Musique d'écriture : Voilà (instrumental) - The Harmony Group


Chapitre 7 : La préfinale Tour et Cavalier

Ciel était assis sur le grand canapé, blotti contre les coussins de velours, au centre du boudoir. Ses jambes se balançaient négligemment dans le vide.

Il s'était écarté de la foule bruyante qui avait envahi son manoir, recherchant loin du monde un réconfort qui devait précéder la tempête à venir.

Dans le silence, il s'octroyait un moment d'évasion, un magazine posé sur ses genoux. Ses yeux vrillaient délicatement sur les mots qui couvraient les pages, qu'il caressait inconsciemment de ses doigts fins. L'ouvrage était légèrement élimé, et les pages froissées, comme si elles avaient été lues et relues inlassablement. Les bords étaient légèrement cornés. Parcourant les écritures, le garçon semblait murmurer les mots qu'il connaissait presque par cœur à présent.

Soudain, un bruit de pas venant du couloir attira son attention. Fermant le magazine, il le plaça délicatement sous les coussins, alors qu'un cognement léger se faisait entendre à la porte.

— Entrez.

Sebastian pénétra dans la chambre et s'approcha de son maître.

S'inclinant légèrement, il dit :

— Veuillez excuser mon intrusion, Jeune Maître, je voulais vous dire qu'Undertaker est reparti pour Londres.

— Qu'a-t-il dit ? demanda le jeune homme sans regarder son serviteur.

— Lord Siemens était sur la liste des Shinigamis, répondit le majordome. Mais il semblerait que nos adversaires aient eu en tête de vous faire accuser du meurtre. Il a fait ce qu'il fallait du cadavre du Lord.

— Me faire accuser ? dit Ciel en esquissant un sourire triste, l'œil noyé dans le vide. Leur haine est assez forte pour vouloir non seulement me détruire, mais également traîner dans la boue le nom des Phantomhives ?

Sebastian ne répondit pas, mais Ciel n'attendait rien de sa part.

Des images envahissaient sa mémoire : le visage de Freckles, déformé par la douleur et la haine. La jeune fille avait versé des larmes inutiles en lui promettant de se venger, en lui disant qu'elle ne lui pardonnerait jamais.

Et en prononçant un nom, celui de son démon, il l'avait anéantie. Il avait écrasé la pitoyable attaque de cette fille, blessée, mais faible.

Ciel avait pourtant vu un reflet de sa propre image dans le désespoir de Freckles.

Son désir de vengeance aurait-il été aussi pathétique que le sien, si un démon ne marchait pas à ses côtés ?

— C'est de bonne guerre, murmura le Comte.

— Jeune Maître ? s'enquit Sebastian, qui semblait ne pas saisir ses propos.

— Je comprends, dit Ciel en se levant, réajustant les plis de son gilet de costume bleu marine. Snake a tout perdu, il désire venger son "monde", ce monde que j'ai anéanti. Je suis bon joueur, je l'accepte.

Sebastian attrapa la veste de son maître, qui reposait sur une chaise voltaire non loin de lui. Il passa derrière le Comte et l'aida à enfiler le vêtement.

— Et il a maintenant un allié immortel à ses côtés pour se venger, continua Ciel d'une voix égale et détachée. Tout comme moi.

Il se tourna vers Sebastian, un sourire malicieux sur ses petites lèvres.

— Le jeu promet d'être intéressant.

Dépassant son serviteur, le garçon se dirigea vers la porte et parut décidé à rejoindre ses invités, quand son majordome l'arrêta de sa voix suave.

— Dois-je ranger ceci ?

Se raidissant, le garçon se tourna vers son démon. Sebastian plongea la main sous les coussins, tira le magazine et le montra au jeune Comte, sans le regarder, comme s'il savait de quoi il s'agissait.

— Vous l'avez lu à nouveau, dit simplement le majordome, un sourire entendu dansant sur ses lèvres pleines quand il vit que le Comte ne faisait aucun geste pour prendre l'objet qu'il lui tendait.

Il ouvrit le magazine, le feuilleta. Ciel l'observait, mais se refusait à répondre.

— Je trouve moi-même cette histoire intéressante. Monsieur Doyle a un réel talent. Dommage qu'il pense en être démuni.

Il leva ses yeux cuivrés vers son maître, souriant avec compassion.

— Vous avez eu l'air très déçu quand il vous a dit qu'il ne pensait pas donner suite à son œuvre.

Il posa la revue, leBeeton's Christmas Annual 1887, sur le petit bureau en acajou, et ajouta d'une voix lente et douce :

— Malgré ce qu'il a affirmé, après cette aventure, il écrira peut-être à nouveau. Ne désirez-vous pas une suite à son histoire ?

Ciel pinça ses lèvres, qui devinrent une ligne fine de dédain, mais garda toujours le silence.

Oh, comme il détestait le sourire moqueur de ce démon ! Il aurait aimé griffer son visage rien que pour que cette expression disparaisse de sa vue.

Sebastian traversa la pièce avec une rapidité surnaturelle sans pourtant qu'un de ses pas ne produise le moindre bruit sur le parquet. En une seconde, il se trouva près du garçon, le jaugeant avec calme de sa grande taille. Mais l'intensité de ses yeux fit frémir le jeune homme. Doucement, Sebastian se pencha vers lui de sorte qu'une de ses mèches sombres lui caressa la joue.

— Avez-vous quelque chose à me demander, Jeune Maître ? murmura le démon, levant les doigts vers le Comte sans le toucher, tandis que la chaleur de son souffle brûlait la peau du garçon. L'annulation d'un ordre peut-être ?

Et Ciel se souvint de ses paroles :

"S'il devient trop curieux, nous nous débarrasserons de lui. Je n'ai pas le temps de m'attarder sur les sensibleries d'un inconnu.
— Les sensibleries ? Je pense que son affection à votre égard est réelle, dit le démon.
— Je n'en ai que faire, objecta Ciel. S'il devient un danger, tue-le !
Et le démon s'inclina :
— Yes, my Lord."

— Non, dit-il avec froideur, et je n'aime pas que tu me fasses répéter mes ordres !

Sebastian se redressa alors, recula et s'inclina légèrement vers son maître, la main droite gracieusement posée sur son cœur.

— Veuillez me pardonner, Jeune Maître, je ferai ainsi que vous me l'avez ordonné.

Il passa à côté de Ciel et ouvrit la porte sur le couloir pour laisser passer son maître. La soirée s'annonçait captivante.


— Monsieur Doyle, la pluie semble se calmer. Serons-nous bientôt en mesure de rentrer chez nous ?

Arthur détourna les yeux de la fenêtre et se tourna vers la femme aux cheveux blonds, qui le regardait, expectative. S'il se sentait attendri par ses yeux hagards et sa forme tremblante, il avait de plus en plus de mal à supporter les incessantes questions qu'elle lui posait, questions auxquelles il n'avait aucune réponse. Il se sentait à l'étroit dans ce manoir et désirait s'enfuir, loin de cette lourde responsabilité qu'on lui avait attribuée.

Néanmoins, offrant un sourire rassurant à la chanteuse, il lui expliqua doucement :

— Il faudrait que le soleil revienne pour que la route sèche, sinon aucune voiture ne pourra traverser. La rivière a dû déborder. Je suis désolé, Lady Irène, mais je doute que nous puissions partir aujourd'hui.

Il aperçut alors l'inspecteur Abberline, qui pénétrait dans le salon, et lui fit signe d'approcher.

— Frédéric, Lady Irène me demandait quand les invités pourront quitter le manoir.

— Je viens justement d'avoir Lord Randall au téléphone dans le bureau du Comte, dit Abberline. Si le temps continue à être au beau fixe et que les routes sèchent, ils seront en mesure de venir nous chercher demain matin.

