Incroyable mais vrai, ce chapitre est donc sorti avant les vacances ! Enfin, mes vacances :) Pour le suivant, ce ne sera pas avant fin août, au mieux... Mais en même temps, puisque personne ne reçoit les notifs, c'est pas vraiment grave que je ne tienne plus le rythme ;(

ma39 : Merci beaucoup ! Je suis contente que ça continue de te plaire ^^


Chapitre 16

Délire et départ

« Vous oubliez que vous n'êtes pas seul au monde. Et je vais vous donner un dernier indice : il vous faudra beaucoup, beaucoup d'énergie magique pour l'ouvrir, cette porte. »

Rogue reprit brutalement conscience avec la sensation d'avoir reçu un seau d'eau glacée en pleine figure. À peine eut-il le temps de rouler sur le flanc qu'il se mit à vomir pendant que les images de son rêve tournoyaient dans sa tête tel un carrousel devenu fou… Pris de vertige, il se cramponna aux fines aspérités du sol et ferma les yeux dans l'espoir de chasser les images, ce qui resta sans effet. Au bout d'un temps impossible à définir, il comprit ce qu'il devait faire ; serrant les dents pour réprimer sa nausée, il concentra le peu d'énergie qu'il lui restait pour s'arracher aux échos de ses visions et relever, une à une, ses protections mentales. Enfin, hors d'haleine, il bascula sur le dos et resta allongé sur la pierre dure, laissant les tremblements de son corps se calmer peu à peu.

La lumière des chandelles avait sensiblement baissé. Il dut mobiliser toute sa volonté pour tourner la tête, ce qui fit jaillir des étincelles devant ses yeux. Il cligna des paupières pour les dissiper et constata que la bougie la plus proche était presque entièrement consumée ; les autres, il ne pouvait pas les voir. Une sueur froide le recouvrait des pieds à la tête : peut-être était-ce ce qui l'avait ramené à lui. Il se sentait atrocement faible. Il avait placé le flacon de solution de Force à proximité, il l'apercevait du coin de l'œil. Il n'avait qu'à tendre la main… Mais sa main refusa de bouger. Son bras lui semblait peser des tonnes. Aucun de ses muscles ne répondait plus. Son cerveau même lui paraissait soudain engourdi. Ses pensées étaient comme ralenties.

Inutile d'insister pour l'instant, décida-t-il, il était bien trop épuisé. Normal, sans doute, après une première fois. Et puis aussi… Combien de sang avait-il perdu avant que sa blessure cesse de couler ? D'ailleurs, qu'est-ce qui lui disait qu'il ne saignait pas encore ? L'humidité qui imprégnait sa robe, c'était peut-être du sang refroidi. Combien de gallons de sang un corps humain contenait-il ? Un ? Deux ? Trois ? Presque autant que de vin dans les veines de ton père, disait Bobby Norton à l'école primaire avant que des vers de terre lui sortent de la bouche. Bien sûr, Rogue lui-même avait moins de sang que la moyenne, à cause de Nagini… et il ne buvait pas de vin pour compenser cette perte. Quelqu'un lui avait dit un jour qu'il avait un problème d'alcool… C'était bien dommage, parce que l'odeur de l'alcool dégoûtait les serpents et Nagini était là, tout près, lové dans le coin où avait séjourné Greyback…

Les yeux de Rogue, fixés sur le plafond rocheux d'où pendaient des stalactites, ne le voyaient même plus. Il ne pouvait que gésir, immobile et délirant, convaincu de percevoir, si faibles qu'ils étaient à peine audibles, le frottement caractéristique d'un corps lisse et sinueux sur le sol de la caverne, le sifflement régulier d'une langue bifide, le léger craquement d'une mâchoire grande ouverte, le doux goutte-à-goutte du venin tombant de crocs acérés… Un voile écarlate tomba soudain devant ses yeux : ça y est, Nagini avait dû le mordre. Tout ça pour en revenir à la case départ…

« C'était bien la peine que je me décarcasse ! râla une voix féminine à l'accent vulgaire.

