Retrouvons sans plus attendre quelques-uns de nos personnages plus ou moins principaux et faisons un petit bilan de la situation de départ :)
Katymyny : Première review en effet, bravo pour ta réactivité ! Attention, prête pour la prochaine ?
Eudore : J'espère que ce nouveau volet te plaira !
Chapitre 1
Panique à Godric's Hollow
Frederik F. Osborne et son zélé secrétaire faisaient du lèche-vitrines dans les rues de la capitale. De l'avis de Pyrrhus Pinkerton qui avait bien connu la frénésie américaine, tout était un peu mort à Londres le dimanche matin, à l'exception de l'Allée des Embrumes où flottait constamment une atmosphère interlope ; or, c'était justement là qu'ils se trouvaient à présent. Et si le sorcier ne se sentait guère à l'aise de s'y promener en compagnie d'un elfe, son employeur, lui, se montrait absolument ravi.
« Oh, des grimoires reliés en peau humaine ! s'extasia-t-il devant une devanture crasseuse. Ils doivent valoir une fortune ! Et ça, qu'est-ce que c'est ? Des têtes réduites, ça, par exemple !
– C'est pour ach'ter ? grinça depuis la porte une vieille sorcière à la mine sinistre.
– Bonjour, chère Madame, la salua Osborne en soulevant son chapeau melon. Votre magasin est-il ouvert ?
– Ça dépend, riposta la vieille avec un regard torve. Vous payez combien ?
– Vous vendriez à un elfe ? s'étonna malgré lui Pip à voix haute. À cet elfe ? »
La sorcière haussa les épaules.
« J'fais pas d'politique, moi. D'puis la fin d'la guerre, c'est pas l'chaland qui s'bouscule, et faut ben vivre.
– Comme je vous comprends, ma bonne dame, compatit Pip. Mais vous n'avez pas peur des représailles ? »
La vieille ricana.
« Les rares boutiquiers qu'ont pas encore mis la clé sous la porte sont ben contents quand par miracle un client s'pointe. Du moment qu'y paye, on va pas r'garder si c'est d'l'elfe ou du gob'lin. C'est p'têt' c'te clientèl'-là qui nous empêch'ra d'couler, allez savoir.
– Extraordinaire, commenta Pip, songeur. Dire qu'à une époque pas si lointaine, on nous aurait dénoncés tous les trois aux Aurors ou aux Rafleurs pour de tels propos… ou vendus aux Mangemorts… ou assassinés et jetés dans la Tamise. Les traditions se perdent, soupira-t-il.
– Vous avez beaucoup de clients elfes ? demanda Osborne avec intérêt.
– Seulement ceusses qui sont envoyés par leurs maîtres, et y en a d'moins en moins. »
Une lueur s'alluma soudain dans les yeux louches de la sorcière.
« Croyez qu'y en aurait plus si les elfes y z'étaient libres ?
– Je ne saurais le dire, répondit Osborne. Mais la recherche a établi qu'après chaque vague d'abolitions dans les espaces nord-américain et caribéen, une proportion non négligeable d'elfes émancipés s'adonnait à des conduites socialement réprouvées telles que l'ivresse sur la voie publique, l'exhibitionnisme ou encore les jeux de hasard. Alors, la magie noire et la nécromancie, pourquoi pas ? »
La vieille hocha la tête, satisfaite de cette réponse. Elle se montra plus satisfaite encore quand Osborne arrêta son choix sur une rotule de dragon gravée de signes cabalistiques.
« Voilà qui fera un ravissant presse-papier ! déclara-t-il avec jovialité.
– Il n'y a pas à dire, vous savez soigner votre popularité, docteur », lui glissa Pip, impressionné.
