Avec un peu de retard sur mon planning, voilà enfin un nouveau chapitre ! Le prochain sortira en mars (mais pas début mars, faut pas rêver non plus !), et je pense savoir de quoi il parlera. C'est bon signe !
Katymyny : Une bande de sorciers intellos, ils sont faits pour s'entendre ! Rita commence à avoir pas mal d'idées qui feraient bondir Rogue s'il en entendait parler… Merci à toi ^^ Et merci pour la recommandation, j'irai voir à l'occasion (si je trouve le temps) !
Chapitre 13
Mise en scène
Il n'était plus temps de tergiverser, décida Rogue : découvrir l'identité des auteurs de l'attentat et les raisons qui les motivaient ne ramènerait pas la disparue, il en était sûr à présent. Déclenchée par le choc physique entre l'artefact et sa victime, la brutale absorption de l'atmosphère magique qui environnait celle-ci avait dû créer une sorte de faille par laquelle la Moldue avait été précipitée, à la suite de la magie siphonnée, dans un autre monde : le débouché naturel du sortilège de Disparition. Là d'où rien ne revient jamais.
« Le dépotoir », dit alors Crickey.
Rogue sortit la tête de la sacoche dans laquelle il était en train de fourrer quelques affaires. L'elfe se tenait sur le seuil de sa chambre, la mine grave.
« Qu'est-ce que tu as dit ? s'étonna-t-il.
– Crickey n'est pas intervenue lorsque les portraits débattaient de la théorie du vide et du plein, expliqua-t-elle. Elle ne voulait pas rajouter de la complexité, d'autant plus qu'à ce moment-là, Mr Hind n'avait pas encore procédé à l'expertise de l'artefact. Par la suite, ce que Crickey avait à dire ne lui paraissait plus si important. Mais à présent, compte tenu des risques que Mr Hind s'apprête à prendre, elle estime qu'il doit avoir connaissance de toutes les informations disponibles. »
Rogue se redressa, très attentif, et croisa les bras sur sa robe de sorcier.
« Je t'écoute. De quelles informations penses-tu disposer ? »
Crickey fit quelques pas pour entrer dans la chambre. Ses grands yeux mordorés se posèrent sur le balai appuyé contre un mur, la bouteille de Polynectar sur la table de chevet, puis revinrent au visage du sorcier.
« Les elfes utilisent beaucoup le sortilège de Disparition, Monsieur, que ce soit pour vider les poubelles ou les fonds de chaudron, se débarrasser des objets cassés ou même effacer les taches tenaces, encore que cela risque d'endommager les tissus. Il n'est pas dans leur nature de s'interroger sur le pourquoi du comment, mais certains d'entre nous se sont tout de même demandé où atterrissaient toutes ces choses que l'on faisait disparaître. On suppose qu'elles vont dans une sorte de grand espace dans lequel elles s'accumulent. Certains elfes appellent cela le dépotoir : ils pensent que ces choses y restent stockées en l'état pour l'éternité. D'autres soulignent que, si c'était le cas, cet entrepôt finirait par être saturé. Ceux-là supposent donc que les objets disparus se dégradent au fil du temps, ce qui libère de la place pour les nouvelles arrivées. Crickey ne saurait dire dans quelle mesure ces idées sont ou non compatibles avec la théorie du non-être et du tout », conclut-elle humblement.
Rogue poussa un profond soupir : décidément, avec toutes ces théories de la Disparition, il y aurait de quoi écrire une belle monographie sur le sujet !
« Nous devrions bientôt être fixés », murmura-t-il.
Crickey hocha la tête, et le sorcier retourna à ses préparatifs. Du coin de l'œil, tandis qu'il fermait sa sacoche d'un coup de baguette, il remarqua que l'elfe s'attardait dans la pièce, se balançant d'avant en arrière, les mains dans le dos, hésitante.
« Autre chose ? » lança-t-il.
Crickey fronça des sourcils inquiets.
« Mr Hind est-il certain que c'est bien la chose à faire ? » demanda-t-elle à voix basse, presque craintivement.