– Quel dommage, mon garçon, vous qui étiez si près du but…, se désola un vieil homme dont le ton avait perdu toute désinvolture.

– Je t'avais dit que la magie noire causerait ta perte, Sev », rappela doucement une jeune fille au timbre pur comme le lys.

Puis ce fut le silence.

lll

Depuis le retour de Drago, la veille, juste avant le coucher du soleil, comme il l'avait promis, Narcissa se posait des questions. « Intéressant, avait-il déclaré au sujet du Nónihokin. Instructif. » Rien de plus. Pourtant, à son air grave, solennel, elle devinait que quelque chose s'était produit. Le simple effet de la puissance magique dégagée par l'événement, avait expliqué avec insouciance le gouverneur Douglas ; cela passerait vite. Il ne s'était pas attardé pour dîner, mais les quelques instants qu'il avait passés chez eux avaient suffi à Narcissa pour déceler, entre lui et Drago, une complicité nouvelle. Cela ne lui plaisait guère. On aurait dit qu'ils partageaient un secret dont elle était exclue. Quel secret pouvait bien lier Drago au rival de son père adoré ?

Narcissa se creusait les méninges devant son œuf à la coque pas encore entamé. Elle ne se rappelait que trop bien comme Drago avait été fier de partager les secrets de Lucius, Bella et les autres, à l'époque… et comme il avait vite déchanté. Mais Silver Douglas n'appartenait pas à un groupuscule de mages noirs avides de pouvoir : il était le pouvoir. Quant à la magie noire, Narcissa ignorait tout de ses positions en la matière, mais il n'en semblait pas un fervent adepte. Alors où pouvait bien être le danger ? Ne devait-elle pas se réjouir que Drago ait trouvé en Douglas un substitut à son père, si défaillant en bien des points ? Sa méfiance si soudaine à l'égard du gouverneur n'était-elle pas tout bêtement le fruit de la jalousie maternelle, et de sa crainte de voir un jour son unique enfant quitter le nid ? Après tout, dans quelques mois à peine, Drago fêterait ses vingt ans…

Ce brusque rappel lui noua l'estomac : vingt ans déjà ! Il lui semblait qu'hier encore il voletait d'un bout à l'autre des couloirs du manoir sur son balai-jouet, Dobby à ses trousses pour prévenir toute chute…

« Mon bébé », souffla-t-elle tout bas, désolée de ne pouvoir retenir entre ses doigts le temps qui filait à toute allure.

Oui, il était normal que Drago cherche à se détacher d'elle. Normal, quoique douloureux.

Narcissa secoua la tête avec impatience : allons, inutile d'exagérer ! Son fils avait simplement partagé un moment entre hommes avec le gouverneur, il ne l'avait pas abandonnée ! Elle ne se rendait pas service en dramatisant ainsi les choses.

Il n'en restait pas moins que Drago changeait, elle le voyait bien. Il devenait adulte, sans doute, et cette transformation se déroulait loin de ses yeux de mère. Un jour, un jour prochain peut-être, il lui annoncerait qu'il la quittait pour vivre sa propre vie ; et que ferait-elle alors ? Passée de la maison de son père à celle de son mari puis exilée en compagnie de son fils, Narcissa n'avait jamais vécu seule. Maintenant qu'elle commençait à l'envisager, cette perspective la terrifiait.

