Eeeet c'est enfin le retour de cette histoire ! Alors, comment vous dire que j'ai complètement perdu mon avance et que je ne sais pas du tout quand sortira le prochain chapitre... Si le temps vous semble long, vous pouvez toujours relire les 3 tomes précédents, na :p

Attention : j'ai modifié la fin du chapitre précédent pour réparer une bêtise (la grande annonce finale n'en était pas une puisque nous étions au courant depuis le début de cette histoire, ce que tout le monde semble avoir oublié, moi comprise ^^). Erreur rectifiée !

Katymyny : Ce serait un grand choc pour tous les deux si cela se produisait... Un choc potentiellement mortel, alors je ne sais pas si je vais prendre le risque. John aura déjà beaucoup à encaisser...


Chapitre 10

Le baptême du feu

« … c'est pourquoi le ministère tient à clarifier les choses. Un seul et unique consultant a été requis dans le but exclusif d'analyser l'artefact afin de déterminer si la magie noire a été utilisée, et de quelle façon. Il ne s'agit en aucun cas, comme j'ai pu le lire dans une certaine presse, d'écarter de l'enquête le Bureau des Aurors. Les forces de l'ordre magique restent seules habilitées à…

– Est-il vrai que personne chez les Aurors n'a encore rencontré ce fameux consultant ? »

Le porte-parole du ministère pinça les lèvres et darda un regard mécontent sur l'auteur de cette intervention intempestive. Il détestait qu'on lui coupe ainsi la parole, ce dont les journalistes réunis en conférence de presse ne se privaient jamais.

« Tous les éléments nécessaires à son travail lui ont été communiqués, assura-t-il fermement. Cet agent est très concentré sur sa tâche et tient à éviter toute interaction qui pourrait…

– Pourquoi ne pas appeler "cet agent" par son nom ? l'interrompit-on à nouveau. Ce n'est pas Vous-savez-qui, tout de même ! »

Le porte-parole sentit sa nuque chauffer pendant que des rires secouaient l'assistance. Cette Rita Skeeter de malheur trouvait toujours le moyen de vous mettre mal à l'aise en public !

« Bien sûr que non, répliqua-t-il d'un ton cassant, mais il se trouve…

– Rassurez-nous, quelqu'un sait qui est ce consultant, n'est-ce pas ? » lança le voisin de Skeeter, un certain Bardigan, ou Brennegan.

Des murmures préoccupés succédèrent aux rires et le porte-parole leva les yeux au ciel. Quand le Ministre lui avait offert ce poste, il avait cru à une promotion. S'il avait su…

« Je n'ai plus son nom en tête, reprit-il, agacé – en réalité, personne n'avait pris la peine de le lui indiquer – mais il s'agit, comme vous le savez, d'un membre de l'Université Libre de Magie. J'ajoute que ses états de service sont remarquables. Il a notamment participé à la lutte contre les Détraqueurs ainsi qu'à la neutralisation de Fenrir Greyback, une affaire dont je suis sûr que vous vous souvenez. »

Les murmures prirent une tonalité admirative : le porte-parole avait marqué un point. La Plume à Papote de Rita Skeeter s'agitait frénétiquement sur son bloc-notes. À ses côtés, Borcoran – ou Brendannan – affichait une moue sceptique.

« Un expert de cette trempe ne doit pas être donné, remarqua-t-il, ce qui fit hocher la tête à plusieurs de ses confrères. Combien tout cela va-t-il nous coûter ? »

Le porte-parole redressa les épaules, soudain ragaillardi : là, on arrivait sur son terrain.

« Il est vrai que ses frais de mission sont pris en charge par le ministère, déclara-t-il pompeusement, cependant ceux-ci sont extrêmement réduits. Je peux en outre vous préciser qu'une convention a été signée avec l'ULM afin d'encadrer strictement les activités de ce personnel détaché ainsi que les dépenses subséquentes… »

Il poursuivit pendant quelques minutes ses explications techniques qui endormirent presque littéralement les journalistes ; même la Plume à Papote de Rita en perdit son entrain. Directeur du tout nouveau Département des affaires juridiques et financières du ministère : ça, en revanche, c'était une sacrée promotion ! Et qui plus est, un travail tout à fait dans ses cordes. Depuis deux mois qu'il officiait à ce poste, il avait déjà initié un ambitieux chantier de refonte des procédures dont les services gouvernementaux avaient grand besoin, même si tout le monde à part lui avait semblé l'ignorer jusque-là. Le Ministre était très satisfait de la façon dont il avait pris les choses en main, d'ailleurs il le lui affirmait régulièrement tout en lui répétant que cette mission allait de pair avec celle de porte-parole.

