LE CONCEPT ANIMAL
Chapitre 8
Drago avait passé la nuit chez Pansy, incapable de marcher jusqu'à chez lui. Il était en état de choc total et n'avait échangé que le strict minimum de paroles. Heureusement, il n'avait pas à travailler le lendemain : un week-end entier pour essayer de se remettre. De toute façon, il n'aurait jamais trouvé la force d'affronter son bureau.
Il dormit jusque tard dans la matinée. Pansy, sans lui dire, avait glissé quelques gouttes d'une potion de sommeil dans son verre pour l'aider à se reposer.
Elle était déjà debout lorsqu'il ouvrit les yeux. Assise dans la cuisine, elle se rongeait les ongles, le regard fixé sur un point invisible. La scène de la veille tournait en boucle dans son esprit. Gregory était devenu incontrôlable, dangereux, un homme qu'elle ne reconnaissait plus. Et Drago, obstiné à le protéger… C'était comme s'il refusait de perdre Gregory après avoir déjà perdu Vincent. Pansy pouvait deviner les raisons de cet entêtement, mais elle savait que cela ne pourrait pas durer. Si Drago continuait sur cette voie, il finirait par y laisser la vie. Gregory le tuerait, elle en était convaincue.
Un bruit dans l'escalier la tira de ses pensées. Elle releva la tête et vit Drago descendre précautionneusement, une main posée sur son flanc. Il entra dans la cuisine avec un air épuisé, presque fantomatique.
— Bonjour, Drago. Je te prépare un café, dit-elle rapidement.
D'un sortilège, elle fit apparaître une tasse fumante qu'elle posa devant lui. Drago s'en empara avec lenteur et s'assit en grimaçant.
— Merci, murmura-t-il, d'une voix rauque.
— Tu as l'air de souffrir…
Il hocha vaguement la tête, les yeux baissés sur son café.
— Oui… Il m'a donné un sale coup aux côtes, avoua-t-il finalement. J'ai peur qu'elles soient fêlées.
Pansy croisa les bras et le regarda avec une inquiétude mal dissimulée.
— Drago, il faut que tu fasses quelque chose. Tu ne peux pas continuer comme ça.
Il releva à peine les yeux de sa tasse, fixant le liquide noir comme s'il pouvait y trouver des réponses.
— Qu'est-ce que tu veux que je fasse ? soupira-t-il.
— Par exemple, appeler Harry Potter.
Il la regarda, sidéré, puis secoua lentement la tête, un sourire amer sur les lèvres.
— Toujours Potter… Pourquoi est-ce que c'est toujours lui que tu ramènes sur le tapis ?
— Parce que c'est le seul qui pourrait vraiment t'aider ! Il a les ressources, Drago, il est Auror, il peut te protéger.
— Il peut me protéger, répéta-t-il, une lueur de sarcasme dans la voix. Tu crois vraiment que c'est ce que je veux ? Qu'il débarque chez moi, joue les chevaliers blancs et commence à fouiner partout ? Non merci, Pansy. Je m'en sors très bien sans lui.
Elle fronça les sourcils, exaspérée.
— Très bien ? Très bien ? Tu te regardes, Drago ? Tu as des côtes probablement fêlées, tu es épuisé, tu ne dors plus correctement, et tout ça parce que tu veux protéger un type qui te tabasse et te torture.
— Ce n'est pas si simple, rétorqua-t-il, évitant son regard.
— Si, ça l'est. Gregory est dangereux, et il finira par te briser, Drago. Physiquement, mentalement… Tu ne pourras pas toujours le contenir.
— Je ne veux pas mêler Potter à ça, trancha-t-il.
— Alors quoi ? Tu préfères crever, c'est ça ?
Il laissa échapper un rire sans joie.
— Arrête d'exagérer.
— Moi, exagérer ? Pansy tapa du poing sur la table, faisant sursauter Drago. Regarde-toi dans un miroir, Drago ! Tu es à bout de forces. Si tu continues comme ça, il te tuera, et tu le sais.
