Musique d'écriture : Heat Wave, House of Cards OST


Chapitre 4 : Le Retour du Cavalier Noir

Chambre de Sebastian

Ils longeaient le couloir menant à la chambre du majordome. Un lourd silence les avait enveloppés depuis qu'ils avaient quitté le salon principal.

Le Comte marchait en tête, son majordome sur ses pas. Il ne savait pourquoi, mais la présence de Sebastian juste derrière lui le troublait.

Depuis trois ans, il s'était habitué à la compagnie constante du démon ; à leurs échanges venimeux autant qu'à leurs silences partagés. Pourtant, il se sentait différent après les deux jours passés en son absence. Ciel ressentait à nouveau toutes les sensations de sa damnation comme s'il les découvrait pour la première fois. Il savait que les yeux du majordome étaient fixés sur lui et que ses regards de cuivres ne se posaient que sur sa personne. Il éprouvait à nouveau cette aura de ténèbres qui émanait de Sebastian, et cette ombre maléfique qui enveloppait et recouvrait le jeune Comte comme un manteau.

Alors qu'ils arrivaient à la porte de la chambre, Ciel s'arrêta et se tourna vers son majordome. Celui-ci stoppa sa marche, laissant une distance respectable entre le Comte et lui.

— Quelque chose vous trouble, jeune maître ? demanda le démon.

— Nous avons fouillé ta chambre, répondit le Comte, et il semblerait que tu aies désobéi à mes ordres.

Sebastian haussa les sourcils, feignant l'innocence, mais un léger sourire dansait déjà sur ses lèvres.

Ciel ouvrit brusquement la porte de la chambre et des miaulements se firent entendre.

— Je t'avais dit de ne pas laisser de chat entrer dans le manoir, ronchonna le Comte en indiquant du doigt les boules de poils qui s'agglutinaient sur l'unique lit de la pièce.

Le visage du démon s'illumina devant ce spectacle félin. Puis il se tourna vers le jeune maître, ne perdant rien de son sourire.

— Vous avez fait de ma chambre un lieu privilégié où je peux m'accorder certains plaisirs, expliqua-t-il de sa voix doucereuse, et la compagnie féline m'est précieuse. Mais ne vous méprenez pas, jeune maître, je ne les ai fait rentrer que pour les protéger de l'orage. Quand le temps se calmera, je les remettrai dehors.

Ciel émit un claquement sec avec sa langue, un signe d'agacement que Sebastian connaissait bien. L'ignorant, il pénétra dans la pièce et se dirigea vers l'armoire. Il en sortit une de ses chemises et se frotta les mains dessus, l'imprégnant de son odeur, puis la jeta à terre, dans le coin le plus reculé de la chambre. Les chatons se précipitèrent pour se blottir et jouer avec le précieux tissu.

Visiblement ravi, Sebastian détourna ses yeux amoureux pour se concentrer sur son jeune maître qui était resté dans l'encadrement de la porte.

— Vous pouvez rentrer, jeune maître, ils ne bougeront pas. Soyez le bienvenu dans l'antre du diable, ironisa-t-il en s'inclinant légèrement vers le Comte qui accueillit ses mots avec un soupir de lassitude, avant de se diriger vers la chaise de bureau.

— Je suppose que tu dois garder ce bandage ridicule autour de ta tête, s'enquit Ciel en s'asseyant.

— À moins que nous ne trouvions une explication à la disparition de ma blessure, je crains que je n'y sois obligé, dit Sebastian avec un sourire.

Le démon ouvrit quelques tiroirs et en sortit un uniforme complet de majordome qu'il déposa avec soin sur le lit. Ignorant son maître, il enleva sa veste humide, et ouvrit son par-dessus. Ciel l'observait alors qu'il commençait à ôter sa chemise, faisant glisser les longs doigts habiles le long de la rangée de boutons. Il fit couler le tissu le long de ses bras, et malgré les bandages inutiles que le majordome avait noués autour de sa poitrine pour feindre la blessure, le Comte sentit la chaleur lui monter aux joues à la vue de la quasi-nudité éclatante de son serviteur et il détourna le regard, profondément gêné.

— Tu aurais pu me prévenir que tu avais l'intention de te déshabiller, dit-il en fixant ses yeux sur le bureau, focalisant toute son attention sur le bois verni. N'as-tu donc aucune pudeur ?

— Toutes mes excuses, jeune maître, répondit le majordome qui s'affairait à dénouer ses pansements avant de les jeter au sol pour rejoindre le reste de ses vêtements. Je ne pensais pas que vous seriez encore embarrassé à la vue du corps d'un homme.

Malgré la parfaite maîtrise du Comte, le démon discerna distinctement l'accélération de son cœur, dont la musique avait pris un rythme tapageur, ainsi que la faible teinte rosée qui colorait la nuque du garçon qui refusait de rencontrer ses yeux.

— Rien ne t'échappe, on dirait, dit enfin Ciel, sa voix imperturbable malgré la touche de dédain qui lui insufflait l'impertinence du démon.

Des souvenirs, intimes et indécents, embaumaient déjà son esprit, mais il les repoussa vivement, se concentrant sur l'instant présent.

— Pas lorsque cela vous concerne, murmura Sebastian.

— Cesse donc ce jeu, s'exaspéra le Comte en jetant un coup d'œil vers lui, soulagé de constater qu'il était à nouveau décent. Dis-moi ce que tu sais.

Sebastian soupira, déçu de mettre fin si vite à ses répliques acides, et se dirigea vers le miroir accroché au mur.

— Snake se trouve dans une auberge à une quinzaine de kilomètres du manoir, commença-t-il en entourant sa tête d'une nouvelle bandelette propre. Puisqu'il n'a pas réussi à vous éliminer, il y a de grandes chances qu'il revienne.

— Tu penses qu'il attaquera ce soir ? demanda Ciel qui avait du mal à contenir son anxiété. Sebastian pouvait sans doute le protéger, mais il n'était pas seul dans ce manoir, et un nouveau mort dans sa propriété serait une situation très déplaisante pour sa réputation.

