Le jour suivant, le Sanctuaire s'éveilla sous un ciel bas et lourd, qui charriait de sombres nuages chargés d'orage. A peine traversée de temps à autre par de fugaces rayons de lumière dorée, la pénombre enveloppait les temples, les collines, semblant plonger l'Ile toute entière et ses habitants dans une profonde torpeur.
Panorea n'avait pas dormi de la nuit et était demeurée sur la plage, les yeux fixes, le menton appuyé sur ses genoux, perdue dans la contemplation d'une porte fermée durant tant d'années, celle du monde extérieur, et de la décision qu'il lui fallait prendre pour l'ouvrir à nouveau.
Le murmure si doux et intermittent des vagues finit par la ramener au temps présent. Elle éteignit alors totalement son cosmos, et se rendit discrètement dans sa cachette secrète. Sans parler à aucune âme, se nourrissant à peine, elle demeura cachée les deux premiers jours et entre deux phases de sommeil, fermait à nouveau les yeux pour rentrer en elle-même.
Y avait-il seulement besoin de tant de temps pour prendre une décision ? S'arrête t-on au milieu du gué ? Un pas, un seul petit pas en avant, ou un pas en arrière, et dans un cas comme dans l'autre c'était un voyage sans retour. Mais le premier pas en avant, ne l'avait-elle pas déjà accompli dans la nécropole ? La mémoire vivace, marquant déjà sa chair, du pays de l'ombre la fit frissonner. Elle préféra ne pas y penser, pas plus qu'à la terrible fatalité que le petit bélier têtu en elle refusait de toute son âme. Au souvenir de la terre noire et glacée, de l'odeur de putréfaction et de l'écho sinistre qui résonnait à travers le pays désolé, les larmes lui montèrent aux yeux et la firent suffoquer. La mort, la mort la poursuivait depuis qu'elle était née. Elle rouvrit les yeux. Il lui suffisait d'apposer la paume de la main sur le sol pour dire qui était mort à cet endroit. Une lassitude voila son regard. Son père, sa mère, son maître peut-être… Elle n'en pouvait plus de la mort et la haïssait.
Le matin du dernier jour fut semblable au premier. Le mauvais temps restait accroché aux montagnes du Sanctuaire, mais dans son esprit, certaines images s'affirmaient de plus en plus. Derrière ses paupières closes, celle, imposante, de son maître prit forme et s'attarda longuement, comme les innombrables souvenirs de leur vie commune, multiples pierres fondatrices d'un lien aussi indéfectible qu'inexprimable. Elle se souvint de la fascination immédiate qu'il avait exercée sur elle en tendant le doigt, impérial, vers cet immense rocher. Elle se souvint de ses regards qui laissaient passer tant de choses lorsqu'il l'entraînait, de ses silences éloquents et de ses rares sourires qui la faisaient tant trembler. Et soudain, elle se rendit compte qu'elle ne le connaissait pas. Deathmask était pour elle une image de chair et de sang, l'incarnation même de la vitalité, dont l'âme lui échappait. Alors, au fond des replis sombres de son coeur, peut-être Panorea savait-elle déjà que toute fuite lui était impossible.
Ses yeux quittèrent la mer pour se tourner vers le point culminant du Sanctuaire, bien au-delà des temples et au-delà de la maison du Pope. Drapée dans sa toge, flanquée de l'égide, majestueuse et impassible, la statue d'Athéna dominait le Sanctuaire comme un rappel constant à chacun de la raison qui le poussait, chaque jour, à dépasser les limites humaines. Mais depuis l'époque de son arrivée au Sanctuaire, quand la divinité était encore jeune, jamais plus elle n'avait eu l'occasion d'être en sa présence. Elle voyait sans doute Shion plus souvent que la déesse qu'elle était censée servir, à tel point que l'idée de servir qui que ce soit était devenue une abstraction.