Ce n'était pas la première fois qu'Osborne et lui se rendaient dans l'Allée des Embrumes, et le secrétaire en avait à chaque fois des sueurs froides. Surtout en ce moment. Ça n'était déjà pas simple quand la composition du comité d'experts à l'émancipation des elfes avait été rendue publique, et ça ne s'était pas arrangé par la suite. Maintenant que le comité avait rendu son rapport, dont le contenu était en cours de divulgation à l'aide de diverses publications et conférences assurées par ses membres, le « débat public », selon la formule consacrée par la Gazette du sorcier, se faisait plus houleux que jamais. En fait de débat public, Pip avait plutôt l'impression d'une bataille de chiffonniers entre, d'un côté, les partisans d'une libération immédiate et sans contrepartie de tous les elfes du pays et, de l'autre, les défenseurs de l'esclavage au nom des traditions et de l'équilibre socio-économique. Le « débat » se résumait donc bien souvent à un échange d'invectives à la virulence digne d'Alifair Blake, pimenté de-ci de-là par quelques colis piégés à destination des experts du comité et du secrétaire d'État à l'égalité, mais aussi de Mrs Pandora Nott, chef de file de l'opposition, et de ses soutiens déclarés. Bref, Pip avait de plus en plus l'impression d'avoir quitté un panier de crabes pour se retrouver plongé dans une cocotte-minute prête à exploser. Et il commençait à se lasser de devoir, en tant que secrétaire, ouvrir Beuglantes et lettres remplies de bouse de dragon. Même si le docteur lui avait octroyé une généreuse augmentation en contrepartie de la pénibilité de cette tâche.
« Ah, je suis bien content de ne pas être de service aujourd'hui ! se réjouit Osborne en tendant son visage vers le frais soleil automnal, indifférent aux regards torves que les rares passants posaient sur lui tandis qu'ils se dirigeaient vers le Chemin de Traverse. Quel plaisir de profiter enfin du beau temps après ces semaines de pluie !
– Nous n'allons donc pas à Godric's Hollow ? » demanda Pip avec espoir.
Osborne haussa les épaules, les boutons dorés de sa veste étincelant au soleil. Pip s'était désormais habitué à voir l'elfe se promener en costume trois-pièces mais, les premiers temps, il devait se pincer pour être sûr de ne pas rêver.
« Oh, je me dis que, puisque ce n'est pas mon tour de prendre la parole, je peux bien me permettre d'arriver en retard, confia Osborne.
– Vous pourriez même vous permettre de ne pas y aller du tout, abonda Pip qui, lui, s'en serait volontiers dispensé.
– Allons, allons, Pyrrhus, et le soutien moral, qu'en faites-vous ? le sermonna l'elfe d'un ton paternel. Nous devons nous serrer les coudes, a dit la commissaire, et elle a bien raison.
– Oui, enfin… Je ne suis pas sûr que tous vos confrères aient entendu le message.
– Hélas, nous nous y attendions, soupira Osborne. Tout le monde ne peut pas se permettre de s'associer étroitement à une question si éminemment politique…
– Peut-être eut-il mieux valu y songer avant que de s'engager dans les travaux du comité, dans ce cas, déclara pompeusement Pip. À moins que l'intention de départ de ces braves contributeurs ait été, précisément, de claquer avec fracas la porte de la réflexion commune…
– Je connais votre opinion là-dessus, Pyrrhus, l'interrompit Osborne. Plus j'y songe et plus je dois admettre que vous avez peut-être raison, mais cela m'attriste qu'un garçon aussi jeune que vous considère déjà la vie d'un œil si pessimiste.
– Réaliste, docteur, corrigea Pip en levant un doigt. Vous savez, j'appartiens à une génération qui a connu la guerre… On nous a pris notre innocence en même temps que notre liberté et, si la liberté nous a été rendue, l'innocence, elle, s'est envolée pour toujours… »
Pip laissa sa voix s'éteindre en même temps que cette évocation de l'innocence perdue. Il était particulièrement en veine de lyrisme, aujourd'hui : ce devait être le beau temps qui le mettait en forme. Ignorant tout du passé de Rafleur de son employé, Osborne lui tapota le bras en signe de compassion.
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« Dis donc, y a foule, observa Alifair Blake. Si j'avais su, j'aurais monté un stand. »
On se pressait en effet dans la halle magique de Godric's Hollow. Le bâtiment se dressait à l'emplacement de la maison de la célèbre historienne Bathilda Tourdesac, qui l'avait léguée par testament à la communauté sorcière du village. Bardée de sortilèges Repousse-Moldus, la halle pouvait accueillir mariages, tirages du bingo magique, activités associatives, expositions florales et meetings politiques. Assuré par des agents de la Brigade de police magique, le filtrage des entrées avait pour but d'empêcher l'intrusion de Moldus trop curieux. Le test était aussi simple qu'infaillible : si, à la question « Savez-vous quel événement est organisé ici aujourd'hui ? », le visiteur donnait la bonne réponse, il était admis à l'intérieur. Alifair avait tiqué en croisant Nora Wilde dans son uniforme bleu marine, et la jeune sorcière avait fait mine de ne pas la connaître.
