Titre : Mauvaise adresse

Thème : 13. Liens

Rating : PG-13

Genre : drame o.o slash!

Note : Pour Archea ! Suite des deux chapitres précédents.


Le mariage était prévu depuis juin. Ils en avaient pris la décision ensemble – pas de demande à genou ni de bague en diamant, ce n'était pas leur genre.

Avec Ophelia, la vie avait commencé à suivre un cours un peu moins terne, un peu moins dénué de sens qu'auparavant. Il était à la fois assez ironique et complètement logique qu'ils se soient trouvés dans l'un des coins les plus déserts d'Irlande, où Severus s'était retiré en espérant avoir enfin la paix. Les jours se suivaient et se ressemblaient dans ces vallons brumeux – leurs deux maisons avec le mur mitoyen, les grands arbres et le calme relatif. Ce jour-là n'était pas tellement différent des autres.

C'était un dimanche soir ; Severus était rentré le temps d'un weekend. Siobhan fêtait ses cinq ans et c'était un aussi bon prétexte qu'un autre pour justifier le déplacement. Vers la fin de la soirée, alors qu'il tenait Ophelia contre lui, se laissant aller à un rare moment d'intimité partagé en-dehors de la chambre à coucher, Severus s'était dit qu'il ne pouvait pas y avoir de meilleure façon de vieillir.

« Tu penses qu'il serait idiot de se marier ? » avait alors demandé Ophelia en fronçant les sourcils.

Severus se demandait parfois si elle n'était pas un peu Legilimens sur les bords, pour une moldue. Il avait réfléchi avant de répondre.

« Je ne suis pas quelqu'un qui croit au mariage en tant qu'institution, avoua-t-il. Mais… non, ça ne me paraît pas idiot.

– Oh, bien », fit-elle. Puis, après quelques secondes durant lesquelles Severus essaya de réaliser l'engagement qu'il venait de formuler : « Tu penses te marier avec qui ? Pour ma part, j'ai certaines vues sur Guy, tu sais, de la ferme derrière la colline…?

– … »

Elle s'était mise à rire et il avait dû l'embrasser pour la faire taire, ce à quoi Siobhan c'était mise à crier : « OUUUH LES AMOUREUUUX » et la décision était prise.

Ce soir-là, ils avaient fait l'amour avec une tendresse infinie, de cette tendresse qui pansait les blessures enfouies de Severus, lui permettait de dormir tranquille, confortablement lové dans les courbes du corps d'Ophelia, et il avait pensé avec toute la sincérité dont il était capable qu'il ne désirait plus rien d'autre au monde.

Moins de trois semaines plus tard, Severus se retrouvait dans le lit de Sirius Black.

(Le commencement)

« Quel cadeau étrange, fit remarquer Ophelia en déballant l'énorme paquet déposé devant leur porte, au matin même de la cérémonie. De qui est-ce que ça peut venir ? Il n'y a pas de mot pour aller avec… On aurait invité quelqu'un qui n'est pas au courant que nous vivons à la campagne ? »

Severus se sentit brusquement nauséeux en reconnaissant le gros arbuste en pot, et dit à Ophelia de le garder chez elle, de préférence dans une pièce sans lumière et sans l'arroser. Elle eut la délicatesse de ne poser aucune question. Tandis qu'il la regardait emporter l'arbuste sur un diable, il ferma brièvement les yeux et, les jambes en coton, s'appuya à la table de la cuisine dès qu'elle fut hors de vue.

Il n'avait pas envoyé de faire-part à Sirius pour qu'il vienne. Il l'avait fait parce qu'il n'avait pas trouvé d'autre moyen de lui dire. Car Severus s'était toujours montré excessivement discret quant à sa vie privée ; il chérissait ce mot – privé – à son sens le plus fort. Sirius aurait dû comprendre qu'il ne serait pas le bienvenu au mariage. Sirius le savait forcément. Mais il fallait se rendre à l'évidence : Sirius n'en avait rien à faire. Et voilà qu'il allait débarquer d'un instant à l'autre, et il allait tout gâcher, tout, et il y aurait une scène, et Severus détestait les scènes, et il dirait certainement tout à Ophelia, le jour de leur mariage – d'un instant à l'autre !

Mais un instant plus tard, Sirius n'était pas là, et l'autre non plus. La matinée s'écoula ainsi doucement, sans que Severus n'aperçoive, en dépit de ses nombreux regards inquiets par la porte-fenêtre de la cuisine, l'ombre de Sirius Black ou d'un chien noir.

