Après un grrros passage à vide, me revoici enfin ! Entre les vacances puis la rentrée, les bugs de ffnet et le manque de motivation, j'ai eu du mal à me remettre à écrire... jusqu'à ce que ce soit le moment. Merci à vous si vous avez eu la patience d'attendre !
Eudore : Très bien, merci ! J'espère que le délai d'attente n'a pas découragé tout le monde... Merci pour ta review en tout cas, c'était le petit coup de fouet dont j'avais besoin :)
Si vous avez oublié où nous en sommes (depuis le temps, je ne vous en voudrais pas ^^) : Alifair est toujours prisonnière d'un étrange monde parallèle où elle a rencontré Sirius Black et une jeune femme muette surnommée Eurydice ; Rogue s'est rendu dans la grotte maléfique du lac Prespa pour y accomplir un rituel de magie noire destiné à trouver un moyen de ramener Alifair ; Crickey, Kingsley et Viesnaya ont alerté Roman qui est allé voir ce que trafiquait Rogue et l'a amené à l'hôpital magique de Tirana où tout le monde se retrouve finalement, avec Stoya en prime (mais sans Alifair, bien entendu).
Chapitre 17
La pyramide
C'était une chance que Mrs Figg n'ait pas déménagé. Ce n'était pas l'envie qui lui manquait, pourtant : depuis le départ définitif du jeune Potter, elle n'avait plus vraiment de raison de demeurer à proximité de Privet Drive, ni même à Little Whinging, d'ailleurs. Mais, pour déménager, il fallait de l'argent, surtout quand on tenait à vivre dans une maison avec jardin ; et, de l'argent, Mrs Figg n'en avait guère. Oh, bien assez pour assurer sa subsistance et celle de ses nombreux bébés, bien sûr, mais pas de quoi mener la grande vie. Pourtant, que deviendraient-ils, ses précieux pensionnaires, si elle les emmenait habiter dans un minuscule appartement sans même un bout de terrain pour se dégourdir les pattes ? Ils dépériraient, pour sûr, ils deviendraient fous et leur progéniture, invendable ; et alors, elle n'aurait plus d'argent du tout. Non, décidément, elle resterait à Wisteria Walk jusqu'à ce que sonne l'heure de la retraite, voire plus longtemps car, en admettant qu'elle mette fin à son commerce de félins hybrides, elle n'abandonnerait tout de même pas ses chers matous et ses Fléreurs adorés quoique vieillissants !
L'existence était cependant devenue bien calme maintenant qu'il n'y avait plus de garde à monter, trop calme à son goût. Non que la vie ait été palpitante pendant les nombreux mois que le jeune Potter avait passés à Poudlard chaque année ; mais les vacances d'été donnaient toujours à Mrs Figg un petit frisson de peur et de plaisir anticipés. Avec le temps et la montée en puissance des forces du Mal, la peur s'était accrue au détriment du plaisir, certes… mais, au moins, c'était quelque chose. Cela l'avait amenée jusque devant le Magenmagot, tout de même ! Son heure de gloire, bien qu'elle ne s'en soit pas brillamment tirée. Le dix-septième anniversaire du garçon avait marqué la fin de la mission de Mrs Figg ; bien qu'elle ait continué à frissonner pendant toute la durée de la guerre, les choses n'étaient déjà plus les mêmes. Après les festivités de la victoire, le train-train avait repris, confortable et rassurant, mais tellement ennuyeux parfois !
Aussi, quand on avait sonné à sa porte en pleine nuit, Mrs Figg n'avait-elle été que modérément contrariée d'être ainsi tirée du lit : ce n'était pas une heure pour s'inviter chez les gens sans prévenir, mais cela faisait si longtemps qu'elle ne recevait plus de visites… Sa curiosité grognonne s'était muée en stupéfaction quand, sur le pas de la porte, elle découvrit le Ministre de la Magie en personne, escorté d'une elfe de maison et d'un joli brin de sorcière à l'accent étranger. Ça, par exemple !
