Musique d'écriture : A Princess - Pan's Labyrinth OST - Javier Navarrete
Chapitre 10 : Mat avec un Cavalier et un Fou ou la « Méthode du Triangle »
Devant la chambre du Manoir des Phantomhives
Arthur tenait toujours le revolver contre sa poitrine, enserrant ses doigts sur le métal froid, plongeant ses yeux dans l'éclat bleu de l'œil de Ciel. Le garçon tremblait, il le sentait. Lui aussi avait peur, mais il était trop tard. Il ne renoncerait pas. Alors que sa vie était en balance dans ce couloir obscur, il se rendit compte que son destin avait été scellé depuis longtemps. À la minute où Ciel était apparu en haut de ce grand escalier à son arrivée dans le manoir, le chemin de son existence avait pris un détour des plus mystérieux et des plus funestes. Il ne regrettait rien.
Les battements de son cœur résonnaient dans le canon de l'arme et se faisaient écho dans les doigts du garçon qui tenait le pistolet, seul lien qui leur était accordé à présent. La lèvre inférieure du garçon frémit et son souffle se coupa quand son index s'appuya sur la détente.
Soudain, un cri retentit dans l'ombre, se répercutant contre les murs en un écho sinistre. Ciel sursauta, déviant légèrement le canon de l'arme.
— Qu'est-ce que…?
D'un geste vif du bras, Arthur profita de ce moment d'inattention pour attraper l'arme de ses doigts. Mais le coup partit.
Le bruit assourdissant de l'arme se répercuta dans l'ombre et la balle alla se loger dans le mur. Tenant toujours le canon brûlant dans sa main droite, Arthur tâta sa poitrine de la gauche d'une main fébrile. Non, il n'était pas blessé.
Conscient de sa tentative de meurtre échouée, le jeune homme tendit brusquement la main vers le revolver et Arthur le gifla, assez violemment pour le projeter contre le mur. Sous le choc, Ciel s'assit à terre, glissant contre le mur. Sa lèvre s'était déchirée et un filet de sang coulait le long de son menton. Il porta ses doigts à sa bouche et parut surpris du liquide rouge qui colorait sa peau. Il leva les yeux vers l'écrivain qui le scrutait tristement.
— Pardonne-moi, murmura Arthur en regardant le Comte qu'il avait blessé.
Il le dépassa, entrant dans la chambre, serrant l'arme contre sa cuisse.
— Le cri venait d'au-dessus ! Du toit ! dit Arthur, autant pour Ciel que pour lui, en se précipitant vers la fenêtre de la chambre du Comte.
Il en découvrit les lourds rideaux de velours et ouvrit brusquement la vitre. Le vent soufflait, l'humidité emplissait l'air alors que de gros nuages sombres bombaient encore le ciel de nuit. Rien ne se faisait entendre, si ce n'était le grincement des branches qui s'entrechoquaient, emportées par les bourrasques.
Le revolver à la main, il se pencha sur le rebord et leva les yeux vers le toit.
Plus rien, aucun son.
Il attendit un instant, scrutant les murs extérieurs et la voûte, et il lui sembla apercevoir de la lumière filtrer à travers une des fenêtres du deuxième étage.
Il poussa soudain un faible râle quand un épais liquide goutta sur son visage et il rentra la tête. Il porta la main à son front, l'essuya, puis il regarda ses doigts.
— L'orage recommence ? demanda froidement Ciel, qui ne désirait pas s'approcher, sa lèvre fendue ne saignait presque plus.
— Non, ce n'est pas de l'eau de pluie.
Arthur se tourna, un trait cramoisi coulait le long de son visage et tachait sa main.
— C'est du sang.
— Quoi ? souffla Ciel, reculant.
— Il y a du sang qui coule du toit.
Le garçon se mit à trembler. Sa blessure à la lèvre le brûlait, mais il ne pouvait y penser. Il regarda Arthur fermer la fenêtre avec soin, tout en s'essuyant maladroitement le visage avec le dos de sa main.
— Mais comment ? bredouilla Ciel. Il n'y a pas eu… je n'ai pas entendu…
— Entendu quoi ? dit Arthur en glissant le pistolet dans sa propre ceinture, tout en regardant furtivement à travers la vitre. Son cerveau bouillonnait.
— Le bruit de la faux ! s'écria Ciel. Le bourdonnement de la scie. Si c'était lui, j'aurais entendu ce bruit !
Arthur abandonna la fenêtre, et s'approcha de lui, visiblement troublé par la frayeur du Comte.
— Calme-toi, Ciel, dit-il en tendant les mains vers le jeune homme.
— Ne me touche pas ! s'écria Ciel, refusant qu'Arthur le touche. C'est peut-être le sang de Sebastian. Ne me touche pas !
Arthur chercha rapidement dans ses poches un mouchoir pour s'essuyer le visage et les mains, puis il s'approcha du garçon.
