- SILENCE! aboie Mme Pince en me faisant sursauter.
Les petits premières années qui venaient d'entrer en quête d'un grimoire de Métamorphose déguerpissent à la vitesse de l'éclair, sans demander leur reste. A ma droite, Hermione n'a même pas bronché; elle ne fait plus attention aux exclamations régulières de la bibliothécaire, ni aux bavardages et gloussements divers qui sortent parfois la pièce de sa quiétude. Je lance un regard alentours. On sent que l'on se rapproche des examens, il y a plus d'élèves que d'habitude qui sont en train de réviser. Un petit pincement au cœur me rappelle à ma culpabilité de ne pas, moi-même, être en plein travail, mais je n'arrive déjà plus à me concentrer sur Les Salamandres de Salem… alors si je ne peux même pas finir mon roman, il ne faut pas compter sur du bachotage!
La porte de la bibliothèque s'ouvre soudain et je sens une bouffée de chaleur m'envahir. Je rouvre précipitamment mon livre et fais semblant de lire, en espérant cacher le cramoisi de mes joues. Pourvu qu'il passe vite devant notre table! Allez, allez… Oh, non…
- Hermione, Aqualyne, bonjour à vous. Dites-moi, auriez-vous vu Pénélope Deauclaire? Elle devait me retrouver pour travailler sur un devoir de Potions.
Mon cœur se serre à nouveau, mais cette fois ce n'est pas par culpabilité scolaire. C'est si rare qu'il vienne m'adresser la parole, et c'est pour me parler d'elle. Quel supplice! Je n'ose pas décoller les yeux de mon livre, et tente de mon mieux de paraître absorbée par ma lecture. Heureusement, Hermione vient à ma rescousse.
- Bonjour Percy. Je suis désolée, je ne l'ai pas aperçue – elle se trouve peut-être déjà au rayon des Potions?
- Ah. Bon, je pars à sa recherche. Merci tout de même!
Le cœur battant, j'attends qu'il s'éloigne, mais il ne semble pas bouger. Qu'est-ce qu'il fait? Oh mon dieu, ne me dites pas qu'il me regarde. Ou dites-moi qu'il me regarde? Non, je ne veux pas lui parler, je vais bégayer, ma voix va être pire que celle d'un Augurey…
- Firewing, tu tiens ton roman à l'envers, il me semble.
J'écarquille les yeux, rougis de plus belle et retourne le roman en bredouillant bêtement. J'aperçois Hermione étouffer un petit rire à mes côtés. Par Merlin…
- Les Salamandres de Salem, très bon choix! J'espère que tu aimeras le dénouement, beaucoup l'ont détesté, mais je l'ai trouvé particulièrement novateur.
J'acquiesce méthodiquement, mon cœur cognant à tout rompre contre ma cage thoracique. Son regard croise le mien. Il n'a pas l'air moqueur du tout, simplement calme et impassible, fidèle à lui-même. Je tente d'esquisser un sourire, auquel il répond gentiment avant de nous saluer d'un hochement de tête et de repartir et rajustant ses lunettes. Je le suis des yeux, tandis qu'il se dirige vers la section «Potions».
Un énorme claquement me fait sursauter à nouveau. C'est Hermione qui a refermé son livre, et qui me fait signe qu'elle va sortir. J'emprunte le roman et le fourre dans mon sac. Hermione tente de faire la conversation en parlant de ce qu'elle était en train de réviser, mais rien n'y fait, mon cerveau tourne en boucle sur ce qui vient de se passer.
- Tu veux en parler? dit soudain Hermione, comme si elle lisait dans mes pensées.
- Euh, hum... des salamandres?
- Mais non, voyons, rit-elle doucement. Je ne veux pas m'immiscer dans ta vie privée, mais tu avais l'air particulièrement chamboulée quand Percy est arrivé, et ce n'est pas la première fois que je te vois devenir timide en sa présence. Alors, je me disais… que tu ne lui étais peut-être pas totalement indifférente.
Bon sang, elle a beau être ma cadette de deux ans, qu'est-ce qu'elle est perspicace!
- Je ne vois pas de quoi tu parles! Je suis timide avec tout le monde – bon, tout le monde sauf toi, mais c'est différent – et puis, je n'avais même pas vu que Percy – enfin que Weasley était arrivé, je lisais mon livre et je ne l'ai pas remarqué…
- Ton livre que tu tenais à l'envers? fait-elle en arquant un sourcil, sarcastique. Ecoute, Aqualyne, je ne veux te forcer à rien, mais je passe du temps avec son frère Ron, si jamais tu voulais que je lui en parle ou que je leur propose de…
- NON! Surtout pas Ron. Désolée Hermione, je sais que c'est ton ami, mais je ne le supporte pas. Il me jugerait et je ne veux pas sentir son regard inquisiteur. Et puis, de toute façon, Percy est déjà amoureux de Pénélope Deauclaire, alors, qu'est-ce que ça pourrait bien faire si je l'aimais ou non?