À des degrés divers, les portraits avaient tous manifesté la même réserve, depuis le « faut-il vraiment en arriver là ? » effarouché de Mona Faraday jusqu'à la virile exclamation du colonel Fennimore : « La fin justifie les moyens ! Mais, tout de même, faites attention. » Surprenant, de la part d'une lignée d'aventuriers de la connaissance. Mais aucun Faraday ne s'était rendu célèbre pour avoir exploré cette facette de la magie comme Rogue s'apprêtait à le faire.
« Tu tiens à ce que ta maîtresse revienne, n'est-ce pas ? répondit-il à Crickey.
– Bien sûr, Monsieur, mais…
– Alors je ne vois pas d'autre moyen », déclara-t-il d'un ton définitif.
Et, comme l'elfe ouvrait la bouche pour argumenter, il ajouta :
« Si tu comptes m'objecter qu'elle ne serait pas d'accord pour qu'on utilise de telles méthodes afin de la retrouver, je te rappelle que tu m'as toi-même rétorqué il y a peu qu'en son absence, tu te sentais libre de prendre tes propres décisions, même en sachant qu'elle serait contre. Par ailleurs, oseras-tu vraiment me soutenir que cette iconoclaste militante désapprouverait le fait de bousculer l'ordre établi ?
– Miss Alifair n'encouragerait pas Mr Hind à se mettre en danger pour elle ! s'obstina Crickey. Elle n'y encouragerait personne. »
Rogue dévisagea l'elfe d'un regard pensif. Dans quelle mesure ses paroles étaient-elles dictées par sa fidélité envers la volonté supposée de sa maîtresse, et dans quelle autre reflétaient-elles sa propre inquiétude ? Impossible à dire.
« Si tu pouvais le faire toi-même, tu le ferais ? » souffla-t-il.
C'était une question rhétorique, ils le savaient tous les deux.
« Crickey le pourrait peut-être si vous lui expliquiez comment s'y prendre… », suggéra-t-elle.
Il eut un spasme de rire : imaginer un elfe, et celle-ci entre tous, plonger dans ce genre de noirceur, avait quelque chose d'absurde.
« Peut-être, après tout, admit-il. Mais comme je n'ai pas l'intention d'essayer, nous ne le saurons jamais. »
Le froncement de sourcils de Crickey s'accentua mais elle n'insista pas davantage. Mr Hind n'abandonnerait pas avant d'avoir tout tenté, et il ne la laisserait pas prendre de risque à sa place : sur ce point, il était exactement semblable à Miss Alifair.
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Il faisait nuit lorsque Rita Skeeter changea de forme à deux rues de la maison Faraday, quoiqu'en pleine ville on ne pût parler de nuit noire. Les lampadaires irisaient délicatement les élytres du scarabée qui voletait le long du trottoir vide de passants à cette heure, zigzagant un peu sous l'effet de l'alcool qui embrumait encore son minuscule cerveau d'insecte. Rita s'efforçait toutefois de rester aux aguets de crainte qu'un chat vagabond la remarque et se mette à la courser : cela lui était arrivé plusieurs fois au cours de sa carrière journalistique, et c'était tout aussi effrayant qu'humiliant. De plus, en raison de son statut d'Animagus non déclaré, elle ne pouvait même pas faire valoir ce risque auprès de son employeur dans le but d'obtenir une prime. Fort heureusement, la vie offrait bien d'autres satisfaction que l'argent – même si quelques Gallions de plus étaient toujours bons à prendre.
Son flair lui soufflait qu'il y avait un très gros coup à réaliser ce soir si elle parvenait à lever l'anonymat du consultant étranger. Après tout, pourquoi le ministère se donnerait-il tant de mal pour dissimuler son identité si Mr X n'avait rien à cacher ? La question qui se poserait ensuite, à laquelle Rita n'était pas en mesure de répondre pour le moment, c'était : que ferait-elle de cette information ? Une révélation fracassante dans les colonnes de Sentinelle ? À moins de la garder sous le coude – provisoirement – dans l'espoir d'obtenir encore mieux… Cela dépendrait de l'ampleur du secret, naturellement. Et de ce que le Ministre serait prêt à lui concéder pour étouffer le scandale.
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Il parut à Alifair que jamais Sirius ne cesserait de poser des questions. Bien sûr, elle comprenait son avidité à rattraper les épisodes qu'il avait loupés, mais elle était loin de connaître tous les détails de l'histoire, et il y avait des chapitres douloureux sur lesquels elle ne souhaitait pas s'étendre.