« Chère Arabella, je suis absolument navré de surgir ainsi à l'improviste, s'était excusé Shacklebolt en s'inclinant galamment devant elle. Vous risquez de me trouver sans-gêne, mais j'ai besoin de votre aide.
– Monsieur le Sinistre, je suis à votre versice… heu, à votre service », avait bafouillé une Mrs Figg rougissante – elle avait toujours été sensible au charme de Kingsley.
Ce n'était pas tant d'elle que le Ministre et ses étranges amies avaient besoin, que de son téléphone. Ils attendaient en effet un appel important qu'ils ne pouvaient recevoir ailleurs.
« Il faut vraiment que nous trouvions un moyen d'équiper le ministère, soupira Kingsley une fois installé dans l'un des fauteuils de chintz du salon de la vieille Cracmole, tout imprégné d'une odeur de chou, un gros chat tigré répondant au nom de Pompon IV ronronnant sur ses genoux. Nous ne pouvons pas vous déranger chaque fois que nous devons utiliser les communications moldues.
– Ça ne me dérange absolument pas », assura Mrs Figg en leur servant l'espèce d'eau de vaisselle tiédie qu'elle appelait du thé.
Le frisson d'autrefois était de retour, picotant son échine d'une excitation mêlée de curiosité. Dans quelle nouvelle aventure allait-elle se trouver plongée ?
« C'est une chance qu'à l'époque de l'évasion de Sirius Black, vous ayez accepté de faire office de standard du Bureau des Aurors, reprit Kingsley. Nous avions diffusé le numéro d'Arabella auprès des Moldus, pour qu'ils puissent nous prévenir si jamais ils apercevaient Sirius, précisa-t-il à l'adresse de ses compagnes. Elle était chargée de répondre si le téléphone sonnait en dehors de nos horaires de permanence et de nous transmettre les messages. Pas très régulier mais nous n'étions pas assez nombreux pour couvrir toutes les plages horaires. Ce fut une période agitée… »
Il consulta du regard Mrs Figg qui hocha la tête avec véhémence en secouant ses bigoudis.
« Oh, ne m'en parlez pas ! Ça n'arrêtait pas de sonner, à croire que ce pauvre Black avait des sosies dans tout le pays… Mais je dois dire que ça me faisait de l'animation, et puis j'ai rencontré du monde avec tous ces Aurors qui se succédaient pendant les heures de permanence : Robards, Savage, Dawlish, la petite Tonks… et vous, bien sûr, monsieur le Ministre.
– Ce sera beaucoup moins pénible cette fois, promit Kingsley. Nous aimerions juste pouvoir rester quelques heures, peut-être une journée tout au plus… Nous nous relaierons près du téléphone et nous nous ferons tout petits, vous ne remarquerez même pas que nous sommes là.
– Allons donc ! se récria Mrs Figg. Je peux très bien prendre le message et vous le faire passer, inutile de perdre votre temps à faire le pied de grue.
– C'est très gentil de votre part mais je préfère éviter les intermédiaires, objecta Kingsley d'une voix douce. Il s'agit d'une affaire compliquée et diplomatiquement sensible… Je vous le dis parce que je sais que vous garderez le secret », précisa-t-il d'un air entendu.
La confiance du Ministre fit monter le rose aux joues fripées de Mrs Figg.
« Comme vous voudrez, céda-t-elle de bon gré. Je vais vous donner de quoi dormir sur le canapé, l'appareil est juste à côté. La sonnerie vous réveillera même si vous dormez à poings fermés, c'est moi qui vous le dis. Celui ou celle qui sera là à l'heure du petit déjeuner aura droit à son assiette d'œufs au bacon, et à midi ce sera saucisses-purée. Vous pouvez rester aussi longtemps que vous voudrez, il n'y a aucun problème, vraiment. »
À choisir, elle aurait préféré que Kingsley soit le seul à rester, mais le Ministre avait certainement bien autre chose à faire qu'attendre près du téléphone.
« Je vais prendre le premier tour de garde, dit la petite sorcière étrangère. Je commence les cours à dix heures le vendredi matin, cela me laissera le temps de me préparer.