« Réfléchissez à la manière dont vous pourriez les combiner, lui avait-il conseillé. Vous verrez que ces deux cordes à votre arc fonctionneront redoutablement bien ensemble. »

Il était vrai que toute communication officielle devait se conformer à la réglementation en vigueur, et personne ne connaissait celle-ci mieux que lui. Il était tout aussi exact que, quand on s'efforçait de tenir un discours réglementairement irréprochable, articles de loi à l'appui, la plupart des auditeurs avaient tendance à laisser leur attention se relâcher, comme il avait pu le constater depuis sa plus tendre enfance où, déjà, il dénonçait régulièrement les entorses faites au règlement de l'école. Il avait bien conscience que ses camarades hier, et aujourd'hui ses collègues fonctionnaires, le tenaient pour un pénible raseur ; il n'empêche que seul ledit raseur, si tatillon sur les procédures, les empêchait de commettre des bourdes qui, autrement, vaudraient à leurs services de perdre la confiance de leurs administrés, ainsi que de se faire traîner en justice maintenant que l'heure de l'impunité ministérielle était passée de par la volonté du Ministre lui-même. En outre, le raseur possédait une habileté à détourner les questions gênantes à coups de textes normatifs que ses collègues commençaient à lui envier.

« … et, vous ne l'ignorez pas, le budget fait l'objet d'un vote annuel du Parlement, de sorte que les comptes publics sont, désormais, bel et bien publics. La gestion dite "en bon père de famille" nous préserve de tout débordement, conclut le porte-parole avec un sourire satisfait. À présent, si vous n'avez pas d'autre question… »

Le parterre était trop assommé pour réagir. Ayant brillamment accompli son devoir une fois encore, le porte-parole remonta ses lunettes d'écaille sur son nez avant de quitter l'estrade d'un pas énergique : la conférence de presse était terminée. Peu à peu, les journalistes secouèrent leur torpeur et prirent lentement le chemin de la sortie en commentant d'une voix morne cette séance ennuyeuse dont ils n'avaient pas retenu grand-chose.

« Je ne comprends pas ce qui a pris à Shacklebolt de nommer ce type à un tel poste ! pesta Brett Brodigan à l'oreille de sa voisine. Quelle plaie, ce Perceval Weasley ! Enfin, je suppose qu'il ne fera pas long feu…

– Oh, je n'en suis pas si sûre, contra Rita Skeeter d'un air songeur. Cette grande perche est très douée pour noyer le poisson. Mais, s'ils estiment utile de le noyer, ce poisson, c'est bien qu'il y a anguille sous roche…

– Je finis par me le demander. »

Brodigan s'étira, bâilla et se passa la main dans les cheveux avant de s'engager dans la file qui s'étirait jusqu'à la porte de la salle.

« J'ai plutôt l'impression que tout ce pseudo-mystère ne sert qu'à faire mousser une histoire par elle-même sans intérêt, souffla-t-il à Rita. Pour détourner l'attention de la question des elfes, peut-être ? suggéra-t-il.

– Allons, allons, Brett, le sermonna Rita en agitant une main aux longs ongles écarlates. C'est à nous de décider si cette histoire a de l'intérêt. Les elfes, ça va un moment, mais, à moins de mesures radicales, ce n'est pas ça qui va retenir encore longtemps l'attention du public.

– Les mesures radicales sont dans l'air, à ce qu'il paraît, glissa Brodigan en suivant ses confrères dans le couloir qui menait à l'atrium du ministère.

– Alors, laissons-les atterrir avant de nous en soucier, riposta Rita, on verra bien ce qu'il en restera quand elles auront touché terre. D'ici là, il nous faut quelque chose de croustillant pour tenir nos lecteurs en haleine.

