Petit rappel pour celles et ceux qui auraient oublié des trucs :

- Frederik F. Osborne est un elfe américain, chercheur et conférencier, spécialiste de l'histoire de l'émancipation des elfes, invité par Crickey à rejoindre la commission chargée de cette question ; en prévision de son séjour prolongé en Grande-Bretagne, il a souhaité recruter un secrétaire particulier, ce qui tombait très bien pour Pip (tome 3),

- Nora Wilde apparaît au tout début du tome 1, c'est l'un des membres de l'Ordre qui devait régler le sort du premier loup-garou d'Alifair, et c'est elle qui a dénoncé notre Moldue à des sympathisants des Mangemorts ; comme pratiquement personne n'est au courant, Nora a pu rentrer dans la BPM après la guerre, et Alifair s'est un peu servie d'elle pour espionner les Malefoy (tome 2),

- nous avons déjà croisé les agents Bellick et Cadogan Smith, notamment du côté de l'hôtel écossais où Narcissa et Drago avaient été agressés dans le tome 2.

Katymyny : J'espère avoir répondu à ta question :) Abelforth te salue ! Un peu de patience, nous retrouverons Johnny Rogue très bientôt, et en pleine forme !


Chapitre 2

Portée disparue

Le commandant Bellick pompait si furieusement sur son cigare que son bureau prenait des airs de lande brumeuse : des volutes dansaient devant les visages, parant d'une aura nébuleuse une affaire qui ne l'était pas moins. Si les subordonnés du chef de la BPM n'osaient pas protester – ce n'était pas le moment de contrarier Bellick plus qu'il ne l'était déjà – le directeur du Bureau des Aurors, lui, ne se gênait pas pour manifester son déplaisir. Il toussait et se raclait la gorge en lançant à Bellick des regards courroucés, mais l'imposant chef de la police magique ne semblait pas le remarquer. Peut-être faisait-il exprès de l'ignorer ainsi, ou peut-être son esprit était-il absorbé par des questions autrement plus importantes.

« Redites-moi ça encore une fois », gronda-t-il, son cigare coincé entre les dents.

Le directeur du Bureau des Aurors, un sorcier mince au regard gris acier du nom de Gawain Robards, poussa un soupir impatient auquel personne ne prêta attention. L'inspecteur Cadogan Smith soupira lui aussi, mais avec un fatalisme teinté d'angoisse. Bellick l'avait nommé responsable de la sécurité à Godric's Hollow, c'était donc à lui de répondre de ce qui s'y était passé… même s'il n'en avait pas la moindre idée.

« Deux agents étaient postés à l'entrée de la halle, expliqua-t-il comme il l'avait déjà fait plusieurs fois. Le discours du secrétaire d'État s'est déroulé sans incident et la commissaire à l'émancipation venait de prendre la parole quand j'ai remarqué de l'agitation du côté d'un groupe de gobelins. Nous nous sommes dirigés vers eux, l'agent Wilde et moi, fit-il avec un geste de la main en direction de la jeune sorcière qui se tenait debout près de lui, et comme les gobelins étaient nombreux et virulents, nous avons appelé du renfort. »

Nora Wilde confirma d'un hochement de tête. Encore relativement nouvelle dans le service et d'une efficacité qui, pour être suffisante, n'attirait pas l'attention, elle ne se trouvait là que parce que Caddy n'avait pas voulu venir tout seul.

« Virulents, hein ? releva Bellick. Expliquez, ordonna-t-il en pointant son cigare sur Nora.

– Eh bien, répondit celle-ci d'un air intimidé, ils gesticulaient beaucoup en criant très fort… Ils ont même commencé à se battre et nous avons dû les séparer.

– Il vous a fallu toute l'équipe pour ça ? » intervint Robards.

Malgré l'atmosphère enfumée qui brouillait quelque peu ses traits, son attitude d'incrédulité dédaigneuse n'échappa à personne.

« Les gobelins peuvent être de sacrées pestes quand ils s'y mettent ! réagit aussitôt Bellick. Vous l'avez peut-être oublié, si ces administrés-là sont trop banals pour vous. »

Voir son commandant prendre ainsi la défense de ses agents contre ces prétentieux d'Aurors réconforta un peu Cadogan Smith. Il ne se leurrait pas, cependant : quelqu'un avait commis une erreur et allait devoir en payer le prix. Et il savait très bien qui.