— Encore une nuit ici ? s'exclama la jeune femme, portant une main tremblante devant son cœur, alors que la peur enlaidissait ses traits élégants.

— N'ayez crainte, Madame, dit Abberline en s'inclinant légèrement devant la jeune femme. Nous savons que la situation est éprouvante, mais vous êtes bien entourée et nous commençons à entrevoir les circonstances de cette sombre affaire. Vous êtes en sécurité, Milady.

— Merci, inspecteur, répondit la chanteuse, les joues empourprées. Je vous sais tous deux Gentlemen compétents et de confiance. De plus, Monsieur Sebastian semble pouvoir maîtriser ce qui nous poursuit. Je me sens rassurée.

Arthur se raidit à la mention du majordome et il serra la mâchoire pour empêcher des flots de mots rageurs de glisser de ses lèvres. Il détourna les yeux et reporta son regard sur le jardin.

Sebastian… Sebastian…Il se demanda si, dans sa vie, il avait autant exécré un nom comme celui-ci.

Il préférait pourtant penser au majordome plutôt qu'à son maître, qui n'avait pas daigné répondre à ses baisers la nuit dernière. Après quelques tentatives, il avait fini par abandonner. Le garçon semblait particulièrement troublé, voire même absent, ne laissant qu'un corps vide dans le lit aux côtés d'Arthur, un corps qui ignorait chacune de ses caresses.

Dans la nuit pourtant, il avait senti les doigts frais du jeune comte caresser ses lèvres avec douceur. Il l'avait ensuite senti l'étreindre pour un court instant, recherchant la chaleur après un cauchemar sans doute. Pourtant, au matin, il était à nouveau lui-même : froid et impitoyable.

Secouant la tête, il se demanda quel plan avaient concocté le majordome et son maître pour se débarrasser de leur tueur.

— Le héros se fait attendre…

Abberline sourit. Il passa nerveusement le bout de ses doigts sur son bouc.

— Les plans du Comte et de son majordome sont toujours couronnés de succès. Je me sens rassuré qu'il soit parmi nous. Même si…

— Même si… ? répéta Arthur en regardant son ami aux cheveux auburns.

— Je déteste leurs méthodes, dit enfin Abberline. Je les trouve fascinants tout comme toi. Ne me regarde pas comme cela, je vois bien que tu les admires ! Étant écrivain, tu fantasmes sur ce genre d'individu qui donne toute la substance à tes héros de roman.

Arthur ne put s'empêcher de sourire tristement.

— Mais ils représentent… tout ce qui me dégoûte. Corruption, mensonge, bas-fonds, trafic en tout genre… En tant qu'inspecteur, et ayant foi en la justice, leur existence me désespère. Tu sais, lors d'une affaire, ils sont même rentrés par effraction dans la salle des archives de la police, et pour me faire taire, ils m'ont donné de l'argent ! Je l'ai refusé, mais j'ai trouvé cela… insultant.

— Personne ne dénonce leurs méthodes ? demanda l'écrivain, désabusé.

— Arthur, la Reine les paie en passant leur salaire sur le budget de la police, et le commissaire de Londres dédommage le comte avec des pots-de-vin !

— Quel royaume pourri… murmura Arthur, qui se dit soudain qu'un verre de whisky sec serait le bienvenu.

— D'après Lord Randall, il serait encore plus pourri si le Comte Phantomhive n'existait pas. J'aimerais qu'il se trompe.

Le jeune écrivain eut un sourire entendu pour l'inspecteur. Il se sentit rassuré de savoir qu'il existait, dans la police londonienne, une personne qui portait des idéaux de justice et de bonheur semblables aux siens.

— Frédérick… murmura-t-il en s'approchant de l'homme, j'aimerais que tu m'aides à comprendre le fin mot de cette affaire avant que…

— Avant que quoi, Arthur ?

— Avant qu'ils nous mentent.

— Je ne mens jamais, Monsieur Wordsmith.

Abberline sursauta devant l'apparition soudaine du majordome à leurs côtés. Il ne l'avait pas entendu arriver et rougissait à l'idée de ce qu'il avait bien pu entendre. Arthur, quant à lui, le fixait avec une hostilité évidente, le corps raide.

Sebastian l'ignora et, s'inclinant, il ajouta :

— Si vous voulez bien vous rapprocher des autres invités autour de la table du salon, j'ai une déclaration à faire.

Debout devant l'ensemble des occupants du manoir, le majordome occupait toutes les attentions. Son jeune maître siégeait à ses côtés dans un fauteuil de velours mauve, l'œil serein, galvanisé par la présence omnipotente de son serviteur.

Tous les yeux sont suspendus à ces lèvres rouges et manipulatrices, se dit Arthur. Pourtant personne ne se demande comment ce serviteur vêtu de noir peut se tenir debout, droit et immaculé, alors même qu'il a failli mourir deux jours plus tôt.

Il serrait les dents, les craquant devant cette assemblée d'aveugles. Personne ne voyait qu'il ne portait plus son bandage autour de la tête ! Comme si une blessure profonde et meurtrière n'avait pas fissuré l'arrière de son crâne. Quelle mascarade ! Non, dans la peur, tous voulaient remettre leur espoir sans condition dans celui qui pourra les sauver, quel que soit son étrangeté ou l'illogisme et l'absurdité de ses agissements et quel qu'en soit le prix.

Mais l'âpreté de ses pensées fut interrompue par la voix doucereuse de Sebastian.

— Lady and Gentlemen, je vais vous demander toute votre attention. Mon Jeune Maître et moi-même avons convenu d'un plan pour attraper le tueur, et nous souhaiterions vous l'exposer.

Le majordome leva son index et annonça simplement :

— Tout d'abord, nous devons boucher les canalisations et les bouches d'aération.

Les invités se regardèrent, interloqués, cherchant une logique invisible dans les paroles prononcées.

— Boucher les bouches d'aérations ? répéta lentement Grimsby. Mais de quoi devons-nous nous protéger ?

Sebastian ouvrit un petit sac de lin qui était posé sur la table basse à ses côtés et en sortit une peau très fine.

— Mais qu'est-ce que ceci ? demanda Keane en grimaçant.

— Il s'agit d'une mue, expliqua Sebastian. Je l'ai trouvée dans la bouche d'aération de la chambre du Jeune Maître. Et pas n'importe laquelle. Une mue de black mamba, un serpent venimeux, mortel.

Irène cria, s'agrippant à son fiancé qui était tout aussi hystérique qu'elle, tandis que beaucoup d'autres invités relevaient les jambes de manière ridicule, comme si un serpent allait se faufiler entre leurs pieds. D'autres encore scrutaient avec insistance chaque recoin de la pièce à la recherche d'un reptile égaré. Bard et Mei Rin s'étaient réfugiés derrière Finni et Tanaka.

— Je vous rassure, les serpents ne sont actuellement plus dans le domaine, ajouta avec lenteur le majordome, mais ils reviendront sûrement. Et ils sont extrêmement dangereux. Monsieur Phelps est mort d'une de leurs morsures.

Arthur se racla la gorge et intervint sans pour autant regarder les autres invités qui retrouvaient doucement leur calme.

— Baxter Vynne, le coroner qui est venu examiner les corps, nous a affirmé que des serpents ne se seraient pas introduits ici d'eux-mêmes. S'ils sont là, ils ont été apportés par quelqu'un.

— Ils y ont été introduits par notre agresseur, murmura Abberline. Un dresseur de serpents ?

— Un dresseur de serpents… comme dans un cirque ? demanda Charles Gray, en regardant avec insistance le Comte Phantomhive.

Mais celui-ci l'ignora avec superbe.