— J'en doute. Mais il veut se venger, et sa fureur est grande, continua Sebastian, totalement imperturbable. Après tout, vous lui avez pris toute sa « famille », et la solitude le fait souffrir. Mais ne vous inquiétez pas, il n'attaquera pas s'il est seul. Il l'attendra avant de revenir.

Ciel frissonna.

— Tu l'as vu ? demanda-t-il, la gorge serrée.

Il n'avait plus jamais ressenti de peur depuis que le démon était apparu et avait pris place à ses côtés. Ce sentiment était devenu un mot qui avait perdu profondeur et sens au moment où il avait marchandé son âme. Mais depuis la « mort » de Sebastian, une crainte soudaine avait commencé à l'envelopper et il détestait déjà cette frayeur croissante. Ainsi, l'effroi qui grandissait dans son ventre et qu'il tentait d'étouffer lui était parfaitement inconnu. Et en l'absence de Sebastian à ses côtés, seuls les bras d'Arthur avaient chassé la peur de son corps, pour un court instant de passion.

— Il était là en effet, je l'ai aperçu avant de venir vous rejoindre, répondit Sebastian, qui inspectait avec minutie son reflet dans le miroir, toujours intraitable concernant la perfection de son accoutrement. Il ne m'a pas remarqué, je ne sais même pas s'il sait que j'ai survécu à son attaque.

Le démon resserra légèrement sa cravate, puis semblant satisfait, il abandonna le miroir pour se diriger vers Ciel.

— Je dois dire qu'il m'a surpris, jeune maître, confia-t-il. Je ne m'attendais pas à ce qu'il surgisse si vite. Il est vraiment détestable.

— Mais je ne comprends pas, intervint Ciel, en détournant ses yeux de son majordome. Perdu dans une profonde réflexion, il caressait négligemment son menton de son doigt pâle. Phelps est mort parce que Snake a mis un serpent dans ma chambre, destiné à me tuer. Cela, nous l'avons compris. Et il t'a attaqué parce qu'il... est dément et violent. Mais qu'est-ce que Lord Siemens avait à voir là-dedans ?

— J'ai ma petite idée à ce sujet, jeune maître, dit Sebastian. Mais pour en être sûr, j'attendrais que ma chouette arrive à destination.

— À propos, à qui l'as-tu envoyé, cet oiseau ? demanda Ciel en haussant un sourcil.

— Ne soyez pas impatient, jeune maître, répondit Sebastian en plaçant un doigt malicieux sur ses lèvres. Si je dévoile toutes mes astuces pour résoudre cette dangereuse affaire, le jeu deviendra profondément ennuyeux.

Ciel soupira tout en passant ses doigts fins dans la soie de ses cheveux, repoussant les mèches en arrière. Il semblait épuisé, et Sebastian se demanda si sa santé n'avait pas été affaiblie par son absence et les récents événements. Son visage humain perdit toute expression amusée et une ombre soucieuse assombrit ses traits. Il devait être prudent. Il serait stupide que Ciel succombe à un mal qui viendrait de son propre corps.

— La situation est déjà plus que fâcheuse, expliqua le garçon, touchant sa paupière, comme si la fraîcheur de ses doigts pouvait l'aider à s'éclaircir l'esprit. Je ne sais toujours pas comment expliquer à la Reine qu'un de ses proches – et de surcroît mon invité d'honneur à une fête que sa Majesté m'avait demandé d'organiser – a été tué sous mon toit. Ainsi que l'héritier d'une grande compagnie de commerce... Ma réputation est en danger, Sebastian. Et cela, je ne peux le tolérer.

— Je sais cela, jeune maître, dit Sebastian en posant sa main droite sur son cœur avant de s'incliner légèrement, et je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour vous sortir de ce mauvais pas.

— Je pensais que Lord Randall permettrait à tous les invités de quitter le manoir, dit Ciel en se levant, époussetant son costume bleu. Cela nous aurait laissé les mains libres pour résoudre cette énigme sans avoir à nous confondre en explications. Arthur commence à être suspicieux...

— "Arthur" est un homme intelligent, affirma Sebastian, souriant, ne quittant pas des yeux la forme vêtue de bleu qui contournait le lit pour s'approcher de lui. Et "Arthur" vous aime beaucoup.

Ciel stoppa et eut un soupir agacé. Il s'apprêtait à répliquer, mais Sebastian continua :

— Le jeune Arthur a construit un avenir radieux dans sa jeune cervelle de romancier.

La voix du démon était goguenarde et teintée d'une fine touche de mépris indulgent.

— Il a fait de vous son égérie et vous a porté sur un somptueux piédestal où vous n'avez pas votre place. C'est sa passion pour vous qui l'a poussé à imaginer d'autres hypothèses, toujours plus fantasques les unes que les autres, pour vous innocenter du premier meurtre, alors que toute rationalité humaine vous condamnerait. C'était très habile de votre part, de vous entourer d'un tel allié.

Le démon marqua une pause et plongea ses yeux flamboyants dans l'œil froid de Ciel qui, s'il était resté impassible, scrutait avec attention le démon.

— Mais aujourd'hui, jeune maître, il est dangereux. Il est beaucoup trop perspicace pour votre sécurité.

— Je sais que l'inclination d'Arthur à mon égard est ridicule, dit le jeune Comte avec réticence, comme si le sujet abordé lui était profondément déplaisant. Sa voix était pourtant claire et basse. Il est si innocent... Mais il est intelligent. Un homme aussi rationnel que lui ne devrait pas se prendre à croire au surnaturel.

Le Comte se tut, semblant chercher les paroles appropriées. Il mordit légèrement sa lèvre, presque imperceptiblement, mais ce geste inhabituel n'échappa pas au démon, qui plissa ses yeux où brillait une animosité distillée.