– Crickey viendra vous relayer, enchaîna l'elfe. C'est une chance que vous vous soyez souvenu du numéro, monsieur le Ministre.
– Il est resté gravé dans ma mémoire, sourit Kingsley. C'est surtout une chance que j'y aie pensé avant que Roman Farkas ait raccroché », glissa-t-il à la sorcière.
Après le départ de l'elfe et du Ministre, l'étrangère aida Mrs Figg à transformer le canapé en lit de fortune et s'y glissa sans se montrer nullement incommodée par l'odeur de chou et la profusion de poils de chat. Mrs Figg, quant à elle, regagna son propre lit où elle resta longtemps éveillée, guettant la sonnerie du téléphone. Quel mystérieux message le Ministre attendait-il, si important et secret qu'on ne pouvait en confier la réception qu'à quelques rares élues ? Quoique n'en faisant pas partie, Mrs Figg était flattée qu'il se soit tourné vers elle, flattée aussi qu'il ait retenu son numéro de téléphone depuis la lointaine époque de l'affaire Sirius Black. Dire que, si elle était allée vivre sur l'île de Wight comme elle en rêvait, le pauvre Shacklebolt aurait trouvé porte close… Vraiment, c'était une chance qu'elle n'ait pas déménagé.
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« Je les ai appelés dès que John a été pris en charge, expliqua Roman à Stoya. C'est vous qui m'avez répondu, je crois ? demanda-t-il à Crickey.
– En effet, Monsieur, confirma-t-elle. Crickey venait juste de finir le petit déjeuner préparé par Mrs Figg – Crickey se félicite que cela soit tombé sur elle, car l'estomac des elfes est plus résistant que celui des sorciers, précisa-t-elle en réprimant une grimace. Elle a tout de suite transmis le message au Ministre et au professeur Viesnaya.
– Il nous a fallu du temps pour nous organiser, enchaîna Kingsley. J'ai dû inventer quelques excuses, reporter un ou deux rendez-vous, rien de bien grave… Et tant que le brave Weasley n'aura pas mis son nez de réformateur dans les dépenses du Ministre, je pourrai encore affréter comme bon me semble des Portoloins spéciaux, conclut-il avec un sourire.
– Miss Faraday a bien voulu surveiller à ma place le devoir blanc de Défense contre les forces du Mal des quatrième années, indiqua Viesnaya. J'ai promis à Minerva que ce serait la première et la dernière fois. Nous nous sommes manqués de peu, figurez-vous, dit-elle à Stoya. Le Portoloin nous a déposés à quelques mètres de l'hôpital et, quand nous nous sommes présentés à l'accueil, nous vous avons vue disparaître dans l'escalier.
– Quelle délégation, observa Stoya avec un regard en biais à Rogue. Décidément, John, tu as le don de fédérer les énergies… Mais était-il indispensable de vous déplacer en personne, monsieur le Ministre ? Non que je ne sois pas ravie de vous rencontrer, bien sûr, et je me doute que vous êtes ici incognito, mais…
– Cette affaire me tient à cœur, expliqua Kingsley. Si Ro… John s'est mis en danger pour la résoudre, je peux bien consentir l'effort de bouleverser mon emploi du temps pendant quelques heures afin de savoir où nous en sommes. Es-tu assez remis pour nous faire un topo, John ?» lui demanda-t-il.
En dépit de l'intense surprise provoquée par cette succession d'arrivées impromptues, Rogue avait retrouvé un visage impassible. Aux mots de Kingsley, ses lèvres minces s'étirèrent en un rictus sardonique.
« Vous faire un topo, répéta-t-il, feutré. Vous parlez comme un Auror, monsieur le Ministre.
– Tu sais ce qu'on dit : Auror un jour, Auror toujours, repartit Kingsley. Laissons tomber le formalisme et venons-en tout de suite au vif du sujet, tu veux bien ? »
C'est alors que Rogue la remarqua : la même expression décidée, énergique, sur les visages de Shacklebolt, Stoya, Roman et Viesnaya. Deux traqueurs, une ancienne du TNT et un ex-Auror : tous, comme lui, ils étaient des chasseurs ; pas dépourvus de jugeote, loin de là, mais prompts à agir quand le moment était venu. Seule Crickey détonnait un peu, et encore : son air farouche trahissait sa résolution, et Rogue savait qu'elle ne manquait pas de courage. Puisqu'il ne pouvait mener ce sauvetage tout seul, il n'aurait pu rêver meilleure équipe.