— Comme dans un cirque ? répéta Sebastian d'une voix distante, un faible sourire sur les lèvres. Oui, cela est possible.

— Ce dresseur de serpents serait donc le meurtrier ! Mais pourquoi cet homme aurait-il commis ses crimes, et pourquoi reviendrait-il ? demanda Woodley.

Arthur eut envie d'intervenir, car il lui était évident que Ciel était la cible principale du tueur. Il était certain que le serpent qui avait tué Phelps lui était destiné et que le meurtre de Siemens avait pour but de salir son honneur. Il aurait voulu parler, rassurer les invités sur les mobiles du meurtrier, et dire que Ciel Phantomhive était la véritable personne visée.

Pourtant, la lueur féroce qui brillait dans les yeux glacés du majordome de la Reine, lorsqu'il regardait le jeune comte, lui intima instinctivement le silence. Ciel et Sebastian savaient parfaitement que le Comte Phantomhive était la cible, et cette simple déclaration pouvait apaiser les autres invités qui craignaient pour leur vie. Mais pourtant, les deux hommes gardaient le silence sur ce fait crucial, ce qui signifiait que cela était une révélation dangereuse pour le jeune noble.

Arthur mordilla sa lèvre, se demandant avec fureur où il plaçait sa fidélité : du côté de sa raison ou du côté de son cœur.

Pourtant, à sa grande surprise, le jeune comte intervint de sa voix claire et froide :

— Mr Phelps a été tué par un de ces serpents alors qu'il occupait ma chambre. Il se peut que je sois moi-même la cible de ce criminel et, si c'est le cas, il sait peut-être qu'il a échoué et reviendra à nouveau pour achever ce qu'il a commencé.

Charles Gray émit un son dédaigneux à travers ses dents serrées et lèvres pincées. Il semblait prendre du plaisir à voir le jeune garçon dans une posture déshonorante.

— Ce sont donc des suppositions ? Vous ne savez pas si le criminel reviendra ? grinça Keane.

Ciel sourit et répondit :

— Oui, nous supposons.

— Et nous aurons alors besoin de toutes les personnes qui savent se battre pour l'attraper, ajouta le majordome. C'est-à-dire Mr Lau, Lady Ran Mao et Mr Gray.

— Ah, enfin les choses deviennent intéressantes ! Soit ! Mais dans le cas où il reviendrait réellement, de quoi avons-nous besoin ? demanda Lau à Sebastian.

— D'obscurité, de patience… et d'une flûte indienne.

— Une flûte indienne ? demanda Abberline en fronçant les sourcils.

— Unpungipour être exact, expliqua Sebastian avec enthousiasme. Un admirable instrument utilisé par les charmeurs de serpents. Sachez que les serpents sont sourds. Ils ne sont pas hypnotisés par la musique, mais par les vibrations dans la caisse de résonance de l'instrument et par les mouvements de la flûte.

— Vous voulez charmer les serpents ? demanda Abberline, d'une voix déconcertée, comme si le majordome était fou, en regardant les autres invités pour savoir s'il était le seul à ne pas comprendre ce plan, mais pour quoi faire ?

— Pour qu'ils nous mènent à leur maître, dit Ciel en levant une main d'un geste las. Sans eux, nous ne pourrons débusquer le criminel qui les a introduits dans le château.

— Mais alors, pourquoi avoir besoin de Mr Lau, Lady Ran Mao et moi-même pour vous assister ? demanda lascivement Charles Gray.

— Le tueur semble communiquer ou du moins contrôler ces reptiles, dit Sebastian. La flûte peut les charmer pour les forcer à nous montrer leur maître, mais celui-ci rompra sûrement le charme lorsqu'ils seront réunis. Et les serpents pourraient devenir très dangereux sous les ordres de leur maître. Il faudra agir rapidement pour maîtriser les reptiles et attraper le coupable.

— Encore faudrait-il que vous puissiez attirer les serpents ! s'énerva soudain Woodley. Car nous pourrions très bien être mordus par ces saletés pendant que vous essayerez de jouer de votre flûte ridicule !

— Le jeune maître m'aidera pour cela.

Ciel leva les yeux vers son majordome, surpris. Sebastian ne lui avait rien révélé sur cette partie du plan et il ne pensait pas avoir à intervenir, surtout en ce qui concerne les serpents.

— Pour être clairs, le Jeune Maître et moi-même attendrons dans sa chambre que les serpents veuillent bien se montrer.

— Mais là encore, pourquoi viendraient-ils à vous ? dit Woodley, exaspéré de ne pas comprendre.

— Comme je l'ai dit précédemment, nous allons boucher les canalisations et bouches d'aérations des pièces du manoir pour qu'ils ne se répandent pas dans tout le château et pour vous garder en sécurité. Mais il faut que vous sachiez que les serpents sont sensibles aux odeurs. Sur l'hypothèse que le tueur désire réellement la mort du Comte, ceux-ci doivent être attirés par son odeur. Je vais donc demander aux serviteurs de circuler dans tout le manoir en portant avec eux duBakhor Thany, un encens indien ayant un parfum très puissant, ce qui devrait annihiler les autres odeurs, notamment celle de vos propres corps. Toutes les pièces seront embaumées excepté celle du Jeune Maître, dans laquelle lui et moi attendrons les serpents. Son odeur devrait les mener jusqu'à nous.

— Décidément, vous êtes versé dans les arts et la culture indienne, dit Grimsby avec intérêt.

Sebastian sourit et dit :

— J'ai un ami indien qui m'a appris beaucoup de choses.

Il claqua sèchement ses mains gantées de blanc et ajouta :

— Maintenant que vous connaissez les points du plan, je vais vous expliquer les dernières mises au point. Mr Doyle, Mr Woodley, Lady Irène et Mr Keane resteront dans le petit salon. Le Jeune Maître et moi serons dans la chambre principale, seuls, tandis que les serviteurs continueront de circuler dans le manoir pour répandre l'encens. Mr Gray, Mr Lau, Lady Ran Mao ainsi que Mr Abberline attendront à l'extérieur de la chambre pour que leurs odeurs n'influencent pas celle du Jeune Maître. Lorsque je sortirai de la pièce, jouant de la flûte suivie des serpents charmés, Mr Gray, Mr Lau et Lady Ran Mao me suivront jusqu'au repère du tueur. Mr Abberline restera auprès du Jeune Maître pour le ramener en toute sécurité dans le petit salon. Avez-vous des questions ?

L'assemblée resta silencieuse. Personne ne semblait avoir de meilleure solution, et pour être tout à fait honnête, le plan était ingénieux et il pouvait marcher.

Arthur repassait encore et encore chaque point que Sebastian avait énoncé, et il n'y trouvait qu'une seule faille : le plan ne pouvait conduire qu'à la capture d'un seul tueur, celui de Phelps, qui ne l'avait même pas assassiné de ses mains, mais s'était servi de reptiles pour accomplir le meurtre.

Mais qu'en était-il du véritable tueur, celui qui tue de ses mains, avec rage et passion, et aime le goût de la sauvagerie et du sang ? Ce génie maléfique, ce tueur qui n'était pas vraiment humain…

Mais ses convictions devaient rester sous silence. Il savait que, ce soir, il aurait les réponses qu'il cherchait, que le Comte le veuille ou non.

Ciel se leva. Les doigts crispés sur sa canne, il dit :

— Bien, si aucun de vous n'a d'objection à ce plan, mettons-nous au travail.

Sebastian s'inclina et fit un pas vers les serviteurs afin de leur donner les ordres à suivre quand la voix hautaine de Gray se fit entendre.

— La Reine n'appréciera sûrement pas qu'un invité d'honneur ait été assassiné à cause d'une désastreuse mission que vous avez été incapables de remplir, déclara sèchement Charles Gray.

