Chapitre 26: Candyman
L'île de Ponza baignait sous une lumière douce en ce début de soirée, le ciel teinté de nuances dorées alors que le soleil se couchait lentement sur l'horizon méditerranéen. Loin des conflits et des horreurs du monde, ce petit coin de paradis offrait à Dracula un semblant de paix. Aux côtés de Circé et Carrie, il vivait dans une tranquillité relative, ses journées rythmées par des moments d'entraînement pour Carrie, des discussions profondes avec Circé, et des heures passées à parcourir les anciens manuscrits de sa bibliothèque.
Ponza était un sanctuaire, un lieu où les ténèbres semblaient avoir peu de prise. Pourtant, même ici, au milieu de la mer et entouré d'amour et de sérénité, Dracula ne pouvait échapper à son véritable rôle : celui de protecteur contre les forces surnaturelles qui continuaient de hanter le monde. Il savait que chaque jour apportait son lot de dangers, et que derrière cette quiétude apparente, des esprits vengeurs, des créatures malveillantes et des êtres déchus rôdaient encore, cherchant des âmes à tourmenter.
Assis à son bureau, dans l'aile la plus reculée du manoir qu'ils habitaient, Dracula feuilletait des parchemins et des livres anciens. Chaque document, chaque texte recelait des histoires de créatures oubliées, des récits de vengeance et de tragédies personnelles, de malédictions tissées dans la douleur. C'est dans l'une de ces lectures que le nom de Candyman apparut pour la première fois.
Les premières lignes du manuscrit évoquaient une légende, celle d'un esprit vengeur, autrefois un homme, maintenant une entité cruelle piégée entre deux mondes. Candyman. Un nom redouté, murmuré à voix basse par ceux qui vivaient dans la crainte de croiser son chemin. Dracula poursuivit sa lecture, découvrant l'histoire tragique d'un artiste noir du XIXe siècle, un homme talentueux qui avait commis l'erreur fatale de tomber amoureux d'une femme blanche dans une société gangrenée par la haine raciale. Leur amour interdit attira la colère d'une foule enragée. L'artiste fut capturé, mutilé, et finalement assassiné, son corps couvert de miel pour attirer des abeilles qui le dévorèrent vivant. La haine et la douleur ressenties dans ses derniers instants avaient imprégné son esprit, le condamnant à devenir Candyman, un vengeur hantant les âmes de ceux qui prononçaient son nom.
Dracula posa lentement le manuscrit sur son bureau, son esprit dérivant entre les lignes de l'histoire. Une douleur profonde, une injustice flagrante, un homme devenu une légende de vengeance… Cela lui rappelait sa propre tragédie. Lui aussi avait été un homme autrefois, un chevalier de la Confrérie de la Lumière, avant que les manipulations et les trahisons ne le transforment en Dracula, Seigneur des Ténèbres. La douleur qu'il avait ressentie après avoir été poussé à tuer sa femme Marie le liait à cet esprit vengeur d'une manière qu'il ne pouvait ignorer.
« Un homme brisé, tout comme moi… » murmura-t-il pour lui-même, les yeux fixés sur la fenêtre ouverte qui donnait sur la mer. « Mais est-il seulement un monstre, ou y a-t-il encore en lui une part d'humanité ? »
La question résonna en lui, troublant son esprit. Il connaissait les ravages de la vengeance. Il en avait été l'instrument, puis la victime. Mais là où lui avait trouvé une forme de rédemption, Dracula se demandait si Candyman pouvait encore être sauvé. Il savait que cette créature n'était pas motivée par la simple destruction, mais par une souffrance incommensurable qui refusait de s'apaiser. C'était cette souffrance que Dracula comprenait intimement, et c'était peut-être cette compréhension qui pourrait changer le cours des choses.
Une pensée germa dans son esprit. Plutôt que de chercher à détruire Candyman comme il l'aurait fait avec d'autres menaces surnaturelles, il devait essayer de raisonner avec lui. Comprendre la profondeur de sa douleur, lui offrir la possibilité de trouver une rédemption, tout comme lui avait fini par en trouver une, après des siècles de lutte.
Se levant de son bureau, Dracula décida qu'il était temps d'agir. Candyman ne serait pas une simple menace à éradiquer. Il fallait qu'il entre en contact avec lui, non pas pour le défier, mais pour tenter de le libérer de la haine qui le consumait. Il quitta la bibliothèque, l'esprit empli de questions et de détermination.
La décision de Dracula était prise. Cette confrontation devait se dérouler loin de Ponza, loin de Circé et Carrie. Il ne voulait pas les exposer à une rencontre aussi incertaine, ni troubler la paix qu'elles avaient enfin trouvée sur l'île. Candyman représentait une forme de douleur si enracinée dans l'humanité que seule une âme tourmentée comme la sienne pouvait espérer comprendre ou apaiser cette colère. C'était une mission qu'il devait accomplir seul.