« Si vous aviez le droit de vendre vos fournitures de bureau, on ne pourrait pas m'interdire de monter une buvette, grommela Abelforth Dumbledore en réponse à la remarque d'Alifair.
– Si vous filez de l'alcool à des excités du bocal, on peut être sûrs que ça finira mal, objecta la Moldue.
– Si vous leur vendez des ciseaux et des agrafeuses, on peut aussi être sûrs que ça finira mal », répliqua le sorcier.
Alifair balaya cette remarque d'un haussement d'épaules : on pouvait faire beaucoup plus de dégâts avec une baguette magique qu'une agrafeuse, raison pour laquelle la BPM patrouillait aussi à l'intérieur du bâtiment. Les sorciers et créatures magiques rassemblés dans la halle semblaient pour l'instant plus curieux qu'animés par l'envie d'en découdre, mais la Moldue savait qu'il ne fallait pas s'y fier. Les précédentes interventions publiques des membres de la commission avaient toutes donné lieu à une certaine agitation, et il n'y avait aucune raison pour que celle-ci déroge à la règle. Au contraire.
« Toute cette histoire finira mal, prédit Abelforth d'un ton sinistre. Plutôt que de laisser la tension s'accumuler, Shacklebolt ferait mieux de trancher dès maintenant. À quoi ça rime, ce faux suspense ? Tout le monde sait qu'il est favorable à l'émancipation.
– Mais les modalités ne sont pas encore définies, lui rappela Alifair. Et puis, le projet de loi devra obtenir l'aval du Parlement. C'est comme ça que ça marche, maintenant…
– Comment voulez-vous qu'il obtienne quoi que ce soit alors que chaque semaine qui passe décrédibilise davantage la commission ? trancha Abelforth. L'émancipation des elfes ne passera pas par un consensus. Elle sera décrétée unilatéralement et appliquée par la force, ou ne sera pas. »
Alifair grimaça. Des choses semblables s'étaient produites, autrefois, dans le Nouveau-Monde, avec leur cortège de violences et de désastres. La méthode douce préconisée par Kingsley la séduisait bien davantage, même si, plus le temps passait, plus Abelforth semblait avoir vu juste : expliquer et concilier ne suffirait pas à transformer l'opinion.
« Vous vous amollissez, déclara le sorcier. Il y a quelque temps encore, vous auriez été la première à plaider pour un coup de force. Serait-ce que l'influence de Madame la commissaire a fini par déteindre sur vous ?
– Crickey est la personne la plus raisonnable que je connaisse, répliqua vivement Alifair. Ce ne serait pas plus mal qu'elle déteigne sur un maximum de gens ! »
Abelforth émit un grognement sarcastique.
« Si vous continuez de bondir quand on touche à votre elfe, c'est qu'elle ne vous a pas encore complètement limé les crocs. Une bonne chose, m'est avis. La raison n'a pas sa place dans cette affaire. Il s'agit d'intérêts politiques et économiques, d'affects et de traditions. Et aussi, bien sûr, de quelques principes magiques que l'argumentation la plus raisonnable ne suffira pas à abolir. Je me demande si nous connaîtrons un jour le résultat des travaux d'Osborne à ce sujet, d'ailleurs.
– Apparemment, les sources lui manquent, répondit sobrement Alifair. Il semble que les origines de l'esclavage des elfes n'ont pas été beaucoup documentées.
– Comme c'est surprenant », ironisa Abelforth.
Ils se tenaient tous deux à proximité de l'estrade où prendraient place les orateurs du jour. De tous les experts du comité, le docteur Osborne se montrait le plus actif en matière de vulgarisation : il avait déjà donné plusieurs conférences sur l'histoire de l'émancipation des elfes en Amérique du Nord et dans les Caraïbes, dont une à la bibliothèque de Poudlard, et s'exprimait régulièrement sur les enjeux de cette épineuse question ainsi que ses répercussions politiques, économiques et sociales.
« J'ai l'impression qu'il a déclaré forfait pour aujourd'hui, observa Abelforth dont la haute taille lui permettait de dominer la foule qu'il parcourait de son regard bleu perçant.
– Il a bien le droit de se reposer une fois de temps en temps », répliqua Alifair en masquant de son mieux son déplaisir.