— Mais tu as raison, continua enfin le garçon, il commence à penser que le tueur n'est pas un homme ordinaire et que cet être en a après nous... Et s'il s'en persuade, il en conclura ce qu'il pense déjà... que tu n'es pas humain. Mais pour le moment, il n'a que des doutes et ne fait qu'effleurer de folles possibilités.

— Et s'il le comprend ? s'enquit le majordome, insistant, buvant chacune des réactions de son maître qu'il trouvait nouvelles, intéressantes, mais aussi extrêmement agaçantes.

— Alors le monde devra se priver d'un écrivain de grand talent..., déclara Ciel, la gorge sèche, l'œil glacé, alors qu'il vidait son corps du goût de son humanité.

Sa voix était forte, mais les mots semblaient lui faire mal. Il se maudit silencieusement pour sa soudaine faiblesse, puis il respira doucement, faisant glisser l'air à l'intérieur de sa poitrine tandis qu'il se concentrait sur les battements de son cœur.

Il n'avait pas besoin d'Arthur, Sebastian était là. Rien n'avait d'importance, hormis son désir de vengeance et sa haine obstinée.

Rassemblant sa volonté, asséchant son âme, il sentit les sentiments le quitter pour ne laisser qu'une carcasse froide et dure.

— S'il devient trop curieux, nous nous débarrasserons de lui. Je n'ai pas le temps de m'attarder sur les sensibleries d'un inconnu.

— Les sensibleries ? Je pense que son affection à votre égard est réelle, dit le démon, mais déjà un sourire ravi s'était peint sur son visage.

— Je n'en ai que faire, objecta Ciel en se dirigeant vers la porte, avant de faire brusquement volte-face vers le majordome. S'il devient un danger, tue-le !

Et le démon s'inclina.

— Yes, my Lord.

Et au-dehors, le tonnerre gronda dans un ciel noir.


Dans le salon principal

Assis à la petite table du salon, où s'accumulaient documents, croquis et notes diffuses, Arthur discutait avec Abberline et Charles Gray. Le majordome blanc se tenait debout derrière le fauteuil de l'inspecteur, observant les notes qu'Abberline consignait dans un petit calepin à reliure de cuir au rythme des remarques que lui murmurait Arthur. Les autres invités, semblait-il, avaient quitté la pièce pour rejoindre la salle de billard, où des clameurs enjouées se faisaient entendre.

« Au moins ils s'occupent », pensa Ciel, soulagé de ne pas devoir faire face à l'ensemble des têtes qu'il hébergeait depuis quelques jours dans son manoir.

À la vue du duo qui avait pénétré dans le salon, les trois hommes se turent et se levèrent, s'inclinant devant leur hôte. Ciel s'approcha, réconforté par la présence de Sebastian qui marchait sur ses talons. Il se sentait à nouveau en sécurité, et la sensation d'impuissance latente avait disparu de sa poitrine. Gonflé d'impertinence, il s'installa dans son fauteuil, au bout de la petite table. Il leur fit un signe nonchalant pour leur intimer de s'asseoir, ce qu'ils firent, puis posa son coude sur le bras du fauteuil pour appuyer sa joue sur le poing de sa main. Sebastian se tint à sa droite, là où était sa place.

— Je suppose que vous avez quelques questions à poser à Sebastian maintenant qu'il est reposé et décent, suggéra le Comte.

Les trois hommes se regardèrent, comme s'ils ne savaient pas par où commencer. Le Comte les observait, mais ses yeux s'attardaient sur Arthur. Il traçait du regard la ligne ferme de sa mâchoire, et la courbe tendre de ses lèvres dont il connaissait la douceur et la gourmandise, et ses yeux qui pétillaient d'une intelligence dangereuse. Il était séduisant, sans aucun doute. Il avait perdu cette attitude timorée, et ce regard humble et fuyant qu'il avait porté à son arrivée. Une passion pour la justice et une détermination nouvelle animaient cet homme neuf.

Sortant le jeune Comte de ses pensées contemplatives, Charles Gray intervint :

— Vous avez dit que le tueur n'était pas parmi nous, mais pourriez-vous nous le décrire ? demanda Gray, qui se tenait derrière le sofa, une main gantée de blanc appuyée sur le pommeau de son épée qui ne le quittait jamais.

— Une description..., dit Sebastian, pensif, en levant les yeux au plafond. Oui, je pense que cela est possible.

— Attendez !

Ciel sursauta au son de la voix d'Abberline, qui fouillait avec agitation parmi les documents étalés sur la table.

— Mais que faites-vous ? demanda Charles, qui s'impatientait.

— Je suis assez doué pour le dessin, dit l'inspecteur en attrapant une feuille blanche et un crayon. Peut-être serai-je capable de dessiner le portrait du criminel d'après votre description, ce qui nous permettrait de le retrouver plus facilement.

— C'est extrêmement ingénieux, Frédéric ! s'exclama Arthur.

— Vraiment ? dit Abberline, en se redressant dans son siège. Je ne sais pas si cela sera vraiment probant...

— Essayons, dit Ciel en se tournant vers son majordome. Sebastian, essaie de donner une description précise du visage du criminel, ne néglige aucun détail.

— Bien, jeune maître, répondit le majordome.

Le démon sembla réfléchir un instant, puis commença à réciter, sans hésitation :

— C'était un homme d'environ 25 ans, les cheveux clairs, presque grisonnants. Plus courtes sur le devant de la tête, ses mèches emmêlées tombaient sur ses yeux et son visage pâle et ovale. Ses yeux sont de forme oblongue et ses iris sont gris. L'arête de son nez est droite et fine, et sa lèvre supérieure est légèrement plus épaisse que celle du bas. Des cicatrices écailleuses défigurent un assez joli visage, sur le front et les joues, mais aussi sur sa poitrine. Il porte un pantalon sombre, surmonté d'une tunique rayée de bandes blanches et noires. Enfin, il porte une courte veste à col haut qui ferme par des lanières sur la poitrine et par de petites boucles de ceinture au niveau du cou.