– Ce n'est pas ce Weasley qui nous aura donné l'inspiration, en tout cas, maugréa Brodigan.

– Mmh… »

Pensive, Rita consultait ses notes, ses yeux bondissant d'une ligne à l'autre derrière ses lunettes ornées de fausses pierres précieuses. Aux capes détrempées des sorciers qu'ils croisaient en approchant des cheminées de sortie, Brodigan devina que, dehors, la pluie s'était remise à tomber.

« J'irais bien boire un verre avant de retourner au bureau, soupira-t-il, morose. Quelque chose de chaud et réconfortant…

– Privilège de rédacteur en chef, persifla Rita. Moi, je vais plutôt aller jeter un œil dans nos archives.

– Une piste ? demanda Brodigan avec intérêt.

– Peut-être… Ce pénible rouquin nous a bien dit que Mr X, le consultant mystère, avait participé à l'affaire Greyback, n'est-ce pas ? Or, ne se trouve-t-il pas que notre Moldue disparue avait, elle aussi, été mêlée à cette histoire ?

– Mais oui, c'est vrai, se souvint tout-à-coup Brodigan. Et alors ?

– Alors, on peut raisonnablement supposer que Mr X et Miss S comme scandale se connaissent, continua Rita.

– Ça semble probable, en effet, approuva Brodigan. Et donc ?

– Et donc, il n'est pas interdit de penser que Mr X avait un motif personnel pour apporter son concours à l'enquête sur la disparition de Miss S. Il s'est peut-être même porté volontaire, pourquoi pas ?

– Pourquoi pas, convint Brodigan. Ce qui nous amène…où ?

– Ce qui nous amène à nous demander si ce motif ne serait pas éminemment personnel », déclara Rita d'un air entendu.

Brodigan haussa un sourcil interrogateur. Autour d'eux, les journalistes se pressaient pour sortir par les cheminées en les bousculant au passage.

« Voyons, fit Rita d'un ton rêveur sans leur prêter attention. Le troublant Mr X, exotique, énigmatique et héroïque chasseur de créatures maléfiques, et notre jeune et séduisante tueuse de loup-garou… N'y a-t-il pas là-dessous quelque romance interdite ? »

Brodigan, qui avait vu Alifair Blake de très près sans rien lui trouver de romantique, ouvrit de grands yeux éberlués. Puis il se mit à réfléchir.

« Ça pourrait bien être vrai, après tout…, dit-il lentement.

– Ça le sera quand nous l'aurons écrit, assura Rita.

– Mais est-ce que ça intéressera nos lecteurs ? »

Il paraissait dubitatif. Sentinelle n'avait jamais donné dans les intrigues sentimentales : c'était un organe d'opposition à la politique ministérielle, pas un magazine people. Arborant un sourire supérieur, sa consœur lui tapota l'épaule : il avait beau être théoriquement son chef, le petit Brodigan avait encore beaucoup à apprendre avant d'arriver à son niveau.

« Les gens adorent les histoires d'amour, Brett, professa-t-elle d'un ton maternel. Surtout quand elles sont un peu sordides. »

lll

« C'est le baptême du feu : soit tu réussis, soit tu dégages, lui avait dit Tasha la veille.

– Si vous faites vos preuves, vous entrerez dans le secret des dieux, promettait encore James Brosnan à la fin de leur ultime leçon de bonnes manières.

– Le moment est venu de décider où vous placez votre loyauté, mon garçon », conclut Samuel Stevens dans la cuisine de la villa des Malefoy, sur les hauteurs de L.A.

Narcissa était déjà partie au travail, et la Moldue d'entretien qui remplaçait cette traîtresse de Marisol avait fini sa journée, aussi le moment était-il idéal pour un dernier briefing avant l'action. Drago ne se sentait pas encore tout à fait prêt, mais il fallait saisir l'occasion quand elle se présentait, argua le directeur de la Sûreté magique. Le président du trust gobelin propriétaire du Nightingale serait présent, ce soir, dans la salle spéciale, entouré d'une petite cour de personnages presque aussi puissants que lui.

« Si je me fais prendre, j'aurai de gros ennuis… Ma mère aura de gros ennuis, protesta le jeune sorcier.

– Alors ne vous faites pas prendre », répliqua Stevens dans un sourire.