Inspirée par une pulsion sans doute héritée de ses ancêtres, sauvages et pieux, Panorea se mit à genoux, le regard tourné vers la statue, et commença à prier. En grec, en nouristani, en persan, dans toutes les langues qu'elle connaissait et qui se mêlaient dans son esprit, dans la langue qu'emploient tous les anxieux, les peureux, les rêveurs, les ambitieux, celle de la supplication, celle de l'espoir porté envers ces forces invisibles qui, s'imaginent-ils, gouvernent le destin de chacun. Elle ne lui demanda rien de véritablement précis, hormis une direction. A mesure que ses pensées se faisaient plus lourdes sous le poids de l'angoisse, son buste s'inclinait de plus en plus vers la terre, et les larmes finirent par couler en même temps qu'éclatèrent les sanglots. Elle ne sut jamais combien de temps elle resta ainsi. Mais si intense que fut sa prière, elle ne rencontra que le silence. Au bout d'un moment, Panorea se redressa lentement, le visage inexpressif et humide, l'âme partagée entre la honte et le dégoût. Un oiseau émit un cri joyeux, et le vent acheva de sécher ses larmes.
Absorbée par ses pensées et ses prières, Panorea n'avait pas senti l'aura ni le regard qui l'observait sans relâche depuis plusieurs heures. Assis sur un rocher à l'écart, Kikieon la guettait. A la voir prier et pleurer, son coeur se serra d'émotion. N'y tenant plus, il se décida à sortir de sa cachette et à s'approcher d'elle. Elle ne réagit pas lorsqu'il s'assit à ses côtés, avec la légèreté d'une brise venue des montagnes. Ils restèrent longuement ainsi, semblant refuser les mots. Alors, les regards prirent le relais. Deux émeraudes belles d'innocence et de respect croisèrent des aigues-marines troublées par le doute, l'inquiétude et plus rare encore dans ces pupilles, l'hésitation. Kikieon prit doucement la main de Panorea, et les pensées succédèrent aux regards.
« Je ne t'ai pas vue depuis trois jours. Que s'est-il passé ?
- J'ai pas envie d'en parler. Mais tu te doutes bien de ce qui doit se passer, maintenant que je « sais » invoquer les morts.
- Je sais… Suivre ton maître, ou partir d'ici. »
Kiki rompit brutalement le contact visuel et mental. Panorea lui saisit alors le poignet, plus désespérée qu'elle ne l'aurait voulu.
« Kiki, j'ai peur. Terriblement peur.
- Peur de quoi ?
- Tu crois… que je vais devenir comme mon maître ? Devenir un assassin? » demanda t-elle à voix basse.
Le jeune Bélier ne répondit pas immédiatement et, songeur, regarda vers la mer.
« Un maître a un pouvoir d'influence limité. Vous n'avez pas le même caractère. »
C'est faux, et tu le sais, se dit-il. La ressemblance croît de jour en jour.
« Panorea… pourquoi as-tu accepté de le suivre ? »
Elle soupira profondément. Le temps n'avait rien ôté à la pureté des sentiments bruts qui l'avaient saisie lorsque le destin s'était présenté à elle sous la forme d'un colosse au teint mat, ceint d'un méchant tchapane clair et d'un turban qui ne dissimulait rien de la rieuse froideur de ses yeux bleus.
« Je voulais fuir. Fuir la misère et le monde dans lequel j'étais née. Les femmes… chez moi, ont un choix, elles aussi : l'esclavage ou la mort. Dans son choix, à lui, il y avait une chose totalement nouvelle. La liberté… et des milliers de vies possibles. » Elle se mit à rire doucement : « C'était un homme et un étranger, et je l'ai suivi immédiatement. Comment voulais-tu que je refuse de le suivre… Il incarnait une double promesse, celle de vivre intensément et d'échapper au destin.
- Mais il y avait aussi autre chose », ajouta Kiki posément.
Elle le considéra avec méfiance, songeant à l'ultime proposition que son maître lui avait faite le jour de leur rencontre, et qu'elle préférait, sans savoir pourquoi, conserver secrète. « Je sais que tu lis dans les pensées, y compris lorsqu'on n'y prête pas garde. Surtout, même. J'en ai un peu marre des fouilleurs de cervelle.
