Continuons avec cette suite pleine de surprise, mais aussi d'une sérénité bien plaisante.


En Albion, à cette époque troublée qu'était l'Âge d'or tardif de la Guilde, les coutumes familiales étaient aussi plurielles que surprenantes.

Tout commençait à la naissance où le nourrisson devait être reconnu par un nombre précis de personnes, distinctes de la famille, pour être intégré symboliquement dans la communauté. Certains villages comme Oakvale, avant sa première destruction, faisait de chaque naissance une fête commune et nécessitaient donc pas moins de 27 signatures en bas de l'acte naissance. C'étaient des heures de lumière.

D'autres comme Bowerstone ou Hook Coast tenaient le bas du classement avec respectivement deux signatures et une seule. Bowerstone parce que ses habitants n'avaient pas que ça à faire – statut de capitale oblige - et Hook Coast parce que la population totale ne s'élevait qu'à 5 personnes et qu'un nombre trop élevé rendrait la reconnaissance véritablement difficile.

Venait ensuite la non-moins importante attribution du prénom pour les filles, et du surnom pour les garçons. Un moment toujours source de beaucoup d'inquiétudes. Il fallait après tout dénicher une appellation ni trop commune, ni portée par un autre enfant, ni trop exubérante. Le grand savant Miaours avait longuement étudié – deux semaines – la corrélation entre surnom et destinée.
Il en ressortait que l'un des plus grands héros d'Albion avait commencé sa vie en s'appelant Boulet , là où le petit Sublime était devenu balayeur de sable dans l'arène de Witchwood et finissait dévoré par une balverine à l'âge tendre de 23 ans.
Et comment ne pas penser au fameux Chasse-Poulet.

Bref, concluait Miaours dans son ouvrage majeur de 17 pages, on peut être tout ce qu'on veut quoiqu'on puisse être (cette citation demeura incomprise des rares lecteurs).

Tel n'était pas la considération principale d'Harry Fruitier tandis qu'il s'installait à la table de la petite famille.

Le repas fut simple mais chaleureux. Runa avait cette capacité incroyable de meubler la conversation, sautant d'un sujet à l'autre avec une aisance presque musicale, sa voix aussi vibrante que les couleurs de sa tenue.

Tovald, à l'autre bout de la table, fronça soudain les sourcils dans une imitation d'autorité.

« Et depuis quand est-ce qu'on apporte les rebuts de la forge à table, mademoiselle ? »

Runa éclata de rire, son amusement sincère illuminant la pièce.

« Laisse-la donc, chéri. Mieux vaut un morceau de métal qu'une énorme bestiole, comme celle que ton fils nous a ramenée avant-hier. »

Tovald grogna, mais le coin de sa bouche trahissait un sourire. Harry observa cette scène avec un curieux mélange de fascination et d'envie. Il n'avait jamais connu ce genre de complicité familiale.

Son regard glissa vers le morceau de métal que Sophie avait discrètement ramené :

« Tu t'intéresses à la forge, toi ? »

Sophie leva brièvement les yeux, une lueur de satisfaction éclairant son visage.

« Oui, » répondit-elle, presque avec défi. « Papa dit que je devrais apprendre des choses plus utiles, mais… je préfère ça. »

Au loin, le crépitement de la forge semblait murmurer son approbation.

Tovald soupira à nouveau, exagérant son agacement.

« Et je persiste et signe, » dit-il en secouant la tête. « Je ne peux plus forger tranquille sans que cet écureuil ne vienne fouiner derrière moi, me voler mes tabliers ou piquer dans mes matériaux. Un jour, je vais la trouver avec un marteau plus gros qu'elle. »

Sophie fit mine de ne pas entendre, mais Harry ne manqua pas l'éclat de fierté dans ses yeux.

Il l'observa un moment, se rappelant qu'à son âge, il n'avait guère eu le choix de ses activités. Chez les Dursley, à Poudlard, dans la guerre contre Voldemort, puis dans son entraînement à la Guilde… À 13 ans, la première fois, il pourchassait un évadé de prison qu'il croyait meurtrier. La seconde, il combattait des créatures monstrueuses dans les forêts d'Albion. À chaque fois, ses pas avaient été dictés par les attentes des autres, par des forces hors de son contrôle. Mais ici, dans cette maison, il percevait chez Sophie une volonté de briser ce moule, d'échapper aux attentes.

