Lorsque fut venu pour Stiles le moment de reprendre connaissance, la nuit était en train de tomber et ce fait, il mit du temps à le comprendre. Voilà pourquoi la chambre lui paraissait sombre et sa vision, un peu moins détaillée que lorsqu'il faisait encore parfaitement jour. La luminosité, de plus en plus faible, lui donna d'ailleurs du fil à retordre pour se réveiller complètement, dans la mesure où elle tendait à rendre ses paupières plus lourdes. Sans doute avait-il dormi des heures et des heures… Ce qui n'était pas suffisant malgré tout. Il lui faudrait encore du temps pour retrouver cette forme qui, à ses yeux, avait des airs de légende. Le genre de choses qu'il pensait inatteignable à son niveau.
Stiles tint tout de même à bouger, se redresser un peu. Il avait l'intime conviction qu'il devait faire quelque chose par peur de manquer… Quoi? Qui? Il avait un visage en tête, mais un peu flou, si bien qu'il dut attendre quelques minutes supplémentaires, le temps de se réveiller complètement.
Et lorsque ce fut le cas, l'angoisse déferla sur lui comme une vague emportant toute autre émotion sur son passage. Parce qu'il eut le réflexe protecteur de ne pas croire les souvenirs qui étaient remontés à la surface, avec ce visage qui avait largement gagné en netteté.
Le visage de son père.
Après l'angoisse vint la peur. La peur panique d'avoir cédé à ce qu'il considérait comme une faiblesse chez lui: la folie, celle qui naissait du désespoir. Parce qu'il fallait être sacrément désespéré pour aller s'imaginer qu'un mort puisse être en vie… Et pourtant, une partie de lui, celle qu'il avait l'habitude de considérer comme rationnelle, lui souffla qu'il se trompait. Qu'il n'avait rien rêvé, rien imaginé. Que de ce père il avait entendu la voix, senti l'étreinte, savouré le contact de sa main sur la sienne. Une main réconfortante et chaude, la main d'un père qui le soutenait comme il le pouvait malgré un choc partagé. Ce qui le fit douter le plus lorsqu'il se fut complètement redressé, c'est ce regard qu'il gardait en tête. Des yeux presque sans arrêt larmoyants.
Son souvenir, parce qu'il savait que c'en était un malgré ses doutes, lui paraissait quand même sacrément réel. Mais Stiles ne pouvait pas se contenter de suppositions. Pas maintenant. Il lui fallait des preuves, quelque chose qui lui permettrait de confirmer ou d'infirmer ce qu'il pensait être vrai.
Il devait, en l'occurrence, s'assurer de la tangibilité de ce qu'il avait vu… Avec l'espoir de moins en moins secret qu'il ne s'était pas trompé. Parce qu'il n'était pas sûr de supporter ce coup-là, qu'il vivrait comme un début de folie et peut-être l'ultime trahison de son corps, de sa tête. Puis en dehors de tout cela, il était mû par un besoin aussi instinctif que viscéral: il voulait tout simplement voir son père et ressentir à nouveau cet étrange sentiment de sécurité qui l'avait pris avant de s'endormir. Il espérait sincèrement ne pas l'avoir rêvé.
Alors Stiles mit sa piètre forme de côté – il n'y pensa même pas – et repoussa les couvertures. Debout avant même de s'en rendre compte, il sortait déjà de la chambre. Déterminé comme lorsqu'il s'était enfui de la tanière de son ancienne meute, il avançait sans se soucier du fait que sa tête tournait, que ses jambes lui donnaient l'impression qu'elles pouvaient céder à tout moment. A côté de cela, il avait le cœur qui battait la chamade et le souffle rendu irrégulier par l'effort. Disons qu'il n'avait pas préparé son corps, alité depuis plusieurs jours et partiellement vide d'énergie, à bouger ainsi. D'ailleurs, il n'écoutait pas du tout les signaux d'alerte qu'il lui lançait. C'était sa tête qui agissait et elle ne laisserait rien, aucune difficulté se mettre en travers de son chemin, pas même celles qui pouvaient potentiellement l'arrêter.