Avant son départ, il prit un moment pour observer Circé et Carrie depuis l'ombre du manoir, les voyant discuter calmement près de la mer. Cette île était leur refuge, un lieu qui leur offrait une paix que peu de créatures surnaturelles pouvaient connaître. Dracula leur devait ce sanctuaire, mais il savait que pour le protéger, il devait continuer à agir en dehors de ses frontières. Avec un dernier regard, il quitta discrètement Ponza.
Chicago, avec ses rues imposantes et ses gratte-ciel, était une ville marquée par son histoire et ses tensions, mais c'était dans le quartier de Cabrini-Green que Dracula sentit la présence de Candyman. Ce quartier, autrefois témoin de violences et de misères sociales, portait encore les stigmates d'un passé brutal. Les bâtiments délabrés se dressaient comme des carcasses, et l'atmosphère était lourde d'une énergie sombre, celle qui nourrissait des légendes comme celle de Candyman.
Dracula marchait lentement à travers les ruelles désertes, le vent sifflant entre les bâtiments abandonnés. Chaque pas résonnait, amplifiant l'impression que tout, ici, était figé dans le temps. Les murs étaient couverts de graffitis, des cris silencieux contre l'injustice et la souffrance. Ce lieu avait vu tant de douleurs qu'il était impossible pour une âme aussi tourmentée que Candyman de ne pas y résider. Cabrini-Green était sa prison, mais aussi sa source de pouvoir.
L'odeur de l'humidité, de la décomposition et du désespoir emplissait l'air. Dracula sentait que la peur, ici, était toujours palpable, comme si elle faisait partie intégrante du lieu. C'était exactement ce qui liait Candyman à cet endroit.
Il s'avança vers un immeuble en ruine, sentant que l'énergie de Candyman y était plus forte. Une force surnaturelle semblait imprégner les murs, lourde et oppressante. C'était ici que la rencontre devait avoir lieu. Dracula savait que Candyman viendrait s'il était appelé, et pour cela, il devait respecter le rituel.
Il entra dans une petite pièce sombre au rez-de-chaussée, une ancienne salle de bains abandonnée. Le miroir, fissuré mais encore suffisamment intact pour refléter son image, se trouvait au-dessus d'un lavabo brisé. La lumière de la lune perçait à travers une fenêtre partiellement cassée, ajoutant une lueur sinistre à la scène.
Sans une once d'hésitation, Dracula se posta devant le miroir, ses yeux sombres fixant leur reflet. Il murmura lentement, mais avec assurance : « Candyman... Candyman... Candyman... Candyman... Candyman. »
Le dernier mot sembla vibrer dans l'air, amplifiant l'atmosphère pesante de la pièce. Le silence se fit soudainement écrasant, comme si l'air lui-même s'était retiré, et un murmure sinistre commença à se répandre autour de lui. L'ombre de Candyman n'allait pas tarder à apparaître.
Dracula se tint prêt, non pour une bataille physique, mais pour une confrontation d'âmes, d'anciens êtres brisés par la souffrance et la vengeance.
Le nom de Candyman résonnait encore dans l'air, se fondant dans le silence lourd et oppressant qui régnait dans la pièce. La tension était palpable, presque étouffante. Dracula, immobile devant le miroir brisé, sentait que l'atmosphère avait changé, comme si le monde extérieur avait été temporairement suspendu. L'air devint plus épais, plus difficile à respirer, et les murmures commencèrent à s'élever dans la pénombre, écho des douleurs du passé.
Un frisson parcourut la pièce, un courant d'air glacé sembla passer, même si tout restait immobile. Puis, il y eut ce bruit distinct, celui d'un bourdonnement sourd et continu, un son qui s'amplifiait de seconde en seconde. Les abeilles. Dracula resta concentré, sachant que la présence de l'esprit vengeur était imminente. Il n'avait pas peur de la confrontation, mais il ressentait le poids de l'histoire tragique de Candyman, de son âme tourmentée par des siècles de souffrance et de vengeance.
Soudain, l'ombre dans le miroir commença à se distordre, à prendre une forme plus définie. L'image de Candyman se dessina lentement, émergeant du reflet comme une silhouette imposante, sa carrure massive prenant forme. Ses vêtements déchirés, ses yeux brûlant d'une haine millénaire, et surtout son crochet rouillé à la place de sa main droite, portaient tous les stigmates de sa malédiction. Autour de lui, des abeilles se bousculaient en un essaim bourdonnant, tourbillonnant dans l'air stagnant de la pièce.