Sebastian se tut, et seul le crissement du crayon sur la page rompait le brusque silence, tandis qu'Abberline s'affairait à donner la meilleure ressemblance à son dessin.

Ciel émit un faible soupir à la fin du discours de Sebastian. Il comprenait. Le majordome faisait en sorte que Snake endosse la totalité des crimes commis dans sa demeure. L'ex-membre du cirque serait un coupable idéal à présenter à la Reine, afin d'apaiser sa colère. Car cette fois, Ciel devait impérativement présenter un rapport et un criminel à exécuter. Il était impossible d'étouffer une telle affaire. Et Snake serait sans doute facile à attraper, alors que l'autre...

Il sentit des yeux inquisiteurs le scruter, et il leva le sien pour rencontrer le regard d'Arthur. Le jeune écrivain le regardait avec insistance, mais aucune émotion ne transparaissait sur ses traits masculins. Malgré l'intensité du regard, Ciel continua à le soutenir, entamant un duel silencieux et hautain. Le jeune écrivain se tenait bien droit, le dos reposant totalement contre le dossier de son siège, les deux coudes fermement posés sur les bras du fauteuil. Ciel se demanda quand Arthur avait acquis une posture aussi assurée et une arrogance soudaine lui chuchota qu'il en était la cause, mais il la repoussa. Il voulait s'éloigner de cet homme avant que son ordre ne soit exécuté.

Quittant son regard, Arthur interpela le majordome :

— Vous avez réussi à voir autant de détails sur le tueur lors de votre attaque ? demanda Arthur. C'est étonnant, Monsieur Sebastian.

Ciel soupira légèrement, mais déjà son esprit criait silencieusement à Arthur de se taire. Il aurait voulu que le médecin l'entende.

— Vous devriez remercier le ciel de m'avoir donné une telle faculté d'observation, répliqua le majordome, un sourire amusé et pourtant dédaigneux sur ses lèvres.

Arthur semblait sur le point de rétorquer, mais l'inspecteur le coupa :

— J'ai fini !

Ils s'agglutinèrent derrière le fauteuil d'Abberline et regardèrent le dessin. Le croquis ressemblait tellement à Snake que Ciel sentit un frisson d'effroi lui parcourir l'échine.

— Qu'en pensez-vous ? Est-ce le tueur ? demanda Charles Gray en se tournant vers Sebastian.

— Oui, c'est bien lui. Vous avez beaucoup de talent, Monsieur Abberline.

— Je ne suis pas un artiste, je n'ai pas de goût, mais je pense que ce genre de portrait pourrait grandement faciliter les enquêtes policières et donner une image concrète des suspects recherchés. Je devrais peut-être en parler à Lord Randall quand je rentrerai à Londres, s'enquit-il tout en observant son "chef-d'œuvre".

— Il est affreusement défiguré, observa Arthur, on dirait presque des écailles de serpent...

— Bon, nous connaissons son visage à présent, coupa Charles Gray. Maintenant, la question est : comment le débusquer ? Je propose que nous organisions une sorte de battue pour le capturer. Nous constituerons plusieurs groupes qui fouilleront le manoir et...

— Cela ne servirait à rien.

Charles se tourna vers le majordome qui venait de l'interrompre.

— Il a quitté le manoir, expliqua-t-il doucement, pesant chacun de ses mots. Mais il reviendra bientôt, j'en suis sûr. Et à ce moment-là, nous devrons être prêts à l'accueillir... chaleureusement.

— Mais comment... commença Abberline.

— Donc en vérité, vous connaissez le tueur ? intervint brusquement Arthur, qui semblait perdre patience. Et vous connaissez son emplacement actuel, et ses actions ?

Sebastian le jaugea, ne perdant rien de sa gravité et de sa tenue, comme si les mots accusateurs d'Arthur coulaient sur lui sans le toucher.

— En effet, Monsieur Conan Doyle. Cependant, je ne peux rien vous dire pour le moment. Vous devez me faire confiance.

— Confiance ? cracha Arthur d'une voix âpre, en se levant.

Il fit ricocher son regard insolent de Sebastian à Ciel, toujours assis dans son fauteuil, impassible.

— Confiance... Pourquoi ai-je l'impression que dans votre bouche ce mot n'a aucun sens ? Savez-vous seulement ce qu'est la confiance ? Quelle preuve de votre bonne volonté nous avez-vous donnée depuis votre retour ?

— Arthur… intervint Abberline, posant une main ferme sur son ami, tentant de le calmer, mais celui-ci se dégagea.

— Pourquoi nous garder dans l'obscurité ? Nous sommes tous en danger ici, et nous dépendons tous les uns des autres. La moindre des choses serait de nous dire qui nous menace et qui nous devons combattre.

Ciel regardait les deux hommes, qui se faisaient face. Ils étaient sensiblement de la même taille, mais à la pensée que Sebastian possédait la puissance pour écraser la cervelle de l'écrivain avec un seul doigt, le garçon frémit. La vie devenait insignifiante, tellement fragile quand Sebastian était à ses côtés.

— Je comprends votre amertume, Monsieur Conan Doyle, dit le démon, sa voix toujours égale. La situation est stressante et vous avez de plus en plus l'impression d'être pris au piège. Mais je peux vous assurer que si vous me faites confiance, ou du moins que vous agissez selon mes conseils, vous sortirez vivant de ce manoir et vous pourrez retourner auprès de votre femme et de votre bébé.

Arthur se figea, son visage perdit sa dureté et sa bouche s'entrouvrit sans qu'aucun son ne traverse ses lèvres. Il se tourna vers Ciel, mais celui-ci ne le regardait pas. Toute son attention était portée sur Sebastian tandis que les paroles prononcées devenaient claires dans sa tête.

Ciel sentit la honte lui rougir les joues, une touche de faiblesse visible aux yeux du démon, qui l'humiliait en silence.