Runa interrompit ses pensées en déposant une nouvelle assiette devant lui.

« Mange, » dit-elle doucement. « Ça te fera du bien. »

Il hocha la tête, esquissant un sourire avant de prendre une bouchée.

Tovald, lui, se tourna vers Harry avec un regard calculateur, presque défiant.

« Tu as une belle épée en acier, » dit-il après un moment. « De facture Bowerstone. Classique, bien qu'un peu lourde. Je suppose qu'elle n'est pas là par hasard ? »

Harry posa sa cuillère, ses doigts effleurant machinalement le pommeau de son arme.

« En effet, » répondit-il simplement. « Elle et moi avons vécu beaucoup de choses en peu de temps. »

Un léger sourire courba les lèvres de Tovald, un sourire chargé de sous-entendus.

« La plupart des hommes qui viennent ici portent une arme comme s'ils exhibaient un bijou de famille. Mais toi… toi, tu sembles comprendre ce que cela signifie vraiment. »

Il marqua une pause, ses yeux plissés trahissant une pensée plus profonde.

« Mais dis-moi, sais-tu forger ce que tu utilises ? »

Harry haussa légèrement un sourcil, pris de court par la question.

Tovald continua, appuyant ses propos d'un geste vers la forge.

« Il y a une forme de maîtrise dans l'usage d'une épée, mais il y en a une autre, plus subtile, dans sa création. Forger une lame, c'est comprendre sa nature, son essence. Si un jour ça t'intéresse, je pourrais t'apprendre. »

Harry ne répondit pas tout de suite. La proposition le déstabilisait. Il n'avait jamais réfléchi à la manière dont cette lame, offerte par Blade, avait été forgée. Il n'avait jamais pensé à l'âme que le forgeron pouvait avoir insufflée dans le métal, tout comme il n'avait jadis jamais songé à l'art des baguettes magiques ou des balais volants.

Il se contenta d'un hochement de tête, notant mentalement la proposition, tandis que le crépitement de la forge semblait résonner plus fort, comme pour lui rappeler que certaines réponses ne se trouvaient pas seulement dans les mots, mais dans les actes.

Un souvenir d'une conversation avec le Maître lui revint. Ce jour-là, Harry était en pleine réflexion quant aux moyens de combiner Sorcellerie et Volonté et avait par la suite conçu quelques regrets de ne pas s'être intéressé davantage, à Poudlard, aux matières traitant de la nature ou de la compréhension magique, telle que l'arithmancie ou les runes. Cette carence impactait sa compréhension théorique actuelle.

Tout comme semble-t-il je ne connais guère la nature des artefacts magiques ou non que j'utilise pourtant.

« Peut-être que je devrais, » finit-il par dire, réalisant que, dans cet endroit simple, il pourrait apprendre bien plus que le maniement d'une lame.

« Tu sais, Harry, » reprend Tovald en tapotant la table du bout des doigts, « forger des armes, ce n'est pas seulement un métier. C'est une responsabilité. Chaque lame que je fabrique peut prendre une vie, ou la sauver. Ce que l'homme en fait ensuite, c'est entre ses mains, mais moi… je dois vivre avec le fait que c'est moi qui ai forgé cet outil. »

Il se tut un instant, ses yeux observant Harry avec une intensité nouvelle. « Et toi, tu dois vivre avec le fait que c'est toi qui la manies. Chaque fois que tu dégaines cette épée, c'est un choix. Un choix qui peut changer des vies. »

- J'en suis conscient. Et je serais très heureux de découvrir cet aspect là.

Tovald acquiesça, un sourire discret aux lèvres, tandis que le dîner se poursuivait dans une ambiance chaleureuse. La famille accueillait Harry comme l'un des leurs, sans poser trop de questions, mais chacun semblait attendre patiemment qu'il trouve lui-même ses réponses.

Lorsque l'heure de se coucher arriva, Sophie lui adressa un sourire en montant l'escalier. Sa chambre jouxtait celle de Harry, et elle s'arrêta un instant devant sa porte pour lui souhaiter une bonne nuit.

« Repose-toi bien. Demain, tu pourras voir comment mon père travaille à la forge. C'est… assez surprenant, tu verras. »

Harry répondit d'un léger sourire, amusé par son enthousiasme.