« Donc, tout le monde a rappliqué pour maîtriser l'émeute gobeline, résuma Bellick. Poursuivez.

– Est-ce que nous pourrions ouvrir la fenêtre ? demanda le chef des Aurors qui n'y tenait plus.

– Pourquoi, vous avez trop chaud ? grogna Bellick.

– Moi pas, en tout cas, glissa l'agent Wilde.

– Moi non plus », renchérit l'agent Smith.

L'Auror en chef comprit le message : la BPM faisait front contre lui. Ces braves gens des forces de l'ordre se vexaient facilement quand ils avaient l'impression qu'on les prenait de haut. Il serra les dents, vexé à son tour de se faire traiter ainsi devant son stagiaire.

« Poursuivez, inspecteur Smith, répéta Bellick.

– Pendant que nous étions occupés avec les gobelins, des gens se sont mis à lancer des projectiles sur l'estrade. Nous nous en sommes très vite aperçus et j'ai dit à Marks et Spencer d'intervenir mais, avant qu'ils aient le temps de s'éloigner, il y a eu ce… ce flash lumineux et… et… »

L'inspecteur Smith s'interrompit pour avaler sa salive et retrouver son calme. C'était à ce moment précis de sa carrière professionnelle qu'il avait failli.

« L'agent Spencer avait vu Miss Blake monter sur l'estrade, reprit-il avec effort. Elle a été la première à comprendre qu'elle avait… disparu. Marks et elle ont foncé vers l'estrade mais, comme vous le savez, nous n'avons pu découvrir nulle part aucune trace de Miss Blake. »

Un silence pesant suivit ces paroles. Bellick mâchonnait son cigare, Nora contemplait ses chaussures et Smith attendait que le couperet tombe. Le directeur du Bureau des Aurors fut le premier à reprendre la parole :

« Si Miss Blake a pu monter sur l'estrade, c'est sans doute parce que personne n'en interdisait l'accès ? »

Il interrogea du regard l'agent Smith qui confirma d'un signe de tête.

« Un rassemblement sous haute tension, énonça lentement Robards. Le combientième d'une longue série, déjà ? Et personne ne gardait l'accès à l'estrade… »

Caddy Smith ne savait plus où se mettre.

« Monsieur, je ne sais pas ce qu'il en était des autres conférences, intervint timidement Nora, mais j'étais de service à Chichester et Norfolk et, là non plus, personne ne gardait l'estrade… et ce n'était pas l'inspecteur Smith le responsable, ces fois-là… et tout s'est bien passé… »

Smith ressentit une soudaine bouffée de reconnaissance pour l'agent Wilde.

« Potter, ouvrez la fenêtre, voulez-vous ? » ordonna tout à coup Robards.

Harry s'exécuta. C'était son deuxième stage en tant qu'apprenti Auror et il était assez fier de l'effectuer auprès du directeur du service lui-même. Bien que cela signifiât moins d'action et beaucoup plus de paperasse.

« Je ne mets pas en cause votre collègue, agent Wilde, assura Robards. Je suis sûr qu'il a tenu compte au mieux des consignes de sa hiérarchie. »

La fausse fenêtre du bureau de Bellick, qui montrait ce jour-là l'image d'un ciel maussade typiquement automnal, ouvrait sur un conduit d'aération aussi sinistre qu'obscur. Une bonne partie de la fumée s'y étant rapidement engouffrée, tout le monde put voir le large visage du commandant virer au violacé.

« Quand j'aurai besoin de vos remarques, je vous les demanderai, Gawain ! » gronda-t-il, furibond.

Harry savait déjà que des tensions existaient entre les deux services chargés de maintenir l'ordre dans le monde magique, mais si leurs responsables eux-mêmes ne pouvaient pas se supporter…

« La question n'est pas de savoir si quelqu'un gardait l'estrade ou pas, aboya Bellick. Ce n'est pas par l'escalier que cette chose est arrivée.

– Non, en effet, convint le chef des Aurors. Avez-vous pu identifier les auteurs des lancers ? » interrogea-t-il Smith.