C'était facile pour lui ! Si les choses tournaient mal, il lui suffirait de nier toute implication et de taxer Drago de mensonge. D'ailleurs, Stevens ne serait même pas là ce soir.

« On voit bien que ce n'est pas vous qui avez appris la legilimancie en autodidacte ! grommela le jeune sorcier.

– J'en apprécie d'autant plus vos compétences, mon cher », assura le directeur.

Il y avait chez lui quelque chose de sardonique qui rappelait à Drago son traître d'ancien professeur de potions. Ce qui n'aidait pas à lui rendre Stevens sympathique.

« Après tout, pourquoi est-ce que je vous obéirais ? se rebiffa-t-il. Je ne vous dois rien ! Vous faites toujours de vagues promesses mais vous refusez de me dire ce qui est censé m'attendre si je vous donne satisfaction ! »

Stevens haussa les épaules d'un air désinvolte.

« Malin comme vous êtes, je pensais que vous l'aviez deviné. »

Sous la raillerie, Drago plissa les yeux.

« Eh bien, oui, j'ai deviné, siffla-t-il. Un espion, voilà ce que vous voulez faire de moi !

– Nous préférons le terme d'"agent secret", corrigea Stevens sans le moindre embarras.

– Magnifique, grogna Drago. Quelle carrière glorieuse !

– Rien ne vous empêche de laisser tomber tout de suite si cet avenir ne vous inspire pas, remarqua le directeur. Mais vous n'en ferez rien : vous êtes déjà trop engagé, à présent. À ça, ajouta-t-il en rapprochant son pouce et son index, de voir vos efforts porter leurs fruits. En plus, vous êtes doué pour ça. Vous le savez très bien. »

Était-il doué au point de pouvoir pénétrer l'esprit d'un gobelin aussi facilement – et discrètement – que celui d'un sorcier ? Voilà qui restait à prouver. Et quand bien même, espionnerait-il le patron de sa propre mère au bénéfice de la Sûreté magique sans autre contrepartie qu'une hypothétique promesse d'emploi ? Emploi qui consisterait à continuer d'espionner son monde, mais en étant au moins payé pour ça.

Ce soir-là, en regardant le vénérable gobelin gagner la table centrale de la salle spéciale du Nightingale au bras de la gérante, Drago constata que Stevens avait raison : il s'était trop investi pour abandonner. Après tout, pourquoi aurait-il des scrupules ? Même s'il soutirait à ces créatures des informations que la Sûreté pourrait retourner contre eux, en quoi cela risquait-il de nuire à sa mère ? Elle n'était qu'une employée ignorante de leurs éventuelles malversations.

Pénétré des leçons de Brosnan, il se montra discret, courtois, un rien mielleux ; il sourit, hocha la tête aux propos insipides que les gobelins échangeaient avec sa mère et tendit prudemment son esprit. Il se permit même une ou deux questions destinées à orienter les pensées de sa cible pendant que celle-ci croyait dissimuler ses secrets derrière des réponses passe-partout. Parmi la clique gobeline figurait le comptable du cabaret, invité à se joindre à leur table car il était le cousin de l'un des membres du conseil d'administration du consortium. Lui aussi avait en tête des choses intéressantes qu'il se gardait bien de dire ; mais, lorsque le jeune Malefoy s'étonna naïvement qu'il ne se « mélange pas les baguettes » avec sa double comptabilité, il ne put s'empêcher de songer fugitivement au complexe système de blanchiment d'argent qu'il avait mis en place depuis son arrivée.

Au bout d'une demi-heure de cet exercice, Drago était épuisé. Les gobelins ne semblaient rien avoir remarqué ; tout juste étaient-ils surpris de l'amabilité de ce jeune humain qui, jusqu'à cette soirée, leur avait toujours paru malpoli et grognon. Sa mère, par contre, lui lançait des regards soupçonneux. Avait-elle deviné ce qu'il était en train de faire ? Peu importait, décida-t-il, puisqu'elle n'en dirait rien à personne. Avant que la fatigue ait raison de sa fausse courtoisie, Drago prit congé et traversa la salle aux lumières tamisées en s'efforçant de ne pas trop vaciller sur ses jambes. Que la moisson le satisfasse ou non, Stevens devrait s'en contenter.

