- Ceci étant dit, je pense qu'il est temps de clore cette réunion à rallonge.
- J'aurais plutôt dit qu'elle a duré le temps nécessaire, objecta Lydia. Il fallait qu'on aborde ces sujets depuis un moment, Peter.
- Le fait est que Petpet a raison : l'heure n'est plus au blabla, mais au miam miam, intervint Stiles.
Son ventre choisit ce moment pour approuver ses paroles en émettant un gargouillis particulier. Il y avait peu de doutes quant à son origine. Comme toujours, Stiles Stilinski avait faim.
- Continue avec ce surnom ridicule et tu ne seras bientôt plus capable de le prononcer, le menaça gentiment l'oncle Hale.
Enfin, il y avait dans son regard une lueur de colère quelque peu réelle mais que le loup en question dissimulait fort bien derrière cette espèce de sarcasme.
- Qu'est-ce que tu vas faire ? M'arracher la gorge avec tes dents ? Désolé Papi, ça, c'est la spécialité du grincheux.
Le grincheux en question ne jeta rien de plus qu'un bref regard à l'hyperactif de service, celui qui s'amusait toujours à lui chercher des noises dans le but de le faire réagir – ce qui marchait très bien, au début. Malheureusement pour lui, Derek Hale avait changé. Il avait compris que répondre et le menacer faisait juste… Plaisir à cet idiot suicidaire. Or, il ne tenait pas à le satisfaire outre mesure ni à lui donner le feu vert pour continuer ses bêtises et gamineries qu'il jugeait on ne peut plus stupides. Inutile de préciser qu'il était un grand fan du concept de « calme » et que le silence lui seyait donc bien mieux que cette agitation dont il cherchait toujours à s'éloigner.
Cette idée-là allait de pair avec une solitude dont il ne parlait jamais mais qu'il recherchait ardemment. Une solitude complète. Loin de tout et de tout le monde. A l'abri des contacts et des regards qu'il ne désirait pas.
Une main se posa sur son épaule avec une lenteur telle qu'il l'avait sentie arriver mais pas cherchée à éviter. L'envie ne manquait pas, mais son corps s'était refusé à bouger… Par habitude, sans doute. Et si son cœur fit une embardée plus que mauvaise, elle ne fut pas remarquée. On ne s'intéressait pas à ce qu'il pouvait dégager, à cette peur si discrète qui l'étreignait par moments.
Son visage restait de marbre, n'affichait strictement rien.
Mais la voix mielleuse qui s'éleva le fit frissonner.
- Il faut dire qu'il a eu le meilleur des instructeurs.
La poigne sur son épaule, légère, se resserra légèrement mais Derek eut le réflexe de se mentaliser pour ne réagir… A rien. Se dégager de cette main ne ferait qu'attirer les regards sur lui même si bien peu de gens seraient surpris par son besoin de solitude physique. L'ancien alpha n'était pas connu pour apprécier les contacts… En fait, il s'agissait de l'une des raisons pour lesquelles il restait souvent dans son coin, ne se rapprochait jamais de personne. L'autre, la seconde, résidait justement dans ce qui le poussait à ne rien faire.
La peur. La peur desdits contacts physiques.
Ainsi, Derek fixa son regard sur le nez de Stiles et non sur ses yeux. Il n'avait pas la moindre envie que celui-ci voie quelque chose, même s'il jugeait cette idée improbable. On n'est jamais trop prudent, se disait-il. Parce que l'humain, aussi agaçant et hyperactif soit-il, possédait un sens de l'observation assez fin – que Derek ne sous-estimait pas outre mesure. L'on prenait souvent Stiles pour un guignol, sauf qu'il était loin d'en être un. Derek l'avait suffisamment observé et côtoyé pour savoir que son cerveau passait un temps monstrueux à analyser tout ce qu'il voyait, entendait, sentait, touchait. Une machinerie au fonctionnement perpétuel qui lui permettait de tout s'expliquer.
- Peut-être, mais l'élève a dépassé le maître, et largement en plus.
Les yeux ambrés qui, eux, fixaient Peter, tentèrent d'accrocher celui de Derek… Lequel noya son essai en l'évitant, en soupirant et en se levant. C'est seulement ainsi qu'il put rompre le contact avec son oncle de façon naturelle, en se dirigeant vers la cuisine sans répondre. Le tout était de marcher d'un pas tranquille, les muscles aussi détendus que possible. On devait le penser simplement agacé de tout, comme c'était justement toujours le cas. Ainsi, il se saisit machinalement d'un verre dans lequel il se servit de l'eau. Partir faire autre chose de façon aussi lente, ça lui donnait l'air de se foutre de tout – et c'était exactement ce qu'il fallait faire dans le cas présent. Ainsi, il n'attirait pas l'attention puisque son comportement ne changeait en rien par rapport à ce dont on avait l'habitude. C'était l'affaire d'un jeu de corps et d'esprit qui se mettait en action chaque jour qui passait, certains un peu plus que d'autres.
Derek but son verre sans se presser et hésita même à s'en servir un autre. Il n'y avait que lorsqu'il se trouvait seul dans une pièce que ses muscles se détendaient vraiment. Bien sûr, il savait que sa tranquillité avait tout de provisoire, rien de spécifiquement long. Il avait une, peut-être deux minutes avant de devoir retourner dans la pièce principale. A cette idée, son corps se raidit et la boule qui lui nouait perpétuellement le ventre sembla grandir. Mais Derek avait l'habitude, alors il musela cette peur muette sans trop de souci. Il n'était pas seul dans le loft, il y avait du monde. Un monde qui, sans savoir et sans agir, le protégeait.
xxx
Derek n'était pas du genre à méditer, mais il passait toujours un temps monstrueux à réfléchir sous la douche. Il s'agissait d'un autre cas où la tranquillité lui était offerte, un moment journalier duquel il profitait dans son entier. Ce n'était pas juste l'eau chaude, ni la détente qu'elle exerçait sur ses muscles perpétuellement endoloris à force de se rendre – mais pas que. Ce n'était pas non plus le fait de se laver, d'ôter de ce corps toutes les saletés invisibles qui s'accrochaient à sa peau, puisqu'il n'y en avait que très peu. Il s'agissait d'avoir l'impression, en se récurant dans tous les sens, de se donner l'impression de se délester d'un poids sans substance.
Et d'être seul. Si l'on connaissait ses pensées actuelles, on le jugerait. Parce que l'on se dirait qu'il abusait et qu'il ne pouvait pas tant apprécier la solitude que cela. Un loup, ça restait à moitié humain et un humain… Avait besoin de sa dose de sociabilité. Pas lui. Ou du moins, pas en apparence. Si c'était pour vivre ce qui le plombait chaque jour, chaque semaine, il pouvait fort bien s'en passer – et le désirait secrètement. Mais il ne disait rien. Parce qu'il n'était pas du genre à parler et que tout n'était pas entendable.
Derek passait toujours plus de temps que nécessaire sous la douche. S'il lui arrivait de ressentir un certain élan de culpabilité lorsqu'il pensait à toute l'eau qu'il gaspillait, la peur prenait le dessus. Elle le poussait à rester encore un peu, à se protéger. A faire tout ce qui était en son pouvoir pour faire durer ce temps si précieux qui le protégeait d'une demi-éternité bien malheureuse. Alors dans ces moments-là, Derek ressentait l'envie d'être égoïste.
En fait, il en avait besoin.
