Luna se tenait très droite, derrière un haut bureau de bois planté sur une estrade. Sur celui-ci reposait une boîte rectangulaire fermée. Luna était prête pour l'arrivée de Drago qui, si elle en croyait l'interruption du bruit d'écoulement de l'eau, ne devait plus tarder. Elle avait enfilé une tenue qui lui donnait l'air d'une sorcière sérieuse. Robe stricte vert bouteille, petites boucles d'oreilles discrètes et chignon relevé sur la nuque, elle se sentait apte à occuper un poste au Ministère.
D'ailleurs, l'ensemble de la salle respirait la grandeur indifférente d'un intérieur gouvernemental. Aucun élément personnel, juste du bois vernis, des dossiers gonflées et des feuilles jaunies. La parfaite froideur de l'autorité étatique.
La porte s'ouvrit dans un léger grincement métallique, attirant l'attention de Luna. Drago entra, dans la robe brune de facture médiocre qu'elle lui avait préparé, aux manches courtes et au tissu rêche. Invoquant son Ombrage intérieure, elle lui jeta son regard de dégoût le plus froid.
– Monsieur Malefoy je suppose, fit-elle d'une voix insidieusement mielleuse que contredisait son visage fermé, approchez-vous.
Le sorcier avança lentement, jetant au passage un œil sur le décor qui l'entourait.
– Plus vite monsieur Malefoy, je n'ai pas que ça à faire et vous êtes déjà en retard.
– Bien sûr, madame, répondit Drago avec prudence, accélérant le pas pour se retrouver devant Luna qui le dominait depuis son perchoir.
– Tenez, dit-elle en faisant glisser vers lui un papier noirci de lettres serrées. Ce document indique que vous vous êtes présenté à moi de votre plein gré, sans contrainte d'aucune sorte. Signez-le.
Drago fronça les sourcils. Il commença par marquer la date avant de lire ce qui y était écrit, mais Luna l'interrompit en récupérant le papier d'un coup sec, sa main à plat cachant les informations inscrites dessus.
– Très bien, ça suffira, ajouta-t-elle. En raison des circonstances de votre naissance, vous êtes aujourd'hui convoqué devant la commission d'enregistrement des nés-moldus.
– Je ne suis pas un né-moldu, répondit aussitôt Drago, avec la morgue certitude de l'habitude.
– Ah oui? fit Luna sans conviction. Voilà un mensonge que j'ai l'habitude d'entendre. Dans ce cas, expliquez-moi ceci?
Elle sortit un nouveau papier d'une pochette qui en contenait une montagne. Un document d'identité falsifié, avec une filiation imaginaire, où Narcissa et Lucius, deux honorables sorciers, se retrouvaient remplacés par Rosa et Luke, des moldus sans prestige.
– C'est n'importe quoi! s'insurgea Drago.
– Ah oui? répéta Luna. Êtes-vous en train de sous-entendre que le Ministère de la Magie ne fait pas correctement son travail? Ou pire, qu'il ment à ses administrés? De tels propos pourraient relever du Code de la justice magique, Monsieur Malefoy.
– Je n'accuse personne de rien! Je dis simplement que ce qui est écrit sur cette fiche est faux.
– Donc, vous récusez la véracité des informations ici présentes?
– Exactement!
– Bien.
Elle griffonna quelques notes d'un air concentré, fronçant les sourcils dès que Drago ouvrait la bouche pour s'exprimer, lui intimant ainsi l'ordre de se taire.
– Avez-vous la moindre preuve de ce que vous avancez? finit-elle par demander.
– Vous avez ma parole.
– Tsss tsss. Une parole n'a pas de valeur. Surtout celle de quelqu'un comme vous.
– Comme moi?
– Oui. Vous voyez très bien ce que je veux dire. Alors, avez-vous une preuve? Un acte de naissance? Un arbre généalogique certifié? Un document officiel quelconque?
En soupirant, Drago abdiqua et fit non de la tête.
– Eh bien voilà, le félicita-t-elle en frappant la feuille devant elle d'un immense tampon «moldu». Ce n'était pas si difficile d'admettre la vérité. Maintenant que vous êtes dans des meilleures dispositions, monsieur Malefoy, nous pouvons passer à la suite.
Elle ouvrit la boîte devant elle, dévoilant ce qu'elle contenait. La baguette de Drago.
– Reconnaissez-vous cet objet? interrogea-t-elle d'un ton neutre.
