« Bon… soupire Baldr en atteignant pour la troisième fois en trois jours la falaise donnant sur l'endroit où ils ont secouru Skoll quelques jours plus tôt. C'est quoi le problème avec cette sonde ?
- On dirait qu'elle est penchée, remarque H. Lin en arrivant à ses côtés.
- Et on y retourne… encore une fois, se plaint Mimir.
- Si vous voulez pouvoir voir d'autres zones de Mira, il faut vous appliquer dans les missions qu'on nous confie, lance H. Lin en commençant à descendre la pente menant à la plage.
- Elle a pas tord… » marmonne Baldr en suivant le mouvement.
Le groupe arrive rapidement à la sonde qu'ils ont plantée la veille et qui semble effectivement être en piteux état.
« Que s'est-il passé ici ? demande H. Lin.
- Le métal est broyé par endroits, constate Baldr. Et plusieurs plaques de métal ont été arrachées.
- Ce sont les forfexs qui ont fait ça, explique Mimir.
- C'est quoi un forfex ? demande Skoll.
- C'est le nom qu'on donne aux gros crabes, répond Mimir. En tout cas selon le bestiaire officiel qu'on commence à rédiger.
- Tu rédiges un bestiaire ? s'étonne Baldr.
- Bien sûr, répond Mimir. Avec plusieurs autres Curators on est en train de dresser une liste exhaustive de tout ce qui se trouve sur Mira. Je participe plutôt à l'encyclopédie qui recense la flore, mais je donne un coup de main pour le bestiaire de temps en temps.
- Mais tu trouves le temps de faire ça quand ? demande Skoll.
- Quand on est en repos à la caserne, répond Mimir. Vous bossez pas pendant ce temps, vous ?
- Ben… hésite Baldr.
- Plus ou moins, si, répond Skoll.
- Tu es sûre que ce sont les forfexs ? recentre H. Lin. Ils ont pourtant l'air inoffensifs.
- Envers nous, oui, répond Mimir. Mais il est possible que les ondes émises par la sonde leur aient fait perdre les pédales.
- Vraiment ? s'étonne Baldr.
- Regardez, continue d'expliquer Mimir en désignant les griffures sur le métal. Ce sont des stries totalement désordonnées. Si on avait affaire à une créature avec des pattes griffues, comme les grexs par exemple, on aurait des groupes de quatre ou cinq stries parallèles. Il s'agit donc de créatures sans doigts.
- Ça fait sens… approuve Skoll.
- De plus, poursuit Mimir en montrant la zone broyée, la puissance nécessaire pour broyer un métal aussi dense nécessite des membres capable d'exercer une importante pression en un point donné, comme des pinces.
- Donc ce sont ces crabes qui sont responsables de ces dégâts, comprend H. Lin.
- Et ce n'est malheureusement pas réparable, ajoute Baldr après avoir fini son examen de la sonde. Et même si ça l'était, les forfexs la remettraient en pièce après notre départ.
- Donc c'est quoi le plan ? demande Skoll.
- Le plus sûr serait d'éliminer les forfexs, répond H. Lin.
- Quoi ?! s'insurge Mimir. Il en est hors de question !
- Pourquoi ? demande calmement H. Lin. On a besoin de planter cette sonde pour nous établir sur Mira. Si ces créatures nous en empêchent, il faut les éliminer.
- Ils étaient là avant nous ! s'indigne Mimir. On peut pas débarquer avec nos grosses bottes et les écraser sous prétexte qu'ils nous gênent !
- Pourquoi ? demande à nouveau très prosaïquement H. Lin.
- Ben… On va pas commencer à déstabiliser l'écosystème de Mira alors même qu'on vient d'arriver ! s'emporte Mimir. Avec une telle mentalité, autant éliminer toute biodiversité sur Mira sous prétexte qu'elle peut être dangereuse. On est là en tant qu'étrangers, il nous faut observer, comprendre et trouver notre place dans cet écosystème complexe, pas nous imposer en détruisant tout !
- Sans compter que si on commence à s'en prendre à ces crabes on sait pas comment ils vont réagir, ajoute plus calmement Skoll. Ils pourraient commencer à nous attaquer en représailles et devenir une menace beaucoup plus directe.
- C'est vrai, consent H. Lin, visiblement plus impactée par le raisonnement de Skoll que celui de Mimir. On va se contenter de faire un rapport d'incident. Ce seront les gros bonnets qui décideront de la marche à suivre.
- Le plus simple serait d'adapter nos sondes aux besoins de la faune, remarque Baldr. On pourrait demander à l'équipe de recherche et développement des sondes de se pencher sur le problème.
- J'ajoute ça au rapport, confirme H. Lin en commençant à pianoter sur son terminal de communication.
- Si on pouvait éviter de tabasser toutes les créatures avec lesquelles on n'essaie même pas de cohabiter, le monde s'en porterait mieux, commente Mimir.