Réflexe égoïste, se réprimanda-t-elle en cassant à la cuillère la coquille de son œuf. Le bonheur de Drago passait avant le sien. De toute manière, s'il quittait la maison, ce ne serait pas pour aller bien loin. Et puis, d'ici que cela arrive, peut-être que Douglas…

La cuillère suspendue au-dessus de son œuf décapité, Narcissa s'imagina quelques secondes en première dame de la Californie magique. On n'en était pas là, bien sûr, surtout avec Lucius qui freinait des quatre fers au sujet du divorce. Mais, un jour, pourquoi pas ? Avec le gouverneur pour beau-père, Drago aurait une bonne place garantie au sein de l'administration de l'État ; peut-être aussi une fiancée du meilleur sang, quoique américaine…

Cette rêverie la réconforta un peu, puis son regard tomba sur la pendule : dix heures passées. Son œuf était froid. Et Drago s'accordait une bien longue grasse matinée, lui qui n'était pas coutumier du fait. Narcissa se demanda si elle devait aller le réveiller, puis décida d'attendre : à presque vingt ans, on n'appréciait plus d'être tiré du lit par sa mère… Elle ferait mieux de profiter de sa solitude pour reprendre ses esprits. De plus en plus souvent, elle se surprenait à retourner dans sa tête un mélange de pensées nostalgiques et de craintes liées à l'avenir. Préoccupations féminines, aurait dit Lucius avec une compassion condescendante ; Bella, elle, en aurait ricané. Mais Narcissa n'y pouvait rien, bien que parfois elle se sentît sur le point d'exploser, ou plutôt de se noyer dans ce flot de ruminations. Il était hors de question d'en parler à Drago, naturellement. Se confier à l'une ou l'autre de ses connaissances moldues ne l'aurait guère soulagée : bien que dotées de la meilleure volonté du monde, la galeriste et ses semblables s'avéraient plus stupides les unes que les autres. Il restait bien Douglas, mais…

Narcissa planta sèchement sa cuillère dans le jaune de son œuf refroidi. Non, pas Douglas. Il avait pris bien assez d'ascendant comme ça sur elle, sur eux. Et, au fond, lui avait-il jamais confié quoi que ce soit de personnel, lui ? Narcissa avait assez fréquenté les hommes de pouvoir pour savoir qu'il était imprudent de leur dévoiler ses faiblesses avant d'être assuré de leur parfaite loyauté. D'ailleurs, il en avait certainement deviné bien assez long sur elle. Elle aurait tout de même bien aimé avoir quelqu'un avec qui partager ses doutes, songea-t-elle tristement en plongeant une mouillette dans son jaune coagulé.

Elle venait de terminer son œuf et s'apprêtait à attaquer les toasts quand Drago fit son apparition. L'étrange fatigue qui, la veille, lui cernait les yeux et l'avait envoyé au lit de bonne heure, était passée. Propre et net, il traversa la salle à manger d'un pas vif pour venir déposer un baiser sur la joue de sa mère.

« Bonjour, maman. »

Un discret parfum boisé remplaçait les senteurs de fumée et d'herbes aromatiques qui l'imprégnaient à son retour du Nónihokin.

« Bonjour, mon chéri. Tu as bien dormi ? »

Pendant le petit déjeuner, ils s'en tinrent à un bavardage superficiel, Narcissa évitant de poser à nouveau les questions auxquelles Drago n'avait pas répondu la veille, et ce dernier n'apportant de lui-même aucune information. Enfin, lorsque sa mère se tapota les lèvres avec sa serviette comme toujours avant de sortir de table, il ouvrit la bouche d'un air décidé :

« J'ai quelque chose à te dire. »

Narcissa se crispa. C'était exactement la phrase qu'avait prononcée Lucius, et sur un ton très semblable, avant de lui apprendre que le Seigneur des Ténèbres comptait s'installer au manoir avec eux. Aussitôt, elle eut envie de rire de sa sottise : Drago, lui, n'allait rien lui annoncer de tel. N'est-ce pas ?

« Le gouverneur m'a proposé un emploi. »

Veillant à conserver une parfaite maîtrise d'elle-même malgré son cœur qui s'emballait soudain, Narcissa posa lentement sa serviette sur la table.

« Quel genre d'emploi ? »

Pourquoi n'en a-t-il pas parlé hier ? Pourquoi avoir attendu cette drôle de cérémonie folklorique pour te le proposer ? Ou l'a-t-il fait bien avant que tu te décides à m'en parler ? Qu'est-ce que tu me caches d'autre ? Pourquoi tous ces secrets ?