Le comte était secoué de sursauts, tout son corps tremblait. Il tenait ses mains devant lui, paumes tournées vers sa poitrine. Il semblait vouloir se calmer, mais ne parvenait qu'à tressaillir davantage.
— Je ne peux pas revivre cela une seconde fois, souffla-t-il. Je ne peux pas l'avoir perdu.
Il sembla défaillir, et le jeune homme se précipita pour l'empêcher de tomber, passant ses mains sous ses bras pour le tenir debout. Doucement, Ciel parut retrouver une respiration régulière, bien que rapide.
Arthur se souvenait de Ciel, le jour où il avait découvert le corps de Sebastian, et du désespoir qui avait recouvert le garçon durant l'absence de son majordome. Tout avait commencé à ce moment précis, c'était à cet instant que la vie d'Arthur avait basculé : alors que Ciel s'était mué en un ange brisé qui serrait dans ses mains son cavalier noir pour pouvoir s'endormir. Son cavalier noir, c'était Sebastian.
Malgré le dégoût que lui inspiraient ces paroles, il murmura :
— Je suis sûr qu'il va bien.
À ces mots, Ciel le repoussa, comme écœuré par le contact de sa peau.
— Ne parle pas de ce dont tu ne sais rien ! cria-t-il malgré les frissons qui parcouraient encore son corps. Je n'ai pas le luxe de m'inquiéter pour lui. Mais sache que s'il est réellement blessé ou bien… si cette "chose" a gagné, je suis condamné ! Alors, tais-toi, je t'en prie, tais-toi. Tu ne sais pas ce que je suis en train de perdre !
Un bruit de pas se fit entendre dans le couloir, se rapprochant de la chambre. Arthur brandit l'arme vers la porte, prêt à abattre l'intrus, quand il reconnut Finni :
— Monsieur le Comte ! s'écria le jeune garçon. On a besoin d'aide ! Monsieur Wordsmith, vous êtes médecin, n'est-ce pas ?
— Qui est blessé, Finni ? demanda Arthur, tout en sentant Ciel se raidir à ses côtés et refermer ses poings, cherchant un courage qu'il parvenait à peine à préserver.
— C'est Mei Rin ! souffla le serviteur.
Ils montèrent en courant les escaliers jusqu'au deuxième étage, où ils découvrirent Mei Rin, inconsciente, allongée dans les bras de Bard, qui avait retiré son tablier et l'appuyait avec force sur le ventre de la jeune femme.
Même s'il se sentait ému, Ciel ne put s'empêcher de soupirer de soulagement devant sa servante blessée. Ce n'était pas le sang de Sebastian qui ruisselait sur la corniche.
— Que s'est-il passé ? demanda Arthur, en s'agenouillant à côté de la bonne, retirant le tissu taché de sang qui couvrait la blessure.
— Elle m'a appelé du toit, répondit Bard, visiblement choqué. Elle m'a dit qu'ilétait là, que je devais aller chercher Sebastian, puis je l'ai entendue crier. Je l'ai appelée et appelée, mais elle ne m'a pas répondu. Puis je l'ai aperçue au bord du toit, je l'ai aidée à descendre et je l'ai ramenée à l'intérieur par la fenêtre. C'est là qu'elle a perdu connaissance. Quelqu'un l'a attaquée…
— Ciel, tiens-moi la lampe de ce côté, dit Arthur qui tentait de regarder la profondeur de la plaie. Un peu plus haut. Avec quoi a-t-elle été blessée ?
— Avec ça, répondit Bard en indiquant des petits ciseaux tachés de sang qui trônaient sur le parquet. Ils sont tombés tout seuls de la plaie. Elle n'est pas profonde, pourtant elle ne cesse de saigner, et je n'ai jamais vu un sang aussi foncé, jamais ! Pourtant j'ai côtoyé beaucoup de blessés…
L'ancien militaire continuait de parler, mais Arthur ne l'écoutait plus. Le médecin se concentrait sur la blessure, l'essuyant à l'aide du tablier pour juger de la profondeur, de la largeur et des lésions apparentes. Bard avait raison, elle n'était pas profonde, presque superficielle, pourtant un épais sang pourpre s'en échappait par coulées sombres.
— C'est impossible, murmura Arthur. Il y a beaucoup trop de sang.
— Il ne faudrait pas la recoudre ? demanda Finni.
— Cela ne servirait à rien, elle perd trop de sang, des sutures ne pourraient arrêter la perte. Bon sang, je ne comprends rien, cela ressemble à une hémorragie sérieuse, mais aucune veine n'a pu être touchée à cette profondeur !
Soudain, la jeune femme revint à elle, lapant l'air. D'abord désorientée, elle reconnut Arthur, penché au-dessus d'elle.