– Bien sûr. Il s'agit de ma baguette, fit Drago en croisant les bras.
– Je croyais que vous aviez décidé d'arrêter de me mentir, Monsieur Malefoy.
– Mais je ne mens pas! C'est la mienne! s'emporta le jeune homme.
– Mensonge! s'écria Luna dans un élan hystérique. Un moldu ne peut pas avoir de baguettes! À qui l'avez-vous volé?
Elle descendit de son estrade d'un pas vif, les yeux exorbités, les lèvres grimaçantes de dégoût, la baguette au clair dirigée vers Drago d'un air menaçant.
– Quel sorcier avez-vous dépossédé de sa magie?
Elle détachait consciencieusement chaque syllabe, la rendant plus lourde, écrasant Drago sous ses mots comme d'autres écrasent des escargots sous leurs pieds.
– Personne! Ma magie m'appartient! maintint-il sans céder un pouce de terrain.
Elle plaça la pointe de sa baguette contre le cou pâle du jeune homme qui perdit subitement toute contenance.
– Vous finirez par me dire la vérité, susurra-t-elle.
Il n'y avait pas l'ombre d'une menace dans sa voix. Juste l'énonciation froide d'un fait inéluctable.
– La vérité nue.
Elle recula d'un pas, un sortilège de Découpe au bord des lèvres. La cage thoracique de Drago se soulevait et s'abaissait à un rythme soutenu, profond, certainement fébrile de crainte et d'attente mêlées.
Luna ne lança pas de sort. Elle changea d'avis quand ses yeux se posèrent sur la forme noire qui tranchait sur la peau blanche de Drago.
Elle pointa de la baguette le tatouage noir qui s'étalait sur l'avant-bras du jeune homme, l'immonde tête de mort cracheuse de serpent. Jusqu'à présent, elle l'avait toujours ignoré. Mais aujourd'hui, le scénario était différent.
– Pensez-vous que vous approprier les symboles de notre Seigneur et Maître serait suffisant pour vous faire passer pour l'un d'entre nous? Gehine!
Le sort fut bref et intense, terrassant Drago. Il s'agissait d'un vieux sort de Douleur, un sortilège du Moyen-Âge que Luna avait découvert lors de ses recherches sur les Zitirons. Il était tombé dans l'oubli suite à la découverte de Doloris, plus puissant et dévastateur.
Luna aurait pu le maintenir plus longtemps. Mais, même s'il était moins violent que Doloris, elle ne voulait pas prendre le risque de causer de réels dommages. Elle apprenait à le maîtriser en même temps qu'elle l'utilisait.
Elle avait fait ce choix car utiliser ses habituels fouets aurait trop dénoté dans le contexte dans lequel ils étaient en train d'évoluer. Les sorciers de sang-pur ne s'abaissent pas à blesser autrui avec des objets alors qu'ils ont à leur disposition la magie.
Luna jaugea Drago du regard. À nouveau debout mais les genoux encore tremblants, la jeune femme décida de lui accorder encore quelques secondes de répit.
Il y avait quelque chose de profondément jouissif à faire subir à Drago ce qu'il aurait pu lui-même infliger aux gens si Voldemort avait régné.
Ce n'était pas seulement une question de désir et de plaisir, d'instant présent. Elle lui inculquait une leçon, l'inscrivant profondément au bout de chacun de ses nerfs.
La vérité du règne de Voldemort.
– Si tu es vraiment un sorcier, c'est le moment de le montrer. Défends-toi! Utilise ta soi-disant puissance.
– Ma… baguette.
– La baguette ne t'appartient pas. Elle n'est qu'une manière de concentrer sa magie, pas la magie elle-même. Regarde.
Elle rangea sa baguette dans sa manche, puis fixa son regard sur celle de Drago, toujours posée sur le bureau. Soudain, celle-ci se souleva lentement, puis se dirigea avec conviction vers Luna avant d'atterrir entre ses doigts. Elle avait lévité jusqu'à la sorcière sans qu'aucun mot ne soit prononcé. Cela avait pris à Luna de nombreuses heures d'entraînement et deux sérieuses migraines avant de réussir à lancer un simple Accio sans incantation ni baguette. Mais elle ne regrettait rien, tant elle était fière de son effet.
– Alors, puisque tu prétends être un sorcier, prouve-le!