Il détourna les yeux, le silence s'installant lourdement entre eux.
— Si tu ne l'appelles pas, moi je le ferai, lança Pansy, sa voix vibrante de détermination.
— Tu n'oserais pas.
— Tente-moi. Je ne te laisserai pas mourir pour cette histoire de loyauté absurde.
Drago releva brusquement la tête, une colère sourde brillant dans son regard.
— Tu n'as pas le droit de faire ça, Pansy.
— Oh, mais si. Parce que contrairement à toi, je tiens encore à ma vie, et à la tienne aussi.
— Oh… Rappelle-moi alors qui m'a traîné dans ce guêpier ? dit-il plus fourbe la tête penché sur le côté. Tu regrettes maintenant Pansy ? De m'avoir poussé devant lui, hm ?
Elle baissa légèrement les yeux. Elle s'en voulait terriblement.
— Si ça peut t'apaiser… Je ne t'en veux pas. Je préfère être sa victime que de t'imaginer à ma place. Sois tranquille.
Pansy resta figée un instant. Elle releva enfin les yeux vers lui, déterminée malgré la douleur qui perçait dans son regard.
— Drago… Tu n'as pas à dire ça, murmura-t-elle. Ce n'est pas juste, pas pour toi.
— Rien n'est juste, Pansy. Pas ce qu'il m'a fait, pas ce qu'il te ferait si les rôles étaient inversés. Alors si ça te soulage de te reprocher des choses, fais-le. Mais moi, je m'en fiche, ajouta-t-il en baissant les yeux vers sa tasse, son ton trahissant une lassitude profonde.
— Tu t'en fiches ? répliqua-t-elle, une pointe de colère refaisant surface. Non, tu ne t'en fiches pas. Tu te fais juste croire que tu peux tout encaisser, mais c'est faux. Tu n'es pas insensible. Pas après… après ça.
Son hésitation n'échappa pas à Drago, dont le regard se durcit.
— Après quoi, Pansy ? finit-il par demander, un ton de défi dans la voix.
Elle détourna les yeux, cherchant ses mots.
— Après… ce qu'il a fait hier soir, finit-elle par dire. Après ce moment où il t'a embrassé, Drago.
Il se figea immédiatement, ses mains se crispant autour de sa tasse.
— Je ne veux pas parler de ça, lâcha-t-il froidement.
— Mais moi je dois en parler, insista-t-elle, son ton suppliant. Parce que c'était la chose la plus humiliante que j'aie jamais vue. Pas juste pour toi, mais pour moi aussi. Parce que j'étais là, et je n'ai rien fait.
— Et qu'est-ce que tu aurais pu faire, hein ? répliqua-t-il, sa voix montant d'un cran. Me défendre ? L'arrêter ? Gregory n'écoute personne, tu l'as bien constaté.
— Non, mais moi je peux appeler quelqu'un qui le ferait, s'écria-t-elle.
Drago éclata de rire, un rire amer et sans joie.
— Ah oui le Joker Harry Potter va débarquer en héros pour régler tout ça ? Pansy, tu vis dans un conte de fées.
— Ce n'est pas un conte de fées, c'est la réalité. Et dans la réalité, tu as besoin d'aide.
Il se leva brusquement, repoussant sa chaise avec fracas.
— Je n'ai besoin de personne, gronda-t-il, son regard brillant de colère et de honte mêlées.
Pansy se leva à son tour, faisant face à sa fureur.
— Vraiment ? Et hier soir, quand il t'a forcé à l'embrasser devant moi, quand il a utilisé ton silence contre toi, tu n'avais besoin de personne non plus ?
Le visage de Drago se tordit sous l'effet du choc, comme si ses mots l'avaient frappé de plein fouet.
— C'était… Il voulait juste m'humilier, murmura-t-il, sa voix presque inaudible.
— Oui, Drago, et il l'a fait, dit-elle, sa voix se brisant légèrement. Et tu veux que je reste là, à regarder ça continuer ?