— Il faut brûler, articula-t-elle. Il a dit que le sang s'arrêterait si vous brûliez la plaie !
— La cautériser, murmura Arthur. Mais qui vous a dit cela ?
— Ce qui m'a attaquée, ce type aux cheveux rouges.
Ciel se tourna vers Finni :
— Va vite chercher un tisonnier dans l'une des chambres !
— Tu veux que je fasse ce qu'il a demandé ? demanda Arthur, interloqué.
— Tu l'as dit toi-même, répondit le garçon. Cette blessure est étrange.
— Pourquoi vous a-t-il dit comment soigner votre blessure ? demanda le médecin qui ne comprenait pas la logique d'un meurtrier qui désire sauver sa victime.
— Il a dit qu'il ne devait pas me tuer, parvint-elle à dire. Car sinon il serait puni. Il n'a pas le droit de prendre des âmes qui ne sont pas sur la liste.
— Sur la liste ? s'enquit Arthur en levant les yeux vers Ciel qui restait impassible. Quelle liste ?
— Je ne sais pas, répondit faiblement la jeune femme. Il m'a dit que cela m'apprendra à me mêler de mes affaires.
Le garçon revint avec le tisonnier et le tendit à Arthur. Ciel ouvrit le verre de la lampe-tempête. Le médecin plongea le fer dans la flamme, tandis que Bard enroulait un foulard qu'il plaça ensuite entre les dents de la jeune fille.
— Mord là-dedans, Mei Rin, ça aide.
Finni attrapa les bras de la jeune femme et les maintint au sol, alors qu'Arthur sortait le tisonnier de la flamme, l'approchant de son ventre.
— Courage, murmura le médecin.
Il abattit la lame fumante sur la blessure. Malgré lui, Ciel détourna les yeux, se contentant d'écouter les cris étouffés. Une odeur de chair cuite se propagea dans l'air, et un sifflement léger se fit entendre. Ce fut rapidement fini. Quand le Comte reposa les yeux sur la jeune femme, celle-ci semblait calme, somnolente.
— La blessure ne saigne plus, constata Arthur, tout en secouant la tête devant ce mystère médical. Emmenez-la dans une des chambres et portez-lui de l'eau froide et des chiffons pour calmer la douleur de la brûlure, rien de plus, vous m'entendez ?
— Oui, monsieur, répondirent les serviteurs.
Alors qu'Arthur se relevait, la jeune femme l'attrapa par la manche. L'attirant à lui, elle murmura :
— J'ai… j'ai cru voir défiler quelque chose devant mes yeux…
— Quoi donc, Mei Rin ?
— Ma vie…
La jeune femme perdit connaissance. Finni lâcha ses bras. Ses larmes coulaient sur ses joues, tombant sur le visage de son amie. Bard passa les mains sous son corps et la souleva.
Un vrombissement épouvantable retentit soudain, et instinctivement Ciel s'éloigna des fenêtres, suivi d'Arthur, effrayé.
— Qu'est-ce que ce bruit ? s'écria Bard, qui portait Mei Rin dans ses bras.
— Obéissez aux ordres et emmenez-la dans une des chambres, intervint Ciel avec sévérité. Restez avec elle et n'en sortez pas !
Les serviteurs acquiescèrent et traversèrent le couloir à grandes foulées, laissant leur maître et le jeune médecin dans l'ombre.
— Ça commence, murmura le garçon. Il est là tout proche.
Il attrapa la lampe et éclaira le parquet, scrutant la large tâche cramoisie, et ses yeux se posèrent sur les ciseaux ensanglantés encore frais.
— Garde le pistolet, dit-il à Arthur en les ramassant. Une petite faux de la mort, c'est mieux que pas de faux du tout.
— Une faux? souffla Arthur.
— Maintenant, nous n'avons plus le choix, dit Ciel en esquissant un sourire triste, alors qu'il glissait sa nouvelle arme dans sa ceinture. Tu voulais te rendre utile ? Alors, prépare-toi à affronter un Dieu de la Mort.
Charles Gray et Ran Mao traînèrent Snake par les bras jusqu'à la cave. Arrivés dans les sous-sols, ils le déposèrent sur les pavés, près des tonneaux de vin.
— Avec l'odeur de serpent qui traîne sur lui, il ne risque pas d'être attaqué par les rats, dit Charles Gray avec dédain en abandonnant son prisonnier sur le sol. Il enroula la lourde chaîne autour d'une colonne de pierre et attacha les menottes autour des poignets du suspect. — Il ne pourra pas s'enfuir.
Il se redressa, jaugeant avec mépris l'homme qu'il avait attaché.
— Je m'en souviendrai de cette saleté de fête chez les Phantomhives, cracha-t-il avant d'asséner un violent coup de pied dans les côtes de Snake, dont le gémissement fut étouffé par le bandeau qui lui couvrait les lèvres. — Je rejoins les autres invités, j'espère qu'on nous a servi le thé au moins !
