mes rétines aujourd'hui du corps jonchant l'esplanade du bahut. C'était un regrettable accident, l'école a fermé quelques jours, une cellule d'écoute psychologique a été mise en place – un comble – et puis… Les cours ont simplement repris.

Dans le jargon universitaire, on appelle ça un drame. Pour les proches il s'agit plutôt d'une tragédie. Officiellement, Lorenz n'est qu'un malencontreux incident comme il y en a des fois. Une femme s'approche trop près du bord des quais. Un homme passe sous la mauvaise échelle. Un adolescent trébuche sur un trottoir gelé. Un enfant avale un lego de travers. Un nouveau-né s'étouffe dans son sommeil malgré la plus grande vigilance des parents. Vous savez ce que c'est, ou peut-être pas si vous avez de la chance. Dans le premier cas, vous aurez beaucoup de choses à raconter, comme moi, je compte en raconter.

Cette histoire commence par un drame, une tragédie, un malencontreux incident… Quant à la fin, eh bien…


J'avais pour habitude de retrouver Dorothea, une bonne pote de l'école – plutôt sociable puisqu'on avait fait connaissance à la rentrée seulement – tous les matins avant de me rendre en cours. Je fumais généralement une cigarette en l'attendant devant l'esplanade où le corps de Lorenz s'était écrasé comme une chiure d'oiseau sur un trottoir immaculé. Les flics avaient posés leurs marquages de preuve tout autour du corps, et de la rubalise tout autour de la scène, avant d'emporter ce qu'il restait de lui dans un sac mortuaire. Un allé simple à la morgue sans retour possible pour ce pauvre Lorenz qu'aucun miracle n'aurait pu réanimer: des fragments éparpillés de son crâne baignaient dans du fluide cérébrale. Quelques jours après, des tonnes de fleurs et de messages d'amour avaient été déposés dont il ne resta bientôt plus que quelques gerbes et les souvenirs des interrogatoires menés par la police. On y avait tous eu droit et, bien sûr, personne ne savait ce qu'il s'était passé.

Ils n'ont jamais retrouvé le téléphone de Lorenz mais ont quand même conclu à un suicide. Une théorie plausible, et j'y croyais. Pas vous?

Les cours n'allaient pas tarder, mes yeux s'attardèrent sur deux garçons du cursus qui s'y rendaient d'ailleurs. Leurs visages blêmes partageaient une peine sans doute sincère. Une fille leur succéda, celle-ci épongeait des larmes timides du bout de son mouchoir de soie.

—Oh, ça suffit maintenant! Elle ne le connaissait même pas!

Qui pouvait le dire? Peut-être que Lorenz entretenait des relations particulières avec cette fille qui «ne le connaissait même pas». Peut-être même avec plusieurs après tout, tout le monde sait comment sont les jeunes sortant à peine de l'adolescence. A l'époque, je n'aurais pas parié là-dessus, ses allures et manières laissaient facilement supposer qu'il jouait dans l'autre court et c'est encore ce que je pense aujourd'hui.

—Tu n'avais pas l'air de le porter dans ton cœur, fis-je à l'attention de ma camarade qui arriva au moment où moi termina ma première clope de la journée.

Dorothea se contenta de hausser les épaules et de secouer ses longueurs bouclées chocolat, elle n'accorda pas un regard à ce qui ressemblait à l'autel de fortune. «Lorenz était pénible» m'avait-t-elle raconté plusieurs fois après sa chute. Pas assez pénible pour mériter ce sort mais vraisemblablement assez pénible pour ne mériter aucune compassion de sa part. «Ils font le choix de nous quitter» disait-elle avant d'ajouter «moi je fais celui de ne pas y accorder d'importance».

Pourquoi souffrir pour ceux qui nous abandonnent?

On s'installa à nos bureaux habituels en arrivant en classe, je sortis de mon sac mon ordinateur portable mais laissai le chargeur dans ma sacoche: le PC avait chargé pendant la nuit. Ces merveilles de technologies avaient été distribuées gracieusement à la rentrée scolaire: des batteries conçues pour tenir la charge une journée entière. Cette école ne se refusait rien entre le matériel distribué aux élèves comme les bourses d'études comme celle dont je bénéficiais: elle m'avait coûté une longue – très longue – lettre de motivation et un entretien d'une heure avec la directrice. Les universités publiques étaient nombreuses, mais Seiros I se distinguait par son engagement à transformer chaque étudiant en un leader, prêt à exceller dans tous les domaines. Je me rappelle encore de la surprise – le choc plutôt – après avoir reçu un avis favorable de leur part puisque j'avais gardé le cœur de mes motivations sous silence. Les autres avaient suffi.

Notre classe ne comportait plus que vingt-cinq élèves depuis que Lorenz nous avait quittés, et tous arrivèrent un à un pour remplir les rangs. Le dernier à s'installer précéda notre professeur du moment, un cinquantenaire aux poils cendrés. J'ouvris immédiatement le support de notre cours sur une partie de mon écran, et une application de messagerie interne de l'école sur une autre. L'icône de cette dernière ne tarda pas à clignoter m'avertissant ainsi de l'arrivée d'un message. Dorothea espérait ne pas être désignée aujourd'hui, mais cet espoir fut vain.

