Hey !
J'ai pu profiter de mes vacances pour finir de corriger les derniers chapitres qu'il me restait tout le coude. Je vais essayer de poster tout ça vite (y arriver, c'est une autre question), mais si tout va bien, 2025 verra la fin de cette fanfic !
(Ca va faire bizarre de lâcher définitivement mes bébés. Bouuh.)
Merci à Ya pour sa relecture, et bonne lecture.
Une lente et douloureuse fatigue
Asra
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Sortir le scotch, fermer le coli. Couper. Recommencer. Vérifier ses stocks. Les enveloppes tapissées de papier à bulles autant que les cartons. Noter de passer à la librairie demain matin, voir s'iel peut récupérer les restes de la réception du jour. Ça allègera son budget, et ça évitera du gaspillage. Le libraire lui garde toujours les petits colis et le bourrage. Iel devrait peut-être aller se renseigner auprès d'autres enseignes. Il pourrait se faire une bonne réserve. Iel pourrait mettre cet argent ailleurs. Travailler le décor dans lequel il tourne les reels où iel présente ses produits. Ou alors, ça lui ferait un peu plus de marge. La boutique marche bien, et les nouveaux produits ont un succès raisonnable. Mais le salaire qu'Asra se verse est encore en dessous du smic et, s'iel s'en sort, iel ne cracherait pas sur quelques pièces en plus à la fin du mois.
Des marchés. Iel devrait faire plus de marchés. Ce serait une rentrée d'argent supplémentaire, s'iel arrive à rentrer dans ses frais. Et dans le cas contraire, iel se ferait connaître auprès d'une plus large clientèle. Tout le monde ne passe pas par Internet, même aujourd'hui. Il y en a un qui s'est lancé depuis deux ans, un marché de créateurices principalement queer, iel devrait le tenter. Trouver les contacts en ligne, et ne plus y aller comme un simple visiteur. Iel pourrait demander l'aide…
D'Ilya.
Non. Bien sûr que non. Plus maintenant. Plus jamais.
Fatigué·e, Asra se laisse tomber dans son fauteuil. Très confortable et acheté d'occasion, une bonne affaire pour son dos qui commence à tirer. Iel sait qu'iel doit faire attention, surtout quand iel porte des colis, si léger soient-iel. Mais iel ne réalise jamais qu'iel force. Son corps entraîné dans la longue danse des envois, iel ne ressent l'épuisement qu'au moment où iel se pose.
Enfin. La dizaine de commandes qu'iel a reçue cette semaine est prête, et iel n'a plus qu'à faire le trajet jusqu'au point relais les plus proches pour envoyer tout ça. Iel ira après manger, puis iel s'autorisera une pause. Est-ce que Muriel est libre ? Ils pourraient passer la soirée ensemble. Ça lui ferait du bien.
Asra est trop seul·e, ces derniers jours.
— Tu veux rendre visite à Inanna ? demande-t-il, les doigts tendus vers Faust.
La belle siffle joyeusement et grimpe sur son bras. Ses écailles froides glissent contre sa peau alors qu'elle s'enroule autour de ses épaules. Inanna, c'est un nom qu'elle reconnaît tout de suite. Normalement, Asra évite de sortir Faust dehors. Iel a peur qu'elle ne file, attirée par un détail de la ville, et disparaisse pour toujours. Mais si elle se cache tranquillement au fond de son sac, ça devrait aller.
Ce soir, il ira voir Muriel. Iel lui envoie un message pour s'assurer de son accord. Le géant déteste les imprévus qui viennent bousculer sa routine. Puis, le texto parti, Asra se relève. Il attrape un des sachets de thé entassés sur sa vieille étagère en bois. Le porte à son nez pour profiter de l'odeur délicate de la rose et de la fraise, avant de faire chauffer de l'eau.
Iel se pose devant la fenêtre, sa tasse entre les mains. Alors, la tristesse qui refoule revient se serrer autour de ses épaules. Et un vide terrible s'ouvre entre ses entrailles.
Ilya.
Asra ravale sa salive.
— C'est mieux comme ça, murmure-t-iel pour iel-même.
Ils n'étaient pas fait pour être ensemble. Leur histoire, ils l'ont déjà eue, et elle s'est terminée dans une douleur qui aurait dû lui servir de leçon. Mais Asra pensait… Il voulait croire qu'avec le temps, l'expérience, ils étaient désormais capables de construire une relation qui ne finirait pas sur un petit tas de cendres. Ils étaient adultes, cette fois, indépendants, responsables. Et ça n'a pas suffit.