« Bonne nuit, Sophie. »

Une fois seul, il se laissa tomber sur le lit, les bras croisés sous la tête, fixant le plafond. Le silence de la nuit semblait vouloir apaiser son esprit, mais il ne parvenait pas à chasser les images de la veille. L'exécution publique, les hurlements de la foule avide de sang, et cette justice implacable, dépourvue de compassion, tourbillonnaient dans sa mémoire.

Cela lui rappelait Sirius. Les murmures conspirateurs du ministère. Le procès expéditif. Et Ombrage, dont les décisions cruelles étaient drapées dans un semblant de légitimité. Il revoyait le visage de ceux qui, comme Percy Weasley, suivaient aveuglément l'autorité au détriment de leur conscience. Cette justice humaine, si imparfaite, masquait souvent la cruauté sous le voile de la légalité.

Pourtant, ici, dans cette maison modeste, Harry percevait autre chose. Une chaleur sincère, une simplicité qui apaisait les tempêtes de son esprit. Il n'était pas sûr de mériter cette paix, mais pour la première fois depuis longtemps, il se surprit à espérer pouvoir en profiter, ne serait-ce que pour un moment.

OoOoOo

Le lendemain matin, le chant des oiseaux et les teintes rosées de l'aube filtrant à travers la petite fenêtre réveillèrent Harry. Encore alourdi par ses pensées, il mit quelques secondes à se souvenir où il était. Puis les souvenirs de la veille émergèrent : le dîner, les rires de Runa, les remarques mordantes mais affectueuses de Tovald, et l'enthousiasme contagieux de Sophie.

Il se redressa lentement et observa le paysage à travers la fenêtre. La lumière douce du matin baignait la campagne environnante, un tableau si paisible qu'il en semblait presque irréel. Le calme était étrange, inhabituel après les bruits incessants de la Guilde ou les cris des combats.

En descendant les marches grinçantes de l'escalier, une odeur réconfortante de pain chaud et de plantes mijotant dans une marmite l'accueillit. Dans la pièce principale, Runa était déjà à l'œuvre. Une couronne de fleurs fraîchement tressées ornait sa chevelure, et ses mains portaient encore les traces de glaise, signe qu'elle avait travaillé à ses sculptures dès l'aube.

Elle lui adressa un sourire radieux en le voyant entrer.
« Bien dormi ? » demanda-t-elle, sa voix douce, presque chantante.

Harry hocha la tête.
« Mieux que je ne m'y attendais. »

Runa tapota un tabouret du bout des doigts.

« Assieds-toi, le petit-déjeuner est presque prêt. Tu vas avoir besoin d'énergie si tu veux survivre à une journée à observer Tovald à la forge. Il a tendance à parler aux outils comme s'ils étaient vivants. »

Harry esquissa un sourire.
« Je crois que j'ai hâte de voir ça. »

Runa eut un rire léger avant de retourner à sa marmite.
« Tu verras, ça vaut le détour. Et Sophie sera ravie de jouer les apprenties guides. »

Le regard de Harry s'attarda un instant sur elle, absorbée dans ses préparations. Il était frappé par la sérénité qui émanait de cette maison. Il se demandait combien de temps il pourrait rester dans cet îlot de paix avant que le passé ou le danger ne vienne frapper à sa porte. Mais pour l'instant, il choisit de savourer ce moment.

Alors qu'il s'apprêtait à répondre, Tovald entra dans la pièce, ses bottes martelant légèrement le plancher.
« Ah, te voilà debout. Bien. Si tu es prêt, on commence dans une heure. La forge ne va pas se chauffer toute seule. »

Il s'éclipsa aussitôt, emportant avec lui l'odeur de charbon et d'acier. Runa lança un regard amusé à Harry.
« Tu vois ce que je veux dire ? »

Harry répondit par un léger rire, se demandant ce que cette journée lui réservait.

Un court instant, celui lui rappela le digne Sagace, toujours le premier levé pour travailler aux champs.

Il sourit au souvenir de son séjour avec le paysan, une éternité auparavant semblait-il.

