Chapitre 5 : La Diagonale des Fous Blancs
La journée précédant le meurtre de Siemens.
Snake s'écroula à nouveau dans la boue, tandis que des torrents d'eaux brunes dégoulinaient le long des chemins qui disparaissaient à l'horizon.
— Tu me le paieras, Ciel Phantomhive ! cria-t-il en enfonçant ses ongles dans la terre poisseuse.
Mais la force quittait son corps. Il était déjà tombé trois fois, mais cette fois, il ne put se relever.
Le monde était devenu un immense marécage à l'image de son cœur. Il n'avait plus rien, plus personne. Épuisé, laissant son visage s'enfoncer dans la vase, il s'évanouit, ignorant le sifflement des reptiles qui lui chuchotaient de ne pas abandonner.
Quand il avait quitté Londres, le soleil brillait encore, mais déjà de lourds nuages noirs commençaient à envelopper le ciel, cachaient la lumière et couvraient le garçon d'un voile glacé. Il marchait encore quand la pluie avait perlé sur son visage et trempait ses vêtements.
Les deux serpents qu'il portait sur ses épaules s'enroulaient autour de son cou pour lui faire une écharpe et le protéger du vent et de l'eau, mais les reptiles à sang-froid ne parvenaient pas à le réchauffer.
Qu'importe, il ne sentait pas les bourrasques glaciales qui lui mordaient la chair ni cette pluie qui tombait d'un ciel noir et qui paralysait ses muscles.
Il se sentait seul, si seul.
Émilie, le serpent qui lui léchait la joue de sa langue fourchue, lui avait dit que le garçon « Smile », qui était venu dans la tente du groupe principal durant la représentation du cirque — la tente de ses amis à jamais perdus —, était le comte Phantomhive. C'était ainsi que lui-même s'était nommé ce jour-là, lorsqu'il s'était enfui du coin de douche de la troupe quand Freckles avait voulu le déshabiller pour qu'il se lave. Le jeune garçon s'était caché derrière les roulottes, et « Black » était venu le rejoindre alors qu'il tremblait de froid. Et le garçon avait dit :
— Je ne devrais pas vivre ainsi, moi, le chef de la famille Phantomhive.
Elle avait reconnu le nom sur la biographie qu'il lui avait montrée, celle qui se trouvait dans la tente de Joker.
Il n'avait jamais fait confiance aux deux nouveaux. Contrairement à Joker et Dagger, il s'était montré méfiant. Le grand, ce Black, avait trop l'habitude de fouiner dans le cirque, ne prêtant aucune attention au règlement de la troupe. Et ce jeune homme, ce garçon borgne et ravissant, semblait aussi innocent que les serpents qui lui tenaient compagnie.
Mais la troupe les avait accueillis, acceptés, choyés, tout comme ils l'avaient fait pour lui, l'homme-serpent, l'homme-monstre.
Ils l'avaient appelé « frère » et jamais plus il n'avait été seul. C'est pourquoi cette trahison lui était impardonnable !
Il les avait attendus, longtemps.
Le soleil du matin avait brillé, malgré le temps glacé, mais les tentes de ses amis étaient restées vides. Il les avait attendus, longtemps. Mais ils ne sont jamais revenus.
Ce matin-là, il avait quitté le cirque. Rien ne le rattachait plus à la troupe. Et chaque rire des spectateurs résonnait dans son cœur en écho de sanglots jamais versés. Le clown était sinistre, il voulait que les trapézistes tombent. Les remplaçants étaient fades à l'image des jours qui s'écoulaient loin des personnes qu'on a aimées.
Alors, il était parti.
Il avait erré dans les rues de Londres, se nourrissant des déchets qui couvraient le caniveau, chapardant dans les échoppes des marchés. À certaines occasions, il lançait ses serpents à la poursuite des calèches de riches gentlemen qui, dans leur effroi, abandonnaient la voiture et le peu de trésors qu'ils transportaient et ne gardaient pas sur eux.
La vie était redevenue solitude et misère. Mais elle n'était plus pareille. Un goût nouveau, amer et atroce, emplissait ses lèvres. Le goût des choses que l'on a perdu dans la douleur, un besoin de justice… un besoin de vengeance !