Narcissa dissimula ces questions sous un sourire de façade. Drago pourrait facilement percevoir le trouble de son esprit, mais il n'userait pas de legilimancie contre sa propre mère. N'est-ce pas ?

« Assistant parlementaire. La représentante de l'État de Californie au MACUSA cherche à élargir son équipe. Douglas pense que j'ai les compétences pour me lancer en tant que débutant. »

Narcissa en resta sans voix. Assistant parlementaire ? Voilà qui sonnait bien prestigieux pour un jeune sorcier sans diplôme de deuxième cycle… Fût-elle déjà engagée dans une relation avec le gouverneur qu'on aurait taxé ce dernier de népotisme ; mais ce n'était même pas le cas.

« Et qu'en pense la représentante ? interrogea Narcissa d'un ton qu'elle voulait léger. C'est tout de même à elle que revient la décision, il me semble.

– Douglas n'est pas inquiet, répondit Drago. Ils s'entendent très bien, d'après lui. D'ailleurs, c'est sa belle-sœur. Tu le savais ? »

Non, Narcissa l'ignorait. Elle ne s'était guère intéressée à la politique fédérale, d'un fonctionnement trop éloigné de ce qu'elle connaissait. Et Douglas ne l'avait certes pas assommée de détails.

« En tant qu'assistant junior, l'essentiel de mes missions consistera à assister à des réunions, lire des dossiers, réaliser des synthèses, et cetera. Bien sûr, cela implique que je me rapproche de mon lieu de travail », enchaîna Drago.

Elle perçut sa tension soudaine. C'était maintenant qu'arrivait la véritable annonce, celle qu'il s'efforçait de préparer depuis qu'il avait ouvert la bouche pour dire autre chose que des banalités.

« Et où se trouvera-t-il ? demanda Narcissa puisque c'était ce qu'il semblait attendre d'elle.

– À New York », répondit Drago, lapidaire.

Soit à l'autre bout du pays. Narcissa encaissa le coup avec plus de facilité qu'elle l'aurait cru, sans doute parce qu'elle savait ce projet irréaliste dans l'immédiat.

« C'est une proposition très généreuse, reconnut-elle, et non dénuée de prestige. Nous devons l'examiner soigneusement. Il faut trouver un moyen de témoigner ton intérêt à Douglas et de faire en sorte qu'il te réserve la place, même si tu ne pourras pas l'occuper tout de suite.

– C'est pourtant ce qui est prévu », lâcha Drago sans la regarder.

Narcissa fronça les sourcils.

« C'est impossible, tu le sais bien. Pas avant juin prochain. »

Juin, et l'expiration du contrat qui les liait à cet odieux garçon dont Drago avait cru qu'il était son ami, le complice de l'abominable créatrice du Dermatophios – ce maléfice de malheur qui avait cloué Narcissa sur un lit d'hôpital pendant des semaines – Imelda Crabbe. Drago savait tout cela aussi bien qu'elle ; elle aurait cru inutile de le lui rappeler. Pourtant, voilà qu'il secouait la tête en signe de dénégation.

« Le contrat ne me concerne plus, maman », lui confia-t-il dans un murmure.

Narcissa le dévisagea sans comprendre.

« Au Nónihokin, il y avait une cérémonie, expliqua Drago. Il s'agit de ce qu'ils appellent un "rituel de seconde naissance" : le participant y devient un homme neuf et, d'après ce que m'en a dit Douglas, j'ai vite compris que ce n'était pas une métaphore. Alors j'ai saisi l'occasion. »

Il la gratifia d'un petit sourire espiègle, le sourire qu'il avait enfant, lorsqu'il lui avouait une bêtise qu'il s'agissait ensuite de cacher à Lucius.