Quelques minutes plus tard, au sortir des toilettes où il s'était aspergé le visage d'eau froide, il s'arrangea pour croiser Tasha dans un couloir. Elle lui fit un clin d'œil au moment où il glissait dans sa poche une fiole remplie d'une substance argentée : le souvenir de ce qu'il avait surpris dans l'esprit de ses cibles. On ne pouvait trouver manière plus simple de faire son rapport.

« Tu recevras le verdict demain », lui souffla Tasha avant de disparaître.

Drago fila ensuite dans la salle des Non-Maj' et prit place devant le bar, à côté d'un quadragénaire élégant aux cheveux noirs parfaitement coiffés, vêtu de ce que les Moldus appelaient un smoking taillé sur mesure.

« Belle soirée, amorça James Brosnan à mi-voix en sirotant son verre.

– Fatigante », lâcha Drago.

Brosnan lui jeta un regard en coin.

« C'est vrai que le héros du jour a une petite mine. Nous allons arranger ça. »

D'un geste, il commanda au barman une deuxième boisson identique à la sienne.

« Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée, objecta mollement Drago.

– Allons donc, balaya Brosnan. Ce soir, mon jeune ami, vous êtes entré dans la cour des grands. Nous devons fêter ça ! »

Drago fit la moue.

« Qu'est-ce que vous en savez ? Vous n'étiez ni dans leur tête, ni dans la mienne. Vous ne pouvez pas prévoir ce qui va sortir de tout ça. »

Brosnan en convint.

« Mais je n'en ai pas besoin pour savoir que vous êtes l'un des nôtres », ajouta-t-il.

Comme pour ponctuer sa phrase, le barman posa devant Drago un verre à cocktail rempli d'un liquide clair dans lequel étaient plongées deux olives vertes piquées sur une petite brochette.

« Vodka martini, annonça Brosnan. Secoué, pas remué.* Une boisson pour les grandes personnes. »

Méfiant, Drago huma le verre et prit soin de retirer la brochette avant d'en avaler une gorgée prudente, ce qui fit sourire Brosnan.

« Alors, agent D, qu'est-ce que vous en pensez ? »

lll

« Très ingénieux ! fit Roger Dunbar d'un ton appréciateur. Vraiment très ingénieux, ce système… »

En fin de compte, Rogue avait installé dans le laboratoire une petite peinture à l'huile représentant les ruines d'un cloître médiéval depuis lesquelles le portrait du sorcier ingénieur pouvait examiner à son gré le dispositif. Visiblement, ce spectacle le ravissait.

« Est-ce qu'on sait quel métal a été utilisé ? s'enquit-il avec curiosité.

– Du cuivre, répondit Larissa Viesnaya, assise sur un tabouret. Traité par une potion non identifiée par l'analyste des Aurors.

– En fait, une simple variante de la solution de Force, glissa Rogue, nonchalant. Basique mais efficace.

– Pour que le cuivre tienne mieux sous la pression des sortilèges, comprit Roger Dunbar. C'est un métal très résistant à la magie, mais pas autant que l'or ou l'argent.

– Pourquoi ne pas avoir employé l'un de ces deux métaux, dans ce cas ? » se demanda tout haut Crickey, juchée sur un coin de la paillasse où reposait l'artefact.

L'elfe s'inquiétait tellement pour sa maîtresse que la qualité de sa cuisine s'en ressentait ; Rogue avait donc décidé de l'associer à l'avancée de sa réflexion dans l'espoir de la rassurer quelque peu, et de déguster ce soir-là un dîner plus savoureux que les précédents.

« Manque de moyens ? suggéra Viesnaya avec l'air de ne pas trop y croire elle-même.

– Ceux qui ont conçu cet engin disposaient de matériel, de talents magiques et d'une intelligence certaine, nota Rogue d'un ton feutré. Ils auraient certainement pu se procurer tout l'or nécessaire à la fabrication d'une demi-douzaine de cages s'ils l'avaient voulu.

– Peut-être considéraient-ils que cela serait trop prestigieux pour un elfe de maison », dit Crickey sans amertume.