Et il sortit de la cave, laissant l'homme d'affaires chinois et sa compagne seuls avec l'homme-serpent. Quand la lourde porte de bois se referma sur eux, Lau fit signe à Ran Mao de rester près de l'entrée et d'en surveiller l'accès. Il attendit que la jeune femme revienne pour lui assurer qu'il ne serait pas dérangé.
S'approchant de Snake, qui le scrutait d'un regard mêlé de haine et d'appréhension, il sortit une longue aiguille de sa manche et s'agenouilla près du garçon.
— Elle est empoisonnée, murmura le Chinois en approchant la pointe du jeune homme, qui tenta de se reculer, effrayé. Je suis désolé, mais… je vais devoir percer ta langue avec cette aiguille.
Ran Mao entoura le garçon de ses bras, dans une étreinte de fer, et Lau retira le bandeau. Au moment où Snake voulut protester, le Chinois exécuta un geste d'une rapidité surnaturelle et piqua la langue du garçon. Une douleur aiguë emplit sa bouche alors que le poison pénétrait dans le muscle, infectant l'artère. Son sang bouillonnait.
— Le poison la fera gonfler, assez pour t'empêcher de parler, expliqua Lau, ses lèvres à quelques centimètres du garçon, qui ne pouvait retenir les larmes coulant sur son visage ravagé. Si elle gonfle davantage, le poison risque d'atteindre ta gorge et là… tu mourras étouffé. Mais cela devrait prendre au moins 24 heures, juste assez de temps pour que la Reine te voie et que tu endosses la responsabilité des crimes que tu as commis…
Snake secoua frénétiquement la tête, écarquillant les yeux, gémissant malgré la douleur qui emplissait sa bouche. Un goût de sang insupportable enflammait sa gorge.
— Ne te fatigue pas, chuchota Lau en passant ses doigts dans les cheveux du jeune homme. Je sais que tu n'es pas coupable de tous les crimes dont on t'accuse. Mais si le Comte Phantomhive veut faire de toi le bouc émissaire de cette affaire, tu dois accepter ton destin. Tu es condamné. Tu vois, la pitié ne fait pas partie de ses qualités.
Il essuya les larmes du jeune homme.
— Ce n'est pas non plus une des miennes.
Il se releva, faisant signe à Ran Mao de le suivre.
— Bon, nous ferions mieux de nous mettre à l'abri. Bonne nuit.
Ran Mao frappa violemment la nuque de Snake de la tranche de sa main, et le garçon s'évanouit sur le sol de pierre glacé.
Sebastian avait entendu la plainte de Mei Rin lorsqu'elle avait été blessée par Grell. Il s'était alors précipité sur le toit du manoir. C'est là qu'il avait aperçu la servante se traîner péniblement vers la gouttière, mêlant son sang à l'eau de pluie que drainaient encore les canaux du toit. Bard avait rapidement récupéré la jeune fille.
Mais lui, où était-il ?
Il courut sur le toit, silencieux et prudent, jusqu'à atteindre le centre de la toiture. Il piétina le sang de Mei Rin de ses chaussures, retraçant le chemin qu'avait parcouru la jeune femme. Il humait l'air humide, cherchant les signes d'une odeur inconnue, immortelle, qui n'appartenait pas au domaine. Mais rien, le silence.
— C'est moi que tu cherches ?
Le grondement de la faux de la mort se fit alors entendre, et Sebastian sauta sur la droite juste avant que la scie ne s'abatte sur lui, le ratant de peu. Des mèches sombres de ses cheveux tombèrent à terre. Bandant les poings devant lui, il fit face à son attaquant.
Le shinigami de son souvenir macabre se dressait devant lui, dans son splendide manteau rouge.
— Ne te l'ai-je pas déjà dit, mon petit Sebastian ? ronronna Grell en observant le démon. Je préfère chasser qu'être chassé !
— Je vois que tu as ressorti ton jouet favori ? demanda le démon sans humour, préparé au combat.
— Et cette fois, j'ai rempli le formulaire d'autorisation ! grinça le dieu de la mort avant de fondre sur sa proie.
Sebastian exécuta un flip arrière, évitant la lame, battant de droite à gauche sous les attaques du dieu de la mort.
— Oh oui, fuis devant moi, mon beau démon, j'adore lorsque tu te fais désirer.
Une nouvelle attaque effleura le démon.
— Je suis désolé de t'avoir attaqué par surprise l'autre nuit. Mais j'étais en mission et le temps me manquait. J'espérais que tu survivrais pour m'offrir une bataille des plus excitantes.
Sebastian sauta derrière une cheminée que Grell détruisit d'un seul coup de faux.
— Mais j'ai pu te maquiller à ma guise ce soir-là, te parer du rouge le plus éclatant, le rouge de ton propre sang !