Quelques instants plus tard, Sophie descendit à son tour, toujours vêtue d'une tunique simple, ses cheveux en bataille trahissant un réveil récent. De larges cernes rendaient son visage beaucoup plus triste. Elle jeta un coup d'œil rapide à Harry avant de s'installer à table sans un mot. Apparemment c'était une journée moins loquace que la veille et tout dans son attitude inclinait à ne pas lui adresser la parole.

Harry tenta malgré tout sa chance. Qu'était une adolescente mal réveillée en comparaison d'un basilic ?

- Et sinon, est-ce qu'il y a une école ici à Perchelune? Je me rends compte que je ne t'ai pas demandé ce que tu faisais à part la forge.

- Rien. Répondit la jeune fille sur un ton définitif.

Le basilic était définitivement plus bavard.

Harry ne manqua pas le regard étrangement inquiet des parents.

Oh oh...sujet sensible.

Runa, après avoir distribué le pain qu'elle avait brisé en silence, s'assit en face de Harry. Fiston, qui avait rejoint la table à son tour, mangeait avec appétit.

Une fois le repas terminé, et ses ablutions faites, Harry suivit le son régulier d'un marteau frappant l'enclume, s'éloignant de la maison pour rejoindre la forge. À peine avait-il franchi la porte que la chaleur intense du foyer l'enveloppa, chargée de l'odeur métallique du fer chauffé à blanc.

Tovald, torse nu sous son tablier de cuir, était entièrement absorbé par son ouvrage. Une épée inachevée reposait sur l'enclume, sa surface encore rugueuse scintillant sous la lumière du feu. Chaque mouvement de Tovald était précis, méthodique, presque chorégraphié. Les coups de son marteau résonnaient dans la pièce, porteurs d'une intention manifeste : maîtriser le métal sans jamais le briser.

Harry, fasciné, resta en retrait, se contentant d'observer. Il pouvait presque sentir l'énergie qui émanait de cette danse entre l'homme et le matériau brut.

« Impressionnant, hein ? » souffla une voix familière derrière lui.

Sophie. Elle était apparue sans un bruit, comme une ombre, et fixait son père avec une admiration palpable. Ses yeux semblaient avoir retrouvé toute leur énergie de la veille.

- Je veux faire ça, moi aussi, un jour. Ajouta-t-elle, presque dans un murmure, comme si elle confiait un secret à Harry.

Il esquissa un sourire.

- C'est un métier difficile. »

Elle haussa les épaules, résolue.

- Je sais. Mais ça me plaît. J'aime l'idée de créer quelque chose d'utile. Pas juste beau ou précieux, mais quelque chose qui sert. J'en ai marre d'être inutile.

Harry haussa les sourcils me dit rien. Il y avait quelque chose derrière cette dernière phrase qui lui donnait un sentiment de malaise. Mais là encore, il choisit d'embrayer.

- Je crois que si c'est vraiment ce qui te plait, alors tu seras probablement une bonne forgeronne un jour.

- Et même la première! Se rengorgea Sophie en remettant une mèche de cheveux dans sa coiffure chaotique.

Tovald, ayant porté le dernier coup à la lame qu'il façonnait, releva enfin les yeux. Il semblait ne pas avoir entendu leur court échange. Une lueur amusée dans le regard, il posa son marteau et s'essuya le front d'un revers de main.

« Ah, te voilà, Harry. Bien dormi ? »

Harry acquiesça.

« Très bien, merci. »

Tovald lui fit signe de s'approcher.

« Tu as dit hier que tu ne savais pas forger. Ça te dirait d'apprendre un peu ? Juste les bases. »

Harry hésita un instant, jetant un regard à Sophie qui, à ses côtés, semblait presque aussi impatiente que lui.

« Je ne sais pas si je suis prêt, mais je suis curieux. »

Un sourire satisfait se dessina sur les lèvres de Tovald.

« La curiosité, c'est déjà un excellent début. Viens, je vais te montrer. »

Il lui tendit un tablier, puis désigna une barre de métal encore froide posée près de l'enclume.

« On va commencer doucement. Rien de compliqué aujourd'hui. Mais avant de façonner quoi que ce soit, il faut respecter le feu. Ici, il n'est pas ton ennemi, mais ton allié. »

Harry enfila le tablier, ressentant une nervosité qu'il n'avait pas connue depuis longtemps. Face au feu, et à la maîtrise de cet art ancestral, il sentait poindre un mélange d'appréhension et de respect.

