VIII Maladresse et juste solitude

Mercredi 6 novembre 2002

"Oui, je me souviens de cette Thorne, dévorée par ses propres plantes", commence Dawn lentement. "La dernière affaire de Bell — il m'avait demandé de l'assister, comme au bon vieux temps. Tu dis que le dernier dénoncé par la Justice Bafouée est accusé de... Merlin, tu veux dire qu'on s'est trompés en concluant à un accident ?"

"Je veux dire qu'il va falloir vérifier. Et que je veux bien votre dossier et vos souvenirs", je tente. Heureusement que j'ai eu la réaction de Ron et Bertram avant. Si Dawn s'affole comme ça, comment réagiront les autres !

"Merlin. Faut que je cherche ! Vous n'avez pas sorti nos dossiers ?"

"Je ne sais pas", j'avoue. "Est-ce que tu te souviens des ouvriers ?"

"Ils n'étaient pas très nombreux, mais je ne me souviens pas de leurs noms", elle soupire, le front plissé.

"Est-ce que tu te souviens d'un certain Jasper Hunter ?"

"Comme ça, non, Dora, promis !"

Je vais lui dire que je la crois quand Gawain Robards, le lieutenant de l'équipe de Dawn, pousse la porte du bureau.

"Dora, un problème ?", il questionne sans ambages.

"L'enquête sur le dernier cas de la Justice m'amène à creuser des enquêtes plus anciennes. L'une a été menée par Dawn et Bell", j'explique en faisant de mon mieux pour avoir l'air posée et calme. Comme Kingsley le ferait. "Je venais voir ce dont Dawn se souvenait."

"Runeson pose des questions à Savage et Weasley à Oliver Forrest", pointe Gawain avec un coup de menton derrière lui, comme une précision inutile. Oliver Forrest est dans son équipe, mais Rigel Savage dans celle de Carley, j'espère qu'il ne prend pas ça personnellement.

"Pour les mêmes raisons", j'admets.

"Je croyais que c'était la Justice que vous pistiez !", s'exclame Gawain.

"On ne peut pas la trouver sans comprendre comment elle fonctionne. On cherche de multiples façons", j'explique toujours patiemment. "Je veux aller interroger Hunter, le dernier coupable désigné en date. Savoir s'il est responsable des crimes dont la Justice l'accuse, quelles affaires lui sont reprochées, c'est nécessaire."

"T'es en train de dire que des Aurors l'ont laissé filer ?", reformule Gawain nerveusement. "Shacklebolt sait ?"

"Gawain, s'il te plaît, ne t'emballe pas. Si ça se trouve, Hunter est innocent. Ou innocent de certains des crimes dont la Justice l'accuse."

"Ou pas."

"Ou pas", j'admets.

"Et tu ne dis rien à Shacklebolt ?", il lâche avant de rajouter, "Sans vouloir me mêler de ce qui ne me regarde pas."

"Je vais aller le voir quand j'aurai une idée de la taille du problème", je soupire. Je ne me vois pas lui dire que je ne l'ai pas encore envisagé.

"Dawn ?", presse maintenant Robards. Ok, ça fait deux mis en cause de son équipe et il le prend personnellement.

"Je ne me souviens pas réellement des détails que veut connaître Dora, lieutenant", répond ma vieille copine, sur ses gardes, je dirais. "Je ne me souviens pas des noms des ouvriers qu'on a interrogés, notamment."

"Il faut que tu ailles te rafraîchir la mémoire. C'est important. Il ne faut pas que ça traine", estime Robards. Dawn me regarde et je me contente d'opiner — toute intervention de ma part n'apporterait rien à ce stade, je décide.

"Bien lieutenants", articule Dawn en se levant de son bureau.

Peut-être parce que c'est elle, je me dis que ça va sans doute un peu trop loin dans le formalisme.

"Je veux juste savoir, à ce stade, si le nom de Jasper Hunter est apparu dans l'enquête, s'il a été interrogé, pourquoi il a été écarté", je rajoute donc. Dawn me dévisage pas très loin du ressentiment. "Je limite juste ma requête", je me sens obligée de justifier. "Et demande à Ron et Bertram s'ils n'ont pas ramené ici tous les dossiers. Pas la peine d'aller aux archives pour rien."