Un nouveau coup, et Sebastian faillit perdre son bras. Le démon serrait les dents, soufflait sous l'effort. À nouveau, il était en position de défense, cherchant la moindre faille qui lui permettrait de mettre son attaquant en déroute. Mais celle-ci ne venait pas. Car lorsque Grell avait sa faux en main, il avait l'avantage. Et le shinigami le savait, redoublant de vitesse et de force dans ses parades, assenant coup sur coup sur le démon, l'obligeant à reculer. La pluie se mettait à tomber à présent, trempant les adversaires, rendant le sol glissant.
— Il semble que mon ami ait échoué, n'est-ce pas ? s'enquit Grell, qui ne semblait pas souffrir du combat qu'il menait largement en vainqueur. Tu as organisé tout un plan pour épargner à ton maître la morsure des serpents.
Le démon se retrouva bloqué contre une cheminée de pierre et Grell asséna un violent coup de faux. Sebastian enserra la lame entre ses mains avant que celle-ci ne lui déchire le visage. Le shinigami appuya sur l'arme, poussa à deux mains la faux à quelques centimètres de la peau du démon.
— Mais peu importe, murmura amoureusement le dieu de la mort, jouissant de la proximité que lui offrait cette attaque sur le majordome acculé. Je vais te tuer, et même si je n'y parviens pas, je découperai le corps de ton jeune maître.
Sebastian tressaillit tandis que la peur envahissait son corps. Où était Ciel ? Ses battements de cœur étaient proches, beaucoup trop proches. Il les entendait, les ressentait au plus profond de son être, plus encore que les crissements de la faux entre ses mains.
— Tu le sais, continua Grell avec douceur. Il est si faible. Je n'aime que les hommes, les vrais, les morveux m'exaspèrent. Et ton Ciel plus que tous.
Il appuya la lame avec plus de force, et Sebastian dut pencher la tête sur le côté pour éviter la scie menaçante. La faux entailla l'uniforme au niveau de l'épaule, déchirant le tissu.
— Je l'éventrerai, grinçait Grell, tressaillant de plaisir. Je dépècerai sa peau et ravagerai sa beauté. Puis je faucherai l'âme que tu désires tant.
Son visage devint fou, son sourire énorme et sinistre.
— Mais avant de mourir, montre-moi tous tes secrets, mon beau démon !
Et dans un mouvement brutal, il arracha la faux des mains du démon, surpris. Puis il entama un cercle complet de la lame vers l'arrière et éventra le majordome de bas en haut, en une entaille profonde et mortelle, le projetant dans les airs dans un flot de sang qui s'échappait de sa plaie béante et de sa bouche.
Blessé, il tomba du toit. Et alors qu'il chutait vers le sol, un éclair de lumière s'échappa de sa poitrine ouverte et la lanterne cinématographique s'éleva dans le ciel.
Debout devant la vitre du deuxième étage, Ciel regarda le corps sans vie de Sebastian tomber lentement, comme si le temps s'était arrêté, alors que son destin — et plus étrangement son cœur — se brisaient sous ses yeux.
Il aperçut avec horreur la large blessure qui coupait pratiquement le corps du majordome en deux. Mué d'effroi, Ciel regardait le démon tandis que celui-ci s'écrasait contre le sol.
Le garçon se précipita à la fenêtre, inconscient du danger pourtant si proche, et se penchant de tout son long, tombant presque du rebord glissant et recouvert d'eau de pluie.
Affolé devant l'image de son démon immobile, allongé sur le sol boueux tapissé de feuilles visqueuses, il s'apprêta à crier son nom, quand la lanterne s'échappa de la poitrine ensanglantée et s'ouvrit devant lui, l'éblouissant tellement qu'il dut détourner les yeux.
— Son âme n'a rien d'exceptionnel, dit une voix.
Le garçon reconnut la voix d'un des shinigamis. Malgré la lumière vive qui lui brûlait les pupilles, il se tourna vers les images qui s'étendaient sur les pellicules volant dans la nuit sombre.
C'était bien William T. Spears qui s'entretenait avec Sebastian devant les tentes du cirque et regardait Ciel, qui venait d'apparaître, avec dédain.
L'image changea soudain. Cette fois, la scène se passait dans l'une des salles de son manoir, la pièce dont Sebastian se servait comme bureau. Undertaker était assis près d'une petite table où fumait un thé brûlant. La voix du croque-mort était grave, mais amusée.
— J'ai rencontré d'autres personnes comme vous, durant mes missions. Il est plutôt rare que les démons montrent une inclination, quelle qu'elle soit, pour un humain. Et d'ailleurs, je crois que je n'ai jamais vu cela auparavant.
Une autre image encore, Undertaker à nouveau, debout dans son atelier macabre, gigotant dans sa robe noire bouffante, trop grande pour lui.