« Douglas a accepté d'être mon initiateur, continua Drago. Je lui ai raconté à quel point j'avais envie de devenir membre de cette fascinante communauté… Il n'a pas été très difficile à convaincre : il a ses raisons de chercher à me faire plaisir, dit-il avec un petit rire, et les joues de Narcissa rosirent. Il s'est chargé d'obtenir l'accord des anciens, ou je ne sais quel titre on leur donne. Ils n'étaient pas ravis de dévoiler une partie de leurs secrets à un étranger mais Douglas est quand même le gouverneur, bien qu'il prétende qu'au Nónihokin c'est l'expérience et la sagesse qui priment… Bref, j'ai accompli le rituel. Je ne peux pas t'en raconter les détails mais c'est vraiment une forme de renaissance. J'ai même reçu un nouveau nom, tout aussi secret que le reste, termina-t-il d'un air amusé.

– Et tu penses que cela suffit à rompre le contrat ? fit Narcissa, dubitative.

– Je ne le pense pas, maman. Je le sais. »

Drago se pencha vers elle tel un conspirateur.

« Après la cérémonie, j'ai inventé un prétexte pour essayer la baguette de Douglas…

– QUOI ?! »

Les traits de Narcissa n'étaient plus qu'un masque horrifié, livide.

« Nous avons juré de n'utiliser à nous deux qu'une seule baguette à la fois, une seule, pour toute la durée du contrat, rappela-t-elle d'une voix tremblante. Nous l'avons juré sur notre vie !

– Exact. Et, comme tu le vois, je ne suis pas mort », répliqua posément Drago.

Narcissa secouait la tête, ébranlée par son imprudence.

« Tu aurais pu en mourir, chevrota-t-elle d'une voix rauque. Tu aurais pu…

– Je t'assure que non. Je suis un Malefoy, et les Malefoy ne prennent jamais de risque inconsidéré. »

Narcissa eut l'impression que des écailles tombaient brusquement de ses yeux. Ce n'était plus l'ombre de son petit garçon, cet adolescent jouant à l'adulte, qui se tenait devant elle, mais un homme sûr de lui, calme et résolu. Elle avala sa salive.

« Alors, hésita-t-elle, la limite des trois heures…

– Je n'y suis plus soumis non plus », confirma Drago d'un air satisfait.

Narcissa se sentait prise de vertige devant les possibilités offertes par cette incroyable nouvelle.

« Je vais aller m'acheter une baguette aujourd'hui même, annonça-t-il. Nous aurons enfin chacun la sienne à nouveau. Bien sûr, il faudra que tu patientes jusqu'à être toi aussi libérée du contrat, mais ce sera déjà beaucoup mieux. Tu ne trouves pas ?

– Je pourrais effectuer ce rituel, moi aus…

– Non ! » trancha Drago d'un ton sans réplique.

Saisie par la brutalité de sa réponse, Narcissa le dévisagea. Il lui sembla que son fils avait brusquement pâli ; mais, lorsqu'il reprit la parole, sa voix était détendue, légère :

« Douglas risquerait de se poser des questions. Et je pense que les anciens seraient beaucoup plus difficiles à convaincre, cette fois. »

Le regard de Narcissa se fit perçant : avant d'être une Malefoy, elle était une Black. Et les Black ne s'en laissaient pas compter.

« Oh, je ne dis pas qu'il faut le faire tout de suite, concéda-t-elle doucement. Mais, dans quelque temps, je pourrai expliquer que mon fils a su me convaincre de rejoindre la communauté. Qui cela étonnerait-il ? Quant aux anciens, ils doivent être comme les vieux membres du Magenmagot : il suffit de leur présenter les choses de façon à flatter leur orgueil. »

La mâchoire de Drago joua sous sa peau fine. Comme elle regrettait que Severus ne l'ait jamais initiée aux arts mentaux ! Même si quelque chose lui disait qu'en ce moment même, tous les boucliers de son fils étaient soigneusement dressés.