"Oui, Lieutenante", elle commente, retranchée derrière le formalisme et la distance que je voulais abolir. "Je reviens vers toi dès que possible."

Quand elle est sortie, Gawain se racle la gorge. "C'est une sale affaire", il commente.

"Pas encore", je réponds, sans y croire moi-même sincèrement. "Et pas obligatoirement non plus."

"Tu crois que le sorcier moyen va être content d'apprendre que ni policiers ni Aurors ne se rendent compte quand des gens sont empoisonnés ?"

"Je ne dis pas qu'il n'y a pas un enjeu de communication, mais sauf si quelqu'un de la Division bavarde, je ne vois pas comment ça sortirait dans les journaux avant qu'on en sache davantage", j'argumente calmement.

"Les policiers ne vont pas être trop contents d'égaliser le score ?", questionne Gawain âprement.

"Pour l'instant, ils sont sur le terrain à quadriller le quartier."

Gawain inspire et souffle et acquiesce brusquement. "Bravo pour les nerfs, Dora. Tu me dis si tu as besoin de quelque chose. J'imagine que Dawn aura à cœur de t'aider, mais je peux parler à Oliver s'il le faut."

"Merci Gawain, J'espère ne pas te prendre plus de ressources et de temps. Je sais que tu as tes propres dossiers et qu'ils sont importants."

Je ne sais pas ce qu'il aurait répondu, parce que Ron et Oliver Forrest sont sur le pas de la porte que Dawn a laissée ouverte en sortant.

"Lieutenante, Oliver se souvient de Hunter", lance Ron, avec son entrain caractéristique. "Bonjour, lieutenant Robards."

"Entrez et fermez la porte", je décide. Ils s'exécutent. Gawain s'empresse de transformer le bureau de Dawn pour qu'on ait une table ronde autour de laquelle s'asseoir. C'est certainement considéré et utile, mais je me demande si je dois lui rappeler encore une fois qu'il a toute une équipe à piloter. "Je t'écoute, Oliver", j'encourage plutôt.

"Quand on a découvert Cole, ça avait l'air d'une affaire très claire, lieutenante", il commence. Comme Gawain, Oliver n'a qu'un an de plus que moi. Il m'a même un peu dragué quand je suis arrivée à la Division. Il est actuellement Rang Deux, avec des résultats un peu en dents de scie selon sa motivation. Et il préfère clairement un registre totalement professionnel dans cette discussion. "Un type qui, par habitude, avait perdu de vue les risques de son activité. Le laboratoire n'a pas émis de doute sur les causes de la mort."

J'opine pour montrer que j'entends la défense qu'il prend soin de construire. Gawain m'imite et je réalise qu'il me regarde moi, plutôt qu'Oliver. Ron complète les notes qu'il a prises dans son carnet. Je réalise avec une pointe de mauvaise conscience que je vais devoir regarder ce dossier - à moins que ce soit la réalisation d'à quel point cette enquête m'éloigne de mes collègues. Mes subordonnés — souligne une partie intransigeante de mon cerveau. J'opine de nouveau pour moi-même et Oliver prend ça comme une invitation à poursuivre :

"On a quand même convoqué les ouvriers. D'abord, les nouveaux, ceux qui avaient juste travaillé à la dernière production. Deux jeunes hommes qui ont tellement paru tomber des nues à l'annonce de la mort de Cole qu'il a été difficile d'insister. Et puis les réguliers, pas si nombreux que ça et généralement pas spécialement heureux de nous voir à leur porte. Et Hunter, dans mes souvenirs, a été le gars sympa qui a bien voulu tout de suite nous répondre : Cole était du genre solitaire, toujours en train de bidouiller son alambic, toujours en train de surveiller ou de repasser sur le travail de ses ouvriers. Son témoignage allait plutôt dans le sens de l'accident. C'est mon souvenir."

"Pas de conflit ?"

Oliver Forrest a un coup d'œil pour Gawain qui, heureusement, reste de marbre.

"Avec Cole ?"

"Hunter ou un autre", je confirme patiemment.

Forrest secoue la tête. "Tous les témoignages ont concordé. Cole était agaçant et distant, mais pas un salaud."