- Je n'ai rien fouillé. Je sais qu'il y a autre chose. Il suffit de vous observer ensemble, ton maître et toi. »
Ses mouvements se figèrent instantanément, et seuls ses yeux s'amincirent pour transpercer Kikieon avec froideur. Un fin sourire vint étirer les lèvres du Bélier : « Ne me regarde pas ainsi… Tu rêves d'être aussi forte que lui, non? Ce n'est pas par hasard si tu fais partie des meilleurs. Tu l'imites en tout. J'ai rarement vu un tel mimétisme.
- Tu passes beaucoup de temps à nous observer, à ce que je vois… » dit-elle avec ironie.
Il la regarda un moment sans répondre, et haussa les épaules : « A vrai dire... ça me fait plus mal qu'autre chose », avoua t-il. Et se réfugiant dans le silence, il saisit du sable par poignées, qu'il laissa filer lentement entre ses doigts. Il aurait voulu, lui aussi, lever ces doutes qui obscurcissaient son amitié pour elle. Savoir ce qui se tramait au fond de ce coeur si difficile à sonder. Où se combattaient, il le devinait, le rêve d'être au-dessus de tous, totalement hors d'atteinte, et un autre rêve, plus fou encore, totalement stupide et illusoire, celui d'être aimée de celui qui n'aimait personne.
« Je ne sais pas l'art de séduire dangereusement, comme certains… » murmura Kiki, et sa voix semblait celle d'un petit enfant. « Moi non plus, je ne suis pas responsable de mes sentiments… » Sentant monter les larmes, il fronça fortement les sourcils, au point d'en avoir mal. Elle se rapprocha de lui, et posa doucement sa tête sur son épaule tout en regardant la mer.
« Kiki… Pourquoi te tortures-tu ainsi ? Tu es mon meilleur ami. »
Il inspira bruyamment, comme pour chasser la tristesse mais surtout pour se donner du courage, et demeura si distant qu'elle entreprit de lui lancer du sable, espérant au moins susciter une réaction à défaut de le dérider. Il en arrêta la course d'un simple geste de la main. En souriant, il fit léviter le sable un moment, puis s'amusa à le faire tournoyer lentement, ses doigts dansant autour des grains pour les élever dans l'air. Elle le regarda faire, fascinée. Soudain, les grains s'effondrèrent tandis que sa main s'abaissait avec lassitude.
« J'aurais peur, moi aussi, à ta place. Mais tu es courageuse. Tu y arriveras.
- A quoi ?
- A devenir chevalier. »
Le doute se peignit sur le visage de Panorea. Elle murmura, presque pour elle-même :
« Kiki… Pourquoi faire ? Pourquoi, après tout ? »
Le jeune Bélier ouvrit des yeux immenses, sincèrement surpris.
« Panorea, m'autorises-tu à te montrer quelque chose ? »
Elle hocha la tête, et accepta la main qu'il lui tendit. En une fraction de seconde, elle se retrouva devant les arènes d'entraînement, où suaient déjà tant de disciples, les plus jeunes n'ayant ce jour-là pas plus de sept ans et les plus âgés guère plus que douze.
« Regarde-les », dit Kiki en croisant les bras. « Ils sont minuscules, frêles, des baguettes à la place des jambes. La plupart n'ont plus de parents. Pourtant, ils acceptent une vie incertaine, sans doute courte, avec un dévouement total. Pourquoi, ou pour qui, à ton avis ?
- Est-ce qu'ils ont tous choisis d'être là ? » demanda t-elle en éludant la question.
Kiki haussa les épaules : « Peut-être pas. Mais je n'ai jamais entendu parler de suicide chez les apprentis.
- Mon maître dit que le Sanctuaire est un lieu horrible, murmura sombrement Panorea. Dont on ne sort que les pieds devant. Tu ne sais peut-être pas tout.
- Ton maître n'a pas vécu la même expérience que le mien, ou que d'autres… soupira Kikieon. Sans doute est-ce pour cette raison qu'il a encore autant de haine en lui… »
Mais Panorea ne l'écoutait déjà plus. Dans l'arène voisine, réservée aux chevaliers d'or, une silhouette plus massive que les autres avait attiré le regard de la jeune fille. Kiki suivit ce regard. Ses traits devinrent amers en voyant la douceur et la lumière trouble qui éclairaient alors le visage de Panorea.
