Je sais, je sais, j'ai complètement perdu le rythme et ça ne va pas s'arranger, mais je m'accroche ! Merci pour votre patience, on la finira, un jour, cette histoire !
Katymyny : Ce chapitre risque de ne pas t'aider. Pour la réponse aux énigmes, il va falloir attendre :)
Eudore : Merci ^^ Toi, par contre, tu devrais avoir un début de réponse :)
Chapitre 15
Cas de conscience
La vision du balai de Rogue disparaissant dans la nuit n'avait pas apaisé l'inquiétude de Crickey, bien au contraire. Blottie dans son petit lit près de la cuisine, elle tourna et se retourna jusqu'à l'aube sous les couvertures, rongée par la culpabilité. Miss Alifair ne lui avait rien caché de la mésaventure qui avait failli coûter la vie au sorcier sous le lac Prespa. Comment Crickey avait-elle pu le laisser s'exposer de nouveau à un tel risque ? Elle aurait dû le retenir ou, au moins, insister pour partir avec lui.
Le lendemain, elle décida d'aller confier ses craintes au Ministre. Après tout, c'était lui qui avait décidé de solliciter l'aide de « Jonathan Hind » – juste après que Crickey avait écrit à Rogue, il est vrai. Kingsley Shacklebolt était en entretien avec le directeur du Département des affaires juridiques et financières, elle dut donc patienter plus d'une heure avant d'être introduite dans son bureau. Enfin, après que la porte se fut ouverte sur un jeune sorcier roux à l'air très satisfait de lui-même qui s'éloigna d'un pas conquérant, l'elfe reçut la permission d'entrer.
« Ce jeune Weasley est d'un dynamisme remarquable, déclara le Ministre en gratifiant sa visiteuse d'un sourire chaleureux. Épuisant, même. Enfin, s'il parvient à harmoniser les pratiques de gestion des RTT entre les différents services ministériels, plus personne ne mettra en doute l'efficacité de ses méthodes… Eh bien, madame la commissaire, que puis-je pour vous ? »
En quelques mots, Crickey lui raconta tout ce qu'elle savait des intentions de Rogue, c'est-à-dire pas grand-chose dans le détail, et tout ce qu'elle redoutait. Shacklebolt l'écouta avec beaucoup d'attention mais, lorsque l'elfe lui rapporta le simple haussement d'épaules avec lequel Rogue avait accueilli l'idée de demander l'autorisation du Ministre, celui-ci pouffa de rire.
« Je ne m'attendais pas à beaucoup de déférence de sa part, convint-il. Pour ce qui est du reste, je pense que vous ne devriez pas vous inquiéter. Rogue, Hind ou quel que soit son nom, a toujours été un maître en matière de magie noire. C'est bien simple : si nous possédions une liste officielle des experts du domaine, il serait certainement en tête. Ce n'est pas pour rien que Voldemort le considérait comme son bras droit, bien qu'il ne l'ait jamais dit ouvertement pour ne pas braquer ses alliés de sang pur… Et Rogue a toujours travaillé en solitaire, c'est sa nature et c'est comme ça qu'il est le plus efficace. Non, soyez tranquille : cet homme n'a été pris en défaut qu'une seule fois, par le Seigneur des Ténèbres en personne, et il a quand même trouvé moyen de s'en tirer. Pour ma part, j'ai toute confiance en sa compétence et sa débrouillardise. »
Crickey ne vit rien à ajouter. Certes, le Ministre et son informatrice, le professeur Viesnaya, ignoraient tout du rôle joué par Miss Alifair dans le sauvetage du sorcier après son agression par le serpent de Celui-dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom ; mais cela n'aurait rien changé. Très perturbée, l'elfe s'éloigna du bureau la tête basse et gagna les ascenseurs.
