I La justice encore bafouée

samedi 2 novembre 2002 Remus

La justice encore bafouée ?

Un nouveau coupable a été trouvé ce matin, ligoté et bâillonné, sur le chemin de Traverse. Comme les précédents, l'homme d'une cinquantaine d'années portait autour du cou un panneau : "J'ai empoisonné trois personnes de mon entourage sans jamais être pris jusqu'à aujourd'hui. La Justice Bafouée". D'autres documents et objets a priori incriminants étaient posés à ses pieds.

"J'ouvrais la boutique", raconte Johanna Oakby, couturière débutante chez Madame Guipure, "quand j'ai vu qu'il y avait, comme les autres fois, une forme contre le grand pilier qui fait le coin du bâtiment. Je suis allée voir ce que c'était et j'ai appelé la police dès que j'ai compris."

C'est la cinquième fois en moins de deux mois qu'un suspect est livré à la justice magique par celui — ou celle ! — qui signe son acte du pseudo La-Justice-Bafouée.

À cette heure, ni la police, ni le Département de l'application des lois magiques n'ont accepté de répondre à nos questions."

Je souris tristement en me disant que si l'homme a été trouvé à l'aube, ça n'a rien d'étonnant. La Gazette a visiblement choisi de rajouter un entrefilet sur les faits au dernier moment, en sachant même que personne ne serait en mesure de commenter au Ministère. Je trouve ça assez déloyal - et pas seulement parce que mon épouse, depuis peu Première Lieutenante de la Division des Aurors de Londres, se sentira certainement concernée par la nouvelle.

Pour l'heure, elle entre dans notre salon avec nos deux plus jeunes enfants qui veulent absolument qu'elle joue au Quidditch avec eux ce matin. Ils sont sans doute allés la chercher jusqu'à notre chambre, j'imagine en me reprochant de ne pas avoir percé leur manège quand ils ont quitté la table du petit-déjeuner.

"Tu as dit que tu étais là ce matin, Mãe", insiste Iris à sa droite.

"Et je suis là", souligne Dora en se laissant tomber à côté de moi. "Il reste du thé ?" Je n'ai pas le temps de répondre, notre elfe Linky lui a déjà versé une grande tasse en lui assurant qu'elle est contente de la voir à la table du petit-déjeuner avec toute la famille. Dora ne prend pas ça pour un reproche larvé et la remercie chaleureusement avant de se tourner vers moi : "Tu lis quoi ?"

"La découverte d'un nouveau suspect-coupable-ayant-échappé-à-la-justice ce matin aux petites heures", je lui apprends sans détours.

"Non", soupire Dora, la tasse en suspens. Je pose La Gazette devant elle.

"Mãe !", proteste immédiatement Kane. "Tu avais dit que tu faisais quelque chose avec nous ce matin ! Et tu travailles !"

"Je bois un thé et je mange un toast", contre Dora, sans lever les yeux du journal.

Sans surprise au fond, elle n'a pas le temps de faire plus, car son miroir se met à sonner avec le visage de Kingsley Shacklebolt. Son mentor historique. Son commandant actuel. Celui qui a fait d'elle son bras droit — à la faveur d'une réorganisation du travail et des équipes de la Division, il a créé un poste de Lieutenant Coordinateur qu'il lui a confié. Qu'il la protège, la pousse ou l'exploite, il y a une réelle dimension fraternelle dans leur relation.

Pourtant, elle a une seconde d'immobilité totale, les yeux rivés sur le miroir. Elle joue peut-être avec l'idée de ne pas répondre. Quand Dora reprend vie, c'est pour prendre l'appel et se lever de la table familiale pour aller à la fenêtre qui donne sur le parc ensoleillé en cette matinée de printemps. J'imagine que pas mal d'hommes seraient jaloux à ma place. Les enfants le sont clairement.

"Kingsley ? Oui, j'étais en train de lire", je l'entends confirmer toutes mes hypothèses. Il y a un silence suspendu. "Au bureau ?", demande Dora finalement.