Avec Crickey elle-même, sa présidente, Osborne était celui qui s'impliquait le plus dans les travaux de la commission. Norbert Dragonneau se montrait consciencieux et sincèrement intéressé par son sujet, mais il ne rajeunissait pas et, surtout, il répugnait à parler en public – un comble pour un député ! La DRH de l'hôpital Sainte-Mangouste, choisie pour représenter les propriétaires d'elfes, participait efficacement aux discussions internes du comité, à en croire Crickey ; mais il ne fallait pas compter sur elle pour la partie communication, elle était bien trop occupée, prétendait-elle. Quant aux autres…
« J'espère que Filiark ne repointera pas son sale pif », marmonna Alifair d'un ton lourd de menace.
Ce n'était pas de gaieté de cœur que Crickey avait fait appel à un gobelin, mais la présence d'un juriste lui paraissait indispensable, et ils étaient les meilleurs dans ce domaine, disait-on. Pour le bien de la commission, elle était donc passée outre l'inimitié séculaire entre leurs deux espèces. Filiark avait soulevé d'utiles points de droit magique ponctués de remarques acerbes, à la limite de l'insulte envers ses collègues elfes du comité. Et puis, un beau jour, il avait décidé qu'il ne voulait plus participer à cette « pantalonnade absurde » sur laquelle il se répandait depuis lors en invectives par voie de presse. Alifair savait d'après Crickey qu'il avait eu une sérieuse prise de bec avec d'autres membres du comité, mais l'elfe n'avait pas précisé lesquels, ni pourquoi : chez elle, le respect de la confidentialité des échanges n'était pas un principe creux. En tant que sa maîtresse, la Moldue aurait pu exiger communication de ces détails, ce qu'elle n'envisagea pas une seule seconde : Crickey et elle n'avaient jamais eu ce genre de relation, et ce n'était pas maintenant que ça allait commencer.
Filiark, de son côté, en plus de mener campagne contre ses anciens collègues, s'en était déjà pris publiquement à eux lors de leurs prises de parole. Osborne l'avait poliment remis à sa place, Dragonneau s'était répandu en bafouillages évanescents et Alifair, depuis le parterre, avait manqué virer le gobelin à coups de pied aux fesses. Vu la quasi-émeute qui s'en était suivi à chaque fois, la BPM avait fini par avertir Filiark qu'au prochain coup de ce genre, on le bouclerait pour trouble à l'ordre public.
« Les gobelins sont beaucoup trop malins pour braver ouvertement les forces de l'ordre, affirma Abelforth. Et Filiark n'en a pas besoin pour poursuivre son travail de sape. Au moins, les elfes se taisent, eux. »
Trilby et Toffey, les deux doyens elfes spécialistes des généalogies de leur espèce, n'avaient pas tardé à emboîter le pas du gobelin. Ils n'avaient jamais caché leur hostilité à toute idée d'émancipation et la direction prise par les travaux de la commission ne leur convenait guère. Mais, en tant qu'elfes, ils gardaient leur opinion pour eux, quoique Alifair les soupçonnât de la partager volontiers avec leurs congénères. Amputée de près de la moitié de ses membres, la commission faisait l'objet d'attaques régulières dans la presse traditionaliste, alimentées par les persiflages de Filiark. La Moldue craignait qu'il ne reste plus beaucoup de temps avant qu'un autre expert – la DRH de Sainte-Mangouste, pour ne pas la nommer – quitte à son tour le navire. Crickey maintenait vaillamment la tête hors de l'eau mais Abelforth avait raison : chaque nouvel article incendiaire, chaque intervention ponctuée d'incidents sapait un peu plus la légitimité du comité et celle de sa présidente. En résumé, c'était mal parti pour l'émancipation.
« Tiens, tiens, regardez qui voilà… », grommela tout-à-coup Abelforth.
Suivant son regard, Alifair aperçut un sorcier de taille moyenne et d'âge moyen, si peu remarquable qu'elle ne l'aurait sans doute pas vu si Abelforth ne le lui avait pas signalé – et pourtant, elle le connaissait bien.
« Brett Brodigan ! Qu'est-ce que tu fais là, sale petite vipère ? marmonna-t-elle.