"Tous les témoignages ? Qui d'autre que Hunter ?", je m'intéresse.

"De tête, je ne sais plus, Tonks !", se défend Oliver.

"Eh bien, va avec Ron regarder, s'il te plaît. Parce que je veux être certaine avant d'aller interroger Hunter", je pose de ma voix la plus neutre.

Ronald s'est immédiatement levé, le brave petit. Oliver, lui, hésite.

"Ils ont besoin de savoir s'ils ont affaire à un innocent", commente Gawain, scrupuleusement neutre lui aussi, je dirais. "Dépêche-toi, j'ai besoin de toi sur nos dossiers, Oliver."

"Oui, Gawain", soupire Oliver. Quand il est à la porte, il se retourne. "Franchement, je ne me souviens pas de m'être dit que Hunter avait l'air louche ou de jouer la comédie", il rajoute nerveusement.

"J'en suis certaine, Oliver", je décide de commenter.

"Mais la Justice ne s'est pas trop trompée jusqu'à présent", il rajoute de lui-même.

"Comme l'a dit Gawain, j'ai besoin de savoir, Oliver", je réponds en haussant les épaules.

"T'as besoin d'un coupable", estime alors Forrest, l'air curieusement résigné.

"Alors, si on doit venir sur ce terrain-là, tu étais le second de Savage sur cette affaire, pas le chef de l'équipe", je souligne. Gawain à mes côtés s'est imperceptiblement tendu.

Oliver ravale le premier commentaire qui lui vient et choisit un "On verra bien" et nous salue d'un signe de tête avant de sortir avec Ron.

"Tu vas interroger Savage aussi ?", me questionne Gawain avec une neutralité étudiée.

"Je ne mène pas une enquête interne", je soupire. "Du moins, pas pour l'instant. Ma mission, c'est de trouver la Justice et de qualifier ses actes. Accuser un innocent serait un mauvais point pour elle."

Gawain opine pensivement et on reste silencieux tous les deux, à peser le pour et le contre quand Dawn revient. Elle a un dossier de plusieurs rouleaux avec elle.

"Ron et Oliver m'ont dit que vous étiez toujours là."

"Tous les deux", je souligne aimablement, mais Gawain entend.

"Tu penses que... ce n'est pas ma place, Dora ?", il s'enquiert lentement, comme s'il découvrait l'idée, voire qu'il pourrait s'offusquer du rappel.

"Je n'ai aucune idée de ce qui est urgent sur ton agenda. Et je ne vais pas m'en inquiéter", je commence puis je secoue la tête. "Mais si Kingsley s'en émeut, ne compte pas sur moi pour dire que je t'ai demandé de rester", je rajoute avec moins de gants. On se regarde dans les yeux et je vois qu'il est agacé. "Ce n'est pas une enquête interne, Gawain, dans laquelle tu peux juger nécessaire d'assister les membres de ton équipe", je répète.

"Tu me demandes de vous laisser ?", il vérifie avec une forme de suspicion qui finit de me faire perdre l'envie de me montrer conciliante.

"Je ne te demande rien de tel", je m'agace ouvertement. Je me détourne ouvertement de lui. "Dawn, je t'écoute."

"Ce ne sera pas très long, chefs", commence Dawn sur un ton que je reconnais bien : c'est celui qu'elle prendrait pour nous ramener Carley et moi à plus de conciliation. "J'avais oublié le nom de Jasper Hunter parce que tous les autres proches de la victime ont parlé de lui comme du Petit Jardinier. Parce qu'il était le plus jeune et qu'il n'est pas très grand, c'est un fait. J'ai repris notre chrono, on a mis trois jours à noter son vrai nom. Le jour où on l'a interrogé, en fait. Avant, j'ai ce surnom puis des noms fantaisistes : M. Jasper, Jasper Garden, Hunter Garden... Bref. Lors de l'interrogatoire, Jasper Hunter a été très poli, très précis dans ses réponses, mais sans tellement livrer de sentiments. Il a longuement parlé de son travail et de ce que sa patronne lui aura appris dans les soins aux plantes carnivores. Il a été de ceux qui ont confirmé que l'état des plantes était étonnant. Il a même demandé s'il pourrait avoir une copie des analyses quand on les aurait. Je réalise qu'on ne lui a jamais envoyé !"