Voix neutre, je note. Les jumeaux me regardent quémandant mon intervention, et je hausse les épaules pour les inviter au fatalisme. Iris s'appuie contre moi de déception, je crois, et je commence à réfléchir à ce que je pourrais proposer pour adoucir la situation.

"Je peux être à Londres pour midi et...", nous entendons alors Dora affirmer. Je pense que Shacklebolt lui coupe la parole — sans doute pour insister. "Kingsley, je fais un truc avec mes mômes et je viens. Sans détour et sans faute", elle annonce toujours sans me regarder.

Je ne sais pas ce qu'en pense Kingsley Shacklebolt de l'autre côté du miroir. Mais moi, je sens qu'elle ne cédera pas facilement et je ne peux que l'admirer et m'inquiéter à la fois. Ça fait trois longues années maintenant qu'elle démontre à tous qu'elle peut s'imposer dans cette Division britannique. Malgré la lycanthropie de son mari — moi. Malgré son goût persistant pour les cheveux et les vêtements colorés. Malgré ses opinions politiques affichées, son sang Black, son sexe réputé faible et sa jeunesse relative. En moins de trois ans, elle a monté tous les échelons jusqu'à celui de lieutenant et, depuis quelques semaines, elle est le premier adjoint de Shacklebolt.

La société sorcière comme notre famille est en cours d'adaptation à tant de changements.

Rien de tout ça n'aurait été possible sans les alliés qu'elle a su cultiver — je le sais. Des amis, des admirateurs, des envieux, des alliés cyniques, des ennemis... tout l'apanage de sa fonction. Mais là, c'est à ces mêmes alliés qu'elle dit non. Elle écoute encore, sans que nous puissions entendre ce que dit exactement Kingsley. Nous n'avons que la réponse, calme et factuelle.

"J'entends, Commandant. À tout à l'heure."

C'est seulement après qu'elle se tourne vers nous.

"Le Ministre veut que les Aurors prennent la main", elle nous apprend, le visage impassible. Elle n'a pas élaboré, mais d'un coup de menton vague a désigné le journal encore étalé sur la table du petit déjeuner.

"Déposséder la police de l'enquête ?", je vérifie.

"C'est toute la question, mais après quatre cas, ils n'ont aucune piste, aucune idée de l'identité de ce justicier... autoproclamé. Un Ministre ex-Auror ne peut pas fermer les yeux sur ça", elle souligne.

"Non", j'admets. Rufus Scrimgeour est certainement une amélioration par rapport à Fudge. Un type qui adhère à l'idée de règles et d'une certaine transparence. Il s'est montré assez ouvert à la consultation officielle des guildes et autres associations. Il demande parfois l'avis de la Fondation. Il reste aussi un ardent défenseur du respect des lois magiques. Et la justice personnelle n'en fait pas partie.

"Tu ne vas pas partir tout de suite ?", vérifie Kane, entre espoir et méfiance.

"Tu vas mener l'enquête sur la Justice Bafouée ?", interroge Iris avec curiosité. Tout le pays est curieux de ce justicier, je le sais. Les couloirs de Poudlard n'échappent pas au mouvement. La maîtresse de l'école des jumeaux m'a dit qu'un jeu s'était développé autour de son action.

"Je vais aller rejoindre Kingsley et les autres lieutenants vers midi", elle confirme. "On verra ce qu'on décide de faire en termes d'enquête." Dora repousse la mèche grenat qu'elle s'autorise encore malgré son nouveau grade et son rôle accru de représentation politique. "On va le faire ce match de Quidditch ?"

Les jumeaux sautent de joie. Iris veut savoir si je viens aussi et je dis avec sincérité que je ne manquerais pas ça pour un empire.

oo Dora

J'arrive à la Division juste avant midi - et je ne pourrais jamais assez remercier Remus d'avoir enchaîné avec le projet d'aller voir mes parents et faire du cheval. J'ai promis de les rejoindre là-bas.

"Toi aussi, Lieutenante ?", m'accueille Bertram Runeson, le jeune rang trois qui est de garde ce jour-là. "Il se passe un truc ?"