Il détourna les yeux, ses épaules s'affaissant légèrement sous le poids de la honte.
— Je ne peux pas, finit-elle par dire, presque en chuchotant. Je ne peux pas rester là et te regarder sombrer.
Un silence lourd s'abattit entre eux, Drago fixant un point invisible devant lui tandis que Pansy essuyait une larme furtive.
— Si tu refuses toujours de demander de l'aide, alors je le ferai pour toi. Je le jure, conclut-elle, avant de tourner les talons et de quitter la pièce, laissant Drago seul avec ses pensées, son cœur battant douloureusement dans sa poitrine.
Il se rassit lentement à la table pour boire son café. Heureusement que Gregory lui accordait un répit, qu'il ne le reverrait que dans deux semaines et chez lui en plus. Pansy n'aurait pas à assister à toutes ces horreurs, encore. Mais paradoxalement, l'idée de ne plus avoir de témoin, prêt à le secourir, lui faisait peur. Qui sait ce que Gregory pouvait faire s'il n'y avait vraiment personne autour d'eux.
Drago repensa au baiser de la veille et dans sa bouche, il eut un goût âcre. Il se sentit mal à l'aise, sale. Il avala son café, se brûlant légèrement la langue avec, mais cela lui fit du bien. Il eut l'impression que ça le lavait un peu. Dans le coin de son oeil, comme une moquerie à ce qu'il vivait, il crut apercevoir Vincent qui ricanait. Il n'en fut pas sûr et quand même il était persuadé de l'avoir vu… Vincent était mort et c'était une illusion.
. . .
La douleur à ses côtes était difficile à supporter. Elle le poursuivait constamment, mais Drago faisait tout pour paraître indifférent. Apparemment, sa façade tenait bon : personne ne lui posait de questions ni ne semblait remarquer son état.
Ce n'était que lorsqu'il se retrouvait seul dans son bureau qu'il s'autorisait à relâcher la tension. Parfois, il s'affalait dans son fauteuil, les mains posées sur son torse, les yeux fermés. Il respirait le plus doucement possible, essayant de contenir les vagues de douleur qui irradiaient à chaque mouvement.
C'était justement ce qu'il faisait lorsqu'on frappa à la porte. Une semaine presque entière s'était écoulée depuis la dernière fois qu'il avait vu Grégory, et une autre le séparait encore de leur prochain rendez-vous forcé.
Drago se redressa rapidement, dissimulant son inconfort. Il n'eut même pas besoin de demander qui était là : bien sûr, c'était Harry Potter. En voyant apparaître l'Auror, Drago ferma un instant les yeux, comme pour se préparer.
— Harry Potter, salua-t-il d'un ton neutre. Que me vaut cet honneur ? Une envie soudaine d'étudier de vieilles reliques ?
Harry esquissa un sourire, toujours avec cette nonchalance qui avait le don d'agacer Drago. Une veste d'Auror était négligemment jetée sur ses épaules, et Drago devina qu'il était venu directement après son travail. L'idée d'avoir un autre "obsédé" qui suivait ses moindres faits et gestes le fatiguait déjà.
— Salut, Malefoy… répondit Harry en avançant dans la pièce. Je voulais juste prendre de tes nouvelles. J'avais prévu de passer plus tôt, mais j'ai été pas mal occupé.
— Eh bien, comme tu peux le voir, je vais parfaitement bien, répliqua Drago, croisant les mains sur son bureau et fixant Harry droit dans les yeux.
Cependant, malgré ses paroles, son visage pâle et ses épaules tendues trahissaient une toute autre vérité.
— Tu n'as pas l'air en grande forme, fit remarquer Harry en penchant la tête. Tu sembles fatigué. Tu dors mal ?
— Tu es médicomage, maintenant ? répliqua Drago d'un ton mordant.
— Inutile d'être si venimeux, Malefoy, répondit Harry, imperturbable. Je m'inquiète, c'est tout.