Le discours de Dawn dit en creux que Hunter est innocent, je le vois bien. Elle a établi une défense plus subtile que celle d'Oliver Forrest, mais le message est clair. Ils n'avaient pas de raisons de soupçonner un jeune jardinier passionné par des plantes carnivores.

"Personne n'a mentionné de conflit avec la... défunte ?", je me risque à demander.

"Non."

"Avec Hunter ou d'autres", j'insiste.

"Tout le monde a dit qu'Astrid Thorne était spéciale, peu intéressée par les humains. Pas de conflit comme de passion connus", développe Dawn avec quelque chose qu'on pourrait prendre pour de la camaraderie sans arrière-pensées. Sauf que je n'arrive pas à ne pas la sentir sur la défensive de son dossier. C'est une bonne défenseuse, je le sais. Mais je ne suis pas une mauvaise interrogatrice — enfin, j'espère. Je change donc d'axes d'attaque.

"Et son héritage ?"

"Eh bien, elle l'a partagé. Attends, j'ai vu que c'était dans le dossier", elle répond en déroulant un morceau du dossier. "Ah, voilà. Un tiers a servi à créer un fonds pour l'entretien de sa collection qu'elle a donnée à l'Université de Londres. Un tiers était à partager entre ses neveux directs, dont deux sont aussi des administrateurs experts de la collection. Bell s'est un moment demandé si l'un d'eux avait pu éliminer sa tante. Mais ils avaient des alibis solides avec de nombreux témoins diversifiés. Le reste a été distribué entre des œuvres et ses ouvriers qui avaient plus d'une année d'ancienneté, dont Hunter. Mais il n'est pas le seul."

"Quel serait son motif ?", souligne Gawain. "Tu crois qu'il savait qu'il hériterait de cette somme ?"

"Bonne question", je reconnais en regardant Dawn.

"Comme ça, Dora, je n'ai aucune idée. Désolée. On n'a pas enquêté dans ce sens-là." Ma vieille copine se mordille les lèvres en réalisant ce qu'elle vient de dire et Gawain soupire. "Tous les ouvriers qui ont reçu quelque chose auraient autant de raison", elle rajoute et c'est un bon argument.

"Mais manger sa chair a empoisonné les plantes", je change d'angle une nouvelle fois.

"C'est ce qui est le plus probable, oui", reconnaît Dawn d'une voix un peu désolée.

"Ok, merci. Je veux bien que tu me laisses le dossier."

Comme Oliver avant elle, Dawn a une infime hésitation avant de pousser les rouleaux vers moi.

"Si tu as d'autres questions, tu sais où me trouver", elle rajoute. Je promets que je sais, mais ça ne lui amène pas un signe de connivence quelconque. Il y a un silence un peu contraint puis elle se tourne vers son chef d'équipe : "Gawain, je pourrais te parler de l'affaire des balais ensorcelés ?"

"Allons dans mon bureau", s'empresse de lui répondre Robards en se levant.

Dawn prend d'autres rouleaux sur le coin de son bureau et ils sortent en me laissant seule avec l'impression que je devrais certainement m'y prendre mieux.

Jeudi 7 novembre

Dora n'est même pas encore partie pour Pré-au-lard pour emmener les petits à l'école que Severus frappe à la porte de notre appartement.

"Tu es tombé du lit", je me laisse aller à commenter en le faisant entrer. Les jumeaux, eux, lui sautent au cou avec une spontanéité que Harry n'a jamais pu avoir avec mon adjoint - que ce dernier ne lui a jamais laissé développer, serait plus juste. Je note d'ailleurs que Severus est aujourd'hui moins raide que mon esprit ne l'anticipe face à ces embrassades.

"Un enfant de huit mois plus fiable que tout sort de réveil", estime Dora en finissant son thé.

"Effectivement", confirme Severus.

"Ça fait longtemps que je n'ai pas vu Siorus", continue Dora, badine et calme, comme si elle n'avait pas une enquête incroyable sur le dos et une entrevue importante avec notre Ministre dans quelques heures. "Il a dû bien grandir !"

"Oui. Il... il rampe même depuis deux jours", répond Severus terriblement gêné par le sujet, mais incapable de garder l'information pour lui.