Celui-ci baissa la tête.

« Quand la nouvelle a commencé à se répandre que Miss Blake – une Moldue – s'était volatilisée sans qu'on sache comment, cela a causé une sorte de panique… les gens se sont mis à vouloir partir à toute vitesse… Nous avons géré l'évacuation comme nous l'avons pu, il n'y a eu aucun blessé et les Moldus des alentours ne se sont aperçus de rien, mais… enfin, un certain nombre de personnes ont pu quitter les lieux sans être identifiées…

– Inévitable dans ce genre de situation, grommela Bellick en coupant la parole à Robards qui s'apprêtait visiblement à dire quelque chose.

– Nous avons quand même plusieurs suspects, précisa Nora. Des gens qu'on a pris avec des sacs de légumes pourris et des Bombabouses. Certains en avaient plein les mains. On a leurs noms et leurs adresses, on est en train de procéder à des vérifications à leur sujet.

– Vous nous transmettrez ces éléments, décréta l'Auror en chef. N'est-ce pas, Benjamin ? »

Bellick, que personne n'appelait par son prénom, le foudroya du regard mais s'abstint de répondre. Son cigare mâchonné pendait de sa bouche, presque coupé en deux.

« Nous avons également recueilli beaucoup de témoignages, ajouta l'inspecteur Smith, ragaillardi par l'intervention de Nora. La commissaire Crickey qui se trouvait sur l'estrade, bien sûr, Mr Abelforth Dumbledore qui était avec Miss Blake quelques instants avant l'incident, et beaucoup d'autres…

– On vous les transmettra aussi, bien sûr, Gawain, assura Bellick d'un ton sarcastique. En détail. »

Autant de dépositions plus inutiles les unes que les autres, ils le savaient tous les deux, mais que leurs agents se feraient un devoir d'éplucher au cas où l'une d'elle contiendrait le détail qui ferait avancer l'affaire. Bellick ôta de sa bouche son cigare moribond, l'écrasa dans le cendrier et adressa à Robards un sourire faussement aimable.

« Fermez la fenêtre, à présent, Potter, dit-il à Harry, vous serez gentil. »

Harry jeta un coup d'œil à son directeur : les mâchoires serrées, celui-ci plissait les yeux d'un air mécontent. Harry ferma la fenêtre. Ce combat d'égos ne l'intéressait guère, mais il hésitait à poser une question qui lui était venue à l'esprit : après tout, il n'était encore que stagiaire.

« Je crois que c'est tout de notre côté, déclara le commandant de la BPM en se calant confortablement dans son fauteuil. Et vous, alors ? Qu'est-ce que donnent vos expertises ?

– Elles sont toujours en cours, reconnut Robards de mauvaise grâce. Comme vous le savez, les Aurors dépêchés sur les lieux après l'alerte donnée par la BPM ont trouvé un certain nombre de tomates pourries, d'épluchures et de boules puantes parfaitement inoffensives, ainsi que les restes d'un engin artisanal sans doute à l'origine de la disparition de Miss Blake. On soupçonne une variante de la cage de Faraday, un dispositif archaïque qui semble revenir à la mode, ces temps-ci. »

Cadogan Smith dressa l'oreille : une cage de Faraday, voilà qui lui rappelait quelque chose…

« Narcissa Malefoy, murmura-t-il alors que lui revenaient en mémoire les événements survenus dans un hôtel moldu il y avait plus d'un an.

– Nous avons vérifié », dit Robards avec satisfaction.

D'un mouvement du menton, il donna la parole à Harry.

« Heu, oui… Narcissa et Drago Malefoy sont toujours en Californie. Ils n'ont pas remis les pieds dans le pays jusqu'à présent et, heu… Lucius est toujours en prison, alors ils sont forcément hors de cause.

– Hors de cause », marmonna Bellick.

Il ouvrit un tiroir, farfouilla dedans et en sortit un nouveau cigare.

« Dommage, commenta-t-il en l'allumant. Ça ne m'aurait pas déplu de la revoir entre quatre-z-yeux, cette Mrs Malefoy. Poursuivez », dit-il avec un geste au directeur des Aurors.

Robards grimaça, mais Harry ne put déterminer si c'était à cause du ton que Bellick avait employé pour s'adresser à lui ou de l'infecte fumée qui s'échappait à nouveau de son cigare.