Lorsque sa cabine s'arrêta au troisième niveau, elle eut la surprise de voir monter Twinny, la benjamine des députés à la Chambre des créatures. L'elfe se faufila entre deux sorciers en grande conversation qui occupaient presque tout l'espace et se rencogna tout au fond de l'ascenseur, les bras croisés sur le drap ceinturé à la taille par un cordon de rideau qui lui tenait lieu de vêtement. Elle paraissait très contrariée.
« Bonjour, députée Twinny », la salua Crickey d'un ton de reproche.
Twinny sursauta et ses yeux noirs balayèrent la cabine jusqu'à se fixer sur sa congénère.
« Bonjour, commissaire Crickey, répondit-elle froidement. Twinny ne vous avait pas vue. »
Les deux elfes ne s'appréciaient guère mais, par respect des convenances et de leurs positions respectives, elles s'efforçaient de se comporter l'une envers l'autre avec un minimum de politesse.
« Twinny est allée voir quelqu'un au Département des accidents et catastrophes magiques ? » fit mine de s'intéresser Crickey pour se distraire momentanément de son inquiétude.
Le petit visage aigu de Twinny s'éclaira.
« Oui, pour le compte de la commission parlementaire sur l'évaluation de la prise en charge des incidents impliquant des Moldus, se rengorgea-t-elle. Les autres membres ont confié à Twinny la mission de rassembler des informations complémentaires avant notre réunion qui aura lieu cet après-midi. Cela durera sans doute longtemps car il y a beaucoup de points à discuter. Twinny est très occupée, conclut-elle orgueilleusement.
– Crickey espère que cela ne complique pas son travail au service de la maison Nott, dit Crickey avec une pointe de jalousie tant être occupé était chez les elfes un titre de gloire.
– Que Crickey se rassure, susurra l'elfe aux yeux noirs. Twinny gère parfaitement son temps, sa maîtresse l'en félicitait hier encore. Twinny tient d'ailleurs à vous exprimer sa compassion : ce doit être terrible de se retrouver sans maître depuis si longtemps. »
Le sourire suffisant de l'elfe fit monter le rouge aux joues de Crickey, mais elle se contint.
« Miss Alifair sera bientôt de retour, affirma-t-elle crânement. Et Crickey aura alors une montagne de choses à faire !
– Twinny le lui souhaite, assura l'elfe aux yeux noirs d'une voix doucereuse. Très sincèrement. »
L'ascenseur s'arrêta à nouveau et les deux sorciers descendirent. L'atrium n'était plus très loin, mais Crickey refusait de laisser sa congénère avoir le dernier mot. Ignorant les notes de service violettes qui voletaient autour de leur tête, elle s'empressa de lancer la contre-attaque.
« Crickey a remarqué que Twinny avait l'air fâché en montant dans l'ascenseur. Est-ce que quelque chose ne va pas ? »
L'elfe des Nott perdit aussitôt son sourire et ses yeux sombres lancèrent des éclairs.
« Twinny a croisé le docteur Osborne dans le couloir du Département des accidents et catastrophes magiques, marmonna-t-elle de mauvaise grâce. Il prétendait chercher le quartier général des Oubliators.
– En quoi cela peut-il contrarier Twinny ? s'étonna Crickey tout en se demandant ce que mijotait l'elfe libre. Craint-elle que le travail du docteur interfère avec ses propres tâches ?
– Twinny se fiche bien de son travail ! s'écria l'elfe d'une voix perçante. Elle a déjà eu l'occasion de lui dire plusieurs fois ce qu'elle pensait de ce travail, ainsi que de ses manières, mais il insiste ! Twinny ne serait pas surprise qu'il se soit trouvé dans ce couloir exprès pour l'y rencontrer !
– Pourquoi le docteur Osborne ferait-il cela ? »
Les joues de Twinny virèrent au cramoisi et elle baissa les yeux, refusant de répondre. De plus en plus perplexe, Crickey étudia avec attention ces marques de colère et d'embarras. Elle se souvint alors d'un autre elfe libre qu'elle avait connu autrefois, et qui l'avait importunée de la plus insolente des manières…
« Est-ce que… est-ce que le docteur Osborne a fait des propositions à Twinny ? » risqua-t-elle dans un murmure offusqué.