« Ça va aller, Severus. »

Ophelia passait près de lui de temps à autres, tantôt lui caressant la joue, tantôt effleurant son épaule de la main. La famille, les amis d'Ophelia arrivaient par petits groupes, tandis que Severus lissait ses manches et ajustait l'épingle de son foulard. Elle aimait le voir bien habillé, alors aujourd'hui, pour une fois, il faisait attention à son apparence. Personne de ses propres connaissances ne venait, de toute façon, personne ne serait là pour se moquer de lui.

Lorsque les derniers invités furent arrivés, il s'était rendu à l'évidence : Sirius Black n'allait pas venir. Son cadeau était à lui seul un bras d'honneur à la cérémonie, lui-même n'avait pas à se donner la peine de se déplacer.

À sa grande contrariété, le soulagement ne fut pas exactement ce que ressentit Severus.

Dans le grand jardin, outre quelques gazouillis et bourdonnements, on n'entendait que les rares voitures qui passaient par la route traversant le village, et les grésillements distants d'un poste de télévision par ue fenêtre ouverte. C'étaient les bruits de la vie moldue. Severus les détestait autrefois, ils lui rappelaient son enfance comme une madeleine trempée dans un thé trop amer. Aujourd'hui, cependant, c'était sur le souffle des balais et les battements d'ailes des hiboux qu'il tirait un trait. Pour le meilleur.

« Severus Snape, dit le prêtre sobrement, acceptez-vous de prendre Ophelia Linton pour épouse ? »

Severus regarda Ophelia dans les yeux. Elle lui sourit tendrement. Et un grand vrombissement de moteur retentit.

La voix de Severus s'étrangla dans sa gorge.

« Mais qu'est-ce que…? » commença Ophelia.

L'énorme moto noire roula à travers la pelouse jusqu'aux sièges des invités, s'immobilisant assez brutalement. L'homme qui en descendit ne portait pas de casque, mais de grosses lunettes en cuir qu'il remonta sur sa tête pour dévoiler un regard courroucé.

« Bordel, Snape ! L'invitation disait Wicklow ! »

Blanc comme un linge, Severus ne sut pas quoi répondre à cette entrée en matière.

« Veuillez m'excuser, mesdames et messieurs, fit Sirius avec un sourire éclatant, tout en s'avançant entre les iinvités. Si j'avais eu la bonne adresse j'aurais pu arriver à l'heure et arrêter toute cette folie avant que vous ayez à en être les malheureux témoins. »

Severus vint à sa rencontre pour l'empêcher de s'approcher d'Ophelia. Cette collison de ses deux mondes faisait battre son cœur jusque dans ses tempes, et lui donnait sérieusement l'envie de vider le contenu de son estomac sur la moto de Sirius Black.

« Qu'est-ce que tu fais ici, Black ?

– C'était écrit Wicklow, dit Sirius. Pas Kiltegan !

– Kiltegan se trouve dans le comté de Wicklow, expliqua une vieille femme assise près d'eux.

– Merci, j'avais saisi, gronda Sirius, sans quitter Severus du regard. J'ai tourné en rond pendant plus d'une heure avant de réussir à apprendre où se trouvait votre Kilcock Road ! D'ailleurs je trouve le nom plutôt… »

Avec un bref regard d'excuse pour Ophelia, Severus attrapa brutalement Sirius par le coude et l'entraîna vers la maison. Dès qu'ils eurent franchi la porte, Sirius se dégagea avec humeur.

« Tu ne peux pas épouser cette femme, Snape. »

Son ton était catégorique, presque menaçant.

« Allons bon. J'ai hâte d'entendre ton argumentation. »

Sirius ouvrit la bouche comme s'il avait préparé ce qu'il voulait dire, mais venait de perdre ses mots. Il baissa la tête, tapa nerveusement du pied sur le sol, tendit les doigts de la main droite à plusieurs reprises, avant de lâcher, un peu mécaniquement :

« C'est une moldue. Les statistiques sont très claires là-dessus, les mariages avec les moldus sont souvent désastreux. Quand elle saura que tu es un sorcier…

– Je ne compte pas le lui dire. »

Sirius eut l'air interloqué.

« Pas le lui dire ? Quoi, tu vas vivre à la moldue ? Toi ?

– La vie sorcière ne m'a pas tant réussi que ça, Black.

– Mais tu es un héros de guerre !

– Et l'homme qui a tué Albus Dumbledore…

– Ça n'a rien à voir !