Au bout de deux semaines de cette existence bohémienne, il était reparti au cirque, avant que celui-ci ne quitte la capitale pour parcourir les routes de province.
La troupe démontait déjà le chapiteau, mais n'avait pas touché aux tentes des anciens maîtres du cirque, comme s'ils s'attendaient à leur retour avant le départ. Après avoir salué ses collègues oubliés, Snake s'était éclipsé pour chercher des indices dans la tente principale. Il ne savait pas exactement ce qu'il voulait découvrir. Il se contentait d'ouvrir les coffres, de découvrir les lits, de feuilleter les papiers qui se trouvaient sur les tables. Il voulait savoir où ses amis étaient partis, pour quelle raison et, surtout, savoir pourquoi ils n'étaient jamais revenus.
Et c'est en parcourant des feuillets épars qu'Émilie avait interrompu sa lecture par un sifflement strident. Il tenait dans ses mains une biographie, celle d'un garçon « Ciel Phantomhive ».
— Smile ! avait-elle sifflé.
Et ce nom, il lui avait semblé l'entendre dans la bouche de Wendy, la trapéziste. C'était le nom de la demeure où ils devaient se rendre cette nuit-là. C'est donc là qu'ils avaient disparu. C'est là qu'il devait aller.
Ainsi, il était parti pour le manoir des Phantomhives, alors que le soleil se voilait et que le ciel devenait sombre et menaçant.
Chambre d'auberge, quelques heures avant la mort de Lord Siemens
Quand il se réveilla, son corps était engourdi par la chaleur. Au-dehors, la pluie battait contre la vitre. Il entendit un crépitement, comme un doux feu de cheminée. Il ouvrit les yeux, surpris, et se redressa soudain. Il se trouvait dans une sobre chambre, ne comportant qu'une table, une chaise disposée contre le mur et le lit dans lequel il était allongé. De lourdes bûches brûlaient dans la cheminée et projetaient des ombres sinistres sur le mur nu.
Wilde et Keats glissèrent du montant du lit, sur lequel ils s'étaient perchés en attendant que leur maître se réveille. Lorsque Wilde s'enroula autour de sa poitrine, Snake se rendit compte qu'on lui avait retiré ses vêtements et que ceux-ci séchaient près de l'âtre.
Impudique, il rejeta les couvertures qui le couvraient et se leva, ne portant que ses animaux à sang-froid sur son torse et ses hanches nus. Émilie apparut de dessous le lit et rampa sur le sol pour monter sur sa jambe. À grandes enjambées, il se dirigea vers la cheminée pour récupérer ses vêtements, déterminé à quitter ce lieu inconnu.
— Tu pars déjà ? Le temps est vraiment atroce. Tu ne devrais pas sortir maintenant.
Snake se retourna d'un bond vers l'intrus qui avait prononcé ces paroles. Ses serpents sifflèrent, menaçants.
Sur la chaise, qui était vide un instant plus tôt, se trouvait un homme aux cheveux longs écarlates qui lui rappelait les pourpres dont se parait Beast pour son spectacle. Il était assis, les jambes croisées. Dans l'ombre et le reflet des flammes, il ne discernait que son manteau rouge sang. Il semblait porter un costume impeccable et ses doigts gantés tapotaient joyeusement sur la table de bois. Un son qui irritait déjà le jeune homme.
L'individu fit glisser ses yeux sur le corps du garçon et continua, d'une voix aiguë, enjouée et agaçante :
— Je dois dire, mon jeune ami, que malgré ses vilaines écailles de serpent qui enlaidissent ta jeune peau, tu es un bel homme.
— Est-ce vous qui m'avez amené ici ? demanda Snake, ignorant les remarques de l'inconnu sur son corps dévêtu. Après tant d'années à travailler dans un cirque et à se doucher à l'air libre, sa propre nudité ne le gênait pas.
— Ah oui ! C'est moi. Tu semblais avoir besoin de mon aide, dit-il en se levant soudain.
Les serpents sifflèrent à nouveau, avertissant l'homme aux cheveux rouges de ne pas avancer davantage.
— Tu as des goûts en animaux de compagnie assez particuliers, je dois dire, des espèces très dangereuses, continua l'homme en s'approchant.