— Dites-moi, Sebastian, demandait le sombre personnage, intrigué. Savez-vous donc quelle est cette sensation suave, presque douloureuse, que vous ressentez dans le gouffre de votre poitrine, lorsque vous regardez Ciel Phantomhive ?
— Non, répondit le majordome, impassible.
Et le croque-mort éclata de rire, se tenant les côtes.
— Je m'en doutais ! gloussait-il, des larmes de folle hilarité coulant sur ses joues blafardes.
Mais la lanterne vacilla, et les images devinrent floues et disparurent un instant. Ciel reposa les yeux sur son démon, qui gigotait sur la terre boueuse, portant les deux mains sur la coupure atroce pour entraver le flot d'images qui s'échappait de sa profonde blessure.
Ciel se mit à trembler, sa respiration devenait haletante, sifflante et douloureuse. Il se pencha davantage, mais un homme sauta du toit et atterrit aux côtés du démon.
Rentrant la tête, effrayé, le garçon reconnut l'invité impromptu, éclatant et sordide, sorti immaculé de ses cauchemars et de son souvenir, dans ce manteau écarlate que Madame Red portait si fièrement avant qu'il ne le vole de son cadavre encore chaud. La lame de la faux meurtrière brillait à ses côtés. Son cœur perdit un battement, et il crispa sa main sur sa poitrine, qui se serrait.
Le shinigami leva son arme et l'abattit sans l'allumer sur le majordome, qui tentait de couvrir sa poitrine, retenant ses souvenirs.
— Oh non, mon beau démon, cette fois, tu me montreras TOUT ! grinça-t-il en déchirant les bras du démon, les entaillant de fines plaies douloureuses. Puis, dans un rire perçant et cruel, il écrasa son talon pointu dans la blessure mortelle du majordome, enfonçant son pied dans sa poitrine.
Sebastian fut sur le point de crier, mais sa voix fut étouffée par les goulées de sang qui s'échappèrent de ses lèvres. Le majordome lâcha prise, ses bras se reposant faiblement le long de son corps.
Horrifié, bouleversé, Ciel hurla. Arthur se précipita sur lui, couvrant sa bouche de sa main, avant de le ramener à l'intérieur, l'écartant de la fenêtre. Mais le garçon se débattait dans les bras qui l'entravaient, qui l'empêchaient de voir les tortures infligées à Sebastian, qui l'éloignaient de celui qui représentait son univers, sa force, sa destinée.
— Ciel, tais-toi, murmurait Arthur, tentant de calmer le garçon, dont les cris de protestation s'entendaient encore à travers les doigts qui lui écrasaient douloureusement les lèvres. S'il t'entend, toi aussi tu mourras !
Mais le jeune homme ne pouvait écouter la raison qui lui susurrait la prudence, la survie et la fuite. Il n'entendait que les tressaillements de son cœur et le hurlement de son être qui le poussait vers celui qui devait l'emporter à jamais. Il se débattait, griffait, tentait de mordre ! Il voulait s'échapper, il voulait être auprès de Sebastian !
Soudain, une voix s'éleva, suppliante, fragile.
— Peu importe qui, peu importe comment, sauvez-moi !
Ciel se tut soudain, effondré et faible dans les bras d'Arthur qui le tenait toujours, alors que la lumière vive se présentait devant la fenêtre ouverte. Il reconnaissait cette voix, c'était la sienne !
Il leva les yeux et aperçut un garçon frêle, vêtu d'une chemise sale et déboutonnée et d'un pantalon déchiré, assis dans une cage, les yeux vides, morts, les joues humides de larmes à peine séchées. Ce garçon, c'était lui, et la main qui prenait la sienne à travers les barreaux glacés, c'était la main noire d'un démon.
La lanterne s'était rallumée et changeait d'images, enchaînant les scènes secrètes, et les souvenirs de Sebastian se bousculaient dans l'ombre. Et dans cette âme damnée, Ciel se retrouvait à chaque instant.
D'abord des images qu'il connaissait, des moments passés qu'il avait partagés.
— Je suis le Comte Phantomhive !
— Même si je me retrouve plongé dans les abîmes du désespoir, si je trouve ne fût-ce qu'une toile d'araignée me permettant de sortir, je la saisirai. L'être humain est doté de cette force.
Et l'œil surpris, intrigué et captivé du démon se posait sur lui, comme s'il découvrait au milieu des fades objets que représentaient les êtres humains, le trésor des trésors qu'il méprisait et adorait, qu'il désirait écraser et posséder. Son œuvre d'art. Ciel Phantomhive.
— Je suis un être humain, Sebastian !
— Reste auprès de moi.
Et le sourire narquois et indulgent d'un démon, qui observe et aime la faiblesse des hommes, se posait sur Ciel avec douceur, nostalgique.