– Son travail de journaliste, je suppose, dit Abelforth. Mais ce n'est pas de lui que je parlais. Vous voyez la sorcière qui l'accompagne ? Celle avec les bouclettes et les lunettes tape-à-l'œil ? »
Alifair dévisagea celle dernière avec attention : d'ordinaire, c'était elle-même qu'on qualifiait de « tape-à-l'œil ». La sorcière en question arborait une robe rose fuchsia des plus voyantes, une permanente blonde et des lunettes à la monture semée de pierres précieuses – fausses, à n'en pas douter. Remarquable, en effet, convint à part soi la Moldue avec une pointe de dépit.
« C'est Rita Skeeter, l'informa Abelforth. La biographe non officielle de mon héros de frère.
– Non ! » s'écria Alifair en ouvrant de grands yeux.
Elle n'avait jamais rencontré l'ancienne journaliste mais elle en avait beaucoup entendu parler, en premier lieu par Harry qui ne pouvait pas la sentir. D'après la rumeur, les activités et accointances de Mrs Skeeter pendant la guerre lui avaient valu de prendre une retraite forcée, pour sa propre sécurité.
« Elle prépare un come-back, à votre avis ? Ou elle est juste venue en curieuse ? s'interrogea tout haut la Moldue.
– Décidément, il y a du beau monde, aujourd'hui, marmonna Abelforth dans sa barbe en dédaignant la question. Des gens du ministère, des gobelins – pas de Filiark mais je crois que j'aperçois votre notaire – , Granger et Miss Weasley…
– Mais pas Harry quand même, si ? » demanda Alifair en se dressant sur la pointe des pieds pour essayer de voir au-dessus des têtes – quel dommage qu'elle n'ait pas mis ses talons !
Abelforth renifla.
« Si quelqu'un a compris la vertu du silence, c'est bien Potter. L'a-t-on vu prendre position sur quoi que ce soit depuis la fin de la guerre ?
– S'informer, ce n'est pas prendre position, objecta Alifair. Mais je suppose qu'Hermione et Ginny lui feront un rapport complet…
– Et objectif, à n'en pas douter, ironisa le vieux sorcier. Et voilà quelques célébrités supplémentaires : les Sanguini mari et femme, suivis de… – il plissa les yeux pour mieux distinguer le fond de la salle – Horace Slughorn et son député d'elfe. Il aurait été dommage de discuter émancipation sans aucun des principaux intéressés, en effet… »
Le fait est que les elfes étaient les grands absents de ces conférences. Peu d'entre eux devaient avoir l'autorisation d'y assister, supposait Alifair, et plus rares encore étaient ceux qui acceptaient d'y être vus. Kreattur était venu, une fois, ainsi que Sparkey, le frère de Crickey, et quelques autres, bien trop peu vu la nature du sujet traité.
« Gobe-Planche et Viesnaya sont là aussi, nota Abelforth. Étrange que Miss Faraday ne se soit pas jointe à elles.
– Elle devait aller chez ses parents pour l'anniversaire de son père, indiqua distraitement Alifair. C'est qui, Gobe-Planche ? Un nouveau prof ?
– Le professeur de soin aux créatures magiques à laquelle mon frère avait recours pour les remplacements. Une enseignante très capable, déclara Abelforth d'un ton solennel. Minerva McGonagall semble avoir décidé qu'après une année de reconstruction, il était temps de relever le niveau. Je suis étonnée que votre amie bibliothécaire ne vous en ait pas parlé.
– Elle a pu y faire allusion, répondit prudemment Alifair que les affaires internes de Poudlard intéressaient modérément. Je sais que la malédiction qui pesait sur la défense contre les forces du mal est levée, que Mary McDonald enseigne toujours les potions et que le nouveau prof de métamorphose est grave sexy.
– Je ne saurais le dire, grinça le sorcier.
– Mais les soins aux créatures magiques, fit lentement Alifair, ce n'était pas le cours de… heu…
– Hagrid, compléta Abelforth d'un air sombre. L'homme qui n'est ni un humain ni un géant, ni un sorcier ni une créature magique, ni apparemment un professeur. »
Alifair savait que Hagrid était un très bon ami de Harry, le garde-chasse de Poudlard, et qu'il avait été victime de discrimination en raison de ses origines.
« Donc, il a été…
– Remercié, acheva Abelforth, acerbe. Quoi qu'il reste toujours garde-chasse. Il était un peu déçu quand McGonagall lui a annoncé la nouvelle, il m'a quasiment vidé tout un tonneau de whisky ce soir-là. Mais je dois dire qu'il a mieux réagi que cette pauvre Trelawney… »
Le nom éveilla un souvenir dans l'esprit d'Alifair.