"La fin de toute tranquillité", je souris.

"On rampait quand on avait son âge, Mãe ?", veut savoir Iris, qui est revenue se blottir contre sa mère.

"Plus ou moins. Tu préférais te tracter vers le haut, essayer de tenir debout. Kane lui mettait au point une sorte de glissade assise. Mais oui, c'était la source d'une grande fierté et de nouvelles grandes inquiétudes", répond Dora.

Le mot inquiétude a fait frémir Severus, je l'ai bien vu, mais il arrive à le contenir, pour entamer le sujet qui l'a certainement fait venir à Poudlard si tôt : "Remus a dû te parler de notre problème, Dora ?"

"Il veut dire les vols dans les dortoirs, Mãe", traduit obligeamment Kane, collé de l'autre côté de sa mère. "Même Cedo a été volé !"

"Un Serdaigle de Troisième Année", je complète obligeamment. Dora se plaint régulièrement de ne plus connaître les élèves. Ce que je trouve assez charmant. "On lui a effectivement dérobé un bijou..."

"Un pendentif qui dit le temps qu'il va faire", précise obligeamment Kane. "Il me l'avait montré une fois. Trop cool !"

"Vraiment ?", je questionne en me disant qu'il ne l'a peut-être pas montré qu'à mon fils.

"Heureusement, on lui a pris le pendentif qui change de couleur selon le temps, mais pas l'anneau qui le commande", ajoute Iris.

Je creuserais bien cette histoire de demi-vol, mais Dora et Severus continuent leur conversation : "Comme j'ai dit hier soir à Remus, dans une série de vols, il faut arriver à comprendre ce qui motive votre voleur...", commente mon épouse.

"Terme qu'il faut peut-être mettre au pluriel", précise Severus avec un regard nerveux pour les jumeaux. Du temps de Harry et même de Cyrus, il aurait exigé que les enfants soient éloignés, arguant de l'urgence ou de l'importance de la situation. Une fois de plus, je mesure toute son évolution.

"Oui, Remus m'a parlé de ton hypothèse", confirme Dora. "Je ne vois aucune raison de l'écarter a priori." Iris ouvre la bouche, mais s'arrête quand sa mère la presse contre elle : "Je sais que vous trouvez qu'on se répète, tous les deux, mais ce qu'on se dit là, ce sont des conversations qui ne doivent pas quitter cette pièce."

"On comprend rien de toute façon", proteste Iris, boudeuse.

"Et le pire serait encore que vous racontiez des choses que vous avez mal comprises", commente Dora en levant les yeux en ciel. "Allez donc chercher vos sacs et mettre vos chaussures, en prenant votre temps. Couvrez-vous, il devrait faire plus froid qu'hier. Après, on part pour l'école en passant par le lac pour voir le Poulpe."

"Mais vous allez retrouver les bijoux ?", s'inquiète Kane en se décollant à regret.

"Tu sais bien qu'on ne peut pas te répondre, mon chéri", je viens en soutien à ma femme. Les jumeaux soupirent, mais se résignent à sortir en traînant des pieds et après avoir obtenu un dernier câlin de leur mère et la promesse d'amener de la nourriture au poulpe.

Dora place une bulle de silence autour de nous dans la seconde qui suit. "La question de Kane est intéressante. Est-ce que les bijoux sont encore ici ? Il vous faut une vraie chronologie des vols. Y a-t-il eu des sorties à Pré-au-lard dans la période ? Je sais bien que des bijoux s'ils sont d'une taille raisonnable peuvent être envoyés par hibou... Mais c'est prendre un risque de perte."

"S'ils sont envoyés, c'est pour les vendre", estime Severus à haute voix.

"C'est le plus probable", admet Dora, pensive. "Ça parlerait d'une vraie logistique... qui veut dire complice extérieur."

"Tu ne crois pas que tu laisses un peu trop libre cours à ton imagination ?", je regimbe parce que l'idée d'un tel complot m'agace.

"Mon boulot se résume souvent à avoir autant d'imagination que les voleurs", prétend Dora.

"À ce propos, j'ai lu les déclarations de notre Ministre sur la Justice bafouée", articule lentement Severus. "Une affaire confuse, propre à enflammer les imaginations."