L'assistance tressaillit. Le jeune comte se tourna lentement vers le jeune homme assis sur le canapé, se tenant bien droit.

— Une désastreuse mission que j'ai été incapable de remplir ? répéta Ciel, son œil perçant fixé sur le comte, tandis que sa voix trahissait une furie silencieuse transformée en mépris glacial. Je vous saurai gré, monsieur le Comte, de montrer plus de discrétion en ce qui concerne les affaires que je traite avec la Reine. Étant majordome de Sa Majesté, je m'attends à plus de réserve de votre part. Ne m'interrompez pas ! Si vous m'insultez sous mon propre toit, ayez au moins la courtoisie de m'écouter jusqu'au bout !

Le Comte, qui était sur le point de se lever pour lui couper la parole, se rabaissa sur son siège, surpris par les mots du garçon.

— En ce qui concerne cette affaire, continua Ciel avec réticence mais clarté pourtant, alors que tous les regards étaient concentrés sur sa frêle personne, puisque vous tenez tellement à en parler et que vous êtes persuadé que j'ai échoué, sachez ceci : je n'ai peut-être pas rempli tous les impératifs de la Reine, mais les criminels ont été mis hors d'état de nuire et il n'y aura plus aucune victime de cette démence. Je considère cette mission comme réussie.

— Réussie ? Vous appelez cela une mission réussie ? cracha Gray, la main crispée sur son épée, comme écœuré par la seule vue du garçon. Beaucoup de victimes injustifiées, Mr le Comte, beaucoup de pertes inutiles ! Sans compter les meurtres qui ont eu lieu dans ce manoir pour cette raison !

— Rien ne prouve que ce criminel soit lié à l'affaire à laquelle vous faites allusion, Comte Gray, rétorqua Ciel, un œil froid et sévère braqué sur l'homme vêtu de blanc. Voilà trois ans que je suis au service de la Reine. Me croyez-vous à l'abri du désir de vengeance qu'induit ma fonction ? Sa Majesté et vous-même savez parfaitement que ma famille a de nombreux ennemis, mon rôle me créant beaucoup d'adversaires qui sont les fruits des missions ordonnées par Sa Majesté. J'accepte ma charge avec honneur.

Il posa la main portant le sceau des Phantomhive sur son cœur.

— Mais je sais que celui-ci met ma vie en danger à chaque instant. Et vous le savez, et la Reine également. Pourtant, connaissant le danger que court chaque individu qui s'approche de ma personne, la Reine elle-même m'a donné l'ordre d'organiser cette réception. Et vous ! Oui, vous ! Avec vos grands airs de Comte immaculé embaumé de sainteté, n'êtes-vous pas celui qui avait testé la sécurité du manoir afin que ce genre d'incident n'arrive pas ?

Charles Gray pâlit soudain, la gorge sèche, puis son visage fut rapidement coloré par le rouge de la honte. Les invités s'étaient tournés vers lui aux paroles du comte, et ils lisaient dans leurs yeux pleins de crainte la preuve de sa propre incompétence.

— Qui est le responsable de ce qui se passe ici, Comte ? demanda Ciel. Moi ? Certainement ! Mais ni vous, ni la Reine n'êtes irréprochables. Je vous suggère donc de vous concentrer sur la capture de ce tueur, ce qui permettra peut-être de laver mon honneur, mais aussi le vôtre !


Un marécage.Voilà à quoi ressemblait le domaine des Phantomhive après le passage de l'orage. Les arbres, toujours dénudés en l'absence d'un printemps trop timide, brandissaient leurs branches en des griffes sinistres et monstrueuses dans les allées du parc. Les faibles rayons du soleil qui filtraient à travers les épais nuages réchauffaient les sols boueux, propageant une nuée de brume menaçante sur les jardins.

Arthur s'était réfugié dans la véranda dont les grandes fenêtres donnaient sur une ravissante terrasse ravagée par la pluie et envahie par les feuilles mortes et les jeunes pétales de roses arrachées par le vent de mars. Il observait les faibles éclaircies qui perçaient le ciel, illuminant le paysage désolé.

Bien que perdu dans sa contemplation mélancolique, il entendit le bruit de pas légers qui s'approchaient de lui. Mais il les ignora.

Ciel avait pénétré dans la véranda et observait l'homme, en simple chemise et gilet de costume, accoté sur l'encadrement de la porte-fenêtre.

Sans le regarder, Arthur ouvrit la fenêtre, profitant d'une fraîcheur salvatrice qui altérait son sentiment d'emprisonnement, et tendit le bras lentement au-dehors. La faible ondée qui perlait du ciel tachetait lentement la manche de sa chemise.

— Qu'attends-tu ainsi ? demanda le garçon d'une voix réprobatrice, comme s'il observait un enfant paresseux.

— Je profite de la vie, tant que je le peux encore.

— Qu'est-ce que tu veux dire ?

La voix était plus douce maintenant.

— Toi et ton majordome, vous agissez comme si vous maîtrisiez tout, expliqua-t-il, refusant toujours de regarder le Comte. Mais tu as peur. Je le vois. Quelque chose t'effraie et je ne sais pas de quoi il s'agit.

— Rien ne m'effraie, grinça Ciel.

— Et Gray ?

— Gray ? souffla le garçon avec étonnement.

— Il sait des choses, sourit Arthur en disant cela, un sourire entendu d'une personne qui connaît un secret. Pour toi, il est presque plus dangereux que les tueurs.

Ciel expira brusquement, comme si les paroles de l'écrivain lui paraissaient stupides, mais il ne répliqua pas. Il aperçut les fines taches d'encre qui souillaient le poignet de sa manche.

— Qu'as-tu écrit pour que ta chemise soit dans cet état ? demanda-t-il, presque méprisant.

Arthur se tourna vers lui, laissant toujours son bras au-dehors, sous la pluie fine.

— Peut-être ai-je consigné par écrit tout ce qui s'est passé ici ? dit-il, amusé par les expressions fugaces de doute, de surprise et de faiblesse qui passaient sur le visage de son amant. Ainsi que mes soupçons envers toi et ton majordome.

— Arrête, tu n'as rien écrit sur cette histoire ! s'écria Ciel en s'approchant de lui, le corps tremblant, le visage pâle.

— Tu veux parier ? demanda Arthur, savourant les tressaillements de fureur qui secouaient le corps du garçon. Enfin des émotions sur ce visage de glace ! Il en avait rêvé toute la journée. Peut-être ai-je écrit une lettre compromettante ? Ainsi, s'il m'arrivait quelque chose, quelqu'un découvrira la vérité !

— Ne joue pas avec cela, Arthur, le menaça Ciel dans un murmure. Ce n'est pas un jeu.

— Je suis sûr que cette lettre intéressera Charles Gray.

Fou de rage, Ciel voulut gifler l'écrivain, mais celui-ci attrapa son bras, l'attira brutalement vers lui et l'emmena dehors sous la pluie.

Plaquant le garçon contre la vitre, Arthur l'embrassa, ignorant le vent glacé qui mordait leurs corps, la pluie et les ongles qui griffaient sa peau alors qu'il encerclait la forme douce de ses bras puissants. Il sentit des poings le repousser et le marteler, mais il s'en moquait. Il s'enivrait de cette douceur qui était devenue sa drogue.

Les plaintes cessèrent et il sentit le Comte répondre enfin à son baiser, avec hésitation d'abord, puis il céda totalement, laissant presque les bras de l'écrivain le porter, le serrer contre lui avec toute la force de sa passion.

Arthur quitta sa bouche fiévreuse, mais continua à l'embrasser, faisant glisser ses lèvres sur sa gorge, les attardant sur la chair où il sentait son battement de cœur. Il continua à descendre jusqu'à s'agenouiller, caressant les courbes du comte sur le passage de sa bouche et de ses mains.