Pour toute réponse, l'elfe des Nott serra les poings et se mit à trépigner de rage tandis qu'un feulement inarticulé sortait de sa gorge.
« Cela est très embarrassant, convint Crickey en la considérant avec une compassion nouvelle. Et si cela venait à se savoir, ce serait très mauvais pour la réputation de Twinny…
– Twinny n'y est pour rien ! couina la petite elfe, hors d'elle. Twinny ne veut pas se faire tourner autour par ce vieil elfe dégoûtant ! Elle le lui a dit et répété et, s'il continue comme ça, elle demandera à sa maîtresse la permission de lui jeter un mauvais sort ! »
Au même instant, dans un bruit de ferraille et avec une secousse qui les fit vaciller, l'ascenseur s'immobilisa. Dès que les portes s'ouvrirent, Twinny se jeta dans la foule des sorciers qui se pressaient devant la cabine et disparut. Luttant pour remonter le courant humain qui s'étirait jusqu'à l'atrium, Crickey réfléchit à ce qu'elle venait d'apprendre. Elle comprenait que Twinny soit choquée par l'attitude d'Osborne : aucun elfe de bonne moralité ne se conduisait de cette façon. Mais elle avait appris, par sa propre expérience et au cours de ses recherches sur l'abolition de l'esclavage elfique, que ses congénères émancipés avaient tendance à adopter des mœurs semblables à celles des sorciers. Elle se demandait bien, toutefois, ce qu'Osborne trouvait à Twinny pour la courtiser ainsi. En tout cas, c'était une information que l'elfe des Nott avait été bien imprudente de lui confier. Crickey n'avait aucune tendance au chantage, mais elle n'oubliait pas que Twinny appartenait à une famille de traditionalistes hostiles au Ministre et à Miss Alifair. À une certaine époque, Twinny avait utilisé contre Crickey les renseignements dont elle disposait ; alors, si le besoin s'en faisait sentir, Crickey n'aurait aucun scrupule à agir de même.
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La bise hurlait telle une banshee dans les branches dégarnies des arbres qu'on voyait s'agiter par les fenêtres, acérées et menaçantes. Une pluie glacée, presque du grésil, tombée d'un ciel couleur ardoise, martelait les carreaux. L'heure du thé n'avait pas encore sonné qu'on se croyait déjà la nuit. Par contraste, le salon paraissait encore plus confortable avec son tapis moelleux, ses épais rideaux de velours et le feu qui craquait dans la cheminée. Une certaine froideur imprégnait pourtant l'atmosphère, comme si l'air de novembre s'était infiltré par les croisillons.
« Avec tout mon respect, répéta Azurite en refrénant son impatience, je ne comprends pas pourquoi nous attendons encore. Tu avais pourtant affirmé, ici même, qu'ils recevraient la punition qu'ils méritent.
– J'ai laissé entendre que nous nous occuperions d'eux, c'est vrai, reconnut Onyx avec une souveraine tranquillité. Mais il se trouve que tout le monde n'est pas d'accord avec ce projet. Certains arguments méritent d'être débattus avant que nous prenions une décision. Perle, nous t'écoutons. »
Perle se crispa sur son tabouret. La dernière fois, le courage lui avait manqué d'exprimer tout haut ses doutes. Il lui fallut bien le faire, à présent, malgré ses joues rouges et sa voix tremblante d'embarras.
« J'ai peur que… qu'une action de ce genre ne soit pas fondée. »
Un silence ponctua cet aveu laconique.
« Et peux-tu nous expliquer pourquoi ? » l'encouragea Béryl avec douceur.
Perle passa sa langue sur ses lèvres sèches.