Un souffle glacial emplit la pièce tandis que la voix de Candyman, grave et résonnante, se fit entendre, un mélange de colère et de tristesse infinie.
« Tu m'as appelé... Es-tu prêt à goûter à la douleur éternelle ? »
Ses yeux d'un noir insondable se posèrent sur Dracula, le regard perçant, cherchant à déceler qui était l'homme qui se tenait devant lui. Habituellement, les mortels qui prononçaient son nom finissaient rapidement par connaître la mort. Mais ce qu'il voyait dans les yeux de Dracula n'était pas de la peur, mais une compréhension silencieuse. Candyman resta figé un instant, perplexe, avant de laisser un ricanement amer s'échapper de ses lèvres.
« Qu'est-ce que tu espères ? Toi aussi, tu es venu me défier ? Crois-tu que tu peux me détruire ? »
Dracula, imperturbable, ne baissa pas les yeux. « Je ne suis pas ici pour te détruire, Candyman. Je suis ici pour comprendre. Je peux sentir ta souffrance... elle est profonde, puissante. Mais est-ce vraiment cela que tu désires ? Continuer à semer la terreur, sans jamais connaître la paix ? »
Candyman se redressa légèrement, intrigué par cette réponse inhabituelle. Il n'avait jamais rencontré quelqu'un qui ne le craignait pas. Habituellement, son nom seul suffisait à terroriser les vivants. Son crochet crissa contre le mur alors qu'il se rapprochait de Dracula, son aura sinistre emplissant la pièce de sa présence suffocante.
« Paix ? » répéta-t-il d'une voix grondante, comme s'il trouvait l'idée risible. « Ils m'ont arraché à tout ce que j'étais. Mon humanité, mon amour, tout cela m'a été pris par les vivants, par ceux qui pensaient pouvoir me briser. Pourquoi devrais-je leur accorder la paix, alors qu'ils ne m'ont offert que la souffrance ? »
Les abeilles s'intensifièrent autour de Candyman, enveloppant son corps comme une couronne maudite. La rage émanait de lui, une colère si ancienne qu'elle semblait devenue une partie intégrante de son existence. Le crochet à sa main se leva, pointé directement vers Dracula, comme une menace imminente.
« Les vivants m'ont trahi... mais aussi les morts. Tu es l'un d'entre eux, toi aussi, une créature condamnée à errer entre les mondes. N'essaie pas de me parler de rédemption. »
Il cracha le dernier mot avec mépris, comme si l'idée même de rédemption était un fardeau qu'il rejetait. Pour lui, il n'y avait plus de salut, seulement une existence éternelle d'horreur, alimentée par une vengeance sans fin. Dracula ne broncha pas, laissant la tempête de colère s'abattre sur lui sans faillir. Il savait qu'affronter directement cette fureur ne mènerait à rien. Candyman était une âme brisée, tout comme lui l'avait été autrefois. Mais là où Dracula avait trouvé une forme de paix, Candyman restait prisonnier de son passé.
« Je comprends ta haine, » dit Dracula d'une voix calme, presque apaisante. « J'ai moi aussi été trahi par ceux que j'aimais et par ceux en qui j'avais confiance. J'ai perdu tout ce qui m'était cher, et j'ai cédé à la tentation de la vengeance. Cela m'a consumé... pendant des siècles. »
Candyman resta silencieux un moment, ses yeux scrutant ceux de Dracula, cherchant à voir si ses paroles étaient sincères ou simplement une tentative de manipulation. Dracula, sentant qu'il avait éveillé un léger doute, continua.
« Mais je suis là pour te dire que la vengeance n'apporte que plus de douleur. Tu n'es plus l'homme que tu étais, Candyman. Tu as été transformé par cette haine, cette injustice. Mais est-ce vraiment ce que tu veux ? Être à jamais lié à cet endroit, à ce cauchemar sans fin ? »
Le crochet de Candyman frappa le mur avec violence, envoyant des éclats de plâtre dans toute la pièce. Ses yeux s'embrasèrent de colère, mais une part de lui semblait hésiter, prise entre sa rage et les paroles de Dracula qui résonnaient en lui.
« Que veux-tu de moi, vampire ?! Crois-tu vraiment que je peux être sauvé ? Ils m'ont condamné à cela ! Tout ce que j'étais, tout ce que j'avais, a été arraché ! Pourquoi devrais-je pardonner ? Pourquoi devrais-je abandonner ce que je suis devenu ? »
La voix de Candyman tremblait de fureur, mais Dracula pouvait sentir que derrière cette façade de colère, une autre émotion plus subtile se dessinait : la douleur, aussi vive que le jour où il avait été condamné à cette existence d'horreur.