- Parfois, il faut faire des sacrifices, répond H. Lin sans lever les yeux de son terminal. Personnellement, mes priorités concernant ce que je veux protéger sont claires, et ce depuis longtemps. Peux-tu en dire autant ?
- Je… » commence à balbutier Mimir, avant de se rendre compte qu'elle ne sait pas quoi répondre à sa supérieure. Qu'est-elle prête à sacrifier pour protéger quoi ? C'est bien ça la question ? Mais pourquoi y aurait-il des sacrifices à faire ? Il suffit de trouver une solution qui convient à tout le monde, non ?
L'ambiance s'étant considérablement refroidie, les quatre membres restent silencieux. Pendant que H. Lin finit de rédiger son rapport et que Mimir essaie de comprendre ce que voulait dire sa cheffe, Baldr continue d'analyser la sonde dans l'espoir de pouvoir récolter quelques informations tandis que Skoll fixe du regard l'étrange pont en pierre qui les surplombe et qui enjambe la baie d'est en ouest.
Maintenant qu'il y pense, il n'est jamais allé sur ce pont, alors qu'il pourrait offrir un point de vue intéressant sur le lac Biahno et sur ses environs. Il est toujours important de se placer à des endroits en altitude pour observer une terre inexplorée, repérer les points d'eau, les reliefs et les plaines.
Par contre, on dirait qu'il y a du mouvement sur ce pont. De là où il se trouve il n'arrive pas très bien à détailler, mais on dirait que des créatures bipèdes poilues et de taille assez imposantes se baladent dessus. Pas le genre de créature qu'on aimerait croiser… Surtout qu'on dirait qu'il y en a deux qui sont en train de se battre. Même de loin, ça a l'air plutôt violent. Il y a même un truc qui a été projeté par-dessus le pont de pierre. Une sorte de masse sombre et arrondie qui semble se diriger droit sur eux… Hé, mais ! Ça lui tombe vraiment dessus en fait.
« Ouah ! s'écrie-t-il en reculant, laissant l'objet s'écraser dans le sable à ses pieds dans un bruit sourd.
- C'était quoi, ça ? demande H. Lin en relevant les yeux de son terminal.
- Ça a failli me tomber dessus, répond Skoll en se penchant vers l'objet.
- Tout va bien ? demande Baldr en s'approchant. J'ai une trousse de secours si besoin.
- Non, c'est bon répond Skoll en ramassant l'objet. On dirait que c'est une sorte de fruit.
- Fait voir ! intervient Mimir, soudainement très intéressée.
- Ça ressemble à un melon, commente Skoll en tendant le fruit à la biologiste.
- Ah oui! s'exclame Mimir. Il me semble que les simius en raffolent. J'ai jamais réussi à en trouver un moi-même.
- Ben apparemment ils tombent du ciel, ironise Skoll.
- Il est plutôt lourd, commente Mimir en soupesant l'objet, avant de le sentir. Aucune odeur particulière. Un goût… totalement insipide.
- Tu devrais arrêter de tout goûter… commente H. Lin. Tu vas t'empoisonner un jour.
- Pas de risque, répond Mimir. Pas avec une si petite quantité et en sachant que les simius en consomment régulièrement.
- Je sens qu'un jour ce raisonnement va te jouer des tours, prévient Baldr.
- Au contraire, conteste Skoll, c'est totalement sensé. C'est une des premières techniques de survie en milieu hostile qu'on apprend : si plusieurs animaux en mangent, alors on peut aussi.
- Pas toujours, nuance Mimir, mais on ne risque pas de s'intoxiquer avec un petit échantillon.
- Donc, résume H. Lin. On a affaire à un fruit plutôt dense, sans odeur ni goût…
- Et particulièrement nutritif, ajoute Mimir.
- Comment ça ? s'intéresse Skoll.
- Peut-on savoir comment tu peux en être aussi sûre ? demande H. Lin, suspicieuse.
- Je n'en suis sûre qu'à 85%, nuance Mimir, mais de ce que j'ai pu observer des quelques simius qu'on a croisés et si j'en crois les rapports des autres Curators, ce melon constitue près du quart du régime alimentaire du simius, qui atteint une masse musculaire plutôt impressionnante pour une créature au moins un quart végétarienne. C'est donc que ces melons doivent contenir d'importants nutriments favorisant le développement musculaire, entre autres choses.
- Fantastique, s'exclame Skoll.
- Bien sûr, il me faudrait faire des analyses plus poussées pour en être sûre, nuance Mimir.
- Dans ce cas retournons à N.L.A., lance H. Lin. A moins que l'un de vous n'ait envie de s'attirer une fois de plus les foudres de notre cher commandant ? »
Les trois camarades frissonnent en hochant négativement la tête.
Melon ajira : Un fruit semblable à une gourde, entouré d'une écorce noire. Sa chair blanche et spongieuse est insipide et n'est utilisée que pour ses qualités nutritives.
Exploration de Mira : 0,41%