« Nous ignorons quels sortilèges étaient contenus dans la cage, poursuivit donc Robards avec raideur. D'après les analyses, le piège était conçu pour se déclencher à l'impact, sans qu'aucun maléfice soit nécessaire, ce qui constitue une différence majeure avec une cage de Faraday classique. Étant donné que Miss Blake n'était pas censée monter sur scène, nous pensons que la victime désignée n'était autre que la commissaire Crickey elle-même.

– Ouais, c'est aussi ce qu'on pense, approuva Bellick.

– Aucun… reste humain n'a été retrouvé sur l'estrade. D'après la commissaire, le portrait de Miss Blake n'est pas apparu dans le salon de la maison Faraday comme cela se produit normalement à la mort du propriétaire. Bien sûr, il est possible que les enchantements de la maison réagissent différemment lorsque celui-ci est un Moldu, mais… »

Le directeur du Bureau des Aurors haussa les épaules.

« À l'heure actuelle, il semble prématuré de conclure à un décès. Nous proposons donc que Miss Alifair Moira Blake-Faraday soit portée disparue. »

Bellick acquiesça d'un signe de tête. Robards sortit de sa poche le formulaire administratif qui permettait d'entériner cette décision et portait déjà sa propre signature. Il le tendit à Bellick afin qu'il le relise et ajoute son paraphe, ce qu'il fit avec force émission de fumée malodorante.

« Je le ferai enregistrer dès mon retour au Bureau, indiqua Robards en rempochant le parchemin. Eh bien, je crois que nous en avons fini pour le moment… »

Harry se racla la gorge. Stagiaire ou pas stagiaire, une question méritait encore d'être posée.

« Vous vouliez dire quelque chose, Potter ? comprit le chef des Aurors.

– Oui, Monsieur, je me demandais…

– Vous la connaissez, pas vrai ? l'interrompit Bellick. Blake ? »

Harry fronça les sourcils.

« Oui, confirma-t-il simplement. C'est une amie. Pourquoi ?

– Oh, pour rien, dit Bellick en se carrant un peu plus dans son fauteuil qui grinça sous son poids. Je me demandais juste s'il était courant, chez vous, d'associer des stagiaires à une affaire aussi sensible, surtout quand ils sont déjà impliqués sur un plan personnel… »

Les agents Smith et Wilde échangèrent un regard éloquent : le commandant se vengeait de la réflexion désagréable de Robards sur les consignes inadaptées de la hiérarchie de la BPM.

« Potter n'est pas impliqué, il connaît personnellement la victime, nuance, répliqua sèchement l'Auror en chef. Sachez qu'à partir de la deuxième année de formation, nous associons nos stagiaires à toutes les missions qui n'impliquent de leur part aucune prise de risque immédiat – ça, c'est réservé à la troisième année. Et de toute manière, même si vous ne vous fiez pas à mes compétences en matière de gestion de mon propre service, il me semble que le cursus du cadet Potter parle pour lui ! »

Robards s'était un peu échauffé à la fin de son discours et ses yeux d'acier lançaient des éclairs. Harry s'attendait à ce que le massif Bellick lui réponde sur le même ton, mais celui-ci écarta les mains en un geste d'apaisement.

« C'était une simple question, Gawain. Personne n'en veut à votre poulain, inutile de vous mettre dans cet état. »

Cadogan Smith retint un sourire : le commandant était si satisfait de faire enrager Robards que toute sa contrariété semblait évanouie.

« Navré de vous avoir interrompu, cadet Potter, s'excusa courtoisement Bellick. Vous disiez ?

– Heu, oui, reprit Harry, un peu déstabilisé. Je me demandais si on avait pu établir la raison de la dispute des gobelins ? »

L'agent Wilde haussa un sourcil, l'inspecteur Smith parut perplexe et le commandant Bellick eut une moue d'étonnement qui manqua faire tomber son cigare. Même Robards regarda Harry d'un air intrigué.

« Une histoire de pari truqué, je crois, ou de contrat non honoré, finit par répondre Cadogan Smith. À moins qu'il s'agisse d'un adultère…

– Ils parlaient en Gobelbabil, alors on n'a pas compris grand-chose, précisa Nora Wilde.