Il l'attrapa par les poignets et le tira vers le sol, l'obligeant à s'allonger sur le lit humide de feuilles et de roses qui parsemaient les pavés.

Il entendit Ciel murmurer son nom, et il caressa son visage, dessinant son corps de ses doigts tremblants. Il se redressa pour regarder son amant, mais celui-ci ne le regardait pas.

Il avait l'œil levé vers les nuages, et la pluie perlait sur son visage, glissant sur ses joues.

Amoureux, Arthur se repencha sur lui. Ses lèvres caressèrent une peau glacée, une joue douce, une gorge tendre, une épaule séduisante et pâle. Doucement, il brûlait sa chair humide de ses baisers.

Il avait l'impression que l'éternité ne lui suffirait pas pour ravager ce corps comme il désirait le faire, qu'il ne pourrait jamais être rassasié de cette peau blanche et douce qui était sienne en cet instant.

Il le caressait, l'aimait, se tordait contre lui, le savourait encore et encore.

Fou de désir, il entreprit d'ouvrir son pantalon et le sien, mais ses poignets furent arrêtés et enfermés par des mains fines :

— Arrête, non, ils pourraient nous voir ! dit Ciel d'une voix rauque, brouillée par le plaisir.

Arthur se redressa soudain, s'arrachant aux doigts du jeune homme et emprisonna son corps dans ses bras. Il souleva le garçon, qui hoqueta de surprise, et le posa contre le mur vitré. Il bloqua la fragile forme entre son propre corps et la vitre, de sorte que les jambes du comte balançaient lamentablement dans le vide. Le remontant en un à-coup de ses hanches, Arthur parvint à se placer entre ses cuisses.

Profitant de sa stupeur, il finit d'ouvrir son pantalon et le sien, libérant leurs membres gonflés de désir.

Il se positionna contre le garçon et, ignorant les "non" faibles et inutiles qu'il lui chuchotait, il se mit à frotter son corps contre le sien brutalement, sans retenue.

À la première poussée, Ciel poussa un cri qui anéantit sa volonté de résistance, et il entoura la tête d'Arthur de ses bras, enfonçant ses ongles dans sa chevelure. Ses doigts tentaient maladroitement de s'agripper à son amant, à ses cheveux, à sa chemise, à sa peau, tandis que le plaisir montait en lui en vagues brûlantes et insupportables, le faisant tour à tour trembler et crier sous les assauts répétés de l'homme qui possédait son corps avec passion.

Arthur savait qu'il était trop brutal, mais il aimait cette sensation qu'il pouvait broyer le corps de son amant contre la vitre à chacune de ses poussées délicieuses. Il crut que le verre allait éclater sous la pression de leurs corps enflammés.

— Tu me fais mal ! souffla Ciel, crispant ses doigts sur ses épaules.

— Je sais, murmura-t-il, les lèvres contre sa gorge, léchant et mordant chaque centimètre de peau qui se présentait à sa bouche.

Ciel vibrait et se tordait sous ses baisers douloureux et les mouvements de son amant contre son bas-ventre. Il voulut serrer les cuisses autour des hanches d'Arthur pour atténuer les frictions, mais les ondes de plaisir anesthésiaient ses forces, le réduisant à devenir une poupée désarticulée dans les bras de l'homme qui lui arrachait des soupirs d'extase.

Alors que l'humidité de leurs sexes rendait les frottements plus glissants et excitants, les mouvements se firent plus décousus et erratiques.

Quand la respiration de Ciel devint saccadée et courte, et qu'Arthur comprit qu'il était sur le point de jouir entre leurs deux corps brûlants, il fit glisser ses doigts dans le dos puis sur les fesses du jeune homme.

Ciel cria et se cambra, essayant d'échapper à cette main intrusive et à cette sensation puissante et interdite qui le rendait extatique. Mais déjà, l'orgasme envahissait son corps et, cherchant la bouche d'Arthur, il étouffa son plaisir sur ses lèvres, alors même que son amant déversait sur sa peau les vestiges liquides de leur passion.

Les jambes de l'homme cédèrent et il glissa à genoux sur le sol, entraînant avec lui le garçon étourdi et tremblant qu'il serrait encore contre son cœur.

Ils restèrent un moment ainsi, dans une position inconfortable.

Assis, le dos contre la vitre, Ciel regardait l'homme à genoux entre ses jambes. L'écrivain posa son front contre le sien, semblant réfléchir un instant avant de recommencer à l'embrasser.

— C'est stupide ce que tu as fait, dit finalement le garçon entre deux baisers. Regarde, nous sommes trempés.

Mais il n'était pas fâché. Arthur l'embrassa à nouveau, lentement, savourant les caresses de sa langue sur la sienne.

— Pourquoi ai-je l'impression que c'est la dernière fois que je goûterai tes lèvres ? murmura-t-il en rompant le baiser.

— Parce que tu as peur, et parce que tu es fou, répondit le jeune Comte en haussant les épaules.

— Tu m'as rendu fou.

Ciel se mit à rire, mais Arthur ne se sentit pas blessé. Le Comte riait sans moquerie, et sans joie d'ailleurs.

— Pourquoi as-tu accepté aujourd'hui ce que tu m'as refusé hier ? demanda Arthur, sans détacher un instant ses mains de son amant.

— J'ai refusé. Si tu avais bien écouté, tu m'aurais entendu dire non.

— Mais hier, si je t'avais pris, j'aurais fait l'amour à un cadavre.

— Charmant… dit simplement le jeune homme, et il ferma les yeux.

L'écrivain reposa son front contre le sien. Il y eut un moment de silence.

— Louisa est mourante, murmura-t-il, et ses doigts glissaient sur les épaules frêles du garçon que la chemise ne couvrait plus vraiment.

— Je sais, répondit Ciel sans émotion, les yeux toujours clos, mais pourquoi me le dis-tu ?

Arthur prit son visage entre ses mains et le leva vers le sien, caressant ses joues pour qu'il daigne le regarder.

— Bientôt, je pourrais… Bientôt, nous…

Mais sa voix se perdit. Il avait beau chercher ses mots, il savait que c'était inutile. Ce qu'il voulait était simple.

— Viens avec moi. Laisse-moi t'emmener loin d'ici.

— Mais pour aller où, grand Dieu ? s'exclama Ciel, en repoussant les doigts qui ne cessaient de le toucher.

— N'importe où ! Où tu veux ! s'entendit supplier l'écrivain.

— Quel romantisme !
Et dans sa bouche, c'était une insulte.

— Pourquoi rester si ce que tu as ici n'est que danger et malheur ? Aimes-tu vivre en pensant qu'un assassin t'attend à chaque coin de rue ?

— Tu ne te rends pas compte à quel point ce que tu dis est stupide. J'ai un rang de noblesse et une fonction royale. On ne quitte pas le service de Sa Majesté ainsi. Et puis maintenant, il y a Sebastian…

Ciel se tut, il n'avait pas besoin d'en dire plus. Mais déjà, une lueur de colère éclaira l'œil d'Arthur.

— S'il n'était pas là, tu partirais avec moi ? s'enquit-il, la voix basse.

— Sebastian n'a rien à voir là-dedans. S'il n'était pas là, je ne serais pas là.

— Pourquoi ? Il t'a sauvé la vie ? Tu as une dette envers lui ?

Ciel se mit à rire, un rire sombre, presque triste.

— Non… non.

— Il ne peut pas te donner ce que je t'ai donné, ce n'est pas dans sa nature, je le sens. Il ne peut pas te serrer contre lui et t'aimer comme je le fais.