« Dumbledore…, soupira-t-il en apprenant la mort du vénérable sorcier. Je ne l'aurais pas cru possible… Comment Voldemort a-t-il réussi à l'atteindre ? »
Alifair ne put faire autrement que de lui raconter tout ce qu'elle savait de cet épisode-là, et qui lui venait essentiellement de Harry. Avertie de la haine viscérale qui les avait opposés, elle ne fut pas surprise de voir le visage de Sirius s'assombrir à la mention de Rogue.
« Servilus, gronda-t-il en serrant les poings. Ce maudit traître, que les Furies l'emportent ! »
Eurydice fronçait les sourcils comme pour partager son indignation, bien qu'elle ne connût sans doute aucun des protagonistes de cette affaire.
« Ce n'est pas tout à fait aussi simple, nuança Alifair. Au fond, tout ça n'était qu'un genre de suicide assisté. »
Elle expliqua du mieux qu'elle put la combine mitonnée par le vieux mage afin d'organiser son propre trépas au bénéfice de ses alliés et les conséquences sur la propriété de la désormais fameuse Baguette de Sureau, encore qu'elle n'eût pas tout compris à ce sujet. Pour faire bonne mesure, elle enchaîna avec le Grandiose et Tragique Secret de l'ancien maître des potions de Poudlard, qui, si elle avait bien suivi l'éclairage apporté par le portrait de Tommy, aurait dû devenir aussi le maître de la Baguette mais ne l'avait en fait jamais été. Rogue l'aurait assassinée sur place s'il l'avait entendue vendre ainsi la mèche à sa némésis, mais puisque ce secret figurait jusque sur la carte de Chocogrenouille du prétendu défunt, Alifair estimait que la trahison n'était pas bien grande, si trahison il y avait. Et de toute façon, Sirius ne la crut même pas.
« Impossible, décréta-t-il. Lily et Rogue… Qu'au début elle ait essayé de se montrer gentille avec lui, comme elle l'était avec tout le monde, je veux bien le croire, mais… Lily et Servilus ! »
Sous sa barbe épaisse, une grimace de dégoût déforma les traits du sorcier.
« Je n'ai pas dit qu'ils avaient été ensemble, précisa Alifair.
– Et vous avez bien fait ! répliqua vivement Sirius, horrifié à cette perspective. Rien que de penser que ce répugnant cancrelat ait pu s'imaginer que… Beurk ! »
Et il secoua la tête comme pour chasser cette idée répugnante. Alifair jugeait sa réaction excessive ; mais, en version adolescente avec cheveux gras, teint blafard et boutons d'acné, Rogue avait pu avoir une apparence peu flatteuse, certes, surtout à côté des playboys de l'école.
« De toute manière, Lily était une née-Moldue : jamais Rogue n'a eu le moindre respect pour elle, sans parler de l'aimer », trancha Sirius d'un ton définitif.
Alifair n'insista pas : de toute évidence, la vérité lui était trop insupportable pour qu'il puisse l'envisager de façon objective. Du reste, la Moldue se fichait bien qu'il croie ou pas au grand amour caché de feu Severus Rogue.
« J'aurais voulu être à ses côtés, murmura Sirius quand elle lui eut énuméré les principaux exploits accomplis par Harry pendant son année d'errance. Mais il s'est débrouillé comme un chef ! » reconnut-il avec fierté.
Si confus et lacunaire soit-il, le résumé d'Alifair avait le mérite de s'achever sur une triple note positive : la prétendue mort de Rogue, la victoire du Survivant et l'élection de Kingsley à la tête du ministère.
« Je l'aurais parié ! se réjouit Sirius avec un gros rire semblable à un aboiement. Enfin un Ministre intègre et compétent ! Ça a dû faire un choc à pas mal de monde !
– Vous ne croyez pas si bien dire, abonda la Moldue. Il y a eu tellement de réformes depuis quelque temps que vous ne reconnaîtriez pas… »
Un barrissement sonore doublé d'un mugissement l'interrompit soudain : on aurait dit un éléphant appelant à la guerre depuis l'intérieur d'un tambour. Ce son menaçant, quoique lointain, faisait froid dans le dos.
