Chapitre 4 Reprise de volée
L'hôpital de Storybrooke était en alerte, la shérif Swan était au bloc, dans un état critique. La fée bleue avait été appelée en urgence à son chevet, afin de la maintenir en vie. Elle était beaucoup plus efficace qu'un respirateur artificiel et une pompe sanguine réunis. Le docteur Whale tentait d'arrêter l'hémorragie interne d'Emma, mais ne pouvait pas parer à toutes les éventualités. Il grommelait, les mains couvertes de sang.
Dans la salle d'attente, dans un état de choc plus qu'avancé, Mary-Margareth se rongeait les ongles. Elle revoyait en boucle, dans son esprit, le corps de sa propre fille voler dans les airs, avant de s'écraser par terre, dans un craquement sonore et douloureux. Emma n'avait pas émergé depuis le terrible accident, laissant sa génitrice dans un abîme d'horreurs.
Deux heures plus tard, Emma était en soins intensifs, dans un état peu stable, mais sans possibilité d'amélioration, et David était parti quémander de l'aide à la mairesse. L'ancienne reine le reçut froidement, suite aux allégations scabreuses de sa fille.
- David, pourquoi une visite un samedi? Un problème particulier avec des lutins, peut-être?
- C'est Emma.
- Elle a encore insulté quelqu'un? Ou peut-être est-elle passée à l'acte, et a agressé un concitoyen?
La brune jubilait de voir le shérif avec une expression aussi abattue. Il s'avança, et se jeta à genoux devant elle.
- Sauvez-la, je vous en supplie.
- Pardon?!
- Emma a eu un accident. Elle a été percutée par une voiture, et le docteur Whale… Il n'est pas certain qu'elle s'en sorte. Son crâne a durement heurté le sol… Mais, par pitié, faites-le pour ma famille, ma femme ne s'en remettra jamais!
- Pourquoi Blanche-Neige? Elle risque de perdre sa fille, certes. Je comprends. Je ne suis pas un monstre. Mais…
David grimaça, avant d'avouer, dans un souffle, toute l'horreur de la situation.
- C'est elle qui conduisait.
Même Regina eut un temps d'arrêt. Elle ne s'était pas attendue à une telle révélation. Elle eut pitié de cet homme, qui avait été roi, un jour, et qui risquait de tout perdre à cause d'un stupide accident de la circulation. Elle posa une main sur son épaule. Elle eut une pensée pour Henri, et inspira un grand coup.
- Je vous suis, David.
- Merci Regina.
La sobriété de l'homme remuait les tripes de la mairesse. Il avait toujours été droit, malgré son véritable passé. Mais jamais elle ne l'avait vu ainsi, un désarroi absolu dans le regard. Elle se garda bien de faire une remarque acerbe, préférant se focaliser sur sa magie.
Il mit le gyrophare, tandis que Regina amassait sa magie, silencieuse. Guérir la shérif, qui semblait très mal en point, lui demanderait beaucoup d'énergie. Elle s'était épargnée le trajet, via la téléportation, même si elle était proche, le procédé drainant toujours de l'énergie au jeteur de sort.
Une fois au chevet de la shérif intrépide, Regina s'activa.
- Poussez-vous, ne restez pas là, à me gêner.
Whale fit sortir tout le monde, à part la fée bleue, et lui-même. Les yeux de la mairesse se parèrent de violet, et elle brandit ses mains au-dessus du corps quasi-mourant de la blonde. Elle sentit les organes, réparés chirurgicalement, mais mal en point, les côtes cassées, mais surtout, le traumatisme crânien, qui s'étendait aux méandres du cerveau. Elle grimaça. La tâche ne serait pas simple. Elle psalmodia, perdant toute notion du temps. Une goutte de sueur apparut bientôt, le long de sa tempe. Elle resta ainsi pendant plus d'une heure, régénérant chaque tissu, os, et reconstruisant les veines et membranes du cerveau. Lorsqu'elle vérifia une dernière fois son travail, elle s'écroula au sol, vidée de toute substance. La fée bleue se précipita vers elle, vérifiant son pouls, tandis que le docteur Whale prenait les constantes d' Emma.
Regina fut alitée, pour le reste de la journée, afin de retrouver des forces. Emma ne s'était pas encore réveillée, mais son corps semblait réagir correctement au traitement de Regina. En fin de journée, alors qu'Henri était assis avec David, mort de peur, Whale vint les prévenir que Regina pouvait regagner son domicile.
- Et Emma?
- Chaque chose en son temps, petit. Elle peut se réveiller d'un moment à l'autre.
Henri se leva et s'écria, de toutes ses forces.
- Je reste!