Les muscles de Drago se raidirent, ses yeux, qui un instant auparavant fixaient Luna en lui lançant des éclairs, se rivèrent sur un tas de feuilles soigneusement empilées. La concentration, la colère et la honte marbraient sa peau de plaque rouge. Luna patienta dans une attitude aussi sceptique qu'hautaine, quoi que magnanime. Pas le moindre courant d'air ne traversa la pièce. Aucune feuille ne frémit.
– Impressionnant, se moqua la sorcière. Maintenant que la preuve de ton incompétence crasse est faite, il est temps de venir signer mon petit formulaire. Ce n'est rien du tout. Rien qu'un petit papier certifiant que tu n'es qu'un cancrelat dépourvu de la moindre magie.
– Je ne signerais pas ça, lâcha Drago en serrant les dents.
– Ah oui? Moi, je crois que tu vas le signer.
Le moment du sortilège Impardonnable était venu. Luna tonna:
– Impero!
Immédiatement, le jeune homme perdit le contrôle de lui-même. Elle le fit avancer, doucement un pas après l'autre.
Au premier pas, elle sentit l'esprit de Drago se débattre sous sa magie, ruer dans les brancards, tenter de reprendre les commandes de son propre corps, de se défaire de l'emprise dont il était la victime. Au deuxième, il renâclait toujours, tentant de ne pas obéir, de ne pas avancer, à défaut de parvenir à se libérer du sort. Arrivé à l'estrade, il avait capitulé et n'était plus qu'une marionnette aux mains de Luna.
Il pouvait toujours parler, toujours demander à ce que la cérémonie s'arrête. Au lieu de ça, pendant que ses doigts saisissaient une simple plume d'oie et paraphaient d'un large geste le document devant lui, il dit simplement:
– Pourquoi?
Elle répondit à sa question par une autre question.
– N'es-tu pas heureux de voir advenir la société que tu as tant appelé de tes vœux, même si ce n'est que le temps d'un rêve?
Elle s'approcha de celui qu'elle avait rendu incapable de bouger, si proche qu'elle sentait sa chaleur et son souffle contre sa peau.
– N'est-ce pas magnifique quand nos rêves deviennent réalité? glissa-t-elle à son oreille.
Il ne répondit rien. Elle lui tourna le dos et s'éloigna de quelques pas.
– Les sang-de-bourbe comme toi volent la magie des véritables sorciers. Vous êtes une vermine à éliminer. Mais ça ne veut pas dire que vous êtes dépourvus de la moindre utilité. Ou que votre élimination doit se faire sans plaisir.
Elle tapota sa baguette dans la paume de sa main, comme si elle hésitait sur la marche à suivre. Quand elle referma ses doigts sur la pointe de bois, elle annonça avec dédain:
– Tu n'es rien. Rien aux yeux du monde magique. Rien aux yeux de la loi. Rien aux yeux de la société. Je peux donc te faire ce que je veux. Sans conséquence. Personne ne s'émeut du sort des limaces.
Elle laissa passer un silence avant de reprendre:
– Et je sais exactement ce que je veux te faire.
Elle le fit se déplacer jusqu'au milieu de la pièce, là où aucun meuble ne pourrait le camoufler. Et elle fit doucement mouvoir ses mains et ses bras. Drago, animé par la volonté de Luna, agrippa le bas de sa tenue et, d'un geste maladroit, la fit glisser par-dessus sa tête, se retrouvant soudain nu devant la sorcière qui le soumit à une inspection visuelle détaillée.
– Ton corps n'est finalement pas si différent de celui d'un vrai sorcier… Fonctionne-t-il aussi bien?
Elle tourna autour de lui et fixa son pénis, flasque entre ses jambes.
– Peut-il éprouver du plaisir?
Elle le contourna, s'attarda sur son dos et ses fesses et vint lui glisser quelques mots à l'oreille:
– Peut-il jouir?
Elle termina son cercle et attendit sa réponse. Elle lisait sa lutte intérieure sur son visage, l'envie d'en découdre affrontant celle d'abdiquer dans les crispations des coins de ses lèvres, un désir obscur noircissant peu à peu son regard, en chassant toutes pensées raisonnables. Enfin, un demi-sourire se dessina sous ses yeux qui n'étaient plus que d'immenses pupilles.
– Tu ne me croiras pas tant que tu n'auras pas la preuve sous les yeux, n'est-ce pas? demanda-t-il calmement.
– En effet.
– Dommage, répliqua-t-il. Car je ne pense pas que tu puisses me procurer le moindre plaisir.