"On évalue, Bertram, on évalue. Rien d'immédiat ou qui te concerne pour l'instant", je précise, parce que la question est légitime pour qui est d'astreinte. "Carley et Gawain sont donc déjà là ?"

"Dans la salle à café. Ils viennent d'arriver."

Je crois que Runeson aurait bien creusé, mais je ne lui en laisse pas le temps. Je pousse plus avant dans le couloir jusqu'à la salle commune et je tombe sur mes deux collègues lieutenants, mon ami Carley et Gawain Robards, avec qui j'ai de bonnes relations depuis qu'on a encadré ensemble nos derniers aspirants en date.

"Enfin !" est l'accueil du premier.

"Dora" est le sobre salut du second.

"Je suis même en avance", je souligne pour mon vieux camarade, qui généralement est aussi un bon complice à la Division.

"Je me demande à qui d'autre, Shacklebolt passerait le caprice de fixer ses horaires", marmonne Carley, d'un ton assez mauvais qui inquiète Robards.

Je regarde mon plus vieux pote et je ne peux qu'imaginer qu'il y a une raison à son humeur peu caractéristique : "Lui as-tu fait part de tes contraintes ?"

"Quand il m'a appelé, il avait déjà les tiennes en tête", il prétend.

Je pourrais lui rappeler que quand Kingsley nous a convoqué pour nous parler du départ de Berrycloth, il a été le premier à dire que le vrai changement serait de nommer une femme. Bien sûr, j'étais lieutenant depuis plus longtemps que lui, mais nous savions tous que c'était avant tout parce que Kingsley avait dû déjà choisir. Nous sommes aujourd'hui tous les deux très en phase avec le programme de Kingsley. Mais c'est Carley qui a argumenté que j'étais celle qui pouvait incarner la rupture symbolique tout en étant acceptable pour Scrimgeour. Gawain n'était pas convié à cette réunion bien qu'il soit aussi lieutenant. On aurait peut-être dû s'y prendre autrement, de façon plus transparente. Parce que le discours ambiant à la Division, et au-delà, est que Shacklebolt a choisi une nouvelle fois son ancienne aspirante et les connexions du clan Lupin, plutôt que l'avancement normal interne. Pas la personne la mieux placée, mais sa plus fidèle petite main. Même des gens comme Russel Foote pensent ça. Et ils plaignent Carley qui passerait chaque fois après moi à chaque promotion depuis mon retour.

"La disponibilité est certainement sur ma fiche de poste", je décide de reconnaître de ma voix la plus égale. "J'ai juste demandé un délai. Tu rates un truc quelque part ?"

"Je suis content de passer du temps avec ma famille quand c'est possible, moi aussi", il me renvoie.

J'essaie de me rappeler si mon amie Dawn, sa femme, m'a parlé d'un projet spécifique qui justifierait autant de frustration, mais ça ne me vient pas. Ce qui me vient, c'est que quand Dawn est interpellée sur notre situation hiérarchique actuelle, elle essaie de plaisanter : "Kingsley avait le choix entre espérer que Tonks accepte des ordres de Carley ou le contraire. Je suis contente de ne pas avoir été à sa place." La vérité est que je ne crois pas que son mari me laisserait jouer les victimes pour la galerie, si les rôles étaient inversés.

"Tu comptes amener ta mauvaise humeur dans le bureau du Commandant, Carley ?", je décide de demander. Mon ton est faussement badin et je sais qu'il l'entendra.

Carley a un sourire crispé en retour que je comprends mieux quand j'entends la voix grave de Kingsley : "Merci d'être là tous les trois, ponctuels. Allons dans mon bureau." Il nous fait signe de nous asseoir en même temps qu'il va à son fauteuil. "Bon, vous avez tous lu la Gazette. Vous imaginez que notre Ministre ne peut plus éviter le sujet."

"Il veut qu'on prenne la main", estime Gawain et je sens la crispation de Carley qui réalise qu'il vient de se faire prendre la position préférée - celle du proactif qui commente toutes les positions politiques.

"Il ne s'agit pas de prendre la main n'importe comment", précise Kingsley. "Il s'agit de lui donner d'ici lundi une idée de ce qu'on pourrait apporter au traitement de l'affaire."