David le prit dans ses bras.
- Non, Henri, Je vais te reconduire au manoir, avec Regina. Tu dois être présent pour elle. Et si jamais Emma se réveille, je vous téléphonerai. Promis.
Henri ne batailla pas, la fatigue et la peur se combinant pour mieux le terrasser. Regina arriva sur ces entre-faits, et pria David de la reconduire chez elle, pour passer le reste du week-end en famille, à se reposer. Elle avait secrètement envie de prendre son fils dans ses bras, et de ne pas le laisser dans la peur de perdre sa mère biologique. Elle désirait le protéger et le rassurer, afin de ne pas le le voir perdu et triste. Car cela rejaillirait directement sur elle, et elle n'était pas certaine d'avoir la force d'y faire face.
Dimanche matin, le coup de fil tant attendu retentit. Emma s'était réveillée, avec une migraine carabinée, mais bien vivante et sans séquelle apparente de son terrible accident. Mary-Margareth faillit en faire une syncope, et David s'empressa d'aller embrasser sa fille, heureux de la voir vivante et en bonne santé, malgré le terrible évènement de la veille.
Emma reçut les explications de la succession des évènements de la veille, et du rôle de Regina pour la sauver. Elle eut une sensation bizarre, au creux du ventre, en apprenant ce qu'avait fait la reine. Néanmoins, elle ne pouvait réfléchir sereinement, son mal de tête étant revenu en force.
Pendant ce temps-là, au manoir, Regina était sur les dents. Elle avait une furieuse envie de dire ses quatre vérités à Henri. Ses vêtements étaient mis en boule au pied du bac à linge sale. Cet enfant croyait-il sérieusement que le linge irait de son propre chef dans la panière? Elle fixait le tas gisant à terre, l'œil torve. Puis elle héla son fils, qui passait dans le couloir.
- Henri, ton linge!
- Oui?
- Range-moi ça à sa place!
- Euh, d'accord… Pardon.
Le petit se sentit tout penaud, mais il vit la veine du front de sa mère battre à tout-va, et s'abstint de tout commentaire. Elle avait un comportement étrange depuis qu'elle était revenue de l'hôpital. Il tenta de ne pas s'en formaliser, mais cela le découragea un peu.
Emma, qui voyait sa mère se tordre les doigts dans sa chambre, avait reçu le feu vert du docteur Whale pour partir. Ce dernier était soufflé par la puissance de Regina, qui avait soigné la shérif avec efficacité et rapidité. Alors que David tenait sa fille par le bras, afin de s'assurer qu'elle ne tomberait pas, Mary-Margareth restait en retrait. Elle restait traumatisée et ne savait que faire pour être pardonnée. Elle avait failli écraser sa fille! Elle avait préparé son gigot, sans vraiment prêter attention à ce qu'elle faisait. Emma passerait la journée chez ses parents, afin de s'assurer que tout allait pour le mieux. Le trajet en voiture fut relativement silencieux, la blonde ne desserrant pas les dents.
Une fois dans l'appartement de ses parents, Emma se cala dans le canapé, ramenant le plaid sur ses jambes. Mary-Margaret en profita pour lui amener un verre d'eau.
- Tiens, ma chérie. Ça va? La viande est cuite, on passe à table. Tu dois mourir de faim! Tu n'as rien mangé depuis presque deux jours.
- Merci. J'arrive.
Emma se leva, regrettant déjà la chaleur qui la détendait enfin. Elle prit place à la table déjà dressée, avec le sourire bienveillant de ses parents. David semblait avoir oublié ses paroles blessantes, soulageant la blonde de ce poids idiot de ses épaules.
Alors que son assiette se remplissait à vue d'œil, pour son plus grand désarroi, Emma se forçait à sourire. Le sang battait à ses tempes, et sa capacité d'attention se rapprochait dangereusement du zéro absolu. Elle reconnaissait cette sensation étrange, maintenant. Elle souhaitait dire ce qu'elle pensait, sans autre forme de procès. Elle goûta le plat préparé par Mary-Margaret. Elle ne put que grimacer. Mon Dieu, comment pouvait-on rater la cuisson d'une viande aussi simple? Elle jeta son dévolu sur le gratin de pâtes. Elle se précipita sur son verre d'eau, une fois la première bouchée dans la bouche. Elle écarquilla les yeux, stupéfaite.
- Comment peut-on être aussi nulle en cuisine?!
Sa mère la fixa, mortifiée.
- Pardon?
- C'est… Immangeable! Tu veux participer à Koh-Lanta, en créant une nouvelle épreuve?! Lancer une nouvelle mode, pour que le savoir-faire culinaire passe pour de la roupie de sansonnet?!