— Bien sûr que non ! dit Ciel, agacé. À cet instant, la conversation lui déplaisait. Arthur lui déplaisait. Et je n'attends pas cela de lui. Vous n'êtes pas comparables, Arthur. Arrête de le voir comme un ennemi, voire pire : comme ton rival.

Ciel réajusta sa chemise, recouvrant ses épaules blanches, et referma son nœud de cravate. Arthur ne le regardait plus. Le garçon soupira.

— Demain matin, tu rentreras chez toi, dit-il tout en lissant ses cheveux humides de ses doigts. Tu retourneras à ta vie morne de médecin, et à ton avenir florissant d'écrivain. Tu écriras des histoires ornées de tes souvenirs. De folies et de mystère. Et tes héros nous ressembleront, car tu auras peur de nous oublier. Mais à la fin, ces nuits, ces événements et tes mains sur moi… Tout cela s'évanouira de ta mémoire.

— Non, c'est faux.

— Tu verras.

Il tendit une main douce et caressa sa joue.

— Donne-toi juste du temps.

Arthur se releva brusquement, désabusé, s'arrachant au garçon qui lui écrasait le cœur. Il regardait le soleil qui mourait au loin, derrière les arbres tordus du domaine. Il sentait couler en lui des larmes qu'il ne versait pas.

Ciel se leva à son tour et s'approcha de lui.

— Le soleil se couche, dit-il doucement.
Il posa ses doigts sur la manche de son amant. — Qu'as-tu écrit ? Dis-le-moi.

Mais ce n'était pas un ordre.

Il était ravissant dans le crépuscule, des pétales de rose encore accrochés à ses cheveux. Arthur eut envie de les caresser, mais se retint.

— Tu verras, répondit-il dans un souffle.

— Ce n'est pas une lettre pour Charles Gray, n'est-ce pas ? murmura Ciel, se mordillant la lèvre.

— Non, c'est pour toi. Tu verras.

Il sembla hésiter un instant puis ajouta :

— Mais Gray… il veut ta peau. Cette mission… qu'as-tu fait ?

Ciel entrouvrit les lèvres, mais les referma aussitôt. Sa forme se raidit et ses yeux se perdirent dans l'horizon.

— J'ai décidé de ne pas sauver des enfants, dit-il d'une voix douce. Des enfants qui me ressemblaient.

— De ne pas les sauver ? Ils sont morts ?

— Ils étaient morts.

Ciel eut un geste las. Il ne voulait pas parler de cela.

— Même s'ils respiraient encore, ils étaient déjà morts.

— Mais pourquoi… ?

Ciel posa un doigt sur ses lèvres.

— Ne te méprends pas sur les battements de mon cœur, je suis déjà mort. C'est pour cela que je dois rester ici, toujours. Ce que je fais ici, ce que je veux accomplir, c'est cela qui me fait revivre.

Et sa peau était aussi glacée que ses mots. Arthur laissa le garçon passer ses bras autour de son corps et poser sa tête contre sa poitrine. Surpris sans le montrer, il rendit son étreinte de tendresse, sachant que des mots pourraient gâcher cet élan de douceur si rare.

— Tu as lu Edgar Poe ? demanda Ciel.

— Oui.

— Tu te souviens du poème…Le Corbeau?

— Oui.

— Récite-moi la dernière strophe, récite-la-moi.

Et alors que des reflets mauves et pourpres transperçaient les nuages, et que la nuit envahissait les cieux, la voix lente et profonde d'Arthur s'éleva parmi les bruissements de feuilles mortes emportées par le vent :

"Et le Corbeau, sans voleter, siège encore - siège encore

sur le buste pallide de Pallas, juste au-dessus de la porte de ma chambre,

et ses yeux ont toute la semblance des yeux d'un démon qui rêve,

et la lumière de la lampe ruisselant sur lui, projette son ombre à terre ;

et mon âme, de cette ombre qui gît flottante à terre, ne s'élèvera

jamais plus !"


Mei Rin pénétra dans la chambre du Comte Phantomhive. Les rideaux étaient tirés, les lumières éteintes. Seuls quelques chandeliers et le foyer ardent de la cheminée propageaient l'ombre immobile du majordome dans la chambre.

— Nous avons terminé de boucher les aérations, dit-elle en s'approchant de Sebastian, surprise de sa posture figée. Nous avons dû utiliser une partie du linge de maison. Les invités sont tous regroupés dans le petit salon. Que désirez-vous que nous fassions maintenant ?

Sebastian lui tendit trois encensoirs, dont le poids surprit Mei Rin, qui accrocha fermement ses doigts autour de leurs chaînes pour ne pas risquer de les lâcher.

— Demande à Finni de faire venir le Jeune Maître ainsi que M. Abberline, M. Lau, Lady Ran Mao et M. Gray. Pendant ce temps, toi et Bard commencerez à répandre l'encens à partir des ailes est et ouest en remontant vers l'aile principale. Finni vous rejoindra.

— Bien.

Mais elle ne bougeait pas, les yeux fixés sur le sol. Quelque chose la troublait depuis l'évocation du plan de ce matin. Elle ne comprenait pas pourquoi Sebastian n'avait pas demandé aux serviteurs, l'armée personnelle du Comte Phantomhive, de se joindre aux autres combattants. Elle fut sur le point de parler, mais Sebastian lui coupa la parole.

— Je sais que Finni, Bard et toi êtes doués au combat, Mei Rin. Je ne l'oublie pas. C'est pour cela que je vais te demander autre chose.

Il s'approcha de la jeune femme, dont les yeux perçants et impitoyables le regardaient fixement à travers ses grosses lunettes rondes.

— Pendant que je m'occuperai du charmeur de serpents, toi et les autres devrez chercher quelqu'un pour moi. Un tueur.

— Un autre tueur ? murmura-t-elle, un sourire malicieux sur les lèvres, et dans sa tête se dessinait déjà son plan de chasse. Une petite souris, une petite souris cachée dans le manoir et qu'il fallait attraper.

— Mais celui-ci est dangereux, continua Sebastian, d'un ton sombre et sérieux. Très dangereux. Je ne veux pas que vous l'attaquiez. Il sera plus fort que vous.

— Que devons-nous faire ? demanda la jeune femme d'une voix pleine d'assurance, froide et inflexible, que peu de gens lui connaissaient.

— Le trouver. Simplement le trouver.

— Comment pourrons-nous le reconnaître et ne pas le confondre avec l'autre ?

Sebastian sourit et ajouta lentement :

— Il portera le manteau rouge de Madame Red.

La jeune femme se raidit soudain, serrant les poings.

Le majordome continua :

— Lorsque vous saurez où il se cache, venez me chercher.

— À vos ordres, Sir.

Et la tueuse en elle se réveillait à nouveau.

Sebastian leva alors les yeux vers la porte de la chambre comme s'il attendait une intrusion que Mei Rin n'avait pas entendue. La poignée tourna doucement et Arthur entra dans la chambre.

Sebastian nota le changement de vêtement, mais ne s'en étonna pas. Il avait lui-même aidé son jeune maître à troquer son costume bleu marine contre un complet sombre. Son costume était sale et humide, mais Sebastian avait perçu un parfum de rose accroché au tissu.

Il fit un signe de tête vers Mei Rin, qui prit congé, puis il se tourna vers le jeune médecin.

— M. Conan Doyle, veuillez m'excuser, mais vous devriez être avec les autres invités dans le petit salon.

— C'est ce que stipulait votre plan, M. Sebastian. Mais avec tout le respect que je vous dois, je préfère rester avec l'inspecteur Abberline.

Sebastian sentit une onde nerveuse parcourir sa colonne vertébrale tandis qu'il regardait l'écrivain. Cependant, il sourit et s'approcha du jeune médecin :

— Je regrette, M. Doyle, dit-il d'un ton courtois mais ferme, vous êtes un invité, et je ne peux pas sciemment vous laisser vous mettre en danger dans cette affaire.