"En une journée et demie ?", je vérifie.

"On aurait pu commencer plus tôt", juge malin de glisser Carley.

"Quelques heures ne vont pas changer profondément l'évaluation", estime Kingsley en le regardant assez directement. Carley tient le coup, j'avoue. "J'ai le dossier, il est vite lu. Les questions intéressantes sont celles qui ne sont pas dans ce dossier."

"Tu as vu la Brigade ?", j'imagine.

"Non. C'est ce que Scrimgeour m'a donné. Ni lui ni moi ne jugeons utile d'affoler la Brigade tant que nous ne savons pas ce que nous voulons, ou pensons."

"Tu veux qu'on reprenne l'enquête à zéro ?", reformule Gawain.

Il y a une infime hésitation dans le visage de Kingsley avant qu'il lui réponde.

"Vous demander à tous les trois de mener l'enquête, c'est priver la Division de sa colonne vertébrale", il commence, et je pense qu'aucun de nous ne manque d'interpréter cette introduction comme un apaisement préventif, pour faire passer l'éventuelle amertume de la potion à venir. "Ce qui me paraît le plus opérationnel, c'est que les chefs d'équipes restent les chefs d'équipes. Mais des chefs informés de pourquoi Tonks est prise ailleurs et qui endossent une partie de ses responsabilités, qui gèrent certains aspects pour lui dégager le temps nécessaire - nous y reviendrons. Et qui lui mettent chacun une personne Rang Trois à disposition pour former ce qui pourrait devenir une équipe spéciale. Quelqu'un de disponible maintenant et sans un gros dossier à venir. C'est pour discuter de tout cela que vous êtes là tous les trois." Comme ces paroles suscitent un silence assourdissant, il rajoute : "La bonne nouvelle est qu'une fois que vous aurez désigné un adjoint, vous pourrez profiter de la fin de votre week-end tous les deux, sauf besoin inhérent au service, bien sûr."

"Bien sûr", murmure Gawain à ma droite.

Carley, à ma gauche, inspire et expire, mais ne dit rien.

Kinsgley me regarde alors, me demandant clairement de sortir de mon silence. Ce que je fais avec sans doute un autre temps de retard et pas exactement dans le sens qu'il espérait.

"Tu veux que, moi et deux adjoints, on trouve des pistes alternatives à ce que la Brigade a fait depuis des mois, en moins de deux jours, Kingsley ?"

"Que tu me dises d'ici lundi si une équipe spéciale aurait un sens, Dora", me répond patiemment Kingsley. "Regarde ce dossier et dis-moi. Ce sera vite regardé, d'ailleurs. Ils n'ont pas tellement cherché cette Justice Bafouée. Ils se sont concentrés sur l'examen des preuves en espérant pouvoir les rejeter, sauf que pour l'instant, dès qu'ils ont creusé, ils ont trouvé des preuves supplémentaires. Donc, oui, je pense qu'on peut faire des propositions d'enquête. Tu veux plus de monde ?"

"Non, j'imagine qu'à ce stade, et avec ton délai, s'éparpiller n'est pas une bonne idée... Bon, les gars, vous me donnez qui ?", je décide d'enchainer.

Sans surprise, vu l'humeur du jour, c'est Robards qui répond le premier : "Charity ? Elle vient de finir un procès, elle a une récupération après... et elle est bien pour reprendre une enquête bordélique..."

"Je prends, merci Gawain."

Carley soupire de nouveau et regarde Kingsley pour répondre : "Nicholas Hopkirk est disponible." Ce qui est un peu un coup vache vu ce que ce dernier pense de moi. Peut-être qu'il se rend compte que ça peut être pris comme une provocation pure et simple parce qu'il rajoute : "Par exemple. Ou Bertram Runeson, si tu préfères. Comme tu veux, Tonks. Et je veux bien qu'on m'explique ce qu'on doit faire pour te décharger."