Puis d'autres images apparurent dans la nuit orageuse. Des scènes et des pensées funestes, secrètes, interdites et dangereuses. Sebastian qui le regardait dormir, qui s'inquiétait et veillait, car le garçon ne se réveillait pas lors de sa crise d'asthme ; le sentiment d'impuissance dans les yeux d'un démon confronté à la faiblesse d'un corps humain, fragile, mortel. Sebastian qui était là, à ses côtés, qui le regardait, quand Ciel ne le regardait pas. Sebastian qui enserrait ses hanches et prononçait des paroles sacrilèges, malsaines. Sebastian qui posait les mains sur lui, qui le caressait, qui l'embrassait…
— C'est tellement dramatique, souffla Grell, toujours debout à côté du démon. Je suis jaloux ! Tu n'as aucun souvenir de moi ! Aucune place pour une pensée !
Grell brandit la faux et l'abattit sur Sebastian, qui dans un dernier effort emprisonna la scie dans ses mains.
Le shinigami sourit de ses dents pointues et se mit à piétiner, de son talon, la plaie ouverte dans la poitrine du démon. Sebastian hurla.
Gonflé d'horreur, Ciel se mit à hoqueter et à tousser, et la main toujours sur sa bouche l'étouffait. Puis la toux devint rauque, ravageuse, et secoua son corps.
Surpris, Arthur lâcha le garçon, qui tomba à terre, cherchant à reprendre son souffle alors qu'une crise sévère écrasait ses poumons.
— Ciel ! Qui y a-t-il ? Ciel ! s'écria Arthur, impuissant. Puis il reconnut le son de cette toux si caractéristique. Une crise d'asthme !
Le jeune homme, à quatre pattes sur le sol, luttait pour faire rentrer l'air dans ses poumons, enfonçant ses ongles dans la moquette. La douleur perçante, si familière, emprisonnait sa gorge et ses poumons.
Le jeune médecin releva le Comte, le posant contre lui, lui levant la tête pour libérer sa trachée. La crise était sévère et secouait tout son corps, qui gigotait dans ses bras. À ce moment, un nouveau cri, plus faible, arriva du dehors. La voix de Sebastian, blessé, se perdait dans le son de la pluie.
Malgré sa douleur, le garçon parvint à se redresser et, dans un dernier élan, il s'échappa des bras de l'écrivain qui l'entravait et s'enfuit dans le couloir.
— Ciel ! cria Arthur à sa suite, mais le jeune Comte ne l'écoutait pas.
Il se mit à courir dans les couloirs, dévalant les escaliers aussi vite que ses fines jambes et ses poumons contractés le lui permettaient. Derrière lui, il entendait Arthur qui l'appelait. Mais c'était inutile, il fallait qu'il aille au-devant de l'ennemi. La crise d'asthme pouvait bien le tuer. Mais s'il n'agissait pas, il mourrait de toute façon. Et mourir en lâche lui était impossible.
Il poussa la lourde porte de bois, bandant ses deux bras fragiles et sortit dans la cour où volaient feuilles mortes et gouttes de pluie glaciale. Il se mit à courir dans la boue, épaisse et sombre. Un instant, il tomba à genoux, sa poitrine brûlante et sa gorge enflammée. Il cracha à terre, se releva et reprit sa course, ignorant la teinte rougeâtre de sa salive et le goût de fer qui remplissait sa bouche.
Et enfin, il les vit, dans la même position macabre, mais cette nouvelle proximité faillit le faire vomir.
— Ah ah ! Il ne manquait plus que toi ! grinça Grell en l'apercevant, son pied disparaissait pratiquement dans le ventre de Sebastian. Cela m'évitera d'avoir à te chercher dans ton immense manoir !
Le sang du démon tachait sa jambe de pantalon jusqu'au-dessus du genou. D'après les larges éclaboussures, il avait dû piétiner son adversaire avec rage et délectation.
Dans un bruit mouillé et atroce, il retira sa chaussure de la blessure du majordome, qui ne bougeait plus.
— C'est sa punition pour avoir piétiné mon beau visage, expliqua le shinigami, frissonnant d'un bonheur morbide.
— Laisse-le, monstre ! gronda Ciel, sa voix étonnamment profonde et menaçante, malgré sa gorge qui se serrait et le manque d'air dans sa poitrine.
— Moi, le monstre ?! s'indigna Grell devant l'insulte d'un morveux qui tenait à peine debout. Il montra le majordome d'un doigt accusateur. Ignores-tu ce qu'il est, toi qui as passé un pacte avec lui ?
Sebastian ouvrit les yeux, péniblement. Un autre filet de sang glissa de ses lèvres entrouvertes alors qu'il tentait de parler.
— Va-t'en ! parvint à articuler le démon.
Mais Grell lui assena un violent coup de pied dans le visage. Ciel eut un sursaut, ses mains tremblaient et il se remit à tousser.