« Ce que tu es devenu est une conséquence de la haine qu'ils t'ont infligée, » répondit Dracula doucement. « Mais cela ne doit pas être tout ce que tu es. Il y a encore une part de toi, une part de l'homme que tu étais, qui peut choisir un autre chemin. »
Candyman resta immobile, son crochet toujours levé, ses abeilles bourdonnant autour de lui. Mais quelque chose avait changé. Il n'avait pas attaqué. Pour la première fois depuis des décennies, Candyman ne se précipitait pas pour infliger la souffrance à celui qui se tenait devant lui. Un silence lourd s'installa, et les deux êtres se fixèrent, deux âmes tourmentées par la vengeance, mais peut-être encore capables de trouver une lueur de rédemption.
Face à l'immensité de la douleur qui émanait de Candyman, Dracula resta parfaitement immobile, ses yeux plongés dans ceux de l'esprit vengeur. La rage qui bouillonnait dans le regard de Candyman était presque palpable, comme un feu prêt à tout consumer. Mais Dracula n'était pas intimidé. Il connaissait cette douleur, il en avait été l'esclave pendant des siècles, et savait que pour tenter de l'apaiser, il devait d'abord atteindre l'homme qui se cachait derrière le monstre.
« J'ai été trahi par ceux que j'aimais et par ceux en qui j'avais confiance, tout comme toi, » commença Dracula, sa voix basse mais ferme, résonnant dans la pièce. « Tu penses être seul dans ta douleur, mais je te comprends mieux que tu ne l'imagines. »
Candyman serra le poing autour de son crochet, son visage se contractant sous l'effet de la colère. Il fit un pas en avant, menaçant, mais Dracula ne recula pas. « Je connais ce chemin, Candyman. Le chemin de la vengeance, de la douleur, du désespoir. »
Dracula ferma un instant les yeux, puis les rouvrit, replongeant dans les souvenirs qui le hantaient encore parfois. « Il fut un temps où j'étais Gabriel, un chevalier de la Confrérie de la Lumière. J'étais un homme de foi, un homme qui croyait en la justice. Mais un jour, j'ai été trahi par Zobek, celui que je croyais être mon allié. Il m'a manipulé, m'a poussé à tuer... ma propre femme, Marie. » Sa voix se fit plus grave, teintée d'amertume et de regret. « Je ne l'ai découvert que trop tard. Ma vengeance m'a dévoré. Elle m'a transformé en ce que je suis aujourd'hui. »
Candyman resta silencieux, mais Dracula pouvait voir que ses paroles faisaient leur chemin. L'évocation de la trahison et de la perte d'un être cher réveillait quelque chose en lui. Ses yeux flamboyaient toujours de colère, mais cette fois, il y avait autre chose : une reconnaissance douloureuse de ce que Dracula venait de partager.
« Tu penses me comprendre, vampire ? » rétorqua Candyman, sa voix tremblante sous le poids de la rage. « Mais tu n'as aucune idée de ce que c'est... d'être arraché à tout ce qui te définit, de voir ton corps mutilé, ta vie dévorée par la haine des autres. Tout cela, juste parce que tu aimes. »
Les abeilles autour de Candyman bourdonnaient plus fort, comme un écho de sa fureur. Il s'avança encore, le crochet brillait à la lueur de la lune filtrant à travers la fenêtre brisée. « Ils m'ont torturé, brûlé, mutilé. Ils m'ont volé mon humanité, mon amour. Tu parles de douleur, mais moi, je suis la douleur. Ils m'ont fait devenir ce que je suis. »
Dracula resta impassible. La rage de Candyman était immense, nourrie par des siècles d'injustice et de souffrance. Il connaissait cette route, celle qui ne laissait aucun répit, aucune lumière. Mais il savait aussi qu'il existait un autre chemin.
« La vengeance m'a dévoré moi aussi, » dit Dracula, sa voix s'adoucissant légèrement. « Pendant des siècles, j'ai cherché à punir ceux qui m'avaient trahi. J'ai abandonné mon humanité pour devenir un monstre, exactement comme toi. Mais tout ce que cela m'a apporté, c'est plus de solitude, plus de souffrance. La vengeance est une illusion, Candyman. Elle ne guérit rien. Elle ne fait qu'alimenter la douleur. »
Candyman recula d'un pas, ses yeux encore remplis de fureur, mais il écoutait. Dracula savait qu'il touchait quelque chose en lui, une part de l'homme qu'il avait été, cette part qui avait été enterrée sous des couches de rage et de désespoir.