Sophie, toujours en retrait, ne perdait rien de la scène. Ses bras croisés et son regard scrutateur faisaient penser à une apprentie bien plus expérimentée qu'elle ne l'était en réalité.

« Si tu abîmes le métal, tu sais qu'il va râler, hein ? » lança-t-elle avec un sourire espiègle.

Tovald éclata de rire.

« Non mais écoutez-moi cette terreur. Même pas quatorze et elle parle comme si elle tenait la forge mieux que moi. Une vraie loutre. Allez, Harry, montre-nous ce que tu as dans le ventre. »

Harry, qui n'avait pas compris le rapport avec les loutres, sentait son cœur battre plus vite à mesure qu'il s'approchait de l'enclume. Il n'avait jamais imaginé, même un instant, forger quelque chose de ses propres mains. La magie avait toujours été son outil principal, une extension de lui-même, mais l'idée de façonner un objet tangible, durable, sans aucun sortilège, le fascinait autant qu'elle l'intimidait.

Tovald lui tendit un morceau de métal brut, froid et dur entre ses doigts, avant de placer un marteau dans son autre main. La sensation du bois rugueux contrastait avec le poids ferme de l'outil.

« La première règle, c'est la patience, » déclara calmement Tovald, son ton aussi solide que le métal qu'il travaillait. « Le métal ne se plie pas à ta volonté comme ça. Il faut lui donner le temps de s'adoucir au feu. Il répondra à tes coups, mais seulement si tu respectes son rythme. »

Harry hocha la tête, serrant le manche du marteau avec un mélange d'appréhension et de détermination. Tovald ajusta légèrement sa posture, ses mains fermes mais bienveillantes guidant les gestes maladroits du jeune homme.

« N'oublie pas, » ajouta-t-il, « chaque coup compte. Frappe avec une intention claire, pas juste avec de la force. »

Le premier coup d'Harry résonna dans la forge. Le son métallique, brut et désordonné, s'éleva comme un signal d'alerte dans l'air chaud et dense. Maladroit, trop fort. Tovald, cependant, ne fit aucune remarque acerbe. Il observa simplement, puis s'avança pour ajuster légèrement la position de Harry, ses gestes précis contrastant avec la chaleur brute qui les entourait.

« Doucement, » murmura-t-il, un sourire en coin. « Laisse le métal te parler. Tu ne fais que lui montrer le chemin. »

Reprenant son souffle, Harry appliqua le conseil. Cette fois, son coup était plus contrôlé, plus mesuré. Le processus lui sembla lent, presque hypnotique. Chaque frappe créait une vibration qui résonnait jusque dans ses bras. Le feu grondait à proximité, la chaleur brûlante pesant sur lui comme un manteau invisible. Pourtant, il sentit une sorte de satisfaction naître en lui, un plaisir brut et honnête de voir la forme de la dague émerger lentement du métal brut.

En retrait, Sophie observait, les bras croisés et le regard attentif. Lorsque le métal commença enfin à ressembler à une lame rudimentaire, elle esquissa un sourire, presque complice.

Au bout de longues minutes, peut-être des heures, Harry abaissa enfin le marteau. Essuyant la sueur qui perlait sur son front, il contempla son travail. La lame était loin d'être parfaite, mais elle existait. C'était là, tangible, façonné par ses mains. Une fierté discrète, mais sincère, monta en lui. Pour la première fois, il avait créé quelque chose de ses propres mains, sans magie, sans artifices.

Tovald croisa les bras, un sourire approbateur illuminant son visage buriné.

« Pas mal du tout, » déclara-t-il, son ton empreint de respect. « Tu sais, la plupart des apprentis abandonnent bien avant ça. Entre la chaleur et la précision, ils jettent l'éponge. Mais toi, t'as tenu bon. »

Harry releva la tête, surpris par le compliment. Il essuya une fois de plus son front, le regard de Tovald l'examinant avec une attention particulière.

« Ce n'est pas qu'une question de force, » poursuivit le forgeron après un moment de silence. « Il faut de l'endurance, du calme sous pression. Et toi, tu en as, ça se voit. Tu as l'habitude de travailler dur, hein ? »

Harry esquissa un sourire. Il repensa à ses mois passés à trimer dans les champs de Sagace, à transporter d'interminables cageots de pommes dans Greatwood, et à l'entraînement implacable de Blade, où chaque journée était un combat contre la fatigue et la douleur.