« Mais oui, c'est vrai ! s'exclama-t-elle en claquant des doigts. Lissa m'a dit que la divination était supprimée des programmes !
– Un vieux rêve de la vieille Minnie, grogna Abelforth. Mon frère l'avait envisagé un temps sans aller jusqu'au bout. Aujourd'hui c'est chose faite. Il faut saluer la directrice d'avoir tenu bon face à la triple crise.
– La triple crise ?
– Crise de colère, crise de larmes et crise d'ivrognerie aiguë. Trelawney n'a jamais possédé une personnalité très stable. Il paraît qu'elle a même fait peur à Peeves…
– Comment ça se fait que Lissa ne m'ait rien dit ? s'indigna Alifair.
– Elle attend peut-être que vous l'interrogiez, suggéra Abelforth. On pourra moins facilement l'accuser de commérages si ce n'est pas elle qui amène le sujet…
– Et l'autre prof ? Il y avait un autre prof de divination, non ? Un centaure…
– Firenze est retourné parmi les siens dans la Forêt interdite, expliqua Abelforth. Les choses se sont arrangées pour lui maintenant que l'heure est au dialogue avec les sorciers. Qui sait si on ne le verra pas bientôt siéger sur les bancs de la Chambre verte ?
– S'il est plus impliqué que ses congénères, ça ne fera pas de mal. »
Il était de notoriété publique que les députés centaures, déjà présumés en sous-effectif en raison de l'absence de recensement de leur espèce, se distinguaient par leur indifférence lors des séances de la Chambre, quand ils n'oubliaient pas simplement d'y assister.
« Ah, ça commence, fit Alifair alors que des applaudissements saluaient l'arrivée des orateurs. C'est pas trop tôt ! »
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« Eh bien, quel monde ! s'exclama F. F. Osborne. J'ai l'impression que le public se fait plus nombreux chaque fois, qu'en dites-vous, Pyrrhus ? Et on ose prétendre que le sort des elfes n'intéresse pas la société britannique magique, tss… »
Pip pensa que la société britannique magique était surtout avide de ragots et que ce public-là, comme les précédents, espérait avant tout être témoin d'un beau scandale, sinon y prendre une part active. À Chichester, une partie de ces bonnes gens avaient lancé sur Osborne un assortiment de fruits et légumes avariés et, à Pré-au-Lard, les huées étaient si fortes qu'elles noyaient la fin du discours de Dragonneau ; bref, il ne faudrait plus attendre longtemps avant que l'agitation populaire se transforme en lynchage.
« Cela a-t-il commencé, dites-moi ? Il me semble entendre… »
Même en se haussant sur la pointe des pieds, l'elfe aurait été bien incapable de distinguer, par-delà la forêt de têtes, la tribune dressée au fond de la halle.
« Weal Enys est sur scène, rapporta Pip en tendant le cou. Je suppose que notre preux secrétaire d'État à l'égalité a jugé nécessaire d'apporter son soutien à la commission. Les gens n'ont pas l'air de beaucoup apprécier, cela dit », constata-t-il.
De fait, tout autour d'eux, la rumeur de la foule, mélange de murmures, d'éclats de rire, de contestations véhémentes et de commentaires divers les empêchait de percevoir clairement les paroles d'Enys.
« La commissaire Crickey doit être à ses côtés, devina Osborne. Elle s'exprimera après lui, Enys ne fait que l'introduction. Essayons de nous rapprocher, voulez-vous… »
Pip ne le voulait pas, mais les désirs de son patron étaient des ordres. Jouant des coudes, il commença à se frayer un passage parmi les spectateurs, Osborne dans son sillage. Du coin de l'œil, le sorcier voyait les agents de la BPM patrouiller dans la halle, reconnaissables à leur uniforme et à leur mine soupçonneuse, voire patibulaire. Il ne s'en sentit pas rassuré pour autant : si l'on estimait nécessaire un tel déploiement de force, c'est bien que l'événement était à haut risque.
« Enys ferait mieux de se taire, maugréait Abelforth. Personne n'est venu pour écouter un sermon sur la liberté d'expression et le respect mutuel.