« Tu crois vraiment qu'il y a un autre chemin ? » demanda Candyman, son ton oscillant entre sarcasme et curiosité. « Ils m'ont fait cela. Ils ont fait de moi ce que je suis. Comment pourrais-je pardonner cela ? Comment pourrais-je être autre chose qu'un esprit de vengeance ? »
Dracula le regarda droit dans les yeux, une étincelle de détermination dans son regard. « Parce que c'est en toi. La part de toi qui était un homme, un artiste, un amoureux. Elle est encore là, quelque part. Elle ne peut être effacée, sauf si tu choisis de la détruire toi-même. »
Candyman serra les mâchoires, son corps tendu sous le poids des émotions conflictuelles. Sa douleur était palpable, une douleur si ancienne qu'elle semblait presque faire partie de lui. Mais au-delà de cette douleur, Dracula sentait quelque chose de plus profond. Une part de Candyman, aussi infime soit-elle, qui n'était pas entièrement consumée par la vengeance.
« Je ne dis pas que tu dois pardonner, » ajouta Dracula doucement. « Je dis simplement que la vengeance ne doit pas te définir. Ce n'est pas tout ce que tu es, ni tout ce que tu dois être. »
Le silence retomba dans la pièce, lourd et dense. Candyman ne réagit pas tout de suite, ses pensées se bousculant derrière son regard sombre. Mais Dracula savait que ses paroles avaient éveillé quelque chose en lui. Ce n'était peut-être pas encore la rédemption, mais c'était un début. Une fissure dans l'armure de douleur que Candyman portait depuis si longtemps.
L'atmosphère dans la pièce restait lourde et étouffante, comme si le temps lui-même avait ralenti, piégé dans cet échange entre deux âmes tourmentées. Candyman continuait de fixer Dracula avec une colère palpable, son crochet tremblant légèrement dans sa main. Mais au-delà de la fureur qui brûlait encore dans ses yeux, Dracula pouvait voir une lueur de doute commencer à poindre. Ce doute, aussi infime soit-il, était le premier signe que quelque chose en Candyman commençait à céder.
« Tu parles comme si tu savais ce que c'était, » cracha Candyman, sa voix toujours imprégnée de rage, mais avec un éclat d'amertume en plus. « Mais tu ne comprends pas. Je ne suis pas comme toi. »
Dracula resta silencieux, laissant Candyman s'exprimer. Le monstre ne voulait pas être perçu comme une victime, il refusait de l'admettre. Pour Candyman, accepter la vérité de sa souffrance revenait à reconnaître qu'il avait été brisé, et cela, il ne pouvait pas l'accepter.
« Ils m'ont fait cela, » reprit Candyman, sa voix grondant dans la pièce. « Ils m'ont volé tout ce que j'étais. Je n'étais pas qu'un simple homme. J'étais un artiste, je créais la beauté... Mais ils m'ont transformé en cette chose. En ce monstre ! Pourquoi devrais-je leur pardonner ? Pourquoi devrais-je cesser de les haïr ? »
Dracula ne détourna pas le regard, laissant ses propres souvenirs douloureux remonter à la surface. Il comprenait cette haine, il l'avait connue de si près, mais il savait aussi où elle menait.
« La haine te détruit plus sûrement que n'importe quel ennemi, » dit Dracula d'une voix grave. « Elle te consume de l'intérieur, elle te transforme. Regarde ce que tu es devenu. Tu es plus que ce monstre, Candyman. Tu étais un artiste, un homme qui façonnait la beauté. Et même maintenant, cette part de toi existe encore, quelque part. Mais la haine l'éclipse. »
Candyman gronda, un son guttural émanant de sa gorge, mais il ne bougea pas. Les mots de Dracula faisaient écho en lui, et même s'il refusait de l'admettre, ils l'affectaient. Il s'était enfermé dans sa vengeance depuis si longtemps qu'il ne savait plus ce que c'était d'être autre chose qu'un esprit vengeur. Pour lui, le pardon n'était jamais une option, car cela aurait signifié abandonner ce qui le définissait désormais. Mais Dracula parlait d'une manière différente, comme si cette possibilité de rédemption était à portée de main, malgré tout.
« Laisse-moi te poser une question, Candyman, » reprit Dracula calmement. « Que t'apporte ta vengeance ? Chaque âme que tu tourmentes, chaque vie que tu prends... Est-ce que cela apaise ta douleur ? Est-ce que cela te rend ce qu'ils t'ont volé ? »
Le silence retomba. Candyman ne répondit pas immédiatement. Son poing se serra, et il détourna un instant le regard, comme s'il cherchait à fuir la question. Les bourdonnements des abeilles autour de lui semblèrent s'intensifier, comme un écho de son agitation intérieure.