Non ! Pas maintenant, il ne pouvait pas être faible maintenant, se dit-il en se redressant.
— Ne l'écoute pas, lui dit le dieu de la mort, souriant. Il tendit la main vers le garçon. Approche, viens jouer avec nous.
— Jouer avec toi, dit Ciel, la voix rauque. Pourtant, il avançait vers le shinigami, sans peur. Non, on ne peut pas jouer avec toi. Tu ne connais aucune règle ! Même pas celles de tes semblables. Pas étonnant qu'ils ne te respectent pas !
À ces mots, Grell cessa de sourire et plissa les paupières, menaçant, insulté. Mais Ciel continuait d'avancer, sa voix égale malgré sa faiblesse grandissante.
— Comment t'a appelé William T. Spears déjà ? railla Ciel, feignant de se souvenir. Oh oui !La chose! La honte des shinigamis !
— La ferme, saleté, tu ne sais rien ! s'écria le shinigami, mais Ciel avançait encore, méprisant. Doucement, il passa la main dans le dos de son pantalon.
— Tu es un fou, un malade ! Tu... Mais soudain, le garçon se tut, tâtant sa ceinture avec frénésie. Sur son visage, l'allure hautaine fit place à l'effroi. Il avait voulu attaquer le shinigami par surprise avec ses propres armes.
Mais les ciseaux ! La faux des dieux de la mort qu'il avait ramassée. Il ne les avait plus ! Ils avaient glissé de sa poche pendant sa course...
Et Grell se tenait là, près de lui, savourant sa perplexité croissante...
— Les choses ne se passent pas comme tu l'espérais apparemment... susurra le dieu, enjoué et redoutable.
La peur envahit le garçon. Il cria :
— Sebast- AH !
Mais Grell l'attrapa par la gorge et serra, l'empêchant de terminer son ordre. Ciel attrapa le bras qui l'entravait, le griffa, mais rapidement, sa vision devint floue, alors que le peu d'air qu'avaient pu aspirer ses poumons disparaissait de son corps. Il se sentit défaillir. Le dieu de la mort, triomphant, le souleva de terre, comme une poupée désarticulée, le balançant de droite à gauche dans les airs, savourant chaque petit os de sa gorge qui craquait dans ses doigts de fer.
— Ciel ! souffla le démon, qui tentait de se relever mais retomba à nouveau.
— Ah ah ! Quand ton maître ne te donne pas d'ordre, ta volonté et ta puissance ne sont pas à leur maximum, grinça Grell. Je le savais ! Essaie donc de te lever, démon ! Dépêche-toi donc, ton précieux Ciel va mourir ! Oh, ne t'en fais pas, avec les blessures que je t'ai infligées, et ce que je compte encore te faire, tu ne survivras pas longtemps à ton maître.
Le majordome enfonçait ses gants maculés de sang dans la boue. Mourir... Ciel allait mourir. Il sentait les battements du cœur du jeune garçon se ralentir. La pensée s'insinua dans son corps, le transperça comme une pointe brûlante, plus intense que la large blessure, qui le cisaillait en deux. Ciel... mourir ? Non, c'était impossible, insoutenable. Il ne pouvait pas accepter cela ! Pas ici, pas maintenant, PAS COMME CELA !
Fou de rage, il se redressa, rampant dans la terre visqueuse qui rentrait dans sa plaie, les dents acérées, les griffes presque à nues, son esprit de démon reprenant le contrôle de son enveloppe mortelle, réclamant vengeance.
Mais soudain, avant même qu'il ne puisse attaquer, Grell poussa un cri et lâcha le garçon, qui tomba dans la boue et s'effondra aux côtés du majordome, qui l'attrapa et l'attira à lui, l'enfermant dans ses bras protecteurs. Portant sa bouche à la sienne, il sentit le faible souffle d'air qui s'échappait des lèvres du Comte. Il respirait encore ! Ciel respirait. Levant les yeux, il aperçut Grell, toujours debout, mais vacillant et derrière lui, Arthur, les deux mains appuyées sur des ciseaux qu'il tenait toujours, plantés dans le dos du shinigami.
— Tu es qui toi ? hurla Grell, blessé et outré, plus par l'intervention d'un inconnu que par la douleur aiguë qui l'envahissait et le sang qui souillait son beau manteau.
—L'invité surprise.
Fin du Chapitre 10
Notes d'Autrice :
J'espère que cela valait le coup d'attendre pour vous. N'hésitez pas à me dire ce que vous pensez de ce chapitre.
Et oui je suis désolée, mais je n'ai pas pu tuer Arthur, pas de la main de Ciel. Il est « nous » ! La personne qui normalement n'a pas sa place dans l'univers de Ciel et Sebastian et pourtant il arrive à y rentrer à s'y imposer et surtout à y survivre.
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