– Je suppose que ça dépendra du livre d'histoire. »

Le regard de Sirius courait frénétiquement de l'un à l'autre des yeux de Severus, cherchant dans chaque prunelle une lueur d'espoir pour lui.

« Snape, réfléchis encore un peu. Tu étais professeur dans l'école de sorcellerie la plus réputé de Grande – d'Europe ! Je suis certain que McGonagall te reprendrait si tu revenais. Et tes potions, hein ?

– Rien ne m'empêche de continuer mes potions.

– Et vivre dans ce trou ? Car tu es conscient que c'est un trou, n'est-ce pas ? Une église, trois moutons et des moldus bigots…

– Nous avons aussi un très joli château.

– Tu vas t'ennuyer comme un rat mort, ici.

– Je vais avoir la paix. »

Sirius continua de le dévisager quelques secondes sans rien dire, puis regarda le sol d'un air désemparé.

« Bien, si tu as fini… » commença Severus avec un geste dédaigneux de la main.

Mais Sirius releva alors la tête et poussa brusquement Severus contre le mur le plus proche. Une main posée sur le mur de chaque côté de sa tête, il approcha son visage du sien et murmura :

« Tu n'es pas amoureux d'elle. »

Severus déglutit. Sirius, en cet instant, ressemblait assez au tueur fou dont on avait placardé la photo sur tous les murs quelques années auparavant. Gardant l'air imperturbable, comme s'il ne se rappelait pas la dernière fois qu'il s'était retrouvé dans une position semblable à celle-ci, comme si le souvenir seul des baisers de Sirius ne suffisait pas à accélérer les battements de son cœur, Severus répondit lentement, froidement :

« Dans ton esprit malade, je suis amoureux de toi, c'est cela ? »

Sirius pinça les lèvres.

« Ce n'était pas que du cul.

– Bien sûr que ce n'était que cela, Black, ricana Severus. Tu croyais quoi, que me procurer un orgasme était le chemin vers mon cœur ?

– NON ! cria Sirius. Tu ne baises pas comme ça avec elle.

– Étant donné qu'elle est une femme, rétorqua Severus sans broncher, je pourrais difficilement te contredire…

– Ce n'est jamais aussi bon avec elle.

– Ta modestie, Black, me surprendra toujours. »

Le visage de Sirius se contracta, mais il détourna le regard le temps de se calmer.

« Tu as fini ? dit Severus en feignant l'ennui.

– Non. »

Son ton était entre la rage et la bouderie, et sonnait terriblement immature. Il n'en était que plus facile pour Severus de se moquer.

« Je n'aurais pas dû poser la question. Tu as fini. C'est fini. C'était fini avant même de commencer. Il n'y a que toi qui sois assez stupide pour ne pas voir une évidence comme celle-là.

– Est-ce que c'est parce que je suis un homme ? » demanda Sirius, toujours sans le regarder.

Severus éprouvait presque de la pitié pour lui. Ce n'était pas le moment de tomber dans la compassion : Sirius Black était à sa merci. N'avait-il pas longtemps attendu ce moment ?

Il parla d'une voix où transpirait un mépris si profond qu'elle avait de quoi flanquer à terre n'importe qui.

« Non, Black. C'est parce que tu es un chien. »

Severus avait une fâcheuse tendance à oublier que Sirius Black n'était pas n'importe qui.

Secouant la tête, Sirius l'attrapa brusquement par la gorge et rapprocha sensiblement son corps du sien. Les bras le long de son corps, Severus retint sa respiration, tentant de se maîtriser tandis que Sirius glissait sa cuisse entre ses jambes.

« Tu es vraiment une ordure.

– Dit celui qui violente un homme sans raison le jour de son mariage…

– Sans raison ! »

Sirius eut un rire glaçant, et parcourut du bout des lèvres la joue de Severus. Celui-ci, troublé, ne sut comment réagir.

« Admets que tu me veux », fit Sirius d'une voix profonde.

Il le regardait de nouveau dans les yeux, son léger sourire contredisant la dureté d'acier de son regard. Severus refusait de perdre son sang-froid.

« Je veux surtout que tu foutes le camp. »

Sirius pencha légèrement la tête de côté comme pour un baiser, son souffle chaud s'infiltrant entre les lèvres entrouvertes de Severus. Sa main sur sa gorge s'était faite caressante, et Severus sentait le désir affluer en lui à tel point qu'il ne pourrait bientôt plus le cacher, s'il restait dans cette position étroite.

« Black… grimaça-t-il lorsqu'il sentit les doigts de Sirius dans ses cheveux.