Ma voix, d'habitude si enjouée quand je discute avec mon amie, se brise comme l'écume. Je sens une vague de larmes gonfler, et me mord la joue en espérant que mes lunettes orange vif cachent mes yeux embués. Hermione ne dit rien, ouvre la bouche, se ravise, puis prend un ton plus guilleret.
- Et de quoi ça parle, les Salamandres de Salem?
Je la remercie silencieusement d'avoir changé de conversation. Comme après toutes nos sessions lectures, je me lance dans la narration du roman.
- … les sorcières brûlent en chantant une incantation ensemble, et bam! de leurs sentiments les plus forts sont nées des salamandres! Les créatures arrivent à s'extirper des cendres et se faufilent tant bien que mal dans les cheminées des maisons de leurs persécuteurs – et là où j'en suis rendue, leur feu est nourri des émotions des occupants de la maison, mais les salamandres elles-mêmes influent les émotions des habitants selon ce que les sorcières ont ressenti au moment de mourir! C'est super puissant, et il y a une image que je trouve vraiment belle, c'est que des échos de leurs cris montent avec la fumée dans les tuyaux des cheminées – les habitants pensent que c'est le vent, mais il n'y a que ceux qui sont coupables qui les entendent et ils pensent progressivement devenir fous… Ils entendent comme des gémissements ou des sifflements de serpents, et se mettent eux-aussi à répéter des bruits, comme s'ils étaient possédés. Une petite fille finit par apercevoir la salamandre cachée dans sa cheminée, et j'ai arrêté au moment où elles se fixent dans les yeux. Je me demande si la salamandre va la corrompre aussi, ou si la petite fille va l'apaiser…
Hermione, qui m'écoutait monologuer avec attention, se fige soudain face au mur devant lequel nous passons.
- Aqualyne, je suis désolée, il faut que je retourne à la bibliothèque, murmure-t-elle.
- Pas de souci, dis-je interloquée. On se retrouve pour le match de Quidditch tout à l'heure?
- Oui, oui, pas de souci. Je… fais attention dans les couloirs, d'accord?
Elle s'apprête à rebrousser chemin, puis hésite, et finit par me dire:
- Tu sais, Percy ne s'adresse pas à beaucoup d'élèves en utilisant leur prénom.
Puis elle sourit gentiment, avant d'accélérer le pas en direction de la bibliothèque. Pensive, je me rends à la table de Poufsouffle dans la Grande Salle. Malgré les mois qui sont passés, l'absence du jeune deuxième année pétrifié se fait ressentir à notre tablée. Plusieurs Poufsouffles ont soit des airs moroses, soit complotistes. Je déjeune dans mon coin, et prends soin de garder quelques restes pour Hermione – je ne l'ai pas vue arriver à la table des Gryffondors. J'aperçois Percy qui promène son regard sur la table des Serdaigles. Deauclaire n'est pas là non plus.
Après le repas, je suis le flot d'élèves qui s'engouffre dans les gradins du stade de Quidditch. Etant finalement montée du côté Poufsouffle, je scrute les gradins Gryffondor – mais pas d'Hermione à l'horizon.
Soudain, le professeur McGonagall traverse le stade, moitié marchant, moitié courant. Elle a un énorme mégaphone violet dans la main.
- Le match est annulé, annonce-t-elle. Tous les élèves doivent immédiatement retourner dans leur salle commune où il leur sera donné de plus amples informations. Dépêchez-vous, s'il vous plaît !
Dans un élan de panique, tout le monde se précipite vers les sorties. Je me retrouve emportée par la foule jusqu'à la Salle Commune de Poufsouffle, où Madame Chourave nous assène la nouvelled'une voix tremblante : il y a eu une nouvelle agression. Double. Nous nous regardons tous les uns et les autres pour vérifier que nous sommes au complet. Nerveusement, je triture le bracelet de perles en bois multicolores que je porte au poignet.
- Qui est-ce? ose demander un garçon de cinquième année nommé Cedric Diggory.
- Une élève de Gryffondor et une élève de Serdaigle… Mmes Granger et Deauclaire.
L'information m'est tombée dessus comme une massue. Hermione est pétrifiée, et je n'étais pas à ses côtés quand c'est arrivé.
…
Le lendemain, je me précipite à l'infirmerie. J'ai demandé l'autorisation à Madame Chourave de rendre visite à Hermione, et je pense qu'elle n'a pas su dire non face à ma détresse.
Madame Pomfresh m'installe une chaise.