"Pas grand-chose d'ici lundi", admet Kingsley. "Juste se répartir les astreintes de suivi de nouvelles affaires entre nous trois." Je vais protester que je serai sur place, mais il lève la main, pour pointer un doigt comminatoire vers moi : "Tu te concentres sur ce qu'on peut tirer de ce dossier. Lundi, en fonction de ce que le Département et le Ministère disent, on adapte l'organisation. Enfin, à moins que tu voies d'ores et déjà des urgences, Tonks ?"

"Il y a l'évaluation du dossier Tanya qui voulait demander une coopération avec la France", je réfléchis à haute voix. Tanya étant dans l'équipe de Carley, ce dernier se tourne vers moi, dans la posture du collègue attentif. "J'avais prévu de finir de lire demain, mais j'étais plutôt favorable."

"C'est un peu gros pour Tanya", juge Carley sans surprise. Gawain ravale un sourire, je le vois bien et les yeux de Kingsley brillent furtivement, mais il me laisse pour autant le bébé.

"Tu la voyais y aller seule, toi, Dora ?"

"Eh bien, pourquoi pas, Commandant", je décide de me mouiller. J'ai déjà anticipé que Carley allait avoir du mal à laisser un dossier comme celui-là à notre ancienne condisciple. "C'est elle qui a trouvé des connexions françaises. Qu'elle aille leur montrer son dossier sans préjuger de la suite..."

"Ce n'est pas bien traiter nos homologues que de ne pas envoyer... ", commence Carley.

"Paulsen, je compte te demander ton avis", intervient Kingsley. "Laisse Dora aller au bout de son évaluation."

"J'ai parcouru le dossier et les pistes sont là. Je comprends que Tanya veuille leur montrer. Je sais que les relations de coopération sont tendues avec le continent. Que nous tous, nous pensons qu'il faut y remédier. Débarquer à Paris avec trop d'artillerie lourde et dire : les gars, on pense que vous servez de base arrière à un gros trafic de balais de contrefaçon... je ne crois pas que ça soit la meilleure porte d'entrée. L'envoyer avec une lettre de mission de toi, demandant à ton homologue de bien vouloir trouver quelqu'un pour évaluer avec elle la valeur de ses pistes... c'est moins... clivant", je développe, en regardant notre commandant.

"Tu n'as pas lu, mais ta décision est prise, lieutenante Tonks-Lupin", constate Carley avec une amertume qu'il n'arrive pas à cacher.

"Non, pas totalement. Mais j'en suis là, à mon stade de lecture de son dossier. Je pensais venir en parler avec vous lundi matin. Calmement", je promets avec sincérité.

"Très bien, envoie-moi son dossier, Dora. Je prends ta suite sur la question", décide Kingsley. "D'autres choses ?"

"Il y a des procès qui commencent... mais rien que Gawain comme Carley ne peuvent pas suivre en direct, sauf surprise."

"Vous n'hésitez pas l'un comme l'autre : vous venez me voir si vous avez besoin de tester vos idées", indique Kingsley pour mes collègues. "Et tout ce qui est communication ou coopération entre services, vous me consultez. Je suis certain que je n'aurai pas beaucoup à intervenir, mais on ne prend pas de mauvaises habitudes."

Robards comme Paulsen articulent chacun qu'ils ont bien entendu les ordres avec tout le formalisme professionnel de rigueur. Je me demande si c'est parce qu'on est en face de Kingsley que j'ai l'impression que les conversations nécessaires n'ont pas lieu.

"Merci d'aller mobiliser de l'aide pour Tonks", enchaîne Kingsley. "Elle les attend ici dans l'heure", il précise. "Et, Carley, Runeson est déjà d'astreinte ce week-end. Trouve-nous quelqu'un d'autre."

"Sauf si tu ne veux que des filles dans cette équipe, Commandant, je n'ai que Hopkirk à prêter."

Comme c'est assez vrai, Kingsley me regarde pour proposer : "Tu veux qu'on trouve à remplacer Runeson — il est déjà là ?"

"Et je pense qu'il va être ravi", rajoute Carley, un peu plus lui-même.

"Ok, alors", je décide de sourire en disant ça. "Tu peux chercher plus large que Rang Trois pour l'astreinte."