— Qu'en est-il de M. Lau et Lady Ran Mao ? répliqua Arthur.

Il crut voir passer sur le visage du majordome une expression fugace, menaçante, qui lui glaça le sang, mais rapidement, le sourire malicieux réapparut.

— Ce sont des associés particuliers du Comte Phantomhive, expliqua le majordome avec diplomatie. Nous pouvons donc faire appel à leur soutien dans certaines affaires particulières.

Arthur se posta devant Sebastian. Il frémit quand il se rendit compte que le majordome le dépassait de quelques centimètres. Mais, serrant les poings, il dit :

— Je comprends. Mais voyez-vous, j'ai été désigné comme le chef dans cette affaire, avant que vous ne reveniez. Je pense pouvoir user de cette autorité pour imposer ma position. Et ce que je désire, c'est rester avec l'inspecteur Abberline pour ramener le Comte Phantomhive dans le petit salon.

— Pourquoi désirez-vous être présent, M. Doyle ? s'enquit Sebastian. Est-ce en raison d'une inclination très forte envers mon Jeune Maître ?

— Oui, en partie.

Sebastian avait cru provoquer une gêne chez le médecin et ne s'attendait pas à une réplique si rapide et si claire. Décidément, le jeune homme avait bien changé depuis son arrivée au manoir.

— Je sais que vous désirez emmener le Comte avec vous, dit-il avec douceur tout en jaugeant Arthur. Mais cela est impossible.

— Et pourquoi donc ? s'enquit Doyle en haussant un sourcil.

— Parce que ce n'est pas ce qu'il veut. Et surtout... ajouta-t-il avec un sourire en inclinant doucement la tête de côté d'un air joueur, ...je ne vous laisserai jamais l'emmener.

— Je l'aime.

Sebastian eut un sursaut devant cette déclaration. S'il n'appréciait pas la résonance de cette simple phrase, il ne put pourtant s'empêcher de la trouver ridicule.

Appliquant son doigt plié contre ses lèvres, il ricana mesquinement.

— Ah, l'amour... Cela résume tellement de choses chez vous, Arthur. Mais je crains que vous ne soyez mal tombé. Car voyez-vous, dans ce manoir, vous ne trouverez ici que peu de personnes qui comprennent cette passion. Pour être honnête, je ne sais pas ce qu'est l'amour. Et malheureusement pour vous, le Comte n'y entend rien non plus.

Mais Arthur ne semblait pas troublé.

— Bien. Vous me dites que mes sentiments pour Ciel Phantomhive ne seront jamais réciproques et que vous et lui êtes des êtres dépourvus de toute compassion humaine. Soit. Je peux l'accepter. Mais je désire tout de même rester avec l'inspecteur Abberline.

— Pourquoi vous mettre en danger alors que vous pourriez attendre patiemment la fin de cette histoire et profiter de la première calèche demain matin pour retrouver votre femme et votre enfant ?

— Pourquoi ? Oh, c'est très simple. Je ne vous fais pas confiance. Ni vous, ni le Comte. Et l'inspecteur Abberline partage ce sentiment. C'est pourquoi je refuse de vous laisser m'éloigner. Je resterai donc au cœur de l'action, avec ou sans votre accord.

Arthur attendit un instant que le majordome réplique, ce qu'il ne fit pas, se contentant de regarder froidement le jeune homme. Satisfait, Doyle s'éloigna doucement, observant le visage impassible du serviteur alors qu'il se dirigeait vers la porte.

— Et puis, réfléchissez, M. Sebastian, peut-être aurez-vous besoin de l'aide d'Abberline ou de la mienne...

Sebastian leva un sourcil, semblant ne pas comprendre.

— Besoin d'aide ? répéta-t-il, l'œil sombre.

— Oui, après tout, vous avez lamentablement échoué "cette nuit-là". Il serait dommage qu'il parvienne à vous tuer cette fois.

Une lueur sombre passa dans les yeux de Sebastian, mais il ne répondit pas. Arthur eut presque envie de rire devant les efforts que produisait cet homme parfait pour contenir sa colère. Après lui avoir décoché un dernier sourire espiègle dont il commençait à avoir le secret, il s'apprêta à sortir quand Sebastian l'interpella.

— Excusez-moi, monsieur Wordsmith, mais il semble que vous ayez une tache sur votre vêtement.

— Une tache ? C'est sans doute de l'encre, répondit Arthur, lascivement.

— Non, insista Sebastian. C'est au niveau de votre poitrine.

Il fit un signe courtois à l'écrivain pour lui demander de s'approcher, à la lueur du chandelier.

— Permettez, je vous prie.

L'œil méfiant, Arthur ignora pourtant la douce voix dans son crâne qui lui murmurait de sortir, et rassemblant tout son courage et son orgueil, il s'approcha du majordome.

Sebastian posa délicatement sa main gantée sur son torse. Arthur cessa de respirer, mais le serviteur gradé se contenta de gratter et tapoter son index sur la chemise de l'écrivain au niveau du cœur.

— Non, ce n'est rien, dit-il enfin, un reflet sans doute.

Arthur expira doucement. Et alors qu'il se détendait, le majordome tapota une nouvelle fois son torse.

Mais lorsque le bout du doigt se posa sur son cœur, une douleur atroce envahit sa poitrine, comme s'il avait reçu un bloc de marbre de plein fouet dans le torse, avec une force effroyable. Un instant, il crut que ses côtes avaient explosé en transperçant son cœur de mille pointes aiguisées.

Le souffle coupé, la voix éteinte, Arthur tomba à genoux, une main au sol et l'autre crispée sur sa poitrine. Du sang tomba sur le parquet, coulant de son nez en giclées sombres.

À genoux, il aperçut la pointe des chaussures noires du majordome. Luttant contre la douleur, il leva un instant les yeux vers l'homme qui le regardait avec mépris, tout en ôtant un de ses gants.

— Veuillez me pardonner, monsieur Doyle, mais... vous m'amusez de moins en moins.

Sebastian mit un genou à terre et se pencha vers lui. Arthur sentit qu'on passait une main dans ses cheveux, une main inconnue aux ongles longs, aussi longs que des griffes. Un visage trouble s'approcha à quelques centimètres du sien, mais Arthur ne reconnut pas les traits du majordome, ni ces yeux rougeâtres, ni ces dents félines, ni cette voix si profonde qui résonna dans sa tête.

— Considérez cela comme un avertissement :Ciel Phantomhive est à moi.

Les mots soufflés résonnaient à ses oreilles et la pièce se mit à tourner. Engourdi malgré la douleur qui s'atténuait, il se sentit nauséeux et crut qu'il allait s'évanouir. Mais qu'est-ce qui tombait si doucement à terre ? Des plumes noires ?

Sebastian se releva soudain. Un bruit de pas se fit entendre et la porte s'ouvrit pour laisser entrer le Comte Phantomhive, suivi d'Abberline et de Finni. Le garçon stoppa net à l'entrée de la chambre.

— Qu'est-ce que... murmura Ciel en apercevant l'écrivain à terre et son sang qui tachait la moquette.

— Ce n'est rien, dit Sebastian, un large sourire sur ses lèvres. M. Doyle a eu une faiblesse cardiaque, le stress sans doute. Un verre de brandy et il devrait se sentir mieux. Finni, peux-tu l'apporter ?

— Bien sûr ! dit le jeune garçon avant de disparaître dans le couloir.

— Monsieur Abberline, aidez-moi à le relever et à l'asseoir sur le lit, je vous prie, la douleur doit être passée à présent.

Arthur respirait à nouveau normalement, même si chaque battement de cœur était encore douloureux. Il repoussa les mains qui tentaient de le relever et se mit debout, essuyant le sang sur son visage avec sa manche.