« Cela me donne du pouvoir, » murmura-t-il finalement, ses mots se heurtant presque les uns aux autres. « Cela me fait sentir... vivant. »
Dracula hocha lentement la tête, comprenant ce besoin viscéral de ressentir quelque chose, même si c'était la rage. « Mais cela ne te ramène pas ce que tu as perdu, » répliqua-t-il doucement. « Cela ne ramène pas l'homme que tu étais. »
Candyman détourna de nouveau le regard, fixant un point invisible dans la pièce. La vérité de ces paroles résonnait en lui, mais il luttait contre elle. Il ne voulait pas être vu comme une victime. Il avait bâti son existence sur la vengeance, et sans cela, que lui restait-il ?
« Je ne suis plus cet homme, » lâcha-t-il brusquement, son crochet frappant le mur avec une force brute. « Cet homme est mort le jour où ils m'ont arraché à ma vie, le jour où ils m'ont mutilé, brisé... »
« Peut-être, » concéda Dracula. « Mais même au-delà de cette mort, il y a encore une part de lui en toi. Une part que tu peux choisir de retrouver. Une part qui n'est pas définie par ce que ces monstres t'ont fait, mais par ce que tu veux devenir. »
Candyman ferma les yeux un instant, ses poings se serrant autour du crochet rouillé. La colère qui bouillonnait en lui était encore là, mais quelque chose commençait à s'effriter. Une fissure dans cette armure de rage et de vengeance qu'il avait portée si longtemps.
Dracula, voyant que ses paroles atteignaient leur cible, se rapprocha doucement. « Je ne te demande pas de pardonner, Candyman. Je te demande de te libérer. De ne plus être prisonnier de ce qu'ils t'ont fait. Tant que tu continues à te venger, tu restes leur esclave. Leur prisonnier. »
Les mots résonnèrent dans l'esprit de Candyman. Esclave. Prisonnier. Il n'avait jamais vu les choses sous cet angle. Pour lui, la vengeance avait toujours été une forme de pouvoir, de contrôle sur ceux qui l'avaient détruit. Mais en écoutant Dracula, il commençait à comprendre que cette vengeance ne l'avait jamais vraiment libéré. Elle l'avait simplement maintenu captif dans une spirale de douleur sans fin.
Il ouvrit les yeux, fixant Dracula avec une intensité renouvelée, mais cette fois, la rage semblait moins vive. Il ne voulait pas l'admettre, mais quelque part, il savait que le vampire avait raison.
« Et si je choisis ce chemin ? » murmura Candyman, sa voix étrangement faible, presque hésitante. « Que me reste-t-il alors ? Qui suis-je, sans cette vengeance ? »
Dracula s'approcha encore, son regard empreint de compassion. « Tu redeviens ce que tu veux être. Un homme libre. Un esprit en paix. »
Le silence retomba dans la pièce, lourd et presque oppressant. Les murmures des abeilles s'atténuèrent tandis que Candyman se tenait immobile, son crochet encore baissé, ses yeux d'un noir insondable plongés dans une contemplation silencieuse. Dracula pouvait sentir que quelque chose changeait en lui, une lutte intérieure plus profonde que toute confrontation physique. Candyman n'était plus simplement un esprit vengeur à ce moment-là. Il était de nouveau cet homme qu'il avait été autrefois, brisé, mais toujours capable de ressentir quelque chose de plus que la haine.
Les souvenirs de son passé, de ce qu'il était avant, remontaient lentement à la surface. Avant le cauchemar, avant la mutilation. Il se souvenait des jours où il créait la beauté, où il vivait avec passion, où ses œuvres faisaient vibrer les cœurs et éveillaient l'admiration. Il se souvenait d'elle, la femme qu'il avait aimée, celle pour laquelle il avait été condamné.
« Je me souviens d'elle, » murmura-t-il, sa voix soudainement plus douce, empreinte de mélancolie. « Elle était tout pour moi. Sa peau était comme de la porcelaine, ses yeux d'un bleu pur. Nous partagions une connexion si profonde... Je créais pour elle. Chaque trait de pinceau, chaque couleur… c'était pour elle. »
Dracula écoutait attentivement, laissant Candyman exprimer cette douleur qui n'avait jamais été libérée. C'était là, au cœur de cette souffrance, que résidait l'humanité de Candyman, l'homme qu'il avait été avant que tout ne lui soit arraché. La perte de son amour avait brisé cet homme, et ce chagrin était devenu la fondation de sa vengeance.
« Mais ils l'ont détruite, tout comme ils m'ont détruit, » poursuivit Candyman, ses mots tremblant sous le poids du souvenir. « Ils n'ont pas pu supporter l'idée qu'elle m'aime. Leur haine… leur haine était plus forte que notre amour. »
Il serra le poing autour de son crochet, ses doigts blanchissant sous la tension. Dracula pouvait ressentir cette lutte intérieure, entre la rage brûlante qui l'avait maintenu en vie tout ce temps et la tristesse infinie qui l'étouffait. Candyman se souvenait, et ce souvenir le déchirait de l'intérieur.