« On peut dire ça, oui, » répondit-il simplement, évitant d'entrer dans les détails. « Mais forger, c'est différent. Il y a une précision, une... délicatesse que je n'ai pas encore. »

Tovald acquiesça, ses yeux bruns suivant les mouvements d'Harry tandis que celui-ci inspectait la dague encore brute qu'il venait de modeler. « La forge, ce n'est pas qu'une affaire de force ou d'endurance, » dit-il d'une voix calme mais pénétrante. « C'est une question d'intention. Avec le temps, tu n'y mettras pas seulement ta force… tu y mettras aussi une part de toi-même. »

Tovald, probablement curieux de ne pas entendre de bruit, soupira doucement, amusé. « Sophie, je t'ai déjà dit que si tu veux apprendre, tu dois observer de plus près ou prendre des notes, pas rester plantée là à rêvasser. »

Sophie se redressa, piquée au vif, et esquissa un sourire malicieux. « Je ne rêvasse pas ! Je regarde comment Harry travaille. C'est inspirant, tu sais ! »

Harry releva la tête et échangea un sourire complice avec la jeune fille. « Tu devrais essayer un jour, Sophie. Peut-être que tu pourrais même m'apprendre un ou deux trucs. »

La remarque fit rougir Sophie, mais elle répondit avec une pointe de défi : « Oh mais je suis très forte, mais c'est pas aujourd'hui que tu verras mon talent… t'as encore du chemin pour me rattraper, monsieur je cherche ma voie».

Tovald éclata de rire, le genre de rire chaleureux qui remplissait l'espace comme la chaleur du foyer. « C'est qu'elle mordrait dis donc. Sous-estime pas trop notre invité ma grande, ce garçon a des bras qui connaissent le travail. Ce n'est pas tous les jours qu'un étranger se débrouille si bien. »

Sophie répondit par une moue faussement boudeuse, mais le sourire qu'elle cachait mal trahissait sa satisfaction.

Se tournant vers Harry, il ajouta, son ton devenant plus sérieux : « Tu n'as pas dû avoir une vie facile, pas vrai, gamin ? »

Harry haussa légèrement les épaules, hésitant. Parler de son passé n'était pas dans ses habitudes, mais il sentait ici une certaine compréhension, une absence de jugement. Dans la forge, les mots semblaient moins nécessaires ; chaque coup de marteau avait sa propre signification.

Tovald voyant qu'il ne servait à rien d'insister, se racla la gorge et se tourna à nouveau vers Harry, un sourire franc sur les lèvres. « Je m'égare. Revenons à nos marteaux. Chaque lame a une histoire, une âme, si tu veux. Une bonne arme, ce n'est pas juste une arme. C'est une voyageuse, une exploratrice de terres dangereuses. Avec de la pratique, tu apprendras à les écouter, à leur donner ce dont elles ont besoin pour survivre. »

Il tapota l'épaule de Harry, son ton plus doux mais toujours empreint de conviction. « Continue comme ça, et tu pourrais devenir un bon forgeron. Mais ce n'est pas qu'une question de compétence. C'est une question d'application. Mets-y du cœur, et les lames te le rendront. »

Harry hocha la tête, réfléchissant à ces paroles. Dans la forge, il trouvait une forme de paix inattendue, un rythme qui semblait résonner avec quelque chose de profond en lui. Le travail manuel remplaçait les grands débats philosophiques, mais il apportait une clarté différente, une vérité brute et honnête.

Le temps passa. Aussi pesamment qu'un marteau mais aussi discrètement qu'une souris qui irait se coucher.

« Allez, tout le monde dehors, maintenant, » déclara Tovald, enlevant son tablier et essuyant ses mains sur un chiffon usé. « La forge a besoin de repos, tout comme nous. Demain, on s'y remet. »

Dehors, l'air frais leur fit du bien après la chaleur étouffante de la forge. Sophie courut en avant, débordante d'énergie, tandis que Harry jetait un dernier coup d'œil à la dague qu'il avait forgée. Elle était loin d'être parfaite, mais elle représentait un début.