« Encore un lagopède ? » s'enquit Alifair en s'efforçant de ne pas paraître effrayée.
Sirius hocha la tête. Ni lui ni Eurydice ne semblaient spécialement inquiets, ce qui pouvait signifier que l'affreuse bestiole se trouvait trop loin pour représenter un danger. Encore que…
« Vous n'avez pas peur qu'ils finissent par vous renifler, avec le vent et tout ça, ou en remontant votre piste dans les marécages ? suggéra la Moldue.
– C'est la magie qui les attire, je vous l'ai dit, rappela Sirius. Tant que je ne l'utilise pas, il n'y a aucun risque. J'ai caché ma baguette pour ne pas être tenté, précisa-t-il avec un sourire.
– N'empêche que ces machins doivent bien se nourrir de quelque chose, insista Alifair.
– Oh, ce ne sont pas les proies qui manquent par ici, affirma Sirius d'un air confiant. Et, en dernier ressort, ils peuvent aussi se manger entre eux. Je les ai déjà vus faire. »
Eurydice confirma d'un signe de tête tout en fronçant son joli nez : ce genre de spectacle n'était manifestement pas à son goût. Alifair afficha une moue sceptique.
« Mouais… Peut-être bien qu'un jour, l'envie leur prendra tout de même de croquer de l'humain, juste histoire de voir si ça vaut le coup de nous ajouter au menu… Qu'est-ce qui nous rendrait moins appétissants que leurs proies habituelles, d'abord ? Le manque de tentacules ? »
Guère préoccupé par la question, Sirius se contenta de hausser les épaules. Pourtant, si c'était la magie qui rendait les lagopèdes dangereux pour l'homme, ne pouvait-on penser qu'elle présentait une ou des caractéristiques communes avec leurs proies ordinaires ? À moins que celles-ci ne possèdent leur propre magie ? Mais, dans ce cas, qu'est-ce qui les rendait plus alléchantes qu'un sorcier et sa baguette, même non utilisée ? Voilà des questions qui auraient passionné les portraits du salon Faraday, songea Alifair avec une pointe de nostalgie.
« En tout cas, on est sûr que ce n'est pas la magie qui éveille l'appétit des pseudo-sansgues », grimaça-t-elle au souvenir des gros vers de vase rampant dans l'herbe, guidés par l'odeur de son propre sang.
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Rogue descendit au salon prendre congé des portraits.
« N'êtes-vous pas censé demander l'aval du Ministre ? » tenta Mona une dernière fois.
Le sorcier ne répondit que par un reniflement : si Shacklebolt avait choisi de faire appel à lui, ce n'était certainement pas en s'attendant à le voir respecter les règles. Au fond, Rogue n'avait jamais obéi qu'à Dumbledore et, maintenant que Dumbledore n'était plus là…
« Faites ce qu'il faut », conclut le portrait de Thomas Faraday.
À ses côtés, Roger Dunbar et le colonel hochaient gravement la tête. Il n'y avait rien d'autre à dire.
Rogue fit volte-face et faillit emboutir Crickey. La petite elfe s'était glissée discrètement derrière lui, un gros sac serré contre sa poitrine.
« Si Mr Hind a encore de la place dans ses sacoches, Crickey lui a préparé un casse-croûte », annonça-t-elle.
Rogue jeta un coup d'œil au contenu du sac. L'elfe avait dû en agrandir magiquement l'intérieur car il renfermait de quoi nourrir un régiment.
« Mr Hind aura besoin de prendre des forces », observa-t-elle simplement.
Il ne pouvait lui donner tort.
« Crickey pense que vous ne devriez pas faire cela tout seul, dit-elle encore. Mr Hind devrait avoir quelqu'un auprès de lui, au cas où cela se passerait mal.
– Tout ira bien », répondit mécaniquement Rogue.
Il n'y avait rien d'autre à dire.
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Rita se posa sur le toit d'une voiture garée le long du trottoir en face de la maison Faraday et prit le temps d'examiner le bâtiment. Par deux fois, celui-ci avait défrayé la chronique aussi bien moldue que sorcière, se souvenait-elle, se volatilisant de manière inopinée avant de réapparaître de même en semant la pagaille parmi le voisinage. La demeure parfaite pour une turbulente risque-tout.