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Surtout, ne pas désespérer. C'était plus facile maintenant qu'elle avait de la compagnie, même si savoir que Sirius était coincé là depuis plus de trois ans n'était pas tellement réconfortant. Ça allait aussi mieux depuis qu'elle dormait au chaud et au sec – grâce à une substance suspecte probablement radioactive qui finirait par avoir leur peau – et qu'elle mangeait à peu près à sa faim – encore que, le premier émerveillement passé, la nourriture locale s'avérât globalement peu ragoûtante. Quant aux carences alimentaires, elle préférait ne pas y penser.
« T'as pris des goûts de luxe, ma vieille », se taquina-t-elle en pataugeant dans une flaque.
Quand il ne s'agissait pas de colmater les fuites de leur hutte, de ravauder leurs haillons ou de fabriquer des ustensiles en joncs tressés, ils consacraient l'essentiel de leur temps à la recherche de nourriture : autant dire que les jours tendaient à se ressembler. Mine de rien, toute cette activité les maintenait en forme tout en les empêchant de trop ruminer. Explorer l'environnement en quête de denrées comestibles les amenait parfois à tomber sur des trucs utiles comme ces récipients en nacre qui ressemblaient à des coquilles géantes, d'autres plaquettes de métal radioactif, ou encore une espèce de boue bien particulière, noirâtre avec des reflets orange, du genre qui n'inspire vraiment pas confiance : quand on l'étalait en couche fine sur le seuil de l'abri pour la faire sécher, elle devenait aussi dure que de la caillasse. On pouvait alors la polir pour en faire des sortes de couteaux ou de haches, bien pratiques pour découper ces saletés de joncs barbelés qui formaient leur ordinaire. Le problème, c'est que ces outils rudimentaires avaient une durée de vie très limitée, et que la boue nécessaire à leur fabrication se faisait de plus en plus rare. Une ressource non renouvelable, en somme.
« Vous n'avez jamais essayé d'en fabriquer ? s'était étonnée Alifair.
– Comment ça ? avait répliqué Sirius en ouvrant de grands yeux.
– Ben, je ne sais pas, vous pourriez mélanger de la boue ordinaire avec d'autres trucs pour voir ce que ça donne…
– Quoi comme trucs ?
– Vous n'avez pas remarqué si un type de plante particulier poussait autour de cette boue-là ? Ou s'il y avait des bestioles pas loin ? Ça pourrait être un début de piste, suggéra-t-elle. Sinon vous pourriez essayer de voir si elle conserve ses propriétés quand on la dilue, ça permettrait déjà de faire durer un peu plus vos réserves. Et une fois que les outils sont cassés, est-ce qu'il n'y a pas moyen de faire revenir la matière première à son état initial pour la remodeler ensuite ? Un genre de recyclage, vous voyez ? »
Le haussement d'épaules de Sirius lui confirma qu'il n'avait pas l'âme d'un expérimentateur. Alifair s'était donc saisie de la question en tâchant de faire fondre quelques vestiges de hachette ébréchée mais, malgré l'assistance enthousiaste d'Eurydice, ses premières tentatives n'avaient rien donné. Sirius affichait un air désapprobateur en les regardant mettre à tremper les éclats ramollis dans divers liquides – eau, boue violette, lymphe de pseudo-sangsue, jus de pseudo-fruit doré et autres – qu'elles faisaient bouillir sur la plaque de seuil.
« Ça ressemble beaucoup à un cours de potions, tout ça », avait-il bougonné.