Le regard noir de Rogue croisa celui, doré, de Viesnaya : la remarque leur paraissait judicieuse. Mais Roger Dunbar était d'un autre avis.

« Il fallait une structure qui tienne malgré la pression interne et les frottements de l'air tout en s'ouvrant au moment opportun pour libérer les sortilèges, observa-t-il. L'argent risquait d'être trop rigide pour ça. L'or est un excellent support d'enchantements, mais pour ce qui est de confiner la magie… Non, ce n'est pas non plus ce que j'aurais choisi, conclut-il.

– Le spécialiste ès objets magiques a parlé », fit Rogue, sarcastique.

Ce n'était pas pour lui faire plaisir qu'il avait convié le portrait à venir entendre le résultat de ses observations : Roger Dunbar était bel et bien un expert en bricolage sorcier. Si quelqu'un pouvait se faire une idée du fonctionnement originel de cet artefact, et donc confirmer à Rogue si son hypothèse tenait la route, c'était bien lui.

« Nos spéculateurs maison estiment que l'existence de cet engin constitue une récusation définitive de la théorie du vide et du plein, rappela le sorcier d'un ton professoral. Si la victime ne s'est pas dissoute sous l'effet du sortilège de Disparition modifié, affirment-ils, c'est bien la preuve que les objets disparus ne vont ni dans le non-être ni dans le tout, mais plutôt dans un ailleurs qu'ils identifient à un autre monde. »

Il s'interrompit pendant que le portrait et Crickey acquiesçaient en silence. Viesnaya aussi hochait la tête, les yeux plissés par la concentration : sans doute avait-elle déjà eu l'occasion de débattre de ce sujet avec ce fondu de magie métaphysique de Filius Flitwick.

« Si l'on s'en tient aux faits, il n'y a cependant pas lieu d'être aussi radical, reprit Rogue. Vous pouvez l'annoncer à vos compagnons du salon Faraday, Roger, ce n'est pas encore aujourd'hui que l'expérience rendra caduque la théorie du vide et du plein. Le jeune Thomas va être bien déçu, susurra-t-il avec un fin sourire.

– Vous voulez dire que la cage ne contenait pas de sortilège de Disparition ? s'étonna le portrait.

– Au contraire, répondit tranquillement Rogue. J'ai bien découvert la trace d'un Evanesco tout à fait ordinaire, raccordé à un enchantement Siphon. »

Dans son petit cadre ornementé, Roger Dunbar haussa des sourcils surpris. Crickey et Viesnaya, elles, fronçaient les leurs, l'esprit tendu pour ne pas perdre le fil.

« Contrairement au sortilège de Disparition, cet enchantement Siphon a, lui, fait l'objet d'importantes modifications, continua Rogue, ses yeux noirs parcourant les trois visages tournés vers lui. Des modifications contraires à la loi aussi bien qu'à la morale, et reposant sur une audacieuse distorsion de préceptes magiques fondamentaux. »

Crickey lança un regard méfiant à la structure de métal tordu, comme si les tiges noircies risquaient à tout instant de s'animer pour les attaquer.

« Il a fallu du doigté ainsi qu'un haut niveau de puissance magique pour effectuer ces manipulations, affirma le sorcier en un murmure parfaitement audible dans le silence du laboratoire. Nul doute que le prix à payer fut élevé.

– Vous confirmez donc l'hypothèse de la magie noire ? » demanda Viesnaya de sa voix douce.

Rogue tourna son regard vers elle : toute vierge qu'elle fût de la pratique des arts obscurs, elle en savait cependant assez pour avoir compris cela.

« Sans le moindre doute », approuva-t-il dans un souffle.

Crickey plaqua les mains sur sa bouche en signe d'effarement.

« Bon, ça au moins, c'est clair, soupira Roger Dunbar. Est-ce que vous avez pu établir l'effet de ces modifications sur l'enchantement originel ? J'avoue qu'un Siphon couplé à Evanesco, c'est un curieux bricolage, sauf si… »

Il laissa sa voix s'éteindre sans terminer sa phrase, préférant sans doute attendre les derniers éléments d'information avant de formuler une hypothèse : sage précaution. Debout derrière la paillasse, Rogue posa ses deux mains sur le carrelage blanc et se pencha légèrement en avant, comme à l'époque où il s'apprêtait à tenter d'expliquer quelque chose à ses cornichons d'élèves – fallait-il qu'il ait la foi ! Fort heureusement, cette fois, l'auditoire était bien moins nombreux et bien mieux doté en matière grise.