- Vous savez, Miss Firewing, elle risque de ne pas vous entendre ou vous voir, dit doucement l'infirmière.
- Je sais. Je voudrais rester près d'elle un moment tout de même, dis-je la gorge nouée.
- Prenez votre temps. Je serai dans mon bureau si vous avez besoin de quoi que ce soit.
J'observe longuement Hermione, figée comme une statue de marbre. Je n'arrive pas à comprendre, nous étions en train de discuter il y a si peu de temps! Et maintenant…
- Tu sais, je n'ai pas fini de te raconter ce que j'ai lu, dis-je à mi-voix comme si ma bouche se mouvait d'elle-même. L'une des sorcières a survécu à sa condamnation, mais elle est dans une sorte de coma. Il n'y a que quand elle perçoit les chants des salamandres qu'elle commence à se réveiller… Alors bon, je me suis dit que peut-être… enfin, je ne sais pas ce que ça vaudra, mais j'ai un peu l'espoir que si je joue de la flûte, cela pourra te réveiller aussi.
Je tire ma flûte traversière de mon sac. J'espère que personne d'autre n'est en visite, mais peu importe, de toute façon les rideaux sont tirés entre les lits. J'inspire profondément et me mets à jouer Syrinx de Debussy. La musique m'entoure, m'imprègne et regorge des sentiments confus qui s'agitent dans mon cœur. La dernière chose qu'elle m'a dite, c'était à propos de Percy. Le rythme s'emballe, suivant le tambourinement de mon cœur, avant de s'apaiser. Je laisse durer la dernière note, et la fin du morceau, je reprends mon souffle. Et d'un coup des larmes dégringolent.
- C'était très beau, Aqualyne, fait une voix dans mon dos.
Je me retourne, et un visage angélique se détache de tout le blanc environnant. Enfin, un ange pâle et abattu.
- P… Percy. Désolée, j'ai dû te déranger pendant que…
- Ne t'excuse surtout pas, cela m'a fait beaucoup de bien, dit-il doucement en prenant place à côté de moi et en me tendant un mouchoir en tissu. Je suis sûre que Hermione, Pénélope, Sir Nicholas et Finch-Fletchley ont pu être apaisé eux aussi.
J'essuie mes joues mouillées avec son mouchoir. Il sent si bon son odeur que j'aimerais le garder pressé tout contre mes narines, mais je m'abstiens et le lui rend en le remerciant à mi-voix. Un silence s'installe.
- Elles ont été retrouvées avec un miroir dans la main, dit-il soudain. Je n'y comprends rien. J'aurais dû m'inquiéter quand je ne l'ai vue ni au match, ni au réfectoire…
- Tu n'y es pour rien, dis-je sans réfléchir. Tu ne pouvais pas te douter de ce qui allait se passer.
- J'aurais peut-être dû. Je savais pourtant bien qu'elle était née-Moldue. Je fais un bien piètre ami, je n'ai pas imaginé un seul instant que… enfin… que qui ou quoi que ce soit oserait s'en prendre à une préfète… et surtout, j'ai eu tellement honte de…
Il s'interrompt, croise mon regard et détourne rapidement la tête. Je ne l'ai jamais vu aussi bouleversé, et quelque chose dans ses yeux brille étrangement. Honte? Ami? Mon sang pulse dans mes veines, j'ai les oreilles qui bourdonnent.
- Je fais une bien piêtre amie aussi, je murmure en glissant ma bague en métal et en nacre autour de mon majeur gauche. J'aurais dû retourner avec Hermione à la bibliothèque au lieu d'aller bêtement à la Grande Salle, elle avait l'air d'avoir compris quelque chose… je suis sûre qu'elle s'est mise en danger, j'aurais pu la protéger!
- Par Merlin, non! s'exclame Percy, en tournant si brusquement la tête que ses lunettes manquent de voltiger. Tu as bien fait de ne pas y aller. Cela aurait pu si mal tourner, et je… c'est déjà très dur d'avoir perdu Pénélope, si…
Sa voix se perd à nouveau, et je réalise que j'ai fait une boulette.
- Je suis désolée, je bégaie, je suis là à te parler de mes états d'âme alors que celle que tu aimes a été pétrifiée… je n'imagine pas ce que cela doit faire. Je suis désolée…
Il m'observe, interloqué.
- Celle que j'aime?
- Eh bien, Pénélope…
- Pénélope est ma plus proche amie. Je comprends les rumeurs à notre sujet, ces idiots de Fred et George ne font rien pour arranger cela, mais ils ne comprennent pas qu'il n'est pas facile pour tout le monde de nouer une amitié solide. Pénélope est probablement ma seule véritable amie, ici. Tu comprends ce sentiment, n'est-ce pas? C'est pour ça que tu es là aussi…
Nos regards se tournent vers le visage immobile et glacé d'Hermione. Ma seule véritable amie. Nous ne disons plus rien pendant un moment, mais je sens qu'un petit poids s'est allégé dans ma poitrine.