Snake pouvait maintenant discerner son visage, un bel ovale aux traits fins, mais ses yeux d'un vert froid, un mélange de terre et de poussière comme la peau de ses serpents, lui glacèrent le sang. Des lunettes étaient posées sur son nez, même si ses yeux perçants semblaient ne pas en avoir besoin.
— J'ai moi-même beaucoup d'attrait pour ce qui peut provoquer une mort violente et sanglante.
Et l'homme sourit de ses dents pointues et acérées.
Malgré lui, Snake recula.
— Je vous suis reconnaissant pour votre aide, dit-il en portant une main sur son pantalon étendu sans quitter des yeux l'homme qui avançait vers lui. Mais je dois partir à présent.
— Partir ? L'orage gronde, mon jeune ami, et le manoir des Phantomhive est encore bien loin.
Snake se figea.
— Mais comment… ?
— Je t'ai entendu clamer ton désir de vengeance contre Ciel Phantomhive, le coupa l'homme.
Snake observa avec attention l'individu aux cheveux rouges qui lui souriait. Ainsi, il connaissait Smile.
L'inconnu s'appuya sur la table et continua :
— Crois-le ou non, il se trouve que je dois même me rendre au manoir… pour affaires. Ou plutôt pour mon travail, car vois-tu…
Il se releva et se mit à traverser la pièce de long en large, appuyant son discours de grands gestes.
— Je suis attendu au manoir, car ce soir, quelque chose va arriver et cela requiert mes services ! C'est un travail de débutant, mais j'ai réclamé cette affaire. Heureusement que William était en mission en ce moment, sinon je suis sûr qu'il aurait objecté auprès de la direction pour qu'on ne me donne pas ce cas. Il aurait dit que je suis trop impliqué, que ce ne serait pas professionnel. Mais qu'est-ce qu'il en sait, celui-là ? Moi aussi je suis un professionnel. Je peux m'acquitter de mon travail sans laisser mes histoires personnelles prendre le pas sur mon professionnalisme.
La tirade continua ainsi, et Snake se rendit compte que cet homme aimait réellement le son de sa voix pour déblatérer ainsi devant un inconnu. Il en profita pour enfiler son pantalon.
— Et voilà pourquoi !
Snake se figea, car l'inconnu aux cheveux s'était arrêté juste devant lui.
— Je vais t'accompagner au manoir, car en dehors de ma mission, j'ai un compte à régler avec le majordome de notre cher comte.
— Vous voulez venir avec moi ? murmura Snake, incrédule.
— Oui, tu m'as bien entendu, blondinet, s'écria-t-il en levant les bras en un geste théâtral, tout en reculant. Je vais t'accompagner et je vais même t'aider.
— Mais pourquoi feriez-vous cela ? dit Snake en récupérant le reste de ses vêtements et se dirigeant vers le lit pour s'y asseoir.
— Nous voulons tous les deux la même chose, dit-il en se rasseyant sur la chaise près de la table. Faire souffrir le petit borgne et son majordome. C'est une bonne raison de s'associer ! Mais au fait, qu'as-tu donc contre ce gamin ?
Snake enfila sa chemise rayée, et tout en la boutonnant, il dit :
— Des personnes qui me sont chères sont allées au manoir des Phantomhive un jour. Ils ne sont jamais revenus. Et quelques jours avant leur départ pour le manoir, le comte et cet homme vêtu de noir sont venus fouiner dans le cirque dont nous étions membres. Je veux savoir ce qui leur est arrivé dans ce manoir.
L'homme se figea un instant, puis un ricanement mesquin, presque enfantin, se fit entendre à travers ses lèvres fermées.
— Pourquoi riez-vous donc ! s'exclama Snake, humilié que la disparition de ses amis puisse être drôle pour quelqu'un.
— Je ris parce que tu es naïf. Ce qui leur est arrivé est une évidence. Si Ciel et Sebastian sont venus enquêter sur tes amis, ils sont sûrement morts maintenant.
— Qu'en savez-vous ? s'écria-t-il en se levant, les poings serrés, la respiration haletante.