« Eh bien, le Ministre a été élu… et Weal Enys nommé secrétaire d'État de façon tout à fait régulière… Les gens savaient à quoi s'attendre en portant Kingsley Shacklebolt au pouvoir…
– Shacklebolt a été élu grâce au vote des elfes, marmonna Azurite à mi-voix.
– Nous n'en savons rien, objecta Sélénite, mais, vu les résultats du scrutin, les elfes n'ont pas été les seuls à voter pour lui.
– C'est indéniable, confirma Onyx avec hauteur. Continue, Perle, je t'en prie.
– Eh bien, compte tenu de tout cela, il me semble que… il me semble qu'Enys et le Ministre sont… enfin, ils n'ont pas usurpé le pouvoir, alors… alors même si nous ne sommes pas d'accord avec ce qu'ils font, ça ne veut pas dire que… enfin, je veux dire qu'ils ont le droit de le faire…
– Le droit ? »
Ambre venait de bondir de sa chaise et fixait d'un regard incrédule Perle, dont la voix s'était étranglée en un murmure chevrotant.
« Le droit ? Ils outrepassent leurs prérogatives pour aller contre l'ordre naturel des choses, celui sur lequel a toujours reposé la société magique, et tu estimes qu'ils en ont le droit ? »
La tête rentrée dans les épaules, Perle contemplait le bout de ses chaussures, les joues à présent livides.
« Je crois que ce que Perle veut dire, intervint Béryl de sa voix apaisante, c'est que ces messieurs, contrairement par exemple à la commissaire Crickey, sont à leur place. Ce sont des sorciers, l'un élu, l'autre nommé à la régulière, qui prennent des décisions comme il leur revient de le faire.
– Excuse-moi mais c'est bien eux qui ont mis cette Crickey là où elle se trouve, objecta Ambre tandis qu'Azurite hochait la tête avec véhémence pour marquer son approbation. Ce n'est pas très juste de le lui reprocher à elle comme si elle était la seule responsable de cette situation.
– C'est ce que nous avions déjà dit la dernière fois, renchérit Sélénite. Je comprends tes réserves, Perle, mais je suis d'accord avec Ambre : on ne peut pas les laisser impunément bouleverser l'ordre naturel des choses et entraîner les elfes là où eux-mêmes n'ont aucune envie d'aller.
– Je ne dis pas qu'il faut les laisser faire ! plaida Perle d'un ton affolé. Bien sûr que non ! Mais est-ce que pour autant cela justifie un… un autre attentat… »
Une grimace collective accueillit ce mot prononcé dans un souffle.
« Une punition, corrigea Onyx. Voilà ce dont il s'agissait précisément.
– Une punition, répéta docilement Perle en courbant la nuque. Ces hommes sont dans l'erreur et nous devons nous y opposer, mais méritent-ils d'être punis ?
– Et, ajouterai-je, la punition ne se retournera-t-elle pas contre nous ? glissa Béryl. Les supporters de Shacklebolt, tant au ministère qu'au Parlement et dans l'opinion publique, pourraient se sentir galvanisés si nous nous en prenions physiquement à lui. Et même faire des émules : les martyrs ont tendance à attirer la sympathie. »
Le point méritait réflexion. Pendant un moment, on n'entendit plus que les hurlements de la bise par-dessus le crépitement de la pluie et les pétillements du feu. Puis Onyx remarqua :
« Tu n'as encore rien dit, Topaze. N'as-tu pas d'avis sur le sujet ? »
Pendant toute la durée de l'échange, Topaze avait conservé un silence attentif, prenant note des différents arguments et de leurs possibles conséquences. La question était plus difficile qu'il n'y paraissait : d'un côté, on ne pouvait sacrifier les valeurs qui étaient à la base de leur action commune, mais, de l'autre, les objections de Béryl ne manquaient pas de pertinence, non plus que celles de Perle dans une certaine mesure…
« Je crois, commença Topaze prudemment, que la contestation doit rester politique. Il faut expliquer, et expliquer encore, pourquoi la voie promue par le Ministre et le secrétaire d'État à l'égalité est dangereuse et délétère pour notre société et les différentes espèces magiques qui la composent. »
Ambre soupira avec lassitude.