C'était une journée simple, mais pour Harry, elle semblait porteuse de quelque chose de plus profond. Peut-être, pensa-t-il, que dans cette forge, il trouverait plus que des lames. Peut-être trouverait-il une nouvelle direction.

La digne épouse de Tovald, Runa, apparut sur le pas de la porte, un sourire espiègle aux lèvres. « Toujours aussi sérieux, chéri, » dit-elle en secouant doucement la tête. « Regarde-moi ce pauvre garçon. Il vient à peine d'arriver, et il a déjà l'air aussi cuit par ta forge que notre pain de ce matin. »

Harry ne put retenir un sourire. L'énergie lumineuse de Runa contrastait joliment avec l'atmosphère plus grave et concentrée de la forge. Il observa avec attention la dynamique entre les deux époux. Tovald, pragmatique et ancré dans la tradition, semblait avoir trouvé en Runa une partenaire débordante d'inspiration et de chaleur.

Posant ses outils, Tovald répondit d'un ton faussement sévère : « Runa, je lui apprends à manier le marteau, pas à faire des sculptures. Si tu commences à le détourner, je vais perdre mon apprenti avant même qu'il n'ait forgé son premier clou. »

Runa, loin de se démonter, posa ses mains sur ses hanches et lui lança un regard complice. « Ne t'inquiète pas, je te le laisse pour les gros travaux. Moi, je préfère l'inspiration, les couleurs ! » Elle rit doucement, un rire qui semblait illuminer l'espace, avant de tourner son attention vers Sophie, qui s'était glissée près de la forge.

« Quant à toi, jeune fille, » dit-elle en désignant sa fille avec un doigt faussement accusateur, « tu pourrais peut-être emmener ton frère pour m'aider au jardin, non ? Et laver un peu toutes ces taches. Je n'ai pas mis au monde une panthère tachetée ! »

Runa, pourtant elle-même parsemée de mille et une tâches colorées témoignant de son propre travail artistique, semblait peu encline à appliquer ses propres injonctions. Sophie, en revanche, croisa les bras avec une moue boudeuse.

« Mais maman, je suis en pleine discussion importante… » protesta-t-elle.

Avant qu'elle ne puisse continuer, une voix plus jeune s'éleva depuis l'entrée.

Le fils cadet de la famille, encore et toujours surnommé affectueusement Fiston, fit une entrée remarquée, débordant d'énergie. Ses cheveux en bataille et son sourire éclatant lui donnaient un air aussi espiègle qu'irrésistible. Serrant précautionneusement une petite boîte en bois entre ses mains, il courut jusqu'à sa mère.

« Maman, maman, regarde ! J'ai trouvé ça près du ruisseau ! »

Runa, amusée par l'excitation de son fils, s'accroupit pour voir ce qu'il avait apporté. Sophie, dépitée par cette interruption, se tourna à contrecœur vers Tovald et Harry, hésitant entre suivre son frère et rester près de la forge.

Tovald observa la scène avec une tendresse qu'il masquait à peine. « Ah, ce gamin, » souffla-t-il à Harry, un sourire en coin. « Il ne sait pas encore ce qu'il veut, mais il est plein de surprises. Toujours à dénicher des trucs bizarres ou à poser des questions auxquelles même les sages n'ont pas de réponses. »

Harry, silencieux, regarda Runa examiner le contenu de la boîte avec une exclamation de surprise feinte, puis Fiston sauter de joie face à sa découverte. Il sentit un étrange mélange de réconfort et de nostalgie l'envahir. Cette famille, si vivante et unie, éveillait en lui des souvenirs d'un avenir qu'il n'avait jamais eu la chance de vivre.

Dans un coin de son esprit, il imagina James et Lily. James, riant bruyamment en défendant le Quidditch comme passion ultime, et Lily rétorquant, mi-agacée mi-amusée, que la lecture ou la musique apportaient bien plus de richesse. Leur enfant, lui, se serait peut-être assis entre eux, à l'écoute, partagé entre les deux univers.

Cette existence chaleureuse, imparfaite mais profondément humaine, semblait si proche, presque palpable.

Harry inspira profondément. C'était ça qu'il fallait protéger. Ce genre de vie. Ce genre d'amour.

Il serra inconsciemment la dague qu'il avait forgée, comme pour ancrer cette résolution. Ce sentiment, cet instant, méritaient d'être défendus contre le chaos qu'il avait laissé derrière lui.