Même la découverte des escaliers – passablement raides, il fallait le dire, ne suffit pas à lui faire rebrousser chemin. Il fallait… Il fallait. Sa descente de ceux-ci fut dangereuse tant il manqua de tomber et ce, à plusieurs reprises. Le fait qu'il arrive en bas sans encombres tenait d'ailleurs du miracle. Et à peine eut-il passé la dernière marche qu'il perçut des voix. Plusieurs, masculines, graves. Elles n'étaient pas loin. Stiles ignora la façon dont il respirait – mal, il était essoufflé –, et jeta un coup d'œil à la pièce dans laquelle il se trouvait. Il la reconnaissait vaguement tant il y était allé peu… Mais il savait que c'était là qu'il avait vu son père – si c'était vrai. C'était là, et pas ailleurs. Sentant le moment de vérité extrêmement proche, Stiles fit complètement fi des signaux de plus en plus nombreux que lui envoyait son corps. Il fallait qu'il sache, bordel… Il le fallait. Une formulation, un verbe qui tournait en boucle dans sa tête. Alors il suivit la piste des voix qu'il savait réelles. Il les entendait clairement. Il marcha péniblement, s'aidant des meubles et des murs… Et même si l'épuisement qui le tenaillait restait palpable, pesait de tout son poids sur ses épaules et sa tête, Stiles continua. Il était hors de question qu'il s'abandonne à la folie… Ou qu'il abandonne tout court. L'espoir que représentait la présence de son père était immense. C'était tel que sa gorge se serrait et que si ça continuait, les larmes ne tarderaient pas à venir.
Elles montèrent automatiquement lorsqu'il arriva à l'entrée de la cuisine et qu'il vit Derek et Isaac discuter avec un Noah… Bien réel. Les visages, tous plus ou moins détendus, se fermèrent dès lors qu'ils le remarquèrent. Très vite, l'inquiétude s'y peignit et Noah Stilinski se précipita vers lui.
Stiles n'entendit pas vraiment ce qu'il lui dit – il ne cherchait pas vraiment à le faire. Tout ce qu'il voulait, c'était se lover dans ses bras, éprouver son étreinte bien réelle. Ses doigts se crispèrent sur sa veste: il ne voulait pas le lâcher. Et son corps, soulagé parce que l'esprit comprenait qu'il n'avait guère rêvé, se relâcha complètement.
Noah dut porter son fils jusqu'au canapé parce que ses jambes ne tenaient plus. Et il lui parla, longuement, sous la surveillance bienveillance mais inquiète d'Isaac et Derek qui choisirent de rester en retrait. Il était clair que Stiles n'écoutait pas ce que son paternel lui disait, mais… Il réclamait sa présence, laquelle le bouleversait suffisamment pour qu'ils comprennent à quel point son choc était grand. Mais les deux loups-garous se regardèrent tout de même avec un étonnement non feint: comment, lui qui était si faible, avait-il réussi à descendre les escaliers sans encombre? Il semblait avoir un corps solide malgré sa finesse proche de la maigreur, certes. Cependant, il était épuisé, inhumainement épuisé. Sans doute devrait-il passer quelques jours supplémentaires à rester au lit. Commencerait sans doute ensuite un travail titanesque pour l'aider à reprendre un rythme de vie normal
Stiles finit néanmoins par faire entendre sa voix et elle provoqua une peine énorme aux deux loups-garous… Qui sentirent, mais eurent du mal à imaginer réellement ce que ressentait Noah, pour la bonne et simple raison qu'ils n'étaient pas lui.
Parce que le jeune homme épuisé finit par avouer, tout tremblant, sourd mais pas muet, qu'il avait eu besoin de voir son père pour s'assurer qu'il ne l'avait pas juste rêvé.