– Je me demande s'il compte laisser l'elfe en placer une, persifla Brett Brodigan à l'oreille de Rita Skeeter.
– Je me demande si les gobelins lui laisseront en placer une, répliqua Rita.
– Ils commencent à s'agiter, dit l'agent Smith à l'agent Wilde en lui montrant le petit groupe de gobelins qui faisaient de grands gestes en parlant soudain très fort. Je n'aime pas beaucoup ça…
– Ils pourraient baisser d'un ton, souffla Gwenog Jones-Sanguini à son époux d'un air agacé. C'est franchement irrespectueux !
– Mais qu'est-ce qui leur pose problème, au fond ? s'étonna Ginny. Ça concerne les elfes et les sorciers, pas eux.
– Je suppose qu'ils n'aimeraient pas devoir considérer les elfes comme des égaux, répondit Hermione d'un air sombre, et encore moins devoir les traiter comme tels…
– Il s'agit d'une grave ingérence des sorciers dans les affaires internes d'une espèce magique, expliquait Sobby à son maître. Si le ministère s'arroge le droit de libérer les elfes alors que ceux-ci ne le veulent pas, qu'est-ce qui l'empêchera ensuite de dicter sa loi aux autres espèces plus encore qu'il ne le fait déjà ? Voilà ce que les députés gobelins ont déclaré à la Chambre verte.
– Le professeur Binns dirait que les gobelins ont la contestation dans le sang, glissa Gobe-Planche à Viesnaya.
– Public difficile aujourd'hui, murmura Enys à Crickey avant de quitter l'estrade. Je vous souhaite bon courage.
– Et voilà, c'est parti ! soupira Nora Wilde. J'appelle les autres, on va avoir besoin de renforts. »
Une bagarre avait éclaté parmi les gobelins. Depuis la scène, Crickey vit les agents de la BPM converger vers un coin de la salle d'où s'élevaient des clameurs féroces.
« Notre petite commissaire ne manque pas de courage, remarqua le comte Sanguini alors que l'elfe entamait vaillamment son intervention, sa voix aiguë magiquement amplifiée pour couvrir le vacarme.
– Ça me plaît pas, cette histoire, déclara Alifair, nerveuse. J'aurais dû prendre mon tisonnier. »
Pip n'était pas le seul à redouter une flambée de violence : la Moldue s'y attendait depuis le premier jour où Crickey était montée sur une estrade pour s'exprimer en public. De là où elle se tenait, la Moldue ne comprenait guère ce qui se passait plus loin dans la salle ; mais elle vit soudain, venant du côté opposé, des projectiles voler en direction de l'oratrice. Ce n'étaient pas quelques vieux légumes qui réduiraient Crickey au silence, mais il pouvait y avoir autre chose parmi les projectiles. Sans réfléchir, Alifair fila vers le côté de la scène et commença à monter les marches qui menaient à l'estrade. Elle n'avait pas l'intention d'interrompre Crickey en plein discours, mais les secondes passaient et la BPM n'intervenait toujours pas…
C'est alors qu'elle le vit, par-delà les tomates pourries et les Bombabouses que l'elfe évitait avec habileté : un objet brillant et non identifié qui filait à toute allure, droit sur Crickey, hors de son champ de vision. Alifair bondit, poussa l'elfe de côté et reçut le projectile en pleine poitrine.
« Nom d'une gargouille ! s'exclama Abelforth.
– Vous avez vu ça ? s'écria Rita Skeeter d'un ton surexcité.
– Qu'est-ce que c'était ? Qu'est-ce qui s'est passé ? balbutia Cadogan Smith.
– M-miss Alifair…, balbutia Crickey en se redressant en position assise.
– Tu nous as fait manquer le spectacle ! grogna un gobelin en se dégageant de l'étreinte de l'agent Smith pour frapper l'un de ses congénères. Crétin !
– Crétin toi-même ! riposta celui-ci en lui rendant la politesse.
– J'ai manqué quelque chose ? s'informa Osborne. Cette lumière…
– Je ne sais pas trop, répondit Pip, passablement éberlué. J'ai vu la célèbre et sculpturale maîtresse de l'elfe se ruer sur scène, il y a eu un grand éclair de lumière, et maintenant… »
Et maintenant, comme le constataient toutes les paires d'yeux rivés sur l'estrade, Alifair Blake avait disparu.
Ben ça, alors ! Mais où a-t-elle bien pu passer ?