Simplement vêtu d'un pantalon de toile relevé sur les chevilles, pieds et torse nus, Deathmask s'entraînait.
Etirant ses muscles à la manière des fauves, tranquille et vif, il s'échauffait au milieu du brouhaha incessant des piaillements et des cris, aussi serein qu'un moine reclus en pleine montagne, le regard plongé dans le ciel obscur, voyant tout et ne voyant rien, uniquement préoccupé de sentir son sang irriguer son corps, ses pieds s'enfoncer dans la terre, son esprit se fondre dans sa chair.
Aphrodite le rejoignit. Son orgueilleuse beauté attirait toujours beaucoup de curieux, étonnés du spectacle d'un homme d'apparence si frêle se battant avec tant de férocité. Le combat tenait de l'amusement, tant les deux chevaliers étaient habitués depuis de longues années à danser ensemble. Un seul rire perlait néanmoins, celui du douzième gardien, tandis que les lèvres du Cancer n'esquissaient rien au-delà d'un fin sourire.
Légèrement essoufflé, Aphrodite s'approcha soudain de son partenaire et lui murmura quelque chose à l'oreille, avant de désigner quelqu'un de la tête. Deathmask jeta un oeil à l'entrée de l'Arène, et rit. Aphrodite s'écarta de lui et alla s'asseoir sur une marche de pierre, tel un impassible sphinx.
D'un grand geste, Deathmask héla le chevalier qui échangeait quelques mots avec sa propre disciple, la jeune Fahra, avant d'entrer dans l'enceinte :
« Eh ! Aiolia ! On rompt quelques lances ? »
Fier de ses boucles et de ses muscles de bronze, le Lion arborait constamment cette démarche désinvolte à la lisière du mépris qu'il avait conservée de sa jeunesse. Sans daigner répondre à son voisin, il hocha négligemment la tête, comme pour signifier qu'il acceptait l'échange faute de mieux.
Il n'eut cependant pas le temps de se mettre en garde. Deathmask lui avait déjà porté un coup sans retenue qui le propulsa dans le sable humide de l'arène. La fureur d'Aiolia éclata instantanément et fit trembler le sol. Tous les apprentis se figèrent et n'osèrent plus poursuivre leur propre entraînement. L'air déjà chargé d'orage s'alourdit sous le poids du silence.
Le combat qui suivit n'en fut pas vraiment un. Le Cancer n'usa pas de sa force, mais se contenta d'esquiver les coups du Lion en jouant sur sa prodigieuse vitesse. Sachant qu'Aiolia n'avait aucune sympathie pour lui, il s'amusa à le provoquer en le frôlant de plus en plus près, au point de risquer de mêler leurs sueurs. Il sentait, à son cosmos, grandir le dégoût de son adversaire et sa propre hilarité.
Aiolia ne parvint qu'en de très rares occasions à toucher Deathmask, et sans lui causer de véritables dommages. Chacun paraît l'autre, mais le Lion demeurait sur la défensive. Une garde légèrement baissée valut par hasard au Cancer de recevoir un violent coup de poing dans la mâchoire. Soudain lassé, Deathmask accéléra alors ses coups et d'un coup de pied meurtrier, envoya le Lion contre la paroi de l'arène. Celui-ci ne se releva que pour demeurer assis, pris d'un violent tournis et la haine brûlante dans le regard.
Deathmask s'approcha et se pencha vers lui :
« Ne sois pas vexé, lionceau. C'est pas demain la veille que tu me vaincras au corps à corps.
- Qui sait… tu es loin d'être infaillible, on s'en souvient bien ! cracha Aiolia.
- En matière de haine, tu ne m'arriveras jamais à la cheville non plus », dit Deathmask. Aiolia voulut se relever, mais d'un ultime coup de pied, le Cancer le rejeta brutalement contre les gradins et s'éloigna.