– Aucun intérêt, de toute façon, balaya Bellick.

– Qu'est-ce que vous avez en tête, Potter ? » demanda Robards.

Harry les dévisagea tour à tour dans la fumée suffocante. Il aurait volontiers rouvert la fenêtre mais il ne tenait pas à raviver l'animosité du chef de la BPM.

« Je trouve ça bizarre, déclara-t-il. Les gobelins étaient venus pour écouter la conférence, peut-être pour semer le trouble comme Filiark, et au lieu de ça ils se mettent à se battre entre eux pour quelque chose qui n'a rien à voir ? C'est peut-être un simple hasard, bien sûr, mais… je trouve ça bizarre », conclut-il.

Le silence s'installa. Les quatre autres le considéraient maintenant avec attention. Nora fronçait des sourcils pensifs, Bellick lançait vers le plafond de petits ronds de fumée et Smith hochait lentement la tête.

« Vous pensez à une diversion ? lança enfin Robards.

– Possible, admit Bellick tandis que Harry confirmait d'un signe de tête. Inspecteur Smith, on a les noms de ces gobelins ?

– Oui, Monsieur.

– Bien. On vous les transmettra, Gawain, vous pouvez y compter.

– Mais pourquoi des gobelins s'en prendraient-ils à Crickey d'une façon aussi radicale ? se demanda tout haut Harry. Qu'ils soient contre l'émancipation des elfes, c'est une chose, mais quand même… »

Robards secoua la tête et Nora haussa les épaules en signe d'ignorance.

« Eh bien, on leur posera la question, décréta Bellick. S'il n'y a rien d'autre, messieurs… »

Il n'y avait rien d'autre, en effet. Harry et son supérieur prirent congé, emboîtant le pas de l'agent Wilde qui devait leur remettre une copie des dépositions et des listes des suspects.

« Quelque chose qui vous tracasse, Caddy ? s'enquit Bellick en constatant que Smith ne semblait pas décidé à quitter son bureau.

– Avez-vous… avez-vous une idée de ce qui m'attend, Monsieur ? »

Bellick étant le seul habilité à sanctionner un agent de la BPM, nul ne pouvait en avoir meilleure idée que lui ; Smith préférait simplement formuler les choses de façon moins directe.

« Ce qui vous attend, répéta le commandant. Comment ça ?

– Eh bien, j'ai commis une faute…

– Ah oui ? Laquelle ? »

Smith était bien en peine de mettre le doigt sur une erreur précise. Ne pas avoir posté de garde devant l'estrade ? Avoir laissé l'ensemble de ses collègues se regrouper en abandonnant le reste de la salle ? Être incapable de nommer un coupable ? Il trouvait un peu cruel, de la part du commandant, de le laisser ainsi énoncer lui-même son crime.

« J'ai failli à ma mission », dit-il enfin, la tête basse.

Un long moment s'écoula pendant lequel la fumée qui emplissait la pièce devint de plus en plus dense. Puis un bruit affreux fit sursauter Cadogan Smith : Bellick repoussait son fauteuil dont les pieds raclaient le sol dans un crissement de fourchette sur une assiette en porcelaine. Le commandant se leva pesamment, contourna son bureau et vint asséner sur l'épaule de Smith une claque qui fit fléchir ses genoux.

« Ne vous mettez pas martel en tête, Caddy. Si le cursus de Potter parle pour lui, vos états de service parlent pour vous. Vous avez fait de votre mieux, comme d'habitude. »

Il lui tapota l'épaule puis fit volte-face pour écraser dans le cendrier son cigare à peine mâchouillé : l'entretien était terminé.