Aucune lumière ne brillait aux fenêtres, ce qui ne signifiait rien car les vitres avaient été traitées à l'aide d'un charme Opacifiant, de sorte qu'il était impossible de voir au travers. Protection contre d'éventuels visiteurs indésirables, disait-on. Depuis l'attentat, cette maison était devenue plus inexpugnable qu'une forteresse. Plus elle y pensait, plus Rita était persuadée d'avoir vu juste : pour quelqu'un qui souhaitait demeurer invisible aux yeux du reste du monde, c'était la cachette idéale. Idéale, mais pas totalement impénétrable.
En été, Rita aurait eu de bonnes chances de pouvoir se glisser par une fenêtre entrouverte ; en cette saison pluvieuse et venteuse, il n'y fallait pas compter. Une fissure, un trou, une grille d'aération lui suffirait cependant, à moins qu'elle prenne le risque de passer par la cheminée – et de se rôtir la carapace si elle était aspirée vers le bas alors que le feu y brûlait encore. La journaliste se sentait toutefois confiante : elle s'était introduite plus d'une fois à Poudlard au nez et à la barbe du soi-disant plus grand sorcier du monde, alors ce n'était pas cette bicoque à moitié moldue qui allait lui résister !
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« Dites-moi, mon jeune ami, avez-vous déjà eu l'occasion d'assister à un Nónihokin ? voulut savoir Silver Douglas.
– Un quoi ? répliqua Drago d'un ton blasé qui lui valut un discret coup de pied de sa mère sous la table : on ne s'adressait pas ainsi au gouverneur de l'État !
– Un rassemblement de sorciers soshones, comanches, païutes et utes, précisa Corneille Avisée, nullement offensé. D'ordinaire, ils – nous vivons un peu à l'écart les uns des autres, soit isolés dans la nature, soit mêlés à la population non-maj'. Mais, plusieurs fois par an, nous nous regroupons pour des temps de célébrations. Nous échangeons des nouvelles, nous débattons des questions qui intéressent notre communauté… et, bien sûr, nous faisons aussi la fête ! acheva-t-il avec un petit rire.
– Cela semble tout à fait fascinant », déclara Narcissa.
Une fois n'est pas coutume, ils déjeunaient au Club, le bar-restaurant du champ de courses magiques de Californie, dont les Malefoy étaient actionnaires. Le gouverneur était à l'origine de cette rencontre, lui qui semblait rechercher la compagnie de Narcissa autant que le lui permettaient ses nombreuses obligations, et il payait la note. En sa compagnie, la sorcière retrouvait un peu de l'élégance et de la distinction qui caractérisaient autrefois son milieu social ; un peu seulement car, en dépit de ses louables efforts, Douglas restait américain. Mais, à bien y réfléchir, l'élégance et la distinction n'avaient pas été des valeurs partagées par la totalité des connaissances passées de Narcissa, loin de là.
« Non, je n'ai jamais vu de noni… d'assemblée indienne, répondit Drago avec davantage de politesse.
– En réalité, je m'en doutais un peu, avoua le gouverneur. Ces événements ne sont pas vraiment ouverts aux étrangers. Pas vraiment fermés non plus, cela dit.
– Ah oui ? »
De nouveau ce ton ennuyé. Narcissa fit les gros yeux à Drago par-dessus son verre de vin rouge : qu'il se montre de plus en plus distant avec elle, c'était une chose, mais il n'avait pas à devenir désagréable envers leurs relations ! Surtout celle-ci ! Il savait pourtant que les personnalités politiques devaient toujours être caressées dans le sens du poil…
« Figurez-vous qu'il y en a un en cours en ce moment, continuait Douglas en coupant son rosbif. Je ne me suis pas rendu aux premières réunions : je n'en ai pas le temps, hélas, et ce serait un peu délicat vu ma position… Pour eux comme pour moi, je le précise : la libre parole est fondamentale lors des assemblées, mais difficile à appliquer en présence du gouverneur… »
Il adressa à Narcissa un sourire entendu qu'elle lui retourna gracieusement. C'était l'une des choses qu'elle appréciait chez lui : il se savait homme de pouvoir et l'assumait tranquillement, sans ostentation ni fausse modestie. Tout le contraire d'un Albus Dumbledore qui refusait le poste de Ministre en s'assurant que tout le monde le sache, ou d'un Lucius qui faisait le paon sans jamais arriver à rien.