- Est-ce que cela te dirait d'aller prendre le soleil… entre amis? dit-il soudain. Pardon, cela sonne complètement gnomesque, mais… j'aimerais prendre l'air. Avec toi, si tu le veux bien.
- Avec plaisir.
Nous nous dirigeons ensemble vers le parc, et je finis par réussir à lancer une conversation sur notre lecture commune. La discussion est un peu bancale au début, mais je le sens captivé par mes impressions sur le roman, et je réponds de plus en plus aisément à ses questions. C'est assez facile, en fait, de lui parler. J'oublierais presque que cela fait des mois que je le fuis de peur de m'embraser sur place. Nous nous asseyons enfin sur un petit banc, face à la Forêt Interdite, et le silence est de retour. Cette fois, pourtant, il est agréable. Le soleil de mai caresse timidement nos peaux pâles.
- Je suis heureux de pouvoir enfin discuter avec toi, Aqualyne. J'avais… disons, je craignais que tu ne m'apprécies pas.
- Pourquoi donc? dis-je en sentant le feu prendre dans mes joues.
- Tu sembles me fuir dès que j'approche, je pensais que tu ne voulais pas m'adresser la parole, dit-il en plongeant son regard impassible dans le mien.
J'enfouis mon visage dans mes mains.
- C'est que… oh, j'ai honte, mais… tu ne me laisses pas indifférente, cela fait même maintenant un bon moment, mais je pensais que Pénélope… et puis, je suis plus jeune, et Morgane n'a pas tort, je suis beaucoup moins classe et jolie que…
- Morgane? La Serdaigle de cinquième année?
J'acquiesce faiblement, sans oser enlever les mains de mes yeux. D'une douce pression, il écarte mes doigts de mon visage, et remet mes lunettes droites.
- Tu es parfaitement classe et jolie, me dit-il d'un ton imperturbable, bien que sa nuque rosisse légèrement. Ne laisse personne remettre ça en doute. Je ne sais pas vraiment comment aborder ces sentiments mais… tu l'as joliment dit. Tu ne me laisses pas indifférent non plus.
Des papillons s'agitent dans mon ventre, et je n'arrive pas à tourner mes yeux noisette ailleurs que dans l'océan des siens.
- Je t'ai déjà observée dessiner, dévorer des romans, partir dans des conversations endiablées avec Hermione, et endosser aussitôt après un masque devant les autres. Cela m'a rendu curieux, tu as l'air si passionnée parfois, cela me donne envie de voir le monde à ta manière. Pénélope m'a conseillé plusieurs fois de me rapprocher de toi, mais j'avais peur de n'être que le pantin vide et arrogant que mes frères décrivent si souvent…
- Je te retourne le conseil, alors, dis-je en souriant timidement. Ne laisse personne te faire honte de qui tu es, car tu es formidable. Ta droiture, ta loyauté et ton envie de devenir meilleur font partie des choses qui… m'ont rendue amoureuse de toi.
J'ai la respiration coupée. Ça y est, je l'ai dit, pas de retour en arrière possible. Un large sourire s'affiche sur son visage. Il est magnifique, et j'ai les joues en feu autant que sa nuque qui rougit sous l'émotion.
- J'ai eu si peur que tu fasses partie des victimes de l'attaque, avoue-t-il soudain. J'ai un peu honte de ne pas avoir pensé à mon amie en premier, mais… j'ai imaginé que le pire t'était arrivé, et je me suis dit que j'étais un abruti de n'avoir jamais osé…
- Osé? dis-je dans un souffle.
- Osé discuter, osé chercher ta compagnie, osé te proposer de te tenir la main, osé t'embrasser, si tu le voulais…
Nos genoux se touchent, et je pose ma main doucement sur la sienne qui se repose sur sa cuisse. Comme une fleur qui s'épanouit lentement, elle déploie ses doigts et ils s'entrelacent doucement aux miens. Il glisse sa main libre sur ma joue, et a un petit rire nerveux.
- Je… je ne suis pas très doué, c'est la première fois que… Aqualyne, j'ai très envie de t'embrasser, est-ce que je peux…?
Je souris aussi, l'adrénaline coule dans mes veines et je suis parcourue d'une chaleur qui n'est plus celle du soleil. Je hoche la tête, et nos lèvres se joignent tendrement. J'ai l'impression qu'une salamandre pourrait naître du feu qu'attise la passion au creux de ma poitrine, et je passe mes doigts dans ses cheveux avant de me noyer dans son odeur et dans son étreinte.