« C'est déjà ce que nous faisons, et ça n'a pas l'air de beaucoup fonctionner pour l'instant…
– Nous faisons de notre mieux, Topaze et moi, je te le garantis ! répliqua sèchement Onyx.
– Et moi aussi, renchérit Azurite.
– Bien sûr ! s'empressa d'approuver Ambre d'un ton conciliant. Je n'en ai jamais douté, c'est seulement que… les gens ont la tête tellement dure, parfois !
– Ça…, soupira tristement Béryl.
– C'est vrai que c'est assez désespérant », reconnut Sélénite.
Onyx et Azurite ne purent qu'en convenir.
« Mais que pouvons-nous faire d'autre ? » murmura Perle.
La question n'appelait pas vraiment de réponse ; aussi l'étonnement fut-il général lorsque Topaze déclara :
« La contestation institutionnelle n'est pas la seule façon d'agir. Il me semble qu'une part non négligeable des soutiens dont bénéficient le Ministre et le secrétaire d'État s'attache aux hommes plutôt qu'à leurs idées. S'ils venaient à se discréditer, ce soutien risquerait de s'évaporer très vite. »
À cette perspective, les yeux d'Ambre et d'Azurite se mirent à briller, tandis que Sélénite prenait une expression pensive.
« Quant aux personnes réellement convaincues de la pertinence des idées égalitaristes, poursuivit Topaze, il n'est pas interdit de penser qu'elles hésiteraient à se rallier à des leaders à la réputation douteuse. »
Quelques instants de réflexion suivirent ces hypothèses. Jeter le discrédit sur des adversaires politiques revenait à retourner contre eux leurs propres faiblesses : ce serait bien plus élégant qu'une punition comme celle qu'avait failli subir la commissaire Crickey, tout en restant modéré. Mais comment compromettre ces deux modèles de vertu ?
« L'histoire des consultants étrangers pourrait être une piste, suggéra timidement Perle. Je pense que les gens n'ont pas beaucoup apprécié qu'on confie une affaire aussi sensible à de parfaits inconnus plutôt qu'à nos propres forces de l'ordre.
– Une affaire qui concerne une elfe et une Moldue, ajouta Sélénite. On peut se demander si un sorcier aurait eu droit au même traitement. De la part du chantre de l'égalité, c'est une drôle de façon de gérer le dossier, en effet. Bien vu, Perle ! »
Perle rosit de contentement mais Azurite pinça les lèvres.
« C'est du réchauffé, cette histoire. À moins d'un nouveau rebondissement, ça n'intéressera personne. Et je ne vois pas ce qu'on pourrait trouver d'autre contre Shacklebolt…
– Laissons le Ministre de côté pour l'instant, intervint Onyx. Si exemplaire soit-il, la tension monte autour de lui, entre la contestation de ses projets de réforme, le mécontentement des Aurors et de la BPM, et maintenant la suspicion qui se répand chez les gobelins. Shacklebolt finira bien par commettre un faux pas, et les médias n'auront même pas besoin de nous pour le monter en épingle. Les médias indépendants, j'entends.
– C'est vrai qu'il ne faut pas compter sur la Gazette pour se montrer critique envers le petit Ministrounet chéri, marmonna Azurite, et tout le monde s'esclaffa.
– Nous nous concentrons sur Weal Enys, alors ? demanda Topaze une fois l'hilarité retombée. Il n'a pas autant de charme que Kingsley Shacklebolt, mais il est tout aussi inattaquable…
– Voire plus », grinça Ambre.
Béryl émit un « mmh » songeur.