"Je vois ça", promet Carley en se levant et en nous saluant d'un sobre : "Chefs, à lundi."

Quand ils sont sortis tous les deux, et que quelques secondes se sont écoulées, Kingsley me désigne un tas de parchemins qui était sur le coin de son bureau depuis le début de notre conversation.

"C'est à toi. Tu verras que leurs enquêtes ont été rapides. L'idéal serait de trouver les points communs entre ces affaires. Cette Justice Bafouée ne peut pas les trouver au hasard."

"Je ne peux pas promettre que j'aurai ça demain soir, Kingsley", je soupire.

"Mais tu auras une idée de si ça peut donner quelque chose. Tu auras une idée de comment on pourrait reprendre l'enquête." Le "je ne te mets pas dessus pour ne pas avoir de résultats" est clair.

"Je vais faire de mon mieux", je réponds donc.

"Je suis disponible nuit et jour d'ici là si tu as besoin de parler", il rajoute. "Et ne t'inquiète pas du reste. On va gérer. Et je profiterai de ce temps privilégié pour avoir une conversation avec Paulsen", rajoute Kinsgley avec un air entendu. Le "mais au fond, c'est à toi de le faire" n'est pas perdu pour moi.

"On va trouver notre équilibre", je prétends. Je vois bien que ma manœuvre d'évasion est totalement transparente pour mon ancien mentor. "C'est peut-être plus compliqué pour lui que nous ne l'avons pensé..."

"Qu'est-ce qui est compliqué, Tonks ? On ne lui demande que de faire son travail, avec son habituelle efficacité. La reconnaissance de ses qualités n'est pas en cause."

"Peut-être est-ce le regard des autres qui lui pose problème ?"

"Tu penses que Dawn a raison, que c'est que ce soit toi qui donnes des ordres qui est le problème pour lui ?"

"Non ?"

"D'abord, je pense que Dawn parle d'abord pour elle. Malgré toute sa finesse, toute son analyse, tout son sens politique, elle n'aime pas spécialement être en position d'autorité et elle ne se voit pas, jamais, l'être envers toi ou Carley. Elle préfère le conseil et la neutralité."

"Sans que je doute d'où irait sa loyauté ultime", je lâche.

"Vraiment ? Tu crois qu'elle serait d'abord la femme de son mari ?", relève Kingsley. "Je n'en suis pas si sûr. Je pense que s'il s'agit de la bonne marche de la Division... Dawn est tout à fait capable de prendre une position indépendante. Pas qu'elle le clamera en pleine salle commune, mais elle lui dira le fond de sa pensée. Comme elle te le dira à toi aussi. Je crois qu'elle est très capable de séparer le privé et l'intérêt de la Division. Quand elle évalue les dossiers de Carley, elle n'est pas de parti pris. S'il faut du boulot en plus, elle ne le cache pas", il souligne. "Mais au-delà, je ne pense pas que Carley ait un problème avec le fait que tu aies des opinions et que tu prennes des décisions. C'est toi qui aimes avoir son approbation et qui panique si la fusion perd en intensité."

"Tu ne me trouves pas à la hauteur", je regrette ouvertement. Mettre autant à nu mes fragilités est un risque à part entière.

"Je ne te trouverai pas à la hauteur si tu ne dépasses pas cette situation initiale bien normale. Vous allez avoir des conflits et tu vas devoir lui donner tort. Raison parfois aussi. De la même façon que tu vas même devoir savoir t'opposer à moi quand la situation le demandera. J'ai besoin que mon premier adjoint soit en capacité de défendre une autre vision des choses que la mienne. Sinon, je vais me couper de la complexité du monde et j'ai toujours trouvé les chefs déconnectés insupportables et dangereux", il élabore.

"Moi aussi", je reconnais avec un demi-sourire.

"Puisque nous voilà d'accord, va me chopper cette justice soi-disant bafouée, qu'on sache pour qui elle roule et si elle ne confond pas vengeance et justice."

oo

J'espère que ça vous donne envie de découvrir le prochain intitulé "La Justice n'a qu'à bien se tenir"