« Allez, » dit finalement Tovald, rompant la contemplation de Harry. « On ne va pas laisser Runa transformer la soirée en salon de thé. Tu es prêt à reprendre demain ? »

Harry répondit par un sourire discret et un hochement de tête. Oui, il était prêt.

Pendant un moment, le silence régna tandis qu'ils rangeaient le matériel. Seuls les cliquetis métalliques et le crépitement mourant des braises rompaient l'air tranquille. La chaleur de la forge diminuait peu à peu, laissant place à une fraîcheur bien méritée. Tovald, après s'être essuyé le front avec un chiffon noirci par la suie, tapota doucement l'épaule de Harry.

« Et voilà, tout est rangé. » Il s'étira, fatigué mais visiblement satisfait du travail accompli. «C'est une part importante et souvent mésestimée. Un outil qui traine c'est un danger. Surtout avec des enfants remplis d'énergie et beaucoup trop oisifs. »

Harry hocha la tête, une pointe de soulagement dans les muscles, et suivit Tovald hors de l'atelier. Dès qu'ils franchirent la porte, le contraste les frappa. Le soleil de fin d'après-midi baignait la cour d'une lumière douce et dorée, et une brise fraîche s'engouffra dans ses vêtements encore imprégnés de chaleur et de l'odeur tenace du métal chaud.

Runa les attendait non loin, penchée sur une grande toile posée contre un chevalet improvisé qu'elle avait apparemment réussi à déplacer dans ce court laps de temps. En les apercevant, elle se redressa avec un nouveau regain d'enthousiasme, les mains encore tachées de couleurs vives. « Tu tombes à merveille ! Viens voir ! »

Harry ne put s'empêcher de sourire. L'énergie contagieuse de Runa détonnait avec la gravité habituelle de son quotidien. Elle avait une façon unique de combiner l'insouciance et la passion, comme si chaque instant devait être vécu avec intensité.

« Toujours à faire de l'art, hein ? » lança Tovald avec amusement, ses bras croisés sur sa poitrine. « Tu devrais peut-être songer à te laver les mains avant de rencontrer nos invités. »

« Bah ! » répliqua Runa, balayant la remarque d'un geste large qui faillit éclabousser son mari de peinture. « Si les invités ne peuvent pas tolérer un peu de couleur, ils ne sont pas faits pour nous. Et ils ne sont pas faits pour le monde harmonieux qui nous entoure ! »

Elle tourna ensuite son regard pétillant vers Harry, comme si elle venait de se rappeler sa présence. « Heureusement que tu restes quelques jours avec nous. Comme ça je pourrai te montrer toutes mes œuvres ! Oh, tu vas adorer ! Et la glaise, tu as déjà essayé ? C'est tellement… libérateur. »

Harry répondit par un léger sourire et un hochement de tête. Il n'avait jamais eu l'occasion de s'intéresser à ce genre de choses, mais l'enthousiasme de Runa était si sincère qu'il se surprenait à envisager d'en apprendre plus.

Tout dans cette famille semblait se compléter à merveille. Tovald, avec sa robustesse calme et son sens du devoir. Runa, véritable ouragan de créativité et d'émotions. Sophie, qui oscillait entre l'énergie rêveuse de sa mère et le sérieux de son père. Et Fiston… une tornade à lui tout seul, mais qui promettait d'être un mélange explosif des deux.

Cette famille n'était pas dépourvue de doutes, ni d'inquiétudes, mais elle se suffisait à elle-même.

Il est définitivement plaisant de ne pas être seul.

« Tu dois être affamé, après tout ça, » déclara Runa avec un sourire chaleureux, rompant le fil des pensées de Harry. « Allez, viens t'asseoir. Tovald, fais-le s'asseoir, il a l'air épuisé. Il faut toujours que tu t'arranges pour exténuer tous ceux qui font joujou avec ta forge. »

« Personne ne joue avec ma forge, » grogna Tovald, la voix bourrue mais les yeux rieurs.

Harry, amusé malgré lui, suivit le couple jusqu'à l'intérieur. Il ignorait combien de temps tout cela durerait. Qu'importe. Au moins pendant quelques jours c'était plaisant de savourer cette parenthèse.