Son premier amant… marié et père. Et son majordome le savait. C'était tellement déshonorant ! Personne ne l'avait poussé dans les bras de l'écrivain et il n'avait aucune espérance particulière. Mais alors pourquoi se sentait-il trahi ? Par le mensonge par omission ? Ou bien par l'imposture du désir qui lui avait fait croire que l'homme qui le serrait lui appartenait ? Une saveur amère pesa sur sa langue et il déglutit péniblement, repoussant l'humiliation naissante.

— Nous voulons tous rentrer chez nous et retrouver les nôtres, ajouta Charles. Si vous avez un plan, je vous écoute, Monsieur Sebastian.

Le majordome détacha son regard de son maître.

— Je vous donnerai les consignes dès demain. Je dois encore vérifier quelques petites choses avant cela.

— Mais pourquoi le tueur reviendrait-il ? demanda Abberline. Souhaite-t-il tous nous éliminer ?

— Ses motivations sont encore floues, répondit Sebastian. Laissez-moi un peu de temps et vous aurez des réponses.

— Est-ce que ce tueur a quelque chose à voir avec les Phantomhives et les missions secrètes du "chien de garde" de la Reine ?

C'était la voix d'Arthur, et Sebastian se tourna vers l'écrivain qui avait repris place dans son fauteuil. Il tirait distraitement sur ses mèches sombres, pensif.

— Une affaire qui aurait mal tourné, peut-être ? continua-t-il, guettant les réactions du Comte et de son serviteur.

Si Sebastian resta stoïquement immobile, le léger sursaut de Ciel ne lui échappa pas, et un léger sourire de triomphe élargit ses lèvres. Le jeune garçon prit une respiration lente, tentant désespérément de calmer son cœur. Ce fichu romancier était beaucoup trop perspicace !

— L'affaire du baron Kelvin… murmura Charles Gray, plongé dans ses pensées.

— Oh non…

Ciel se leva brusquement, attirant tous les regards sur sa stature.

— Cela suffit, déclara-t-il. Sebastian vous donnera les détails du plan dès demain. Mais c'est assez pour ce soir. Le dîner sera servi dans peu de temps. Nous devrions rejoindre les autres invités et en profiter pour leur montrer le portrait dessiné par l'inspecteur Abberline. Sebastian, je pense que les serviteurs ont quelques problèmes en cuisine. Je voudrais que tu t'en occupes.

— Bien, jeune maître, dit le majordome en regardant les invités se lever à la suite de son maître pour quitter le salon.

Comment était-ce arrivé ?

Une minute auparavant, ils étaient dans le couloir, se dirigeant vers la salle où les invités s'étaient réunis pour jouer aux cartes, Charles Gray et Abberline en tête. Et Ciel ne sut comment, mais en une fraction de seconde, une main puissante l'avait attrapé par le poignet et l'avait tiré en arrière. Il s'était retrouvé immobilisé, entre le mur du couloir et le corps d'Arthur.

Sa respiration s'arrêta quand il vit le visage passionné qui le dominait. Le souffle chaud de l'écrivain lui caressait les joues tandis que des yeux sombres et fiévreux recherchaient intensément son regard. Ciel maudit cette proximité indécente. Il déglutit péniblement, presque écœuré par l'intrusion de cet homme, toujours trop proche de son corps à son goût et qui s'autorisait toujours plus que ne lui était permis. Il était si grand. Et cela lui donna l'impression d'être si frêle et impuissant qu'il se sentit nauséeux.

— Vous prenez de très mauvaises habitudes, Arthur, articula Ciel, ignorant la chaleur soudaine qui l'envahissait.

— Oui, je suis un impertinent, je l'avoue, répondit l'écrivain. Et toi, tu es un menteur.

Choqué, Ciel prit une soudaine inspiration indignée pour répliquer, mais Arthur continua :

— Vous vous amusez bien, toi et ton majordome, à nous prendre pour des imbéciles. Laisse-moi parler !

Il intima le silence au jeune homme qui avait voulu le couper, mais le Comte garda son regard féroce fixé sur lui tandis qu'il ajoutait :

— Hier, tu m'as dit que tu étais dans une position délicate avec la Reine parce que tu avais fait quelque chose de terrible et que tu avais été obligé d'organiser cette fête à cause d'une mission qui avait bouleversé Sa Majesté. Et je pense, non !... Je suis sûr que le tueur, cet homme qu'Abberline a dessiné, est lié à cet échec !

— Soit ! s'énerva Ciel. Tu as peut-être raison. Bravo, Monsieur le Détective, vous êtes sur la bonne piste. Mais même si c'est vrai, quelle importance cela a-t-il pour toi ? Le tueur sera conduit en justice, peu importe que tu connaisses son nom ou pas. Je ne vois pas pourquoi tu t'obstines !

— Parce que tu me mens ! J'ai l'impression d'être une marionnette sans volonté dont tu tires les ficelles invisibles. Et je déteste cela ! Tu essaies de nous manipuler pour nous cacher la vérité. Car si ce tueur a un rapport avec l'affaire que tu as plantée, cela n'explique pas tout ce qui se passe ici. Cela manque totalement de cohérence et de logique !

— Qu'est-ce que tu racontes encore ? demanda Ciel, qui se contrôlait pour garder sa voix basse, afin de ne pas attirer l'attention des autres invités qui se trouvaient dans la pièce voisine dont il surveillait la porte. Mais il se sentait à bout de nerfs.

— Ce tueur, celui du portrait, il est après toi, n'est-ce pas ?

Mais il n'attendit pas la réponse de Ciel.

— Il veut te tuer pour se venger de ce qui s'est passé lors de la mission. Ce qui nous donne le mobile et cela explique l'assassinat de Phelps qui était dans ta chambre. Peut-être même l'agression de Sebastian.

— En effet, acquiesça Ciel, alors que cherches-tu de plus ?

— Mais Lord Siemens ?

Ciel pâlit.