« J'ai prévu d'y faire une apparition demain, quand les choses deviendront plus légères et festives, enchaîna le gouverneur. Je me demandais si vous voudriez m'accompagner ? »
Narcissa manqua en lâcher sa fourchette : c'était bien à Drago que s'adressait l'invitation. Tandis que ce dernier, visiblement surpris lui aussi, reprenait de la sauce pour se donner une contenance, la sorcière croisa le regard de Douglas qui lui fit un clin d'œil discret.
« Je crois qu'une petite sortie entre hommes ne nous ferait pas de mal, insista-t-il d'un air dégagé. Qu'en dites-vous, Drago ? »
Il essayait de sympathiser avec lui, comprit soudain Narcissa. S'ils se connaissaient mieux, Drago oublierait peut-être son hostilité instinctive envers celui qui ne s'était pas encore déclaré prétendant de sa mère, mais se conduisait de plus en plus comme tel. Elle en fut plus émue qu'elle l'aurait cru possible.
« Je croyais que c'était interdit aux étrangers ? finit par objecter Drago d'une voix maussade.
– Pas fermement, comme je vous l'ai dit, rappela le gouverneur. Une fois les discussions terminées, le Nónihokin n'a plus rien de bien confidentiel… Et puis, vous serez avec moi et, croyez-le ou non, je jouis encore d'un certain crédit au sein de ma communauté », ajouta-t-il, malicieux.
Drago ne débordait pas d'enthousiasme, c'était le moins qu'on puisse dire.
« Rares sont les sorciers non-amérindiens à avoir pu assister à un Nónihokin, glissa Douglas en grignotant une frite. Plus rares encore les non-américains. À ma connaissance, vous pourriez être le premier depuis un siècle au moins… »
Voilà qui était flatteur, sourit intérieurement Narcissa en percevant l'hésitation de son fils. Le gouverneur était un homme habile, très habile.
« Je crois que tu devrais y aller, intervint-elle doucement. Tu pourrais apprendre des choses intéressantes… »
Si son fils faisait l'effort de se montrer sous un jour plus aimable, Douglas pourrait prendre conscience de ses qualités et, peut-être, lui trouver un avenir ? Ou bien Drago rencontrerait-il, parmi ces sorciers amérindiens, quelqu'un qui le mettrait sur la piste d'une carrière sérieuse ? C'était peut-être aussi cela que Douglas avait en tête en l'invitant ?
Sous les regards croisés de sa mère et du gouverneur, Drago haussa les épaules.
« Pourquoi pas, lâcha-t-il de mauvaise grâce, et Narcissa exulta intérieurement.
– Excellent ! se réjouit Douglas. Vous verrez, ces chants, ces danses, cette ambiance… ça vous change un homme ! Je me souviens encore, la première fois que je suis allé à un Nónihokin, j'avais treize ans… »
Pourvu que tout se passe bien, pria mentalement Narcissa tandis que son fils s'éclipsait aux toilettes afin d'échapper au récit de ces souvenirs émus. Si Drago rentrait de l'événement avec une meilleure opinion de Douglas, et en prime une belle opportunité professionnelle… Il fallait que Lucius accepte ce fichu divorce !
Drago se lavait les mains quand la porte des toilettes s'ouvrit sur un bel homme aux cheveux noirs parfaitement coiffés, vêtu d'une élégante robe de sorcier de couleur sombre, un œillet rouge à la boutonnière. Après s'être assuré qu'ils étaient seuls, le nouveau venu se mit à applaudir d'une manière un rien sarcastique, un demi-sourire aux lèvres.
« C'était parfaitement réalisé, agent D, mes félicitations ! déclara Brosnan, l'œil pétillant. Vous avez magnifiquement tiré parti de votre mauvais caractère naturel. Madame votre mère n'y a vu que du feu : jamais elle ne soupçonnera qu'il y avait entente préalable entre vous et le gouverneur. Mr Stevens sera fier de vous, tout comme je le suis.