Après quelques pas mal assurés, il leva les yeux vers le Comte. Mais celui-ci ne le regardait pas. Son regard impassible fixait son majordome, comme toujours. Mêlant le sang aux taches d'encre qui mouchetaient sa chemise, il se dirigea vers la porte de la chambre.

— Tu as besoin que je te raccompagne dans le petit salon, Arthur ? demanda Abberline en le suivant, les mains tendues au cas où son ami trébuche.

— Inutile, articula-t-il, le goût de son sang encore vivace dans sa bouche, coulant dans sa gorge. J'attendrai avec les autres dans le couloir… comme convenu.

Ciel Phantomhive était assis sur son lit dans la chambre principale presque plongée dans le noir. Il ne portait que sa chemise de nuit, car des vêtements trop lourds auraient pu compromettre son odeur et faire échouer le plan. D'abord rebuté par l'idée de se montrer ainsi, il avait cédé aux exigences de son démon. Maintenant, il observait l'attroupement de personnes qui chuchotaient tandis que lui-même écoutait les dernières recommandations de son majordome. Chaque mot entrait dans son cerveau et ricochait dans son crâne : « Restez immobile », « contrôlez votre respiration », « restez calme ».

Alors que Sebastian assemblait le pungi, il lança un regard vers les deux hommes assis sur le canapé de ses appartements privés. Il tentait de lire sur leurs lèvres puisqu'il ne pouvait les entendre.

— Tu es cardiaque ? demanda Abberline.

— Non.

— Alors, qu'est-ce qui s'est passé ?

— J'ai eu soudain une très violente arythmie cardiaque, expliqua platement Arthur, en vidant d'un trait le reste du brandy qu'on lui avait apporté. C'est-à-dire que mon cœur ne battait plus à un rythme normal et régulier.

— Et c'est un mal qui survient souvent ? demanda Abberline, qui ne versait pas dans la médecine.

— Non ! s'énerva Arthur. Non, Frederick, ça n'arrive pas « souvent ». Les arythmies n'arrivent pas brusquement. C'est impossible !

— Mais alors ? commença Abberline, déconcerté.

— Alors, je n'en sais rien ! le coupa-t-il. Il passa la main sur son front, essuyant la sueur froide. Il m'a tapoté la poitrine. Du bout du doigt.

Il leva son index vers Abberline. Puis il se mit à rire nerveusement.

— Je deviens dingue. Bon Dieu, j'ai cru que mon cœur allait éclater.

Et ses mains recommençaient à trembler. Il croisa les doigts pour cacher sa faiblesse.

Était-il fou, au final ? Qu'avait-il vu penché sur lui dans sa douleur ? Ce n'était pas Sebastian ! C'était autre chose… une ombre maléfique, dangereuse.

Il aurait dû attraper une de ces plumes ! Il aurait su si tout cela avait été un rêve. Une de ces maudites plumes noires…

Une tristesse soudaine étreignit son cœur déjà souffrant.

— Tu pourrais laisser tomber, Arthur.

— Non, répondit Conan Doyle, secouant la tête. Il faut que je comprenne. Si je pars maintenant, sans savoir, je me demanderai toujours si j'ai ou non imaginé toutes ces choses. Je ne le fais pas seulement par curiosité ou désir de justice. Je veux savoir si j'ai raison ou si… si je dois rejoindre mon père à l'asile psychiatrique de Montrose.

— Alors, que fait-on maintenant ?

Arthur se mordilla la lèvre. Il leva les yeux, croisa le regard de Ciel, et il aperçut l'ombre de son majordome à ses côtés. Instinctivement, il porta la main à son cœur meurtri alors que des mots dansaient dans sa tête.

Et le Corbeau, sans voleter, siège encore – siège encore…

— Maintenant, murmura-t-il, on attend… le bon moment.

— Messieurs, Madame, dit soudain Sebastian, en se plaçant au centre de la pièce, tenant un chandelier dans sa main gantée. Tout est prêt. Ça commence. Je vous demanderai donc d'attendre dehors. Sans bruit.

La pièce se vida lentement dans le silence. Avant de fermer la porte, Arthur se tourna une dernière fois vers les deux hommes qui restaient immobiles dans la chambre. Ciel était sur son lit, ne portant que sa chemise fine. À ses côtés, les yeux luisants perdus dans le vide obscur, Sebastian tenait toujours le chandelier d'argent. Et son ombre recouvrait la frêle forme du Comte.

Détournant les yeux, Arthur ferma la porte sur eux. Il ne sut pas pourquoi il tremblait.

… Et ses yeux ont toute la semblance des yeux d'un démon qui rêve,

Et la lumière de la lampe ruisselant sur lui, projette son ombre à terre ;

Et mon âme, de cette ombre qui gît flottante à terre, ne s'élèvera

— Jamais plus !

Fin du Chapitre 7


Notes d'Autrice :

Le chapitre s'intitule « La pré-finale Tour et Cavalier », encore et toujours une allusion aux échecs et aux stratégies de ce jeu. La pré-finale Tour et Cavalier est généralement la tactique utilisée aux échecs contre le duo d'adversaire Tour et Fou en fin de partie.

Il y aura une partie d'avantage Ciel/Sebastian dans le prochain chapitre.
J'espère que vous avez apprécié ce chapitre, j'ai pris du temps pour essayer de créer un plan plausible et le rendre un peu… logique ? Du moins j'ai essayé !

Le Corbeau d'Edgar Poe : Chapitre 14, page 2, on apprend que Ciel lit le Corbeau d'Edgar Poe et que cela lui donne des cauchemars. Il va même jusqu'à sortir une arme et la pointe sur le front de Sebastian quand celui-ci le réveille.

On voit même une partie du visage de Sebastian et il y a écrit « NEVERMORE »… comme les paroles du corbeau.

Je pense donc que Ciel fait une association entre le Corbeau d'Edgar Allan Poe et Sebastian Michaelis.

Si vous n'avez jamais lui ce poème, faites-le s'il vous plait ! Et lentement et dans le noir, vous ne serez pas déçu. C'est à s'arracher le cœur ! Bien sûr je suis une fanatique des œuvres de Poe donc je fais un peu sa promotion… mais Yana Toboso le fait aussi !

Si Baudelaire était le traducteur officiel d'Edgar Allan Poe, pour le Corbeau, la version française de Stéphane Mallarmé est vraiment la plus belle.

And the raven, never flitting, still is sitting, still is sitting On the pallid bust of Pallas just above my chamber door;
And his eyes have all the seeming of a demon's that is dreaming,
And the lamp-light o'er him streaming throws his shadow on the floor; And my soul from out that shadow that lies floating on the floor
Shall be lifted - nevermore!

Chapitre 49, page 42, Sebastian fait remarquer à Ciel, que celui-ci aime beaucoup l'histoire d'Arthur et qu'il a lu et relu le magazine « Beeton's Christmas Annual », dans laquelle elle a été publiée, un grand nombre de fois sans le jeter. Dans la première partie du chapitre, j'ai voulu montrer à quel point il la connaissait, et ainsi montrer qu'Arthur est un individu que Ciel estime… un peu ? Du moins plus que les autres humains qui l'entourent.

Le pungi, flûte indienne ou népalaise, est l'instrument utilisé par les charmeurs de serpent. Sachez que les serpents sont sourds. Ils ne sont pas hypnotisés par la musique mais par les vibrations dans la caisse de résonnance de l'instrument et par les mouvements de la flûte.

Bakhor Thany, est un encens indien ou plutôt un parfum très fort, mais qui peut être utilisé comme encens. C'est un mélange à base de résine d'encens et d'huile d'encens et de musc.