— Qui l'a tué, et pourquoi ? C'est absurde, il n'aurait pas dû mourir. Il y a quelque chose que tu ne me dis pas.

— Arrête, Arthur…, le menaça le jeune Comte.

Une griffure profonde écorcha le cœur du garçon, car il savait maintenant que jamais Arthur ne renoncerait à connaître la vérité. Il allait mourir…

— Il y a un autre tueur, finit par dire le romancier, celui qui entre dans des chambres closes.

— Pour l'amour du ciel, Arthur, tais-toi, tu entends ? Tais-toi !

Arthur stoppa, surpris, car Ciel avait crié, ou du moins sa voix lui avait paru très forte dans le silence qui les étouffait maintenant.

— Tu ne vois pas que j'essaie de te sauver ! Tu ne vois pas que tu signes ton arrêt de mort à chaque mot que tu prononces ?

Le garçon emprisonna sa tête dans ses mains, tentant de se calmer.

— Mais bon sang, arrête de penser à cette affaire. Sebastian et moi allons tout arranger. Contente-toi de rester en vie. Loin de moi.

— Mais de quoi est-ce que tu parles ?

— Tu es au beau milieu d'une intrigue perverse que tu ne peux et ne dois pas comprendre, dit Ciel avec sincérité. Reste en dehors du jeu et laisse Sebastian s'en occuper.

— Sebastian, cracha-t-il, qu'a-t-il de plus que nous pour que tu fasses preuve d'autant de crédulité envers lui ?

— Il est… il… il est fiable. Et il fera tout pour moi.

Ciel n'avait pas trouvé de mots plus simples et plus maladroits pour décrire son majordome. Car il ne lui faisait pas confiance, il n'avait aucune foi en lui. Mais il savait que Sebastian avait le pouvoir et la puissance qui lui manquaient pour sceller son destin. Il était la force, unique et parfaite, qui l'avait relevé des ténèbres. Même si, pour lui, Ciel n'était que le signataire d'un contrat démoniaque, même s'il désirait uniquement dévorer son âme, le garçon ne pouvait pas imaginer être séparé de ces yeux cuivres flamboyants qui le regardaient avec une ardeur confuse mêlée de mépris et d'indulgence.

Le démon était la pièce maîtresse de sa sombre armée, son cavalier noir.

C'est la main d'Arthur qui le sortit de ses pensées. Elle repoussait les mèches qui lui tombaient sur le visage, en ramenant, avec douceur, les plus longues derrière ses oreilles.

Sous ce contact, Ciel réalisa à nouveau qu'Arthur était devant lui, mais ses épaules s'étaient affaissées et il paraissait épuisé.

— Pourquoi ai-je l'impression de perdre la bataille d'une guerre dont je ne sais rien ? demanda-t-il, et sa voix était presque un murmure.

— Si c'est ce que tu ressens, tu devrais capituler, dit Ciel, la gorge sèche, alors qu'il entourait son corps de ses bras, comme pour se protéger des mots d'Arthur.

— Ce n'est pas dans ma nature.

Il fit descendre sa main sur le visage du Comte pour caresser du bout de ses doigts les lèvres humides et tremblantes du garçon.

Ciel sut qu'Arthur désirait l'embrasser, au moment où les yeux de l'écrivain s'étaient attardés avec langueur sur sa bouche. Il aurait aimé se laisser réconforter par ses lèvres suaves et se plonger à nouveau dans cette volupté sauvage où il pouvait tout oublier.

Pourtant, quand Arthur approcha son visage du sien, il se détourna vivement et posa doucement ses deux mains sur sa poitrine, l'obligeant à reculer. Il ignora superbement l'expression blessée qui assombrissait le visage de l'écrivain, et s'écarta du mur.

— Retourne auprès de ta femme, Arthur.

Et il s'éloigna, sans lancer un regard en arrière.

— Et toi dans les bras de ton majordome…, murmura Arthur, amer.

Mais Ciel l'entendit clairement et trouva ces mots absurdes.


Chambre à coucher du Manoir Phantomhive

Ciel regarda la chambre dans laquelle il venait de pénétrer, cette pièce où il avait dormi depuis deux jours, et soupira. Il aurait souhaité dormir dans sa propre chambre, puisque les cadavres avaient quitté la demeure et que Snake ne reviendrait pas ce soir.

Sebastian avait voulu nettoyer la chambre pour lui redonner son apparence d'origine — et Ciel avait presque espéré que le majordome brûle les draps dans lesquels Phelps était mort — mais Abberline avait insisté pour que les scènes de crimes ne soient pas profanées.

De plus, Arthur avait argumenté que cela ne serait pas prudent, et l'inspecteur avait partagé son avis, au grand désespoir de Ciel. Maintenant que l'écrivain savait que la principale cible du tueur était le jeune Comte, il se montrait insupportablement protecteur. Et bien sûr, ils partageraient à nouveau le même lit, en raison du nombre insuffisant de chambres disponibles. La perspective de se retrouver seul dans une chambre avec le jeune romancier mettait Ciel mal à l'aise.

Il se tourna vers le majordome, qui était entré dans la chambre à sa suite. Sebastian déposa la chemise de nuit du Comte sur le lit, puis approcha du garçon et glissa ses doigts sous le col de la veste de son maître pour la lui retirer. Le garçon suivait des yeux les mouvements trompeusement humains du démon. Il observait les doigts gantés de Sebastian voyager habilement le long des boutons de sa chemise, dévoilant une peau qui ne lui inspirait rien, et faire glisser le tissu sur les bras de son maître, dévoilant des épaules dont il ne pouvait comprendre la douceur.

Une agitation soudaine gonfla la poitrine du jeune garçon à la pensée que l'« homme » qui était à genoux devant lui ne ressentait rien, totalement indifférent à ce que ses doigts touchaient et à ce que ses yeux regardaient. Il n'était que la somme de son désir et de sa faim pour l'âme du garçon.