« Une idée ? s'enquit Onyx.
– Peut-être bien… »
Béryl prit le temps de rassembler ses pensées, ce qui permit aux autres de recentrer toute leur attention sur sa personne, une situation qui était loin de lui déplaire.
« Je ne sais pas si vous vous souvenez de cette histoire… C'était juste après la guerre, et cela concernait Enys ainsi que la très regrettée Miss Blake…
– Tiens, tiens, souffla Sélénite avec intérêt en se penchant en avant.
– Pendant la guerre, Blake fournissait Sainte-Mangouste en potions curatives, raconta Béryl, mais ensuite elle a dû arrêter.
– À cause du durcissement de la réglementation, rappela Ambre. Il est devenu impossible de vendre des remèdes sans posséder les qualifications requises. Ce qui est plutôt une bonne chose, à mon avis.
– Et Miss Blake a fini par obtenir ces qualifications, compléta Onyx. Ce qui, à mon avis, est une moins bonne chose. »
Ambre pouffa volontiers avec les autres à cette boutade.
« C'est exact, mais ce n'est pas là où je voulais en venir, reprit Béryl. Le marché entre Blake et Sainte-Mangouste s'est interrompu avant l'entrée en vigueur de la nouvelle réglementation. Et il s'est dit, à l'époque, que c'était justement à cause de Weal Enys.
– Ah oui ? fit Ambre en ouvrant de grands yeux. Et qui disait ça ?
– Certains contacts que Blake a ensuite essayé de faire jouer pour obtenir une dérogation qui lui permette de continuer son petit commerce une fois la loi promulguée, répondit négligemment Béryl.
– Quel culot ! s'offusqua Perle.
– De toute manière, ça n'a pas fonctionné, précisa Sélénite. Il n'aurait plus manqué que ça !
– Eh bien, voilà qui est fascinant, commenta Onyx d'un air appréciateur. Une journaliste de talent comme Rita Skeeter saurait en tirer quelque chose de tout à fait savoureux, j'en ai la certitude. Surtout dans le contexte actuel.
– Mais comment le lui faire savoir sans trop nous dévoiler ? » s'inquiéta Topaze.
Il y eut une courte pause dans la conversation, pendant laquelle on s'aperçut que la bise s'était calmée. Puis un sourire malicieux monta aux lèvres d'Ambre.
« Je crois que c'est tout à fait dans tes cordes, Perle. »
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Crickey faisait le tour de la maison pour s'assurer que tout était en ordre avant d'aller se coucher quand la sonnette de la porte d'entrée retentit. Jetant un coup d'œil prudent par la fente de la boîte aux lettres, elle reconnut la haute silhouette, nimbée par la lueur orangée des réverbères, du Ministre de la Magie. Avec un couinement de surprise, Crickey se hâta de lui ouvrir la porte.
« Bonsoir, madame la commissaire. J'espère que nous ne vous dérangeons pas ? »
À la suite de Kingsley était entrée le professeur Viesnaya, auparavant dissimulée dans l'ombre du Ministre. Crickey suspendit leurs capes humides au portemanteau et s'empressa de les guider vers le salon pour les installer au coin du feu. Du coin de l'œil, elle aperçut Mona Faraday et sa fille Georgina, qui somnolaient dans le paysage au-dessus de la cheminée, se réveiller en sursaut et filer par un coin du tableau : sans doute étaient-elles allées prévenir les autres portraits de cette visite impromptue.
Une fois ses hôtes confortablement assis devant une tasse de thé fumant, Crickey céda à l'invitation du Ministre et prit elle-même place sur un repose-pieds.
« J'avoue que notre conversation de ce matin m'a trotté dans la tête toute la journée, commença Kingsley.
– Crickey ne voulait pas vous perturber, Monsieur le Ministre, s'excusa l'elfe, pas mécontente pourtant de n'être pas la seule à se faire du souci.