Devant l'absence de toute avancée scientifique, et comme il en avait plus qu'assez de se déchirer les mains sur les tiges barbelées des joncs, Sirius décida finalement de fouiller plus en profondeur les marécages afin de découvrir un hypothétique gisement de boue noire pétrifiable. Les filles l'accompagnaient, Eurydice parce qu'elle espérait collecter en chemin un maximum de provisions de bouche, Alifair pour donner un coup de main, et aussi parce que tout valait mieux que rester seule en arrière à gamberger.
Bas sur l'horizon, le soleil rougeoyait telle une veilleuse infatigable : la Moldue en venait à se demander s'il ne fonctionnait pas à l'énergie atomique, lui aussi. Le barrissement lointain des lagopèdes la faisait sursauter de temps à autre ; on aurait dit l'un des tyrannosaures de Jurassic Park qui aurait pris la foudre. Terrifiant.
« Ils sont loin, lui assura Sirius après avoir surpris du coin de l'œil l'un de ses bonds de frayeur. Et de toute manière, ils ne s'intéressent pas à nous. »
Eurydice ramassait des vers de vase qu'elle glissait vivants dans la besace en joncs passée à son épaule : les bestioles s'y tortilleraient mollement jusqu'à mourir desséchées, prenant alors l'apparence – mais pas le goût – de bâtons de réglisse violacés. Sirius scrutait les flaques, à l'affût de la bonne couleur de boue, mais pour l'instant aucune ne retenait son attention. Alifair peinait en arrière : elle n'était pas aussi habituée que les deux autres à tant d'efforts dans un air raréfié. Et en plus, elle avait mal au bide. C'est que le temps passait bel et bien sous ce soleil suspendu ; si son horloge biologique ne s'était pas déréglée, on devait être aux alentours du 16. Tant de jours passés depuis son arrivée ici, et si lentement pourtant !
Eurydice lui avait montré comment utiliser la mousse bleue pour contenir le flux mais Alifair n'était tout de même pas très tranquille en avançant derrière la jeune femme dont la tresse grise se balançait à chaque pas. Que sa protection de fortune se mette à fuir ne serait qu'un moindre mal ; ce qu'elle redoutait surtout, c'est que toutes les pseudo-sangsues et autres bestioles hématophages des environs, par l'odeur alléchées, décident de faire d'elle leur quatre-heures. Elle aurait peut-être mieux fait de rester au camp, ruminait-elle, le souffle court, une main pressée sur son ventre douloureux ; elle aurait poursuivi ses expériences sur la boue noirâtre et…
Tout-à-coup, Eurydice disparut dans le sol. Elle marchait à quelques mètres devant Alifair quand, avec un petit cri de surprise, elle se volatilisa, comme tombée dans un trou. La Moldue se précipita, aussitôt rejointe par Sirius, alerté par le cri.
« Qu'est-ce qui s'est passé ? Où est Eurydice ? » la pressa-t-il.
Alifair baissa les yeux vers le sol à ses pieds. Une crevasse s'était ouverte dans le terrain spongieux du marécage. Une eau violette dégoulinait le long de ses parois boueuses, instables, tandis qu'une puanteur écœurante s'en échappait, si forte qu'ils en eurent la nausée. Eurydice gisait au fond, étendue sur un tapis bosselé de cailloux bourbeux.
« Ça va ? » lui cria Sirius.
La jeune femme répondit par un faible gémissement. Elle n'était pas tombée de bien haut mais elle semblait sonnée, incapable de se relever. Elle avait dû se cogner la tête contre un caillou, jugea Alifair.
« Je descends te chercher », décida le sorcier.
Ni une ni deux, il se laissa glisser jusqu'au fond du trou. À la façon dont la terre humide cédait sous son poids, Alifair se dit que la remontée ne serait pas une mince affaire. Presque aussi maculé de vase mauve à l'odeur de pourriture qu'Eurydice, Sirius se pencha sur elle pour l'aider à se relever. La jeune femme gémit à nouveau, puis poussa un cri perçant.
« Elle est blessée ? » s'inquiéta Alifair sans oser s'approcher trop près du trou de crainte que le rebord s'affaisse.
Sirius ne répondit pas tout de suite : il s'était accroupi près d'Eurydice pour examiner sa jambe. La Moldue l'entendit jurer tout bas.