« Ils m'ont pris tout ce que j'étais, tout ce que je voulais être, » murmura-t-il, les yeux brillants d'une tristesse insondable. « Et maintenant, il ne reste que… cela. » Il leva légèrement son crochet, le regardant comme s'il le voyait pour la première fois. Un instrument de mort, de vengeance, une arme qui n'avait jamais pu guérir la blessure qu'il portait dans son âme.
Dracula s'approcha lentement, ses mots pesant, mais remplis de compassion. « La vengeance n'efface pas la douleur, Candyman. Elle ne fait que l'alimenter. Je sais que tu souffres, mais cette souffrance n'est pas ce qui te définit. Ce n'est pas tout ce que tu es. »
Candyman détourna les yeux, comme s'il ne pouvait supporter d'entendre ces mots. Mais Dracula poursuivit, sa voix douce, mais ferme. « Tu étais un créateur, Candyman. Tu façonnais la beauté, tu inspirais l'amour. Ce n'est pas l'homme que tu es devenu qui compte, c'est l'homme que tu peux redevenir. »
Les mots résonnèrent dans la tête de Candyman. Il se souvenait de ses œuvres, de la manière dont il peignait, chaque coup de pinceau créant des mondes nouveaux, des émotions nouvelles. Il se souvenait de la paix qu'il ressentait en créant, de cette sensation d'accomplissement et de bonheur simple qui venait de son art. Mais ce monde-là lui avait été arraché, et depuis, il avait erré, se nourrissant de la terreur des vivants pour maintenir son existence.
« Et si je ne suis plus cet homme ? » demanda-t-il d'une voix éteinte, presque résignée. « Et si je suis condamné à rester ce monstre ? »
Dracula secoua doucement la tête. « Personne n'est condamné à rester ce qu'il est. Nous avons tous le choix. Même toi. »
Candyman resta silencieux, ses yeux se perdant dans le vide. Le doute s'était installé en lui. La rage qui l'avait maintenu en vie pendant des siècles commençait à s'effriter, laissant place à une autre forme de souffrance, plus intime, plus fragile. Il ne voulait pas être un monstre, mais il ne savait plus comment être autre chose.
Le crochet, symbole de sa vengeance et de sa malédiction, s'abaissa lentement. Son regard devint plus lointain, empreint de tristesse. Pour la première fois depuis des décennies, Candyman commençait à comprendre que sa vengeance éternelle ne pourrait jamais apaiser sa douleur. Qu'en continuant sur ce chemin, il restait prisonnier de son propre tourment, incapable de retrouver ce qu'il avait perdu.
« La rédemption, Candyman, » murmura Dracula, « n'est pas une chose que l'on reçoit. C'est une chose que l'on choisit. Ce chemin n'est pas facile, mais il est toujours là, même pour une âme tourmentée comme la tienne. »
Candyman ferma les yeux, son visage marqué par une souffrance millénaire. Il se souvenait de l'homme qu'il avait été, de l'amour qu'il avait connu, et de la beauté qu'il avait créée. Mais il se souvenait aussi de la haine, de la douleur, du sang, et de la vengeance. Tout cela faisait partie de lui, mais maintenant, pour la première fois, il voyait qu'il avait encore une chance de choisir.
Le silence s'étira, lourd, mais rempli d'une nouvelle forme de tension. Puis, sans un mot, Candyman disparut dans un nuage d'abeilles bourdonnantes, qui s'éparpillèrent dans la pièce, emportant avec elles l'ombre de l'esprit vengeur. Dracula resta seul dans la salle sombre, fixant le miroir brisé. Candyman n'avait pas donné de réponse claire, mais Dracula savait qu'une graine avait été plantée.
Il ne pouvait pas forcer Candyman à choisir la rédemption, mais il lui avait montré que cette voie existait. Le reste dépendait de lui.
Dracula ferma les yeux un instant, absorbant la lourdeur de l'atmosphère qui venait de s'évanouir avec Candyman. Il avait semé le doute, offert une alternative à l'éternelle vengeance, et il savait que cela prendrait du temps. Mais au fond de lui, il espérait que cet homme, cet artiste déchu, choisirait un jour de retrouver la paix.
De retour sur l'île de Ponza, la brise marine caressa doucement le visage de Dracula tandis qu'il marchait en direction de leur demeure, un sanctuaire baigné de lumière dans ce monde souvent dévoré par les ténèbres. Malgré la tranquillité des lieux, il sentait encore en lui le poids de la rencontre avec Candyman. L'esprit vengeur ne l'avait pas attaqué, mais le silence qui avait suivi cette confrontation résonnait encore en lui.