« Les tests auxquels je me suis livré, commença-t-il d'un ton feutré, laissent à penser que le Siphon a été transformé afin de recueillir une… substance éminemment volatile. Il s'agissait sans nul doute d'extraire cette substance de la matière physique, à laquelle elle se trouve d'ordinaire mêlée, pour la faire ensuite disparaître grâce à Evanesco. »

Crickey, Viesnaya et Roger Dunbar avaient à présent les yeux rivés sur lui ; les lèvres de l'elfe étaient entrouvertes, le front du portrait se plissait sous l'effet d'une intense réflexion, et les prunelles de la petite sorcière scintillaient presque autant que le diamant qu'elle portait au doigt.

« Il n'est pas inenvisageable que la substance se soit ainsi trouvée propulsée dans le non-être, ou le tout », conclut posément Rogue.

Viesnaya retint un sourire amusé : on l'avait prévenue que l'ancien professeur aimait à faire étalage de son intelligence, et qu'il était très fort pour ménager ses effets.

« Mr Hind ne devrait pas faire ainsi durer le suspense, dit Crickey d'un ton de reproche. S'il a découvert quelque chose, il doit le dire à présent. Miss Alifair a disparu depuis trop longtemps, Monsieur. »

Les lèvres de Rogue se crispèrent. Il lui restait encore trop de travail pour perdre son temps à jouer avec les nerfs de son public, mais l'annonce qu'il s'apprêtait à faire était si énorme qu'elle méritait bien un peu de préparation. Et puis, il n'était pas complètement sûr de lui. Il avait besoin de l'avis de Roger Dunbar.

« Une substance très volatile, avez-vous dit, marmonna celui-ci, songeur. Mêlée en temps normal à la matière ordinaire…

– Je le suppose, nuança le sorcier du bout des lèvres. Le profil du Siphon, tel que j'ai pu le reconstituer à partir de son empreinte dans le métal, me semble adapté à ce type d'extraction. »

Le portrait hochait la tête, additionnant les faits sous son crâne peint. Le cœur de Rogue battait plus vite dans sa poitrine. Telles la Baguette Universelle des Ollivander et consorts ou la Pierre Philosophale des alchimistes, les adeptes de la magie noire avaient leurs propres marottes ; certaines s'étaient concrétisées au cours de l'histoire, d'autres restaient du domaine de la légende. Il y en avait une, en particulier, à laquelle Rogue avait tout de suite pensé en découvrant la nature des modifications apportées à l'enchantement Siphon ; mais ses déductions pouvaient être biaisées. Il lui semblait pourtant que tout concordait.

« Rappelons-nous, reprit-il, que Crickey était la cible. La substance dont il est question doit donc être présente dans son organisme.

– Et dans celui de Miss Blake », glissa Viesnaya.

Rogue secoua la tête.

« Je ne le pense pas. Je dirais plutôt qu'elle se trouvait dans son environnement immédiat, raison pour laquelle elle a pu survivre à l'extraction de cette substance, ce qui n'aurait sans doute pas été le cas de Crickey. »

Sans s'être concertées, l'elfe et la sorcière affichaient la même mine perplexe. Roger Dunbar, lui, souriait d'un air satisfait.

« Tout s'explique, fit-il d'une voix douce. Allons, crachez le morceau, comme dirait Alifair. Vous en mourez d'envie. »

Si le sorcier ingénieur partageait son opinion, il y avait de fortes chances pour que celle-ci soit fondée. Rogue inspira profondément et se lécha les lèvres.

« Je pense, déclara-t-il, le souffle court, que ce dispositif était une pompe à magie. »


* La vodka martini secouée au shaker est l'une des boissons préférées de James Bond.


Et qu'est-ce donc qu'une pompe à magie, me direz-vous ? La réponse au prochain chapitre (peut-être). D'ici là, vous pouvez faire vos spéculations !

En attendant, Rita n'a rien perdu de son flair journalistique... Je n'avais pas prévu qu'elle serait aussi efficace.