— Ah…, soupira l'homme avec amusement, mais une ombre passa sur son visage. Il se redressa, joignant les mains, puis appuya ses coudes sur la table tout en faisant face à Snake. Apparemment, tu ne sais pas à qui nous avons affaire.
Il se leva soudain et se retrouva sur le lit derrière Snake, trop vite pour que des yeux humains eussent pu suivre ses mouvements, et il attrapa le garçon qui tomba contre lui sur le matelas. Le jeune homme étouffa un cri alors que des bras puissants entouraient sa poitrine, l'empêchant de se relever. Le feu s'éteignit soudain dans la cheminée et la pièce ne fut éclairée que par la lune. Il sentit la chaleur d'une poitrine inconnue contre son dos. Mais pourquoi ne sentait-il aucun battement de cœur ? La peur lui serra le ventre alors que des lèvres se mirent à susurrer à son oreille :
— Tu ne sais pas qui sont tes ennemis, et quelles forces obscures tu t'apprêtais à affronter seul ce soir. Sache, mon jeune ami inconscient, que tes serpents ne peuvent rien contre Ciel Phantomhive. Bien sûr, leurs morsures seraient fatales pour ce morveux, mais tant que Sebastian Michaelis est à ses côtés, aucun de tes petits reptiles ne pourra approcher du Comte. Et leurs venins ne peuvent rien contre Sebastian Michaelis. Aucune arme mortelle ne peut tuer un démon.
— Un démon ? murmura Snake.
— Oui, un démon, un dévoreur d'âme. Et pour le moment, ce démon a passé un pacte avec le jeune insolent, et il fera tout pour respecter son serment afin de dévorer l'âme du gamin.
Snake sentit une sueur glacée parcourir son être. Un démon… Ses serpents lui avaient dit que « Black » n'avait pas d'odeur, qu'il semblait avoir le sang aussi froid que le leur, et que ses yeux n'avaient rien d'humain. Mais le garçon n'avait pas écouté. Et maintenant, il devait venger ses amis d'un démon. À ce moment, son désir de vengeance lui semblait irréalisable, et le désespoir l'envahit.
Il revit le sourire de Joker, et sa main chaude et rassurante posée sur son épaule. Doll était si jolie dans le costume blanc que lui avait fait faire Joker. Il revit Wendy, encore petite, qui apprenait à sauter du trapèze. Il la vit faire un saut périlleux dans les airs et attraper les mains tendues de Peter. Elle avait lâché une des mains du garçon et avait fait de grands signes vers Snake qui la regardait d'en bas, alors qu'elle se balançait encore dans le vide.
— Wendy, tu vas tomber ! avait crié Snake.
— Je vole ! Regarde Snake, je vole !
Tous… si jeunes, si imparfaits, si merveilleux. Des larmes coulèrent sur ses joues. Que pouvait-il faire contre un démon ! Comment honorer leur mémoire s'il ne pouvait même pas les venger ? Il fut reconnaissant de l'étreinte inébranlable des bras de l'inconnu qui l'empêchait de s'effondrer.
Cherchant sa voix, il murmura :
— Alors je n'ai aucune chance. Jamais je ne pourrais les venger.
Il sentit les lèvres contre son oreille former un sourire.
— Oh si. Bien sûr que si. Ne t'en fais pas, je vais t'aider. À présent tu es avec moi, Grell Sutcliff, le Shinigami.
La pluie tombait plus fort à présent. Snake était assis sur le lit, le dos appuyé contre le mur, une jambe tendue sur le matelas. Il écoutait son compagnon, le shinigami, lui parler de leurs ennemis.
— Il faut que tu saches que pour Sebastian, rien n'est plus important que Ciel Phantomhive. La vie du garçon est plus importante que sa propre vie. Lorsque nous nous sommes battus…
Il esquissa un sourire crispé comme si ce souvenir lui procurait un plaisir irrépressible.
— Il a même sacrifié un bras pour le gamin. Et malgré ma supériorité, il n'a pas hésité à m'attaquer à nouveau sur les ordres de son maître.
Grell fit une pause et fit courir son doigt ganté sur ses lèvres, songeur.
— Il y avait tellement de sang. Sebastian était ravissant, souillé de rouge.