L'inspecteur Smith se dirigea vers la porte. Tandis qu'il franchissait le seuil, il entendit Bellick grommeler dans son dos :

« Peut-être bien qu'on a sous-évalué le risque. Mais personne n'aurait pu s'attendre à ça ! »

lll

« Alifair Blake portée disparue

Nos lecteurs s'en souviendront, la Moldue, célèbre pour ses prises de position polémiques, s'est brusquement volatilisée lors d'une conférence donnée par son elfe de maison, Crickey, commissaire à l'émancipation des elfes, le 6 novembre dernier. Codirigée par le Bureau des Aurors et la Brigade de police magique, l'enquête suit à présent son cours. Aucun suspect n'a pour l'instant été identifié même si plusieurs personnes, dont des gobelins, ont été interrogées dans les locaux de la BPM. À l'heure actuelle, Miss Blake n'a toujours pas réapparu et les autorités recherchent encore le moindre indice susceptible d'aider à la localiser. En l'absence de cadavre, le ministère de la Magie a indiqué dans un récent communiqué que Miss Blake devait pour l'instant être considérée comme portée disparue.

Le manque d'explications officielles de cet épisode étonnant, point d'orgue d'une série d'allocutions ayant sérieusement troublé l'ordre de la société magique, ouvre la porte à toutes les spéculations. "C'est un artifice moldu, ce qu'ils appellent un trucage, affirme un de nos lecteurs anonymes. Cette fille voulait seulement faire parler d'elle, une fois encore." "Blake est très douée pour détourner l'actualité à des fins de communication personnelle, confirme la journaliste et auteur à succès Rita Skeeter. Ça pourrait tout à fait être la stratégie de lancement d'un nouveau produit. Le fait qu'aucune nouveauté Indésirable ne soit annoncée, et que Blake elle-même reste introuvable, signifie peut-être que son coup de pub n'a pas marché comme elle l'espérait." "C'est un coup monté ! affirme quant à lui le juriste gobelin Filiark, ex-membre du comité à l'émancipation qu'il a quitté il y a quelques mois en en dénonçant les dérives. Des gobelins ont tout de suite été mis en cause sans aucune justification. Le ministère a affirmé, de façon pour le moins péremptoire, que la commissaire Crickey était visée, et non Alifair Blake. Le Ministre lui-même a parlé d'un attentat. Maintenant, des rumeurs circulent au sujet de prétendus groupuscules d'activistes liés à l'anti-abolitionnisme et à la magie noire. Mais la vérité, c'est que cette situation est extrêmement propice aux dénonciations calomnieuses, aux arrestations arbitraires et à tous ceux qui voudraient imposer par la force la libération des elfes – y compris aux elfes eux-mêmes ! Je le dis et je le répète : le fait que Miss Blake n'ait pas été vue depuis le 6 novembre ne prouve en aucune façon qu'elle ait réellement disparu."

Opération marketing ? Manœuvre politique ? Attentat ? Les investigations se poursuivent autour du projectile supposé à l'origine de l'incident, un artefact magique d'une grande complexité. "Les sortilèges de Disparition ne s'appliquent pas aux organismes complexes tels que les êtres humains, expliquait jeudi dernier Filius Flitwick, professeur à l'école de sorcellerie Poudlard, à nos confrères de La Gazette du sorcier. Si c'est bien un sortilège ou un maléfice qui a causé la disparition de Miss Blake, il s'agit sans conteste d'une création en marge de la recherche officielle, d'un type de manipulation qui relève de la magie noire." Ni la BPM, ni le Bureau des Aurors n'ont toutefois confirmé ces propos.

Le silence des autorités plonge en tout cas le monde magique dans la plus grande incertitude. La prochaine intervention des experts à l'émancipation, qui devait avoir lieu le 20 novembre, a été repoussée à une date ultérieure qui reste à définir. Comme l'explique Mrs Pandora Nott, leader de l'opposition parlementaire, "nos concitoyens sont mécontents et certains l'expriment de manière violente. Refuser le débat sous couvert de pédagogie ne fera qu'aggraver la situation". Une analyse prophétique que le Ministre Shacklebolt ferait bien de méditer. »

Les yeux gris de Lucius Malefoy remontèrent le long de la page jusqu'à la photographie qui ornait l'article : Alifair Blake dans toute sa splendeur. Même disparue, elle continuait à faire vendre du papier.