Iel doit se résigner. Deux échecs, c'est bien le signe qu'ils ne sont pas fait l'un pour l'autre, non ? Pas la peine d'insister. Mieux vaut qu'iel tourne la page et passe à la suite, comme pour Yel. Iel sait que la douleur prend au corps, mais elle est passagère. Iel peut vivre avec. Elle lui pèsera un moment. Elle s'atténuera. Et la vie reprendra son cours. Iel croisera d'autres routes, d'autres amours. Ça ira.
Pourtant, malgré ces belles pensées, un regret terrible lui pèse chaque fois qu'il aperçoit son téléphone.
C'est comme si tu n'avais aucune place pour moi dans ta vie.
Iel se rappelle des mots d'Ilya.
Je suis là, mais c'est comme si tu n'étais pas vraiment avec moi.
Et d'autres, prononcés il y a plus d'un an.
Iel pensait qu'iel avait fait les choses correctement. Qu'iel avait tout donné pour que ça marche. Alors pourquoi tout s'effondre toujours sur le même reproche ? Ces mots qui se répètent atténuent le goût sucré du thé qu'iel avale. C'est acide. Ça lui mouille les yeux. Iel ne comprend pas. Pas plus qu'iel ne comprend ce qui l'a secoué, quand Ilya lui a dit qu'il l'aimait. Iel aurait dû être heureux. Juste heureux, simplement. Comme une évidence qui se pose. Alors pourquoi est-ce qu'iel a eu si peur ?
Iel ne saisit pas la logique des émotions qui secouent son ventre, et ça lea terrifie. Iel ne peut pas gérer ça. Iel essaie d'ignorer cette boule dans son ventre, mais elle ne passe pas. Iel avait peur de s'être trompé·e, d'avoir mal interprété ses sentiments pour Ilya.
La peine qui lea ronge lea détrompe.
Son téléphone sonne. Asra se redresse soudain, l'attrape, le cœur battant. Mais c'est juste Muriel qui lui répond. Se laissant retomber, iel ravale sa déception. Inutile de se mentir, iel aurait voulu que ce soit Julian. Et à l'idée de ne plus jamais entendre sa voix…
Comme toujours quand iel ne peut pas maîtriser un problème, Asra l'éloigne. C'est bien comme ça qu'il faut faire. Ne pas s'attarder sur une situation qu'on ne peut pas influencer. Laisser tomber. Alors iel se prépare un maigre repas picoré à l'arrache, puis iel embarque ses cartons. Le froid de l'hiver lui passe sur le cou, et iel réalisé trop tard qu'iel n'a pas pris d'écharpe.
Si Ilya avait été là, il lui aurait mis son manteau trop long sur les épaules.
Asra se mord la lèvre. Fort. Puis le poing. Inspire. Iel enferme ses cartons dans le locker, enchaîne sur un autre point relais avant de passer par la poste. Et revient, enfin, chez iel. La marque de ses dents rougissant le dos de sa main.
Si Ilya était là, il s'inquièterait. Il prendrait sa paume dans la sienne, lui demanderait ce qui ne va pas parce qu'il a cette manie de toujours essayer de voir sous sa coquille, et ça l'horripilerait. Asra déteste se montrer. Iel devrait trouver une excuse, jouer les anguilles glissantes et éviter ses questions pour ne pas lui mentir franchement parce que…
Parce qu'iel ne veut pas parler de ce qu'iel ressent. Même à Ilya. C'est plus simple de tout porter, de gérer seul·e ou de repousser loin cet agglomérat d'émotions qu'iel ne comprend pas.
Tu ne me dis jamais rien, Asra.
Asra voudrait dire que c'est faux. Il voudrait que ça le soit. Mais si Ilya était là, et s'il posait sur lui un regard sincèrement inquiet, iel ferait tout pour éviter de lui répondre.
Ilya avait raison. Muriel aussi. Yel. Et aujourd'hui, si Asra se sent si seul·e, iel ne peut s'en prendre qu'à iel-même. Même si une part de lui trouve ça profondément injuste. Parce qu'iel n'a jamais choisi ça. L'intimité, la vraie, lea terrifie, et iel n'y peut rien.
Asra a l'impression d'être puni·e pour une blessure dont iel est lea premier·e à souffrir.
Le cœur au bord des lèvres, iel se laisse glisser contre le mur. Serre nerveusement ses doigts. Les mord. Se redresse. Cherche dans sa sacoche son téléphone. Personne n'a cherché à lea joindre, aujourd'hui. Comme souvent. Iel déglutit. Ouvre ses contacts et les fait défiler. S'arrête.
Le numéro d'Ilya est toujours là.