– Moi, je te veux, Severus…

– Tu ne peux pas m'avoir.

– Bien sûr que si… Tu en as envie… »

Sirius appuya ses hanches contre les siennes. Severus serra les dents.

« Tu es à mon mariage, Black.

– Tu veux une vie rangée ? fit Sirius en promenant doucement ses mains sur ses flancs. Mais tu n'es pas fait pour une vie rangée. Tu es comme moi…

– Je te laisse dix secondes ôter tes mains de moi.

– Et ça, c'est ta baguette dans ta poche…?

– C'est ma baguette dans ma main, prête à t'émasculer si tu tentes quoi que ce soit de plus. »

Surpris, Sirius s'écarta et vit la baguette que Severus pointait sur son entrejambe. Se décomposant, il recula vivement. Severus gronda :

« J'ai été trop patient avec toi.

– Je ne veux pas que tu l'épouses, Severus.

– C'est un peu tard.

– Non, ce n'est pas trop tard ! N'y retourne pas, pars avec moi…

– Nous sommes déjà mariés, Black. »

Alors que les yeux de Sirius s'arrondissaient, il y eut un coup léger sur la vitre de la porte-fenêtre, et Ophelia entra, l'air inquiet. Severus fit rapidement disparaître sa baguette dans le fond de sa poche et s'avança vers elle, parlant à Sirius.

« Le mariage civil a eu lieu hier. Comme il faut se déplacer jusqu'à la ville la plus proche, on l'a fait sans tous les invités. La cérémonie avec le prêtre, c'est juste pour faire plaisir aux parents d'Ophelia. »

Sirius semblait avoir du mal à enregistrer l'information. Il regarda Severus passer un bras autour de la taille d'Ophelia, perdu.

« Severus…? fit Ophelia d'un air interrogateur.

– Il s'en va, ne t'en fais pas. Il n'est pas très fin, mais il est capable de comprendre qu'on ne veut pas de lui ici. »

Ophelia s'écarta de Severus doucement. Elle posa une main sur son bras.

« Je t'attends dehors. Fais vite. »

Severus la regarda sortir, puis revint à Sirius. Il ne lui avait jamais vu un air aussi abattu.

« J'aurais dû venir plus tôt, marmonna-t-il. Quel con ! Mais je voulais être sûr de ce que je voulais avant de…

– Black, quand comprendras-tu qu'il n'est pas toujours question de ce que tu veux, toi ? »

Sirius ne trouva rien à répondre. Severus continua, sa colère affluant d'un coup.

« Tu veux, tu prends ? Ça ne marche pas comme ça ! Tu crois qu'il te suffit d'arriver tel un preux chevalier sur ta moto rutilante pour m'enlever des griffes d'un mariage que tu juges voué à l'échec ? Parce que tu m'as acculé dans un coin de canapé à une soirée et que ça s'est fini au lit, tu crois avoir ce genre de pouvoir sur ma vie ? »

– Ce n'est pas toi… protesta Sirius. Regarde-toi, c'est quoi ces fringues ? C'est quoi, tout ça ? La petite femme, le gosse, la maison avec jardin – ce n'est pas toi !

– Et si je veux que ce soit moi ?! » s'écria Severus.

Il ferma les yeux un instant, cherchant son calme. Il énonça finalement comme une sentence de mort :

« J'ai enfin la chance d'avoir une bonne vie. Tu n'as rien de semblable à m'offrir. Alors va-t-en. »

Il vit Sirius revenir à sa moto quelques mètres devant lui, et ressentit pour la première fois un profond sentiment d'apaisement. Il était enfin sûr d'avoir fait ce qu'il fallait, d'avoir pris la bonne décision. C'était un luxe que Severus Snape savait apprécier.

Il envoya un sourire léger mais rassurant à Ophelia tout en rejoignant Sirius, décidé à lui faire ses adieux définitifs comme un adulte. Ce fut bref, mais intense.

« Au revoir, Black », dit-il sobrement.

Avec une vivacité surprenante, Sirius étendit le bras, passa la main derrière sa nuque et pressa brutalement ses lèvres contre les siennes dans un baiser fougueux. Severus entendit les exclamations des invités avant même de réaliser ce qui se lui arrivait.

« Au revoir, Snape », sourit Sirius.

Incapable de la moindre réaction, Severus regarda Sirius chevaucher sa moto, le regarda disparaître par où il était venu dans un grand vacarme. Il resta ainsi quelques instants prostré, à regarder l'absence de Sirius Black.

Le mois d'octobre tirant à sa fin était frais sur ses lèvres…