« Quelque chose s'est planté dans son mollet ! lui cria-t-il. On dirait un morceau de bois ou… »
Il s'interrompit brusquement et se mit à fouiller le sol autour d'eux. Pendant une poignée de secondes, Alifair crut qu'il venait de découvrir un trésor, ressource miraculeuse voire issue de secours de cet univers déliquescent : quelle autre raison aurait donc pu le détourner de sa compagne blessée ? Puis…
« Par les yeux de la Gorgone ! »
Ça, c'était un juron qu'elle n'avait jamais entendu. Momentanément distraite de sa douleur, Eurydice se mit elle aussi à creuser dans la boue pour en déterrer des cailloux aux formes étranges, tout encroûtés de glaise violette.
« Qu'est-ce que c'est ? » s'impatienta Alifair, à deux doigts de les rejoindre – mais alors, qui les hisserait hors du trou quand ils voudraient remonter ?
Sans mot dire, Sirius lança quelques cailloux hors de la fosse afin que la Moldue puisse les examiner. Sous la couche de boue, ils étaient d'un blanc sale, jauni. Plutôt que des cailloux, ils évoquaient des morceaux brisés de quelque chose ; il y avait aussi une fine tige un peu courbe, et une espèce de boule avec des trous qui ressemblait à… Alifair, qui retournait l'objet entre ses mains pour l'observer sous toutes les coutures, le lâcha dans un sursaut.
« Oh, putain de merde ! Est-ce que c'est ce que je crois ? »
Sirius consulta Eurydice du regard avant de hocher la tête d'un air sombre.
« Il y en a plusieurs autres, indiqua-t-il en montrant le fond de la crevasse autour de lui. Je ne saurais dire combien. »
Alifair s'agenouilla et tendit la main vers l'objet qui avait roulé au sol pour le redresser. Remis dans le bon sens, sa nature sautait aux yeux : il s'agissait d'un crâne. Un crâne humanoïde. Et très petit.
« Ce sont des enfants, disait Sirius. Enfin, c'étaient. Pour ce que j'en vois, bien sûr, mais… Ces crânes, ces petites côtes… C'étaient des enfants. »
Sa voix naturellement rauque était devenue rocailleuse : il était sous le choc. Alifair ne comprenait pas. Comment des enfants avaient-ils pu arriver là ? Étaient-ils tous tombés dans cette fosse ? Les y avait-on enterrés ? Mais qui ? Et pourquoi ? Prise de pitié à l'idée du calvaire qu'ils avaient dû endurer dans cet enfer, elle saisit à nouveau le petit crâne entre ses mains, doucement, comme s'il s'agissait d'un objet aussi précieux que fragile… et remarqua plusieurs anomalies. Les orbites, pour commencer : la Moldue était loin d'être une pointure en anatomie mais elles lui paraissaient énormes pour un si petit crâne. D'ailleurs, la forme générale n'était pas exactement celle d'un crâne humain, lui semblait-il. La mandibule manquait mais quelques dents restaient accrochées à la mâchoires supérieure : à la place où aurait dû se trouver la canine gauche, il y avait une dent carrée identique aux autres molaires. Et ces deux petits trous de chaque côté du crâne, ce devait être ceux des oreilles, quoiqu'ils lui parussent placés très haut… Ce pauvre enfant avait dû présenter de bien curieuses malformations, se dit-elle en essayant d'imaginer le résultat. Ou alors…
« Ce n'était pas un être humain », comprit-elle d'un coup.
Alifair bondit sur ses pieds et se pencha au-dessus de la crevasse.
« Sirius, celui-ci n'était pas humain ! cria-t-elle en brandissant le crâne qu'elle tenait toujours à la main. Je pense… je pense que c'était un elfe ! »
Cela lui semblait évident, à présent : la taille des os, l'emplacement des oreilles, les yeux immenses, les petites dents uniformément carrées… Ce crâne aurait pu être celui de Crickey, pensa-t-elle, et son cœur se serra.