— Donc, dit le Shinigami en se levant. Si je veux faire souffrir Sebastian Michaelis, je dois lui arracher ce qu'il a de plus précieux : son cher maître Ciel Phantomhive. Cependant, je dois t'avouer une chose : je ne suis pas sûr de pouvoir le tuer. Il est vraiment tenace. Mais je peux lui faire assez mal pour le garder dans une grande faiblesse le temps que tu t'occupes du môme insolent. Tes serpents te seront utiles pour le faire souffrir. La mort est-elle lente ?
— Lente… cela dépend, dit Snake en caressant le cou du serpent qui entourait sa jambe. Environ une à cinq minutes. C'est court. Mais lorsqu'on sent le poison brûler dans ses veines, ses poumons enfler, sa gorge se serrer, son cœur se crisper, alors que tout le corps est pris de violentes convulsions douloureuses… Je pense que ces cinq minutes paraissent une éternité.
— Excellent… murmura Grell, les yeux luisants.
— Mais est-ce assez ? s'exclama le garçon, bouillant de haine, le visage crispé. Je ne veux pas seulement tuer Ciel Phantomhive. Je veux détruire tout ce qu'il a ! Sa réputation, sa fonction, son rang, sa fortune. Ce que je veux, c'est salir sa mémoire et traîner son nom dans la boue. Je veux la chute des Phantomhives !
Le silence tomba sur les deux compagnons, seule la respiration saccadée de Snake se faisait encore entendre. Grell semblait songeur, il était impassible, mais ses yeux dansaient furieusement dans ses orbites. Doucement, un sourire se dessina sur ses lèvres. Il s'approcha du garçon et s'assit brusquement sur le lit à ses côtés.
— Mon ami, tu viens de me donner une idée ! dit-il à Snake, qui se recula, troublé par la proximité du dieu de la mort. Si tu veux la déchéance des Phantomhive, je peux t'aider à orchestrer un énorme scandale.
Il se releva, et se campa devant le lit, comme s'il était un grand acteur sur le point de réciter une tirade devant un public attentif.
— Écoute-moi bien. Ce soir, le comte donne une soirée, un dîner particulier pour la Reine, ou plus particulièrement pour l'invité désigné de la Reine.
Il sortit de sa veste un énorme livre, dont il feuilleta quelques pages, parcourut quelques lignes du doigt avant de déclarer :
— Son nom est Siemens, Georg von Siemens.
Il rangea le livre et reconcentra son attention sur le garçon.
— C'est lui, ma mission. Sache que le jeune Phantomhive n'est pas vraiment dans les petits papiers de Sa Majesté en ce moment. Je n'ai pas eu les détails, mais d'après ce que m'a soufflé Ronald Knox, un collègue très bavard, mais bien utile, Ciel Phantomhive et son démon majordome ont un peu dépassé les bornes concernant la dernière mission que leur avait confiée la Reine.
Snake voulut réagir aux mots du Shinigami, mais celui-ci l'interrompit :
— Non, le « débordement » ne concerne pas tes amis. Mais je l'ai dit : ils sont morts.
Ne prêtant aucune attention à l'expression blessée de Snake, Grell continua :
— Ainsi, la Reine a fait organiser cette soirée par le comte pour que celui-ci rattrape son erreur.
— Mais comment savez-vous tout cela ?
— Nous, les shinigamis, nous savons tout ! s'exclama Grell comme s'il était offensé. Ou plutôt, nous connaissons toutes les informations concernant les derniers jours de la personne dont nous devons prendre l'âme. Sinon comment saurions-nous pourquoi elle doit mourir, comment et où ? Le reste de sa vie, nous l'apprenons dans la lanterne cinématographique, mais cela ne te concerne pas. Quoi qu'il en soit, ma mission, c'est Georg von Siemens, et je sais pourquoi il est au manoir des Phantomhive ce soir.
— Quand vous dites que cet homme est votre mission… ?
— Je veux dire qu'il doit mourir ce soir, déclara Grell comme si cela était évident.
— Mais pourquoi ?
— C'est comme ça, c'est la vie des hommes, siffla Grell, exaspéré. Trop d'alcool, trop de nourriture, trop de femmes, et c'est la crise cardiaque.