"Un peu trop", confirme Dora dans un soupir. "Mais là encore, la question est de comprendre ce qui motive notre justice auto-proclamée. Est-ce une vengeance personnelle ? Est-ce une seule personne, un collectif ?"

"Tu disais l'autre jour que tu ne croyais pas au collectif", je lâche.

"Croire ne suffit pas, Remus. On est tout juste au début de l'enquête. Comme vous."

"C'est bon, Mãe ? Tu as fini de donner des conseils ?" — veulent savoir les jumeaux, leurs deux voix se mêlant pour poser la question.

"Oui, il faut qu'on y aille si on veut respecter notre programme", confirme Dora en se levant. Quand elle passe devant moi, elle s'arrête et m'embrasse légèrement, mais sur la bouche. Sans doute pour agacer Severus. "Je ne sais pas quand je reviens", elle souffle.

"On sera là", je réponds.

Elle opine et rejoint les enfants. "Soyez méthodiques. N'écartez aucune hypothèse. Ce n'est jamais du temps perdu de retourner toutes les pierres. Tous les mentors de la Division depuis sa création, ont dû proposer une formulation de cette idée aux aspirants qu'ils ont formés."

"Aspirant ? Comme Rafael ?", veut savoir Iris.

"Exactement", confirme Dora en les poussant vers la porte.

"Il n'est plus Aspirant",précise Kane.

"Et peut-être qu'il doit lui-même répéter ça autour de lui à Madrid",sourit mon épouse. Je prends une note mentale de li demander si elle a des nouvelles récentes.

oo

On passe la première partie de la matinée, avant que Severus ait des cours à donner, sur cette affaire de calendrier des vols. Ça me donne une nouvelle considération pour les aspirants et jeunes Aurors qui, de ce que j'ai compris, sont généralement ceux qui font ces chronologies.

"Ça se passe depuis la rentrée. Presque trois mois maintenant. Il n'y a eu qu'une seule sortie à Pré-au-lard. La prochaine est dans quinze jours", résume Severus.

"Tu penses que les bijoux sont toujours ici ?"

"Ou qu'ils sont sortis autrement. Par hibou ou quelconque autre moyen... des visites... un tunnel interdit..."

Il n'y a pas tellement de sarcasme dans sa voix, je décide. Plus précisément, moins qu'il pourrait y en avoir.

"Tu vois, je passe mon temps à dire qu'il faut faire confiance et refuser de tomber dans la surveillance acharnée. Mais là, je me rends bien compte que nous n'avons aucun moyen de savoir ce qui s'est passé", je soupire.

"Il faut provoquer un nouveau vol", rumine Severus.

"Je ne vois pas comment on pourrait faire ça !"

"Si tu annonces que la surveillance va être renforcée, le ou les voleurs vont estimer qu'ils ne vont plus avoir tellement d'opportunités. Parallèlement, il faut qu'on trouve une nouvelle victime logique : un jeune élève, avec des ascendances mêlées... Surveiller une personne et son coffre me paraît plus efficace que chercher à surveiller toute l'école", explique Severus.

Et moins liberticide pour tout le monde, je rajoute mentalement. Assez séduit par l'idée, mais toujours sans imagination sur comment la mettre en œuvre.

"Et qui allons-nous désigner comme victime crédible ?", je m'enquiers.

Severus a l'air un peu déçu quand il me dit : "Ce trop bavard jeune Henley me paraît tout désigné. En plus, tes enfants le connaissent. Tu dois pouvoir lui parler discrètement."

James, Sirius, pardon, je crois que je vieillis — est tout ce que mon cerveau trouve comme conclusion logique à l'exposé du plan parfait de mon adjoint. Enfin presque. Passé le choc, je rajoute l'emploi de la carte des Philosophes au dispositif. Severus apprécie.

"Je vais faire un discours à toute l'école", j'annonce à mon équipe, quelques heures plus tard, juste avant le déjeuner. "Je vais redire ce que j'ai dit aux préfets hier : un voleur sévit dans l'école, tout le monde le sait. Il s'attaque pour l'instant aux plus jeunes et aux bijoux qui ne devraient pas être là. Je vais demander à quiconque ayant une idée de se rapprocher des préfets ou des directeurs de maison. Je vais redire que tout bijou ou objet de valeur doit être mis en sécurité dans le coffre de l'école et que je n'aurais aucune patience pour les coffres personnels piégés."