« Je crois que vous avez raison, s'écria Sirius. Les autres aussi étaient peut-être bien des elfes. »
Ça n'éclaircissait pas le mystère, cependant. Sans compter que cette macabre découverte ne résolvait en rien leur situation présente. Cimetière ou charnier, il fallait tirer Eurydice de là.
« Tu vas grimper sur mon dos, décréta Sirius qui était parvenu à la même conclusion. La pente n'est pas très longue, ça devrait aller », assura-t-il d'un ton léger.
La pente n'était pas longue, en effet, mais elle était raide. Et, si le poids d'Eurydice avait suffi à faire s'effondrer le toit de cette crevasse, quelque chose disait à Alifair qu'un Sirius lesté d'une passagère n'avait pas fini d'y retomber.
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Après avoir brièvement résumé les déductions qui avaient suivi l'examen attentif du dispositif retrouvé sur le lieu de la disparition de la Moldue, Rogue ne s'étendit pas sur ce qui s'était passé dans la grotte, préférant se concentrer sur les résultats de son opération secrète.
« La magie est une énergie, professa-t-il, adossé aux oreillers de son lit d'hôpital, sa petite cour de visiteurs en demi-cercle autour de lui. Nous devons trouver le moyen de manipuler cette énergie de manière à créer un passage vers l'autre monde où se trouve notre cible. Un banal sortilège d'Apparition ne conviendrait pas. Il est probable que la magie conventionnelle des sorciers ne conviendra pas non plus : elle est trop policée, pas assez brute.
– Tu n'es pas en train de nous dire que tu comptes encore utiliser la magie noire, n'est-ce pas, John ? » intervint Stoya d'un ton menaçant.
Les commissures des lèvres de Rogue frémirent.
« Il existe de nombreuses formes de magie, Stoya, tu es bien placée pour le savoir, répondit-il posément. En fait, je pense qu'à nous tous, nous en possédons un assez large échantillon : magie des Vélanes, magie des elfes, chant magique, magie mentale et… »
Il lança un regard interrogateur à Viesnaya et Kingsley.
« Si tu parles de formes de magie exotiques, releva le Ministre, je maîtrise certaines techniques égyptiennes et soudanaises pour jeter des sorts sans baguette. Elles sont anciennes, certains diraient même archaïques, mais elles ne manquent pas de puissance.
– Pour ma part, j'étudie la magie des runes et celle des pierres, indiqua Viesnaya. Sur mon temps libre, naturellement. C'est une sorte de hobby.
– La magie des pierres, répéta Roman, songeur. Irina m'en a parlé – le professeur Thorvaldsen – mais je croyais que c'était une superstition…
– Oh, il ne s'agit pas d'une magie à proprement parler, précisa Viesnaya, bien que certaines personnes prêtent aux pierres des vertus qu'elles sont loin de posséder. Comme le sel fait ressortir le goût des autres aliments, une pierre bien choisie peut accentuer l'effet d'un sortilège donné. Si on la double d'une rune, l'effet est d'autant plus puissant. »
Elle leva sa main gauche où brillait un diamant et tout le monde put voir, gravée sur l'une des facettes et soulignée d'un filet d'or, Uruz, la rune de la force et de l'abondance.
« Excellent. Tout surplus de puissance sera le bienvenu, murmura Rogue en repensant aux paroles de son rêve : il vous faudra beaucoup, beaucoup d'énergie magique pour l'ouvrir, cette porte.
– Mais, Monsieur, objecta alors Crickey, pour que cette variété de formes de magie ait l'effet escompté, il faut qu'elle soit dirigée par une intention commune et très précise. C'est ce qui se produit, par exemple, lorsque plusieurs sorciers exécutent simultanément un même sortilège. Nous, en revanche, nous ne disposons pas d'une formule magique pour unifier nos efforts.
– C'est juste, approuva Stoya. Nous avons besoin d'un vecteur commun, sinon l'énergie magique risque de se dissiper en pure perte. »
Rogue demeura sans réponse. La remarque était pertinente, pourtant, et il s'en voulut de ne pas y avoir pensé lui-même. Bien sûr qu'il fallait un vecteur ! Tout ce qu'il vous faut, c'est concentrer votre pouvoir de la façon adéquate pour lui faire faire ce que vous voulez : cela voulait bien dire ce que ça voulait dire. Mais si baguettes et formules s'avéraient inadaptées, comment devait-il s'y prendre ?