— Vous vous occupez de crises cardiaques ? demanda Snake, en écarquillant les yeux.
— Nous récoltons toutes les âmes, mais je te l'ai dit, c'est une mission pour un débutant et non un shinigami de mon rang. J'ai insisté pour l'avoir simplement parce que la personne condamnée se trouvait chez les Phantomhives, ce qui me rapproche de Sebastian.
— Très bien, mais en quoi votre « mission » va nous être utile ?
— J'y viens, cesse donc de m'interrompre ! Ce soir, Lord Siemens doit mourir d'une crise cardiaque dans sa chambre et je sais plus ou moins l'heure où cela se passera.
— Comment savez-vous qu'il mourra dans sa chambre ? se risqua à demander une nouvelle fois Snake.
— Nous avons des lieux approximatifs, expliqua lascivement Grell, balayant la question de Snake d'un geste las de la main, visiblement frustré d'être ainsi interrompu. Mais puisque le vieux bougre boit beaucoup alors qu'il ne tient pas l'alcool et qu'il meurt à une heure tardive, il sera sûrement en train de cuver son vin dans la chambre quand la crise cardiaque arrivera.
Il se tourna alors brusquement vers Snake, un sourire mauvais sur ses lèvres mesquines.
— Mais si je faisais en sorte que sa mort ne ressemble pas à une crise cardiaque. Si je maquillais sa mort en meurtre. Un coup de poignard sur le corps d'un mourant, c'est tellement simple. Imagine, un meurtre, dans un manoir isolé par la tempête, lors d'une réception officielle… Je pourrais même plonger la lame juste assez pour qu'on puisse déduire que le coup a été porté avec la main faible d'un jeune garçon…
Grell se mit à rire, un rire sinistre qui résonna sur les murs froids de la chambre.
— Quelle humiliation pour le jeune comte Phantomhive de voir son invité d'honneur, un invité demandé par la Reine, assassiné dans sa demeure ! Il perdrait l'estime de Sa Majesté, car il ne pourra jamais attraper le meurtrier. On n'attrape pas un shinigami pour le présenter comme coupable devant la Reine. Le comte devra répondre de crime devant la Reine, ce qu'il ne pourra jamais faire, murmura Grell, car il sera mort.
Snake se redressa, une lueur vive brillant dans ses yeux. Il souriait.
— Et le démon ? demanda-t-il, hésitant.
— Je m'occupe du démon, dès qu'il sera seul, il sera à moi. Je ne parviendrai peut-être pas à le tuer, je te l'ai dit. Mais je l'affaiblirai assez pour que tu puisses glisser un de tes serpents dans la chambre de Ciel Phantomhive sans qu'il intervienne.
Grell se tourna vers la fenêtre d'où on entendait le vent hurler sur la plaine et murmura :
— Après cela, qu'il meure ou non, je m'en fiche. Du moment qu'il perd ce qu'il désire le plus au monde.
— Quand partons-nous ? entendit-il Snake dire.
Grell ouvrit la fenêtre, et le tonnerre gronda alors que le vent faisait battre les volets et que la pluie pénétrait par giclées bruyantes dans la chambre.
— Maintenant.
Fin du chapitre 5
Note d'Autrice : Je vous présente le 5ème chapitre de mon histoire « La diagonale des fous blancs ». Ce titre est toujours en rapport avec le jeu d'échec et ce chapitre se focalise sur Grell et Snake, donc je m'excuse auprès des personnes qui voulaient un chapitre sur Sebastian, Ciel et Arthur, mais celui-ci ne leur est pas dédié. Je vous rassure ils me manquent aussi, et j'écrirai très vite la suite, car ce chapitre, même s'il était amusant à écrire, il ne m'a pas demandé autant de … « débordement émotionnel ». Ce chapitre est plutôt cérébral, il explique comment Snake et Grell sont devenus associés et comment ils ont élaboré leur plan d'attaque.
D'où le titre « La diagonale de fous blancs » car la diagonale correspond au déplacement du fou sur l'échiquier, ce qui correspond au plan des deux fous blancs de mon histoire. Oui je vous l'ai dit ce chapitre est un peu cérébral et explique les événements précédents.