– Le gouverneur a bien joué son rôle, reconnut Drago, sensible au compliment malgré l'ironie derrière laquelle son mentor le dissimulait. Après toute cette mise en scène, j'espère que ce Noni… machin réglera vraiment le problème du rituel de haute magie. Mais j'aimerais tout de même savoir si Douglas a des intentions en ce qui concerne ma mère ? »
Le demi-sourire de Brosnan s'accentua.
« Pourquoi ne pas vérifier par vous-même ? suggéra-t-il d'un air rusé.
– C'est un bon occlumens », dit sobrement Drago.
Brosnan émit un petit rire amusé : il avait parfaitement saisi ce que cette réponse impliquait.
« Espionner le gouverneur, mon garçon ! Si Sam le savait ! fit-il mine de le réprimander d'un ton vertueux.
– Vous ne lui direz rien, n'est-ce pas ? répliqua Drago – il était sûr que l'agent secret n'avait aucun scrupule pour utiliser à son profit ses propres capacités magiques ainsi que ses talents de manipulateur. C'était uniquement pour mon usage personnel. Et de toute manière, ça n'a pas marché.
– Prenez garde à ne pas vous faire prendre, c'est tout ce que j'ai à dire, déclara Brosnan en lui tapotant l'épaule avant de sortir de la pièce. Prenez garde à ne pas vous faire prendre. »
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Rita s'apprêtait à prendre son envol lorsque quelque chose se produisit : sous le défilé des nuages bas, à la lumière des lampadaires faiblement reflétée par leur ventre lourd de pluie, elle distingua une silhouette qui bougeait sur le toit végétalisé de la maison Faraday, parmi les ombres immobiles des arbres nus. Bien qu'il lui fût impossible de la voir nettement, la taille et les proportions de cette silhouette n'appartenaient clairement pas à un elfe de maison.
Aussitôt, Rita s'élança, l'hémolymphe circulant à toute allure le long de son vaisseau dorsal : dans une poignée de secondes, elle apercevrait enfin le visage de cet inconnu qui hantait ses pensées depuis des jours… Après une telle attente, il avait intérêt à être beau comme un dieu, ou assez scandaleux pour choquer jusqu'à cet ahuri de Xeno Lovegood !
Inconscient du danger, Rogue vérifia une dernière fois la fixation de ses sacoches au manche de son balai. Il se retourna ensuite pour jeter un ultime regard au velours sombre de la pelouse et aux contours sinueux des arbres. Elle, qui aimait tant cette maison et ce jardin, n'avait même pas eu le loisir d'un adieu. Comme l'affirmait Crickey, elle désapprouverait peut-être ce qu'il s'apprêtait à faire ; mais il savait qu'elle apprécierait en même temps l'ironie du sort qui voulait que ce soit précisément pour elle qu'il renoue avec son ancien vice. Elle avait ce genre d'humour tordu.
Il enfourcha le balai et serra fermement le manche entre ses mains tandis que ses oreilles percevaient, sans qu'il s'en aperçoive, un bourdonnement léger dans son dos, telles les ailes d'un insecte…
Le sorcier en robe noire décolla d'un coup de pied sans que Rita ait pu entrevoir son visage. Le scarabée fila alors en diagonale dans l'espoir d'intercepter sa trajectoire lorsqu'il aurait atteint son altitude de croisière quand, tout-à-coup…
« Crôa ! » Clac !
Un bec se referma à quelques centimètres à peine de la journaliste. Rita fit une brusque embardée pour éviter les serres qui se tendaient vers elle, aiguës et menaçantes ; l'air brassé par de grandes ailes noires déséquilibrait son vol. Elle se lança dans une fuite en zigzag éperdue, poursuivie par une corneille aussi féroce que vorace, tandis que le sorcier sur son balai disparaissait au loin, hors de toute atteinte.
Rita n'échappa à Corbac qu'en reprenant forme humaine derrière une benne à ordures débordante de détritus ; la corneille se détourna alors d'elle avec des croassements de dégoût, non sans tenter d'abord de fouiller ses bouclettes à la recherche de cet appétissant scarabée. Quant à Rogue, bien à l'abri sous son camouflage de Roman Farkas, il poursuivit sa route sans s'être aperçu de rien.
"Nónihokin" est plus ou moins la transcription approximative du mot "naniʔokinʉ̠", qui en comanche signifie "réunion" selon le Comanche Dictionary du wiki de Livingforum.