En approchant de la maison, Circé et Carrie l'attendaient déjà à l'entrée. Leur inquiétude était palpable. Circé, avec ses pouvoirs de sorcière, avait probablement ressenti la lourdeur de l'énergie qui entourait cette rencontre. Carrie, quant à elle, regarda Dracula avec une lueur d'anxiété, ses pouvoirs encore sensibles à l'émotion qui flottait dans l'air.
« Tu es revenu sain et sauf, » dit Circé, un léger sourire apaisant aux lèvres. Mais son regard, scrutateur, cherchait des réponses dans le silence de Dracula.
Dracula hocha la tête, son expression calme, mais marquée par la réflexion. « Je suis allé à la rencontre de Candyman, » dit-il doucement. Circé et Carrie l'écoutaient attentivement, sentant que ce qu'il allait dire portait une signification plus profonde que n'importe quelle simple bataille.
Ils s'assirent à l'intérieur, dans le salon baigné de la douce lumière du crépuscule. Dracula resta un moment silencieux, rassemblant ses pensées, avant de se lancer dans le récit de sa rencontre avec Candyman. Il leur expliqua comment l'esprit vengeur, autrefois un homme brisé par l'injustice, avait été consumé par la haine et la douleur. Comment il avait tenté de raisonner avec lui, de lui montrer un chemin différent.
« Je n'ai pas cherché à le détruire, » confia-t-il, son ton empreint de gravité. Carrie fronça les sourcils, curieuse de comprendre cette décision.
« Pourquoi ? » demanda-t-elle doucement, la tête légèrement inclinée. « Tu dis qu'il est dangereux, qu'il a fait du mal à tant de gens… alors pourquoi ne pas l'avoir éliminé ? »
Dracula laissa échapper un soupir, ses yeux fixés sur un point lointain, comme s'il revivait encore cet instant avec Candyman. « Parce qu'il n'est pas qu'un monstre, » répondit-il après un moment. « Il était un homme avant tout cela. Un homme trahi par le monde, brisé par l'injustice. Et même maintenant, une part de cet homme existe encore, enfouie sous la haine. Le détruire ne ferait que perpétuer cette souffrance. »
Circé écoutait attentivement, hochant doucement la tête en signe de compréhension. Elle connaissait bien la nature complexe de la rédemption, ayant elle-même traversé des épreuves qui avaient mis sa foi à l'épreuve. Elle savait que parfois, la destruction d'un ennemi n'était pas la seule voie.
« Rien n'est jamais simple avec les esprits comme lui, » murmura-t-elle. « La haine peut te consumer jusqu'à l'oubli de soi, mais il reste toujours une chance, même infime, de choisir un autre chemin. »
Dracula acquiesça. « C'est ce que je crois. Je ne sais pas si Candyman choisira cette voie. Peut-être continuera-t-il à errer dans la vengeance. Mais j'ai planté une graine, une idée qu'il n'avait jamais envisagée : qu'il peut encore être autre chose. »
Carrie, qui avait elle aussi connu la tentation de la haine et de la vengeance, semblait perdue dans ses propres pensées. Elle savait ce que c'était que de vouloir tout détruire, mais aussi ce que cela coûtait à l'âme.
« Est-ce que tu penses qu'il trouvera la paix ? » demanda-t-elle doucement.
Dracula la regarda, ses yeux remplis de compassion. « Je ne sais pas. Peut-être qu'il ne la trouvera jamais. Mais ce que je sais, c'est que même les âmes les plus tourmentées ont une chance de rédemption. Ce n'est jamais facile, ni garanti. Mais tant qu'il existe une lueur d'humanité en lui, il y a une chance, aussi infime soit-elle. »
Le silence s'installa de nouveau, un silence paisible cette fois, empreint de réflexion. Circé prit la main de Dracula, offrant un soutien silencieux, tandis que Carrie acquiesçait lentement, comprenant mieux la profondeur de cette rencontre.
« Nous continuons, comme toujours, » dit finalement Dracula, sa voix douce mais déterminée. « Nous faisons face aux ténèbres, mais nous n'oublions jamais que la lumière existe, même dans les cœurs les plus assombris. »
Et tandis que le soleil disparaissait à l'horizon, plongeant Ponza dans l'obscurité tranquille de la nuit, Dracula savait que son combat contre les forces des ténèbres continuerait. Mais il savait aussi que, parfois, il ne s'agissait pas de détruire ces ténèbres, mais de leur offrir un chemin vers la lumière.