– J'ai fini par penser que le mieux était de mettre le professeur Viesnaya dans la confidence, indiqua Kingsley en montrant d'un geste la petite sorcière aux cheveux couleur de miel. Bien sûr, il m'a fallu attendre la fin des cours à Poudlard.
– Je n'ai pas les connaissances de notre cher Mr Hind, déclara le professeur de sa voix douce légèrement teintée d'accent. Et je ne sais rien de cette caverne dans laquelle il s'est rendu, hormis ce que m'en ont écrit d'anciens collègues avec lesquels je suis restée en contact. Roman Farkas, le seul chasseur du TNT à l'avoir explorée dans le cadre de l'affaire Greyback, en a très peu parlé. Il a dit que c'était un endroit épouvantable, imprégné de magie noire, malsain. Les recherches magico-archéologiques sur les vestiges que renferme la grotte sont toujours en cours et rien n'a encore été publié à leur sujet.
– D'après ce que j'ai compris, cette caverne n'est pas ouverte au public, enchaîna Kingsley, et je doute que notre ami s'embarrasse de demander une autorisation d'accès.
– Crickey ne le pense pas non plus, Monsieur, approuva l'elfe. Elle ne voudrait surtout pas lui attirer d'ennuis, mais elle craint que sa démarche ne soit trop dangereuse pour un sorcier tout seul. Peut-être faudrait-il prévenir la directrice du TNT ?
– À en croire Alifair, cette Mrs Bratislava est du genre intransigeant. Mieux vaut éviter d'avoir affaire à elle à moins d'une absolue nécessité », intervint une voix de baryton particulièrement sonore.
Menés par le colonel Fennimore, quelques portraits s'étaient invités dans le paysage, dans l'intention manifeste de participer au conciliabule.
« Je n'ai rencontré Stoyanka Branimirova qu'une seule fois, mais je crois qu'elle désapprouverait fortement l'initiative de Mr Hind, en effet, confirma Viesnaya en se penchant pour poser sa tasse vide sur la table basse.
– Vous avez mentionné le nom de Roman Farkas, dit alors Crickey. Il s'agit du coéquipier de Mr Hind au sein du TNT et, d'après Miss Alifair, il est au courant de la première intrusion de Mr Hind dans cette grotte.
– C'est vrai, et il n'en a rien dit à personne, renchérit le portrait de Tommy avec enthousiasme. Lui pourrait peut-être faire quelque chose sans pour autant donner l'alarme !
– C'est une idée, approuva Kingsley. Mais, le temps qu'un hibou express lui parvienne, ou bien Hind sera déjà ressorti de la grotte, ou bien il sera trop tard pour lui porter secours. »
Ces paroles tombèrent comme un couperet. Trop de temps avait passé, en effet ; à cette heure-ci, Rogue devait déjà avoir atteint la grotte. Quant à savoir ce qu'il y faisait…
« Nous pourrions prendre un Portoloin pour Tirana puis transplaner jusqu'au lac Prespa, suggéra Viesnaya, pensive. Moi, du moins : j'attirerai moins l'attention que le Ministre britannique de la Magie. »
Kingsley fronça les sourcils.
« Je préférerais éviter : si Rogue se fait prendre, nous aurons déjà de gros ennuis diplomatiques, alors si vous êtes deux… En plus, s'il s'avère que nous nous inquiétons pour rien, il pourrait très mal accueillir l'irruption d'un tiers…
– Peut-être réagira-t-il mieux s'il s'agit de son coéquipier ? hasarda Mona Faraday. Ce Mr Farkas, au moins, n'a aucun lien avec le ministère, son intervention ne devrait donc pas vous porter préjudice…
– Alors, Portoloin pour Budapest et vous allez sonner chez lui en pleine nuit ? fit le portrait de Tommy à l'adresse de Viesnaya.
– Les choses seraient tellement plus simples si les sorciers avaient le téléphone ! » soupira Roger Dunbar.