Les quatre directeurs de maison approuvent avec emphase. Les autres professeurs opinent pensivement.

"C't'ne honte d's'en prendre aux plus jeunes", estime Hagrid. Je pense qu'il ne trouve pas de façon polie de parler de sangs-mêlés ou de nés-Moldus et qu'il abandonne.

"Nous devons en effet protéger les plus jeunes et nos élèves les plus fragiles. C'est une action qui nous concerne tous", je pontifie un peu.

"Nous allons maintenir les rondes nocturnes ?" s'enquiert maintenant Pomona.

"Je pense qu'il le faut, mais toutes les nuits me paraît exagéré. Je propose qu'on s'organise sur des rondes surprises, une toutes les nuits, à une heure différente. Pas d'habitude."

"M. le directeur a toujours une attention particulière et admirable pour les détails", persifle Severus.

Il y a des sourires entendus dans l'assistance. M. Rusard lève un doigt timide et je m'empresse de lui donner la parole.

"Je pourrais être prévenu de… ces rondes ?"

*Évidemment, M. Rusard. Et d'ailleurs, je voulais solliciter votre avis. Vous êtes celui ici qui nous rappelle combien nos élèves ne manquent jamais de créativité pour contourner le règlement. Si vous avez des idées de ce qui se passe, c'est le moment."

M. Rusard semble avoir envie de s'enfuir et je me demande s'il croit que je me moque de lui.

"Contourner le règlement est une chose, mais voler des objets appartenant à ses condisciples", commente hautainement McGonagall, "c'est beaucoup plus rare et ça demande la plus grande fermeté."

"Évidemment", je concours.

"Si je savais, M. le directeur... je vous le dirais", finit par glisser M. Rusard dans le silence qui a suivi.

"Ce que je vous demande, c'est sur quoi nous devrions porter nos efforts de surveillance. Les hiboux ? La correspondance ?"

"La correspondance ?", s'effare M. Rusard.

Comme je répugne à parler des théories de Severus et de Dora, je hausse les épaules pour minimiser l'idée.

"Je pense, moi, Remus, que nous devrions enquêter auprès des portraits et des fantômes. En particulier les portraits proches des entrées de maison", précise Filius Flitwick. "Je pense que nous pouvons tous mener l'enquête auprès des portraits. Nous savons bien que tous ne sont pas toujours dans leur cadre. Mieux vaut poser plusieurs fois la question."

"Très bonne idée, Filius", j'approuve ouvertement. "Je vais commencer cette après-midi."

"M. le directeur", appelle alors M. Rusard, "je me suis dit... peut-être que le... butin est caché... par exemple dans les serres. Nous pourrions chercher ensemble. Cette après-midi, si vous voulez."

Je regarde le concierge. Il était déjà là quand j'étais étudiant et nous n'avions pas alors les meilleures relations. Il faisait partie des rares personnes au courant de ma condition — et sans doute la seule personne de l'équipe qui savait et ne me montrait aucune compassion. Mon appartenance aux Maraudeurs n'aidait certainement pas. Quand je suis revenu comme professeur, il m'a d'abord ignoré et j'ai fait de même. Quand j'ai succédé à Dumbledore, cette ignorance mutuelle est devenue impossible. Je sais qu'il me trouve trop laxiste en général et ne parlons pas de ce qu'il a pensé de Cyrus. Et quand Pomona a découvert le scooter ramené par ce dernier planqué dans une serre désaffectée et que je n'ai eu d'autre possibilité que de le renvoyer de cours pendant un mois, M. Rusard n'avait eu de cesse de se féliciter que — cette fois — je n'ai pas fermé les yeux.

J'essaie de me dire que je vois des railleries effrontées là où il n'y a que maladresse et solitude. C'est après tout un Cracmol qui rentrée après rentrée voit arriver de nouvelles générations de gamins qui très vite acquièrent un savoir-faire qu'il n'aura jamais.

"Faisons ça, pourquoi pas", je lui réponds donc avec un sourire forcé.