Lucius se redressa sur sa couchette, cherchant la lumière qui filtrait entre les barreaux de sa minuscule fenêtre. On avait réparé la vitre, enfin ! Aussi put-il s'installer confortablement, sans plus craindre les courants d'air, afin de contempler le portrait de la Moldue. Jolie fille à sa façon, c'était vrai, mais d'un vulgaire… Elle avait promis de l'aider à redorer un peu son blason lorsqu'il sortirait de prison. Blake avait le don de conclure des alliances étonnantes, comme avec Brett Brodigan, le rédacteur en chef de Sentinelle. Lucius se souvenait de l'interview croisée que celui-ci avait donnée de la Moldue, son elfe et Pandora Nott, et il ne doutait pas que Blake en était l'instigatrice. Cela avait peut-être incité Sentinelle à infléchir légèrement sa ligne éditoriale, récoltant de nouveaux abonnés qui lui avaient permis de tenir le coup quand le journal avait perdu son procès en diffamation. Maintenant, Brodigan faisait ses choux gras de la disparition de Blake, et peut-être personne n'attendrait-il Lucius quand les portes d'Azkaban s'ouvriraient devant lui… ce qui n'était pas pour tout de suite. Il lui restait encore un an et sept mois à faire. Le point positif, s'il fallait en trouver un, c'était que cela laissait amplement le temps à Narcissa de changer d'avis à propos du divorce.

Le front de Lucius se plissa. Penser à ce maudit formulaire de consentement mutuel le mettait toujours d'une humeur massacrante, mais il aurait été malavisé de céder à la colère. Son « comportement exemplaire », selon les mots du directeur de la prison, lui valait quelques avantages qui le distinguaient des autres Mangemorts et le rapprochaient des détenus de droit commun : il était par exemple autorisé à prendre ses repas avec eux au réfectoire, à échanger nouvelles et coupures de journaux. Lucius répugnait à côtoyer ainsi la lie du monde magique, criminels de bas étage pour la plupart stupides et sans intérêt, mais parler à d'autres êtres humains faisait tout de même du bien après plus d'un an de silence, hormis les insultes des gardiens et de rares visites au parloir. Et puis, c'était comme ça qu'il récupérait les numéros de Sentinelle, moins politiquement corrects que cette insipide Gazette du sorcier.

Le dos appuyé contre la muraille – il avait intercalé son oreiller pour se protéger du froid humide de la pierre – il parcourut à nouveau l'article consacré à Blake. Cette histoire présentait de curieuses similitudes avec la fin tragique de Sirius Black, le cousin haï de Narcissa : deux propriétaires d'elfe volatilisés sans laisser de corps derrière eux. Mais, bien sûr, celui de Black avait basculé à travers l'Arche de la Mort après que la tendre Bella lui avait réglé son compte, faisant de Potter le propriétaire de tous ses biens, y compris le pauvre Kreattur. Le cas de Blake semblait différent. Si son corps avait simplement explosé sous l'effet d'un maléfice, on aurait retrouvé des débris. L'elfe et la maison Faraday devaient toujours lui être magiquement liés, prouvant qu'elle était encore en vie, quelque part. En lisant le compte rendu de l'événement, Lucius avait tout de suite pensé à un Portoloin ; mais, à moins que les autorités soient subitement devenues d'une imbécillité totale, l'hypothèse avait dû être vérifiée et écartée. Alors, de la magie noire ?

Lucius eut un petit rire méprisant. « Magie noire » était une expression commode pour désigner ce que le commun des sorciers ne comprenait pas. Peut-être bien y avait-il là-dessous des manipulations complexes et hautement condamnables, ainsi que le soutenait le vieux Flitwick ; mais, si c'était le cas, Lucius souhaitait bonne chance aux Aurors pour les percer à jour. Éradiquer les mages noirs ne faisait pas de vous des spécialistes de leur art… Le Seigneur des Ténèbres était mort, et avec lui Bellatrix, Rogue, Dolohov, Nott, les Carrow : quand on y pensait, les plus grands experts du domaine. À la rigueur, Dumbledore possédait sans doute une bonne connaissance, au moins théorique, du sujet, mais lui aussi était mort… Le nouveau professeur de défense contre les forces du Mal de Poudlard s'y connaissait très bien en créatures néfastes, disait-on, mais n'avait jamais affronté de mage noir… Et côté anciens Mangemorts, ne restaient plus que des brutes épaisses à la Crabbe et Goyle, choisies à l'époque pour leur sang plus que pour leur talent…

Et Lucius lui-même.


Et devinez qui sera la star du prochain chapitre ?