Viesnaya et les portraits acquiescèrent tristement. Puis :
« Roman Farkas a le téléphone ! s'écria soudain Crickey en bondissant sur ses pieds.
– Quoi ? s'étonna Kingsley.
– Miss Alifair a noté son numéro dans son répertoire, elle l'a dit à Crickey, avec celui de Mr Thierry et de son banquier moldu ! »
L'elfe se précipita vers le bar dont elle fouilla rapidement l'un des tiroirs. Elle en sortit un petit carnet et une carte en plastique qu'elle brandit d'un air triomphant.
« Le voilà, Monsieur ! Avec la carte de téléphone de Miss Alifair !
– Alifair passe ses appels depuis la cabine au bout de la rue, expliqua Roger Dunbar au Ministre éberlué. Je n'ai jamais réussi à faire fonctionner une ligne téléphonique dans cette maison, hélas…
– Ne nous emballons pas, jeunes gens ! tempéra le colonel. Quelqu'un ici sait-il utiliser un téléphone ?
– Moi, répondit aussitôt Viesnaya. Le TNT a toujours encouragé ses agents à se fondre le mieux possible dans le paysage moldu. La plupart savent se servir d'un téléphone et quelques-uns ont même appris à conduire.
– Il faudra que j'en parler avec Bellick et Robards », commenta Kingsley, pensif.
Quelques minutes plus tard, dans la cabine rouge battue par la pluie, une jeune femme blonde à la silhouette gracile enveloppée d'une cape serrait le combiné contre son oreille. Les sonneries s'égrenèrent lentement l'une après l'autre, jusqu'à ce que…
« Allô ?
– Romi ? C'est Lari.
– Lari ? Ça alors ! C'est gentil d'appeler ! Qu'est-ce que tu dev…
– Je n'ai pas le temps de discuter, j'ai très peu de crédit, l'interrompit Viesnaya qui parlait à toute vitesse. Écoute, je t'appelle parce que… »
En quelques mots précis, elle le mit au courant de la situation.
Assis sur le tapis du salon en compagnie de Beatrice, Ron vit le front du chasseur se plisser et son visage s'assombrir. Il ne comprit pas les mots hongrois que Roman adressa à son interlocuteur avant de raccrocher, mais il était clair que quelque chose de grave se passait.
« Mauvaises nouvelles ? s'enquit Ron en haussant les sourcils.
– Je dois sortir, répondit Roman d'un air préoccupé. Je ne reviendrai pas avant plusieurs heures, je pense… »
Il jeta un coup d'œil à la pendule murale et fit un rapide calcul avant de se décider.
« Je vais te laisser un mot pour Stoya. Si je ne t'ai pas fait signe d'ici demain midi, donne-le-lui. En personne. Et évite de faire ça devant les autres.
– Mais… Tu veux que j'aille la voir dans son bureau ? Comme ça, sans rendez-vous ? demanda Ron, effrayé à cette idée tant la directrice vélane l'intimidait. Mais je ne suis qu'un auxiliaire…
– Les auxiliaires ont parfaitement le droit d'aller voir la directrice s'ils en ont besoin, balaya Roman précipitamment. Ron, je ne te le demanderais pas si ce n'était pas très important. »
Sous sa courte barbe et ses boucles auburn, le visage du chasseur était pâle, anxieux. Ron ne l'avait jamais vu comme ça. Le jeune sorcier hocha la tête.
« Midi ?
– Midi, confirma Roman. L'oiseau Turul veuille qu'on n'ait pas à en arriver là. »
Ce chapitre se passe pendant que Rogue vole vers le lac Prespa, on est donc revenus un peu en arrière... Mais c'est pour mieux avancer, mes enfants !
Je ne sais pas du tout quand sortira le prochain. Ça m'étonnerait que ce soit avant la rentrée, mais on ne sait jamais :)