S'essuyant la bouche avec le dos de la main, Deathmask jeta un coup d'oeil circulaire à l'assistance, et remarqua Panorea. Son visage n'exprima rien, mais elle seule distingua, derrière le léger plissement des yeux, cette ineffable douceur qui ne s'adressait qu'à elle. Elle tressaillit légèrement. Lorsqu'il sortit de l'arène, tous s'écartèrent et le regardèrent passer sans un mot. Panorea ne détacha son regard de son maître que lorsque la foule se referma comme une mer derrière lui et le cacha à ses yeux.
Durant tout le combat, Kikieon avait attentivement observé son amie. A son regard qui scrutait chaque mouvement de son maître, à cette légère rougeur qui empourprait ses joues tandis qu'elle détaillait son corps dans l'effort, enfin à sa respiration plus courte, il comprit l'ampleur de sa fascination, et de sa propre défaite. Il fixa durement l'arène où les combats reprenaient, les lèvres serrées, sans un mot. Son silence sortit Panorea de sa rêverie. Lorsqu'elle se retourna vers lui et vit la tension de son visage, elle perdit toute gaité et réalisa le fond de ses sentiments.
« Tu le détestes, pas vrai ? » murmura t-elle.
Kikieon lui jeta un coup d'oeil désabusé et demeura longuement silencieux. Il croisa les bras et se détourna de l'arène.
« Sans aller jusqu'à le détester… je ne peux pas dire que je l'apprécies, finit-il par avouer. Je l'ai vu, quand j'étais encore très jeune, humilier un jeune chevalier de bronze qui l'avait défié en combat singulier devant son propre maître, qu'il devait exécuter. Ce chevalier serait mort au Yomotsu si mon maître n'était pas intervenu. Ce combat, je ne l'ai jamais oublié de ma vie. Ton maître avait arrêté un coup avec un seul de ses doigts… Et quand ses yeux se sont obscurcis… »
Il se tut, encore hanté par ce souvenir. Il observa Panorea de côté, et son visage, partagé entre l'étonnement et une singulière satisfaction, le rendit encore plus douloureux.
« J'ignore qui est ton maître. C'est une énigme pour moi. Il méprise les Dieux et les hommes et pourtant il est toujours ici, et il t'entraîne. J'ignore dans quel but, et cela m'inquiète.
- J'ai choisi d'être ici, il ne m'a pas forcée.
- Tu crois vraiment qu'on est libres ? Moi, je me le demande parfois. Et dans mes mauvais jours, je n'aime pas la réponse que je fais à cette question.
- Kikieon… Je ne sais plus quoi faire. »
Une basse envie de se venger d'elle et de son attachement à son maître malsain le saisit. Il sut, avant de prononcer ces mots, qu'ils ne l'aideraient en rien. Pour la première fois de sa vie, il eut envie de faire le mal.
« Tu dois faire le choix le plus honorable. Serait-ce de suivre ton maître pour être aimée de lui, ou pour servir une cause qui te dépasse ? »
Au moment où il croisa son regard, il comprit que leur amitié ne serait plus jamais la même. Elle avait senti la légère rage qui faisait onduler sa voix, la déception et le reproche, et pire que tout, un mépris qu'elle ne méritait pas.
« Kiki… dit-elle froidement, je vais partir d'ici, d'une façon ou d'une autre. On se quittera donc fâchés. » Et tandis qu'elle s'apprêtait à lui tourner le dos pour s'en aller, elle sentit une poigne de fer lui saisir le bras, et Kikieon la serra contre lui.
Pardonne-moi. Pardonne-moi, je t'en prie… Tu as compris ce que je voulais dire… Je ne peux pas… Je ne supporte pas de te voir souffrir de la sorte…
Une envie de pleurer l'étreignit, qu'elle dissimula en enfouissant son visage dans ses cheveux de feu. Ses cheveux si doux, qui sentaient si bon l'enfance et la confiance. Ses mains remontèrent dans son cou, passèrent derrière sa nuque. Ils se regardèrent. Mais dans les yeux de Kikieon, elle ne trouva pas ce qu'elle cherchait, juste un trouble profond et une peur presque mystique, celle de l'interdit. Lorsqu'elle voulut se pencher vers lui, il avait déjà disparu, ne laissant derrière lui qu'une fine poussière dorée et le parfum d'une poignante tristesse.