« Peut-être qu'il ne s'agit pas d'additionner nos forces… »
Tous les regards convergèrent vers Roman qui venait d'émettre cette idée d'une voix rêveuse, comme s'il était perdu dans ses pensées. Lorsqu'il prit conscience de l'attention dont il faisait l'objet, il se frotta la barbe d'un air gêné et entreprit de s'expliquer :
« Nous parlons de formes de magie de natures différentes. Certaines sont avant tout de l'énergie orientée, et d'autres une orientation donnée à l'énergie. Je sais que ce n'est pas très clair, reconnut-il avec un sourire d'excuse. Si je prends le chant magique, par exemple, il s'agit de libérer une forte quantité d'énergie à laquelle on donne une orientation générale : pour soi ou pour autrui, pour soulager, renforcer, réconforter, ou au contraire angoisser ou perturber. C'est le contraire en ce qui concerne la magie mentale, qui requiert une puissance réduite mais beaucoup de précision – je parle sous ton contrôle, John. Peut-être que nous devrions concevoir ça comme une pyramide, avec à la base les formes productrices d'énergie et ensuite les formes directrices, la plus précise au sommet. »
Un silence perplexe suivit ces paroles. Puis Viesnaya se mit à rire.
« C'est extraordinaire, Romi : on dirait presque la réplique inverse de la pompe à magie qui a expédié Miss Blake vers cet autre monde ! Vous ne trouvez pas, Mr Hind ? »
Rogue réfléchit. La pompe fonctionnait selon un principe d'extraction massive suivie d'une orientation précise – le sortilège de Disparition, en l'occurrence. Quasiment ce que proposait Roman, en effet, à ceci près qu'il s'agissait de produire de l'énergie magique, et non de siphonner celle qui existait déjà.
« Sur le plan théorique, il me semble que ton raisonnement se tient, poursuivit Viesnaya. Je pense que ça peut marcher.
– Je vois mal à quoi pourrait ressembler concrètement ce dispositif, mais ça vaut le coup d'essayer, renchérit Kingsley. Si vous pensez pouvoir l'élaborer en moins de cinq heures, ajouta-t-il après un coup d'œil à sa montre. J'ai quelques obligations que je n'ai pas pu déplacer.
– Je crois, intervint Stoya, le front plissé par la concentration, que nous gagnerions à complexifier la pyramide. Si nous prenons les deux formes les plus pourvoyeuses en énergie magique, le chant et la magie vélane, nous pourrions les renforcer par la magie des runes et des pierres, faible en orientation et en intensité…
– Ce qui permettrait à monsieur le Ministre de récupérer cette énergie pour alimenter ses méthodes africaines ancestrales, enchaîna Rogue, le cœur battant. J'imagine qu'elles requièrent une forte concentration mentale, à laquelle je pourrai aider directement par legilimancie. Mais pour ce qui est de la magie des elfes…
– Ne vous en faites pas pour cela, Monsieur, dit Crickey. La magie des elfes est à la fois très puissante et très précise, elle pourra parfaitement se nourrir de l'énergie libérée et suivre la direction définie par le reste de l'équipe. »
Le nez en l'air, l'elfe parcourut de ses grands yeux les visages des personnes rassemblées autour d'elle dans cette chambre d'hôpital : trois sorciers et trois créatures magiques – car Mr Farkas était un loup-garou à présent –, trois mâles et trois femelles, des dirigeants et des exécutants, des amis de longue date et d'autres qui se connaissaient à peine. Elle sourit.
« Miss Alifair serait très fière de nous », déclara-t-elle, les larmes embuant ses prunelles pailletées d'or.
Et voilà, nous avons cinq heures pour ramener Alifair avant de mettre Kingsley en retard ! Bon, il m'en faudra bien davantage pour écrire...
À plus ou moins bientôt pour la suite !