« Tu te débrouilles à merveille avec cette contrainte, objecta-t-il, et il ne reste que quelques mois… En voulant leur forcer la main, tu risques de mettre Douglas en difficulté. Ce serait dommage de le contrarier alors que vous vous entendez si bien…

– Drago, soupira Narcissa, tu oublies que je suis ta mère. Pourquoi ne pas me dire franchement ce que tu as en tête ?

– Je ne vois pas de quoi tu parles, marmonna-t-il en détournant le regard.

– Pourquoi ne veux-tu pas que je me libère du contrat ?

– C'est mon affaire ! Fais-moi un peu confiance, pour une fois ! » trancha sèchement Drago.

Sa colère la prit par surprise. Lucius aussi réagissait comme ça, parfois, quand les inquiétudes de Narcissa mettaient en doute le bien-fondé de ses décisions. Elle inspira profondément pour dissiper un brusque serrement de gorge. Drago dut percevoir sa détresse car il tendit la main à-travers la table et la posa sur la sienne en un geste de tendresse qui l'étonna.

« Fais-moi confiance, maman, répéta-t-il avec douceur. Tu ne le regretteras pas. »

lll

« Mr Hind ! Quel plaisir de vous revoir parmi nous ! »

Le chef du service des atteintes neurologiques et mentales de l'hôpital magique de Tirana était enchanté. Il se souvenait comme si c'était hier de l'arrivée du traqueur victime d'une attaque mentale si puissante qu'elle l'avait littéralement noyé sous les souvenirs parasites, jusqu'à lui faire perdre le sens de sa propre identité. Un cas fabuleux, peut-être le plus passionnant de sa carrière ; alors, le voir revenir à peine quelques mois plus tard !

Sur son lit d'hôpital, Rogue lui répondit par un vague grognement, signe qu'il ne partageait pas son enthousiasme.

« C'est un délire différent de la première fois, n'est-ce pas ? enchaîna le guérisseur avec entrain en consultant le dossier pendu au bout du lit. D'après ce qu'a noté le personnel de garde, à votre admission, vous manifestiez des hallucinations et des idées fixes. Vous étiez persuadé d'être attaqué par d'horribles reptiles magiquement modifiés et ne cessiez de réclamer qu'on vous dise comment ouvrir la porte, la fenêtre ou tout autre issue… Ah, quel dommage qu'on ne m'ait pas prévenu plus tôt ! soupira-t-il, déçu que la prise en charge du patient ait si vite réglé le problème. Enfin… Cette obsession pour les serpents et les ouvertures revêt-elle une signification particulière pour vous ?

– Oui, grinça Rogue à contrecœur.

– Voulez-vous la partager avec moi ?

– Non.

– Est-ce la présence de votre ami qui vous gêne ? Je suis sûr qu'il ne verra pas d'inconvénient à nous laisser seuls quelques minutes », suggéra le guérisseur plein d'espoir.

Rogue jeta un bref coup d'œil à Roman, assis dans l'unique fauteuil de la petite chambre. Le Hongrois était déjà là quand les potions et les charmes médicomagiques lui avaient rendu ses esprits, mais ils n'avaient pas eu le temps d'échanger trois mots avant l'irruption du guérisseur-en-chef.

« Sa présence ne me dérange pas plus que la vôtre, lâcha Rogue en reportant son attention sur ce dernier. Voudriez-vous nous laisser seuls ? Plus de quelques minutes, tant qu'à faire ?

– Votre ami s'est montré très évasif sur les circonstances de votre accident, insista le guérisseur sans se laisser démonter. Pouvez-vous me raconter ce qui s'est passé ?

– Cela ne revêt pas le moindre intérêt, étant donné que je suis guéri, éluda Rogue.

– Ça, c'est à moi de le dire, si vous êtes guéri, contra le guérisseur d'un ton aimable. Je ne m'y risquerai pas avant de savoir exactement de quoi il retourne.

– Dans ce cas, je serais ravi de vous signer une décharge de responsabilité, susurra Rogue.