Hanneman von Essar était un vieux monsieur soporifique pour certains, mais un génie à mes yeux. Il semblait tant savoir que ma vie me semblait bien trop courte pour apprendre tout ce que ce vieux monsieur soporifique avait à offrir pour parfaire le panel de connaissance d'un étudiant en psychologie. J'étais curieuse mais par-dessus tout fascinée par la complexité du fonctionnement du cerveau humain. Qu'est-ce qui nous pousse à préférer le rouge au bleu? Les filles aux garçons? Qu'est-ce qui nous permet de discerner une situation menaçante d'une situation agréable? Pourquoi certaines personnes se suicident quand d'autres se relèvent pour se battre? Hanneman projeta au tableau une liste de mots – il s'agissait de couleurs – et jeta son dévolu sur l'assemblée présente et attentive pour la plupart. Il demanda à Dorothea de lire ces quelques mots alors la jeune femme s'exécuta sans erreurs.

—Rouge, bleu, noir, rouge, vert, jaune, bleu, rouge.

Rien de très compliqué jusque là, puis la seconde d'après les mots prirent leur couleurs et Dorothea récita une seconde liste.

—Bleu, jaune, vert, rouge, jaune, bleu, vert, rouge.

Essar sourit derrière sa moustache en projetant une nouvelle liste de mots encore. Il demanda a un autre élève de se lever – Dorothea sa rassis plutôt satisfaite de sa performance si l'on pouvait qualifier ça de performance – et demanda à Ignatz – l'un des garçon au teint pâle croisé plus tôt – d'énumérer dans l'ordre les couleurs de chaque mot et non le mot formé en lettres. Le vieux prof interrompit le jeune homme au second mot seulement: la couleur était rouge, pas «bleu».

—Byleth?

Je déglutis mais me levai pour fixer la courte liste mais qu'est-ce qu'une liste parait longue lorsqu'il ne faut faire aucune erreur. «Rouge, bleu, vert, bleu, noir, jaune, vert, rouge». Dans mes pensées, c'était aussi clair que coloré.

—Rouge, bleu, vert…

J'eus un instant d'hésitation, une seconde perceptible, mais je continuai avec toute l'assurance dont j'étais capable pour ce simple exercice.

—Bleu, noir, jaune, vert, rouge.

—Bien. C'est très bien.

Essar disait que c'était bien, mais il n'y avait pas de bonne ou de mauvaise réponse au test de Stroop. Il venait juste d'illustrer le parfait exemple d'inhibition et d'interférence cognitive. Après ça, il poursuivit son laïus sur la capacité à contrôler les réponses automatiques du cerveau en se concentrant sur les informations pertinentes tout en ignorant celles distrayantes et parasites.

La journée fut articulée autour des diatribes d'Essar sur la psychologie cognitive. Après avoir rangé toutes mes affaires, j'allai rejoindre Dorothea qui discutait tout sourire avec celle que tout désignait pour être major de promotion cette année et les suivantes. Pour ma part, je n'avais jamais discuté plus que nécessaire avec Edelgard, une figure de réussite, charismatique, qui n'échouait à aucun test. Elle avait récité une liste de vingt couleurs sans reprendre son souffle, sans hésiter, sans ciller. Je n'enviais pas son expression imperturbable pas plus que je n'enviais son teint de porcelaine ou ses longueurs albâtres qui en émoustillaient plus d'un. Edelgard était un peu comme les lettres de ces mots dont il fallait prononcer la couleur et ignorer le sens: une information incongruente dans mon environnement. L'information me salua néanmoins avant de quitter la salle de classe à son tour.

—T'es vraiment pote avec elle? demandai-je presque aussitôt.

—Ca fait au moins trois fois que tu me poses la question, est-ce que le test de Stroop aurait tellement sollicité ton cerveau que ta mémoire déraille?

—Pas du tout. Ca me surprend toujours autant, c'est tout. Elle est tellement…

Froide, indifférente, détachée, implacable.

—Différente de toi, conclus-je pour ne pas la vexer.

Edelgard ne souriait jamais tandis que Dorothea s'amusait rapidement d'un rien. Sauf lorsqu'il s'agissait de Lorenz. Lorsqu'il s'agissait de Lorenz, Dorothea prenait plutôt une expression fermée. Quoiqu'il en fut – et aussi étrange que le suicide d'un élève sans aucun signe avant-coureur – Dorothea et Edelgard étaient amies. Elles, ainsi que d'autres étudiants de ma promotion, avaient suivi la même classe préparatoire avant d'intégrer cette première année en psycho. C'était aussi mon cas, mais ce n'était pas la même prépa' néanmoins.

—On se regarde un film, ce soir?

Nos chambres étaient juste à côté, aussi nous nous retrouvions parfois pour se regarder une nouveauté Netflix à défaut de pouvoir télécharger illégalement un film ou deux, une série ou deux, un jeux-vidéo ou deux. Un tas de trucs inutiles quand on n'est pas occupé à apprendre ses cours.

—Ce soir? s'étonna-t-elle semblant réfléchir un instant. Demain, plutôt? J'ai quelque chose à faire ce soir.

Je me souviens m'être demandée ce que pouvait bien faire Dorothea, seule dans sa chambre, avant d'avoir quelques pensées gênantes. De fait, je n'insistais jamais, mais ça arrivait souvent le lundi. Pourquoi le lundi en particulier vous demandez-vous comme je me le suis demandé? Pourquoi prenons-nous l'habitude de dévorer une pizza tous les vendredi soirs après tout? Essar aurait sans doute eu une réponse très pertinente à donner, quant à moi, je me contentais de «demain plutôt».