- Mais enfin, ce n'est qu'un gigot!
- Il n'est même pas assez cuit pour qu'un cannibale s'y attarde!
Mary-Margaret hoqueta d'indignation, tandis que David recrachait discrètement sa bouchée de viande dans sa serviette, sous l'œil navré de sa fille.
- Et je ne suis pas la seule à trouver ça immonde…
La petite brune se tourna vivement vers son mari, scandalisée.
- Alors, toi aussi, tu n'aimes pas ce que je prépare?
- Disons que ce n'est pas ta recette la mieux maîtrisée…
Le prince Charmant ne savait plus où se mettre. Emma repoussa son assiette, dégoûtée.
- Le fromage, pour les pâtes, tu as mis quoi comme produit chimique dedans, pour qu'il ait une saveur aussi atroce?!
- Je l'ai acheté au supermarché… C'était indiqué «spécial pâtes»… Je… Je fais de mon mieux!
Mary-Margaret se leva et partit se réfugier dans sa chambre, en pleurant. C'était trop pour elle, qui respirait à peine après l'accident d'Emma.
David soupira, et repoussa son assiette. Il observa sa fille, pensif.
- Emma, pourquoi courais-tu sur la rue, au fait?
- De quoi tu parles?
- Quand tu as été percutée, tu courais, d'après le déclaration de ta mère.
- Oh, oui… Je croyais avoir vu l'ombre… Alors je l'ai poursuivi. Quelle riche idée.
- L'ombre? Celui qui t'a déjà agressé?
- Je crois l'avoir vu. Mais je ne sais plus. Tout s'embrouille…
La blonde baissa la tête, piteuse. Elle s'enferma dans un mutisme malaisant. Son père ne savait plus quoi faire pour que les deux femmes de sa vie soient heureuses. Soudain, il eut une idée.
- Que dirais-tu d'aller acheter un sapin et de le décorer?
Emma retrouva quelques couleurs, et sourit.
- Pourquoi pas? Et on passe chez Granny's pour manger un truc… comestible?
Le prince charmant rigola doucement. Il se leva et se dirigea vers la chambre des lamentations.
- Chérie? On va acheter un sapin? Tu veux venir? Ça va faire du bien de changer d'air. Allez, sors, s'il te plaît.
Une minute plus tard, la porte s'ouvrit sur une Blanche-Neige hirsute, aux yeux bouffis.
- Emma ne m'en veut pas?
- Disons que nous allons entamer un processus de paix. Avec sapin et burgers de chez Granny's.
Elle fit la moue, mais obtempéra. Emma la fixa, avant de se préparer à sortir, avec ses parents. Tout le monde était gêné, mais aucun ne fit le moindre commentaire. La petite famille s'installa dans le pick-up de David. La blonde trouvait cela humiliant, à son âge, d'être trimballée par ses parents, comme une enfant. Ils s'arrêtèrent bientôt devant un vendeur de sapins. Emma descendit rapidement, au grand dam de Mary-Margaret, qui la suivit comme une ombre, de peur de la voir tomber dans les pommes. David les regardait, l'air absent.
Emma ne s'extasia pas devant chaque arbre, mais en aperçut un, ni trop grand, ni trop dégarni, qui lui plaisait. Elle en fit part à ses parents, et la petite brune l'acheta promptement. Une fois mis à l'arrière du pick-up, tout ce petit monde s'entassa pour se rendre chez Granny's, pour profiter d'un repas digne de ce nom. La shérif était perdue dans ses pensées, en pensant à la décoration apaisante de l'arbre, activité idéale pour se détendre. Même si ce n'était pas le sien, mais celui de ses parents.
Lorsqu'ils pénétrèrent dans le havre de paix culinaire que représentait le restaurant, Emma fut surprise d'y trouver Henri et Regina, attablés en tête-à-tête. Quelque chose lui fit mal, au creux de la poitrine. Elle avait l'impression de voir sa propre situation en miroir, avec ses parents. Mais le constat lui sembla amer: Elle, elle était toujours l'enfant, alors que son propre fils était dans le giron d'une autre. Son humeur tomba dans ses chaussettes. Elle repensa au sapin, qui attendait dans la voiture. Elle aurait préféré le décorer avec Henri. Même si Regina était là en toile de fond, ça lui aurait fait plaisir. Son cœur était devenu de la vraie guimauve.
Elle soupira, et prit place à une table un peu plus éloignée, encadrée par David et Mary-Margaret. Un mélange de colère et de déception monta en elle, et elle sut que cela ne présageait rien de bon.
Noël était vraiment foutu, cette année.