– Il y a de la magie noire là-dessous, Mr Hind, déclara le guérisseur en agitant un index sévère. Nos tests sont formels et ils ne mentent pas. Vous jouez avec le Feudeymon en cachant des choses à vos médicomages. N'espérez pas me faire croire le contraire !

– Mes espoirs ne vous concernent ni de près, ni de loin, riposta Rogue, feutré. En outre, puisque vous n'êtes pas un agent de la force publique m'interrogeant dans le cadre d'une enquête, je ne suis pas tenu de vous répondre. »

À court d'argument, le guérisseur dut s'avouer vaincu.

« Comment voulez-vous que la recherche progresse si les sujets refusent de coopérer ? » ronchonna-t-il, déçu, en sortant la tête basse.

Une fois seuls, les deux chasseurs se livrèrent à une silencieuse bataille de regards que Rogue finit par perdre.

« Je m'en serais sorti tout seul, affirma-t-il d'un ton las devant le froncement de sourcils réprobateur de son équipier. J'avais juste besoin de temps pour reprendre des forces.

– De temps, et de cette potion que tu n'arrivais même pas à attraper ? releva Roman, sévère.

– J'aurais fini par réussir, s'obstina Rogue.

– Tu t'étais à moitié vidé de ton sang, John ! s'emporta le Hongrois. C'est par la potion de Régénération sanguine que j'ai dû commencer ! »

Roman était blême de fureur contenue, ce qui, à la connaissance de Rogue, ne s'était jamais produit.

« Tu as dû être très choqué, analysa ce dernier à mi-voix, à moins que ce soit ta seconde nature lupine qui s'exprime en ce moment… Greyback aussi était prompt à la colère… »

Roman ne se vexa pas. Il voyait clair dans le jeu de John : il essayait de noyer le poisson, comme disaient les Moldus.

« Une chance que tu aies apporté ta pharmacie avec toi, admit-il. Ça m'a permis de te stabiliser suffisamment pour te faire transplaner jusqu'à l'hôpital. »

Il émit une espèce de ricanement fataliste.

« D'après Alifair, te vider de ton sang est une habitude, chez toi… Je ne sais pas comment elle ne t'a pas encore arraché la tête !

– Tu n'as rien dit aux guérisseurs, reprit Rogue, éludant la remarque.

– Évidemment non. Enfin, le moins possible. Je doute qu'ils auraient prévenu les Aurors s'ils avaient su la vérité, mais, dans le doute…

– Qu'est-ce que tu faisais là-bas ? » l'interrompit Rogue.

Il commençait à peine à prendre la mesure de l'improbabilité de cette coïncidence, et Roman lui confirma aussitôt que ce n'en était pas une.

« J'ai pris un Portoloin de nuit, raconta-t-il après lui avoir parlé du coup de fil de Viesnaya. Ils sont plus directs mais j'ai quand même eu deux correspondances… Ensuite, j'ai passé pas mal de temps à te soigner dans cette horrible caverne…

– Comment es-tu entré ? le coupa de nouveau Rogue, soupçonneux. Le haut de l'escalier est barré par des sortilèges d'alarme.

– Tu l'as bien fait, toi, répliqua Roman.

– J'ai mes méthodes, déclara Rogue d'un air hautain. Je doute fort que tu utilises les mêmes. »

Roman haussa les épaules.

« J'avais visité cette grotte avec l'inspecteur Kelmendi quand elle était déjà sous scellés, tu te rappelles ? Je n'ai eu qu'à me servir de son triple mot de passe magique : il n'a pas été changé depuis le temps. J'ai eu de la chance. Donc tu as eu de la chance. »

Rogue eut le bon sens de ne pas contester ; en fait, il était trop occupé à assembler les pièces du puzzle afin de combler les derniers vides.

« Viesnaya…, murmura-t-il. Prévenue par Crickey, sans aucun doute… L'une ou l'autre en aurait-elle touché un mot au Ministre ?

– Je ne suis pas au courant des détails, répondit Roman. Officiellement, je ne suis même pas censé savoir pourquoi tu as été envoyé au Royaume-Uni. »

Le front soucieux, il se pencha en avant.