— Vous êtes amoureux du péché, déclara Sebastian, coupant les pensées de Ciel.

Il se leva et plia la chemise, laissant le jeune homme torse nu. Ciel se rendit honteusement compte que des marques de désirs laissées par la bouche de son amant couvraient sa poitrine et sans doute sa gorge.

— Vous perdez votre innocence dans un adultère, envers la femme d'Arthur et Lady Elisabeth. La solitude est mauvaise conseillère.

— Je m'étonnais que tu n'aies pas encore fait de remarque à ce sujet, répliqua Ciel, en couvrant son corps de ses bras, un geste de pudeur inutile, car Sebastian connaissait ses courbes. Tu t'es beaucoup amusé à me mettre dans l'embarras tout à l'heure. Mais un adultère envers Elisabeth ? Ne sois pas ridicule. Ce n'est pas comme si Lizzy et moi pouvions avoir un avenir ensemble. Je n'ai pas d'avenir.

— En effet, répondit simplement le majordome.

— Tu savais qu'Arthur était marié ? s'enquit Ciel.

— Il est marié depuis quatre ans, expliqua Sebastian, qui s'agenouilla à nouveau, ouvrit le pantalon du Comte et le fit glisser le long de ses jambes fines, à une jeune femme nommée Louisa Hawkins. Je l'ai su lorsque j'ai recherché les adresses pour envoyer les invitations. C'est un couple très discret, parce que sa femme est souffrante, presque mourante. La tuberculose lui ronge les poumons et il le savait certainement quand il l'a épousée.

Sebastian se leva et prit la chemise de nuit sur le lit avant de revenir vers son maître.

— C'est tellement lâche et accommodant, dit Ciel, distrait, de faire des serments d'amour à une personne qui va mourir.

Le majordome s'arrêta, haussa les sourcils au discours du Comte, qui continua tout en levant les bras pour que Sebastian lui mette sa chemise :

— La difficulté du mariage est la durée et la lassitude des années qui passent et qui tuent la passion. Arthur n'a pris aucun risque au moment de ses vœux, car il savait qu'il ne s'encombrerait pas de sa femme pour longtemps et qu'il pourrait ensuite continuer sa vie. Un amour de passage pour un serment fugace, ce n'est pas un vrai serment. Ce n'est qu'un contrat éphémère.

— Vraiment ? demanda Sebastian en s'agenouillant devant le garçon pour fermer la chemise. Il faut pourtant beaucoup de courage pour aimer une personne qui va mourir.

Ciel se figea, surpris par cette remarque qui résonnait en lui en une pulsion douloureuse. Il posa les yeux sur l'homme à ses pieds, qui parlait d'une voix douce, sans le regarder :

— Adorer une personne que l'on va perdre et savoir qu'on sera celui qui vivra et endurera l'insupportable douleur de la perte et de l'absence. Et malgré cela, désirer prononcer les mots du serment qui scelle le pacte, c'est un grand courage.

Il ferma le dernier bouton et leva les yeux vers son maître, qui le regardait, puis murmura :

— Un contrat, quel qu'il soit, peut être sacré même s'il n'est pas éternel.

Ciel n'avait rien à lui répondre. À la grande surprise du démon, le Comte posa des doigts tremblants sur sa joue. Sa main était hésitante et douce, comme on touche un animal sauvage, avec le désir de l'attraper tout en ne voulant pas l'effrayer. Sebastian appuya un peu plus son visage contre les doigts craintifs qui osaient le caresser pour la première fois.

— J'ai cru que tu étais mort, entendit-il le garçon chuchoter, comme s'il lui livrait un intime secret. J'ai douté, ajouta le garçon, portant les doigts qui effleuraient son démon à son cache-œil. Je n'ai même pas eu le courage de regarder si le sceau était encore là.

Il posa ses mains sur le nœud et tira sur les fils, libérant son œil.

— Regarde, il est toujours là, n'est-ce pas ? Et tu es réel ?

— Quelle question est-ce là, Jeune Maître ? demanda Sebastian, avec un sourire indulgent devant la soudaine fragilité attendrissante de son maître. Je suis là, et je suis toujours votre Diable de Majordome.

— Je sais… répondit le Comte, brusquement honteux de sa faiblesse, ce n'est rien, je suis fatigué, c'est tout. N'y prête pas attention.

Le garçon se recula, mais le majordome, toujours à genoux, le saisit par les hanches, le ramenant vers lui. Ciel voulut protester, n'appréciant pas ce geste inapproprié qui l'effrayait.

— J'ai failli mourir, dit Sebastian.

Et Ciel tressaillit à ces mots, et la peur réapparut dans son ventre alors qu'il laissait le démon emprisonner son corps fragile entre ses doigts gantés. Son visage avait une âpreté mélancolique, curieuse, et il parlait sans urgence, mais appuyait le ton sur les mots qui semblaient avoir une importance nouvelle.

— Pour les démons, la mort n'est qu'un mot, puisque nous sommes éternels même si nous ne sommes pas immortels. Très peu d'entre nous connaissent une fin à leur existence. C'est pourquoi la lutte pour la survie des humains nous est à la fois méprisable et adorable. Nous ne la comprenons pas, nous dont la vie ne se termine jamais.

Son étreinte se resserra sur les hanches du garçon, et Ciel posa soudain ses mains sur les doigts qui étreignaient son corps, par crainte que le démon ne serre plus fort et ne lui fasse mal. Mais il n'en fit rien et continua sa confidence inattendue :

— À vos côtés, j'ai surmonté de nombreux dangers. Mais cette nuit-là, j'ai vécu l'expérience de la mort. J'ai connu cette impression insoutenable de gâchis. Ce goût insupportable d'injustice et d'inachevé et ce moment humiliant où l'on espère avoir plus de temps… juste un peu plus de temps.

Il leva les yeux vers le garçon, dont le cœur, ignorant et souffrant, semblait résonner dans le silence douloureux de la chambre.