« Est-ce que ça valait la peine, John ? l'interrogea-t-il à voix basse. Quoi que tu aies fait dans cette grotte, est-ce que ça peut t'aider à retrouver Alifair ? »

Rogue resta silencieux. « Tout ce qu'il vous faut, c'est concentrer votre pouvoir de la façon adéquate pour lui faire faire ce que vous voulez. Le B.A. BA de la magie, en fait… Ce ne sont pas les effets qui comptent, mais la technique… Il vous faudra beaucoup, beaucoup d'énergie magique pour l'ouvrir, cette porte. » Ces paroles avaient hanté son délire ; maintenant encore, il les percevait aussi nettement que si elle avait murmuré à son oreille. S'il s'agissait véritablement d'émanations de son propre cerveau, eh bien, elles lui étaient plus sibyllines que les paroles d'un sphinx ! Dumbledore aurait su décoder l'énigme, il en était certain. Que n'aurait-il pas donné pour pouvoir lui parler juste quelques minutes ! Hélas, il ne pouvait compter que sur lui-même. Quoique… Y réfléchir avec Roman l'aiderait peut-être à la résoudre ?

« Je pense que… », commença-t-il sans trop savoir comment lui raconter son rêve pseudo-divinatoire sans passer pour un illuminé.

Il n'eut pas le temps d'en dire plus : deux coups secs furent frappés à la porte qui s'ouvrit aussitôt sur une femme grande et mince coiffée d'un strict chignon d'un blond de lune surmontant un visage dangereusement acéré.

« Stoya ? s'ébahit Rogue avant de tourner vers Roman un regard offensé. Tu l'as prévenue ?

– Je lui avais laissé un mot au cas où les choses tourneraient mal, répondit le Hongrois sans la moindre gêne. Finalement, je n'ai pas jugé utile de démentir, j'ai juste déposé un autre message près de l'entrée de la caverne, pour qu'elle sache où nous trouver. Je me suis dit qu'à force de couvrir tes bêtises, on t'avait conforté dans l'idée que tu pouvais impunément faire n'importe quoi, et qu'il était temps que ça cesse.

– Tu as eu parfaitement raison, Romi », déclara Stoya, les narines étrécies tel un bec d'oiseau, ses yeux saphir lançant des éclairs.

Rogue leva les siens au ciel en poussant un soupir agacé.

« Je fais ce que j'ai à faire pour accomplir la mission qui m'est confiée, siffla-t-il, irrité. Au bout d'un moment, il faudrait savoir ce que tu veux !

– Je crois que ce que Stoyanka Branimirova voudrait, Mr Hind, c'est que vous en référiez à votre hiérarchie avant de prendre ce genre d'initiative », intervint une voix douce teintée d'amusement.

Rogue failli s'étrangler en voyant la petite sorcière délicate aux cheveux couleur miel entrer derrière Stoya, suivie d'une elfe de maison aux grands yeux mordorés, un sorcier noir de haute taille, très élégamment vêtu, fermant la marche.

« Content de te voir, Lari, salua chaleureusement Roman. Vous avez fait vite.

– Madame Branimirova, je présume ? dit Kingsley de sa voix profonde en s'inclinant légèrement devant une Stoya stupéfaite. Ravi de faire enfin votre connaissance.

– Crickey vous avait dit que cela finirait mal ! » sermonna l'elfe qui s'était rapprochée du lit pour en lisser les draps.

On aurait pu croire que le ciel venait de tomber sur la tête de Rogue. Il ne comprenait plus rien. C'était comme si ses deux identités se télescopaient sous ses yeux. Comment était-il censé gérer cela en plus d'un sauvetage a priori impossible ?

« Vous oubliez que vous n'êtes pas seul au monde », lui glissa alors une voix narquoise. En contemplant les gens réunis dans sa chambre d'hôpital, il commençait soudain à comprendre…


Et vous, vous y comprenez quelque chose ?