— J'ai cru que j'avais échoué. J'ai cru vous avoir perdu, dit Sebastian, et sa voix n'était qu'un souffle alors qu'elle contenait toute la passion qu'un homme mortel y aurait mise. Mais j'ai survécu pour réclamer ce qui m'appartient.

Malgré lui, Ciel secoua la tête, parce qu'il ne savait que faire de ces paroles lourdes et impardonnables, qui le recouvraient et l'étouffaient, tout en élargissant une douleur dans sa poitrine qu'il ne voulait pas comprendre.

Soudain, il ne sut pourquoi, mais il leva ses deux mains vers le visage du démon, désirant le toucher, l'attraper et le garder. Il trouvait étrange la façon dont tout son corps réclamait les bras de Sebastian.

Ou bien était-ce son âme, qui savait qu'elle lui appartenait ?

Mais le démon se releva soudain, repoussant légèrement le garçon. Il se dirigea vers la table de nuit et attrapa le cache-œil du garçon. D'abord offensé et presque blessé, Ciel s'apprêta à s'indigner d'être ainsi repoussé, mais un son attira son attention vers la porte de la chambre, et il perçut à son tour les pas qui se faisaient entendre de plus en plus distinctement dans le couloir, alors que l'individu approchait de la porte de la chambre.

Sebastian s'approcha de lui et noua le cache-œil autour de sa tête, alors qu'Arthur pénétrait dans la chambre.

Sebastian s'excusa et leur souhaita une bonne nuit, avant de quitter la pièce, laissant Arthur et Ciel seuls dans la chambre.

Le Comte ne bougea pas, immobile, le regard fixé sur la porte où son majordome avait disparu. Il sentit une déchirure, mais il ne savait pas ce qui s'était brisé. Il ne désirait pas parler à Arthur, il n'avait rien à lui dire. Son cœur se calmait doucement, ce qui le rassura, car il avait cru que les résonances qui lui martelaient les tempes ne partiraient jamais.

Il entendit le bruit chiffonné de vêtements que l'on retire. Il se dirigea vers le lit dont les draps avaient déjà été tirés par son majordome. Il se glissa dans le satin blanc et s'allongea vers le mur, se posant sur l'oreille et s'efforçant de vider sa tête et son cœur.

Il sentit le matelas s'agiter alors qu'Arthur s'installait dans les draps à ses côtés. Mais déjà, un sommeil écrasant alourdissait ses paupières, et s'il sentit des lèvres se poser sur son épaule, il n'y prêta aucune attention et s'endormit.


L'Auberge de campagne

L'orage grondait toujours dans la nuit d'encre, et la pluie, qui battait contre la vitre, résonnait en un clapotement monotone dans la petite chambre lugubre de l'auberge.

Les deux hommes se faisaient face, assis à la petite table de la chambre, et l'unique bougie, posée en son centre, projetait leurs ombres difformes et effrayantes sur le mur.

« Il est vivant. Émilie a échoué. »

— Ah décidément, pour que le travail soit bien fait, il faut le faire soi-même, s'exclama l'autre homme. Mais mon petit Sebastian, si tu l'avais vu, il n'a jamais été aussi beau que lorsque je me suis occupé de lui. Je l'ai teinté de rouge, oui, de rouge ! Tachée de sang, sa peau douce et blanche, tachée de sang, sa chemise immaculée.

— Mais le Comte est toujours vivant !

Snake frappa du poing sur la table, et les deux serpents qu'il portait autour de son cou sifflèrent, menaçants, vers l'homme aux longs cheveux rouges, assis en face de lui.

— Du calme, ne t'énerves pas ainsi, chuchota Grell Sutcliff, amusé par l'impatience de son compagnon. Nous allons nous occuper de ce gamin insolent dès demain, à la tombée de la nuit, et tu auras ta vengeance. Quant à moi...

Il sourit et passa une langue vicieuse sur ses lèvres, lustrant ses dents tranchantes.

— ... j'aurai le bonheur d'asséner le coup de grâce à ce pauvre démon, en récoltant l'âme de Ciel Phantomhive !

Et son rire sinistre se joignit au tonnerre.

Fin du Chapitre 4


Note d'Autrice :
Et bien voilà, mes tueurs sont démasqués.

J'ai eu toutes les peines du monde à créer un dialogue ayant une certaine profondeur entre Ciel et Sebastian sans les jeter dans un champ de roses et de paroles mielleuses insupportables. Je voudrais savoir si j'ai réussi à rendre leur relation intéressante dans cette histoire.

Donc vos reviews/commentaires sont les bienvenus !

Quelques explications sur mon choix de tueurs :

Snake : Il est le dernier survivant de l'Arc Circus. Il sait que les membres du cirque sont partis au manoir d'un certain Ciel Phantomhive et aurait dû revenir le lendemain matin. Il s'attendait à ce que les autres membres du Cirque reviennent, mais ayant tous été tués soit par Sebastian et Ciel, soit par les serviteurs du manoir, ils ne revinrent jamais. De plus, Phelps à deux piqures dans le coup. D'où ma théorie du Serpent de Snake.

Grell : Ronald Knox dans le chapitre avertit William T. Spears que Grell a une mission au manoir Phantomhive. Il est donc présent pour récolter les âmes des différents meurtres, puisque les Shinigamis savent à l'avance qui va mourir (comme William sait pour les morts dans le manoir du baron Kelvin.) Il est l'attaquant de Sebastian.

Maintenant plusieurs questions !
Pourquoi avoir tué Lord Siemens... ?
Pourquoi Grell et Snake se sont-ils associés ?
Réponses bientôt, parce qu'il y a une logique ! Si si…

Arthur eut deux enfants avec son épouse Louise Hawkins : Mary Louise (28 janvier 1889) et Arthur Alleyne Kingsley (15 novembre 1892)

Non, Abberline n'a pas inventé le portrait-robot, il est apparu au 20e siècle dans les années 50', mais c'était marrant!