Sans attendre d'invitation, Harry tira un siège devant le bureau pour s'asseoir face à Drago, son regard franc et insistant comme s'il cherchait à percer tous ses secrets.
Drago avisa alors les plumes abandonnées sur son bureau, celles du hibou d'Harry. Cela ferait un bon prétexte pour changer de sujet.
— Ton hibou, là… celui qui m'a apporté ta lettre. Pourquoi est-il si… gros ?
Harry cligna des yeux avant de sourire.
— Ah, tu veux dire Nimbus ? Il est... très gourmand et capricieux. Si je ne lui donne pas une friandise, il refuse tout bonnement de me rendre service. Et je ne te parle même pas de sa manie de trier les graines qu'il mange.
Drago ne retint pas un sourire sarcastique. Nimbus, comme le balai préféré de Potter. Charmant. Enfin, moins que cette bestiole obèse.
— Tu devrais faire plus attention à lui, Potter. C'est une très belle bête. À ce rythme, tu vas la tuer avant qu'elle n'atteigne l'âge mûr avec tes idioties.
Harry arqua un sourcil, amusé.
— Je ne pensais pas que tu t'intéressais au sort des hiboux.
— Et moi que toi, tu t'en fichais, répondit Drago du tac au tac, une lueur de défi dans les yeux.
Mais Harry, loin de se laisser entraîner dans une joute verbale, se gratta la tête, visiblement gêné.
— Ce n'est pas que je m'en fiche... Mais je ne suis pas très doué. Hermione me répète sans arrêt que je devrais mieux m'en occuper. Dis, tu as un hibou, toi ?
Drago secoua la tête.
— Plus maintenant… Les nôtres sont morts de faim à la fin de la guerre. Ils étaient enfermés dans des cages, dans une partie inaccessible du manoir. Ça a brisé le cœur de ma mère. Depuis, j'ai souvent pensé à m'en acheter un autre, une chouette peut-être, mais… je n'ai pas encore sauté le pas.
Son regard s'assombrit. En vérité, il aurait aimé choisir cet animal avec sa mère, comme un lien à reconstruire entre eux. Mais elle et Lucius ne lui parlaient plus.
— Hedwige aussi est morte pendant la guerre, dit doucement Harry. Je m'en remets difficilement. Nimbus est un cadeau, et je l'aime, mais… ce n'est pas Hedwige.
Drago haussa un sourcil.
— Tu ne peux pas remplacer un être par un autre. Et Nimbus est de toute façon trop gros et teigneux pour être comparé à n'importe quel autre animal, lança-t-il avec un sourire narquois.
Le commentaire arracha un sourire à Harry, qui hocha la tête. Mais cet interlude léger ne détourna pas Potter de sa préoccupation principale.
— Comment va ta main, depuis… ? demanda-t-il en désignant la gauche de Drago d'un geste du menton.
Drago leva sa main et la fit bouger doucement, ouvrant et fermant les doigts.
— Parfaitement fonctionnelle. Tu peux rapporter ça à tes supérieurs, s'ils continuent à me surveiller.
— Je t'ai déjà dit que le Ministère ne te surveillait pas, Malefoy. Je suis ici de mon propre chef.
— Peut-être, mais je reste méfiant, répondit Drago avec froideur.
Harry soupira et se pencha en avant, appuyant ses coudes sur le bureau, le menton dans ses mains.
— Par contre, je ne suis pas aveugle. Tu as mal quelque part, ça se voit. Tu t'es encore cogné contre un mur chez Pansy ?
Drago leva les yeux au ciel.
— Je vais très bien, Potter.
Le silence s'épaissit entre eux. Puis, à la surprise de Drago, Harry se leva et commença à toucher les objets posés sur son bureau, les déplaçant sans gêne.
— Eh, arrête de tripoter tout ça ! s'exclama Drago.
— Tu as quelque chose à cacher ? lança Harry avec un sourire en coin.
— Pas du tout. Mais j'essaie de garder un semblant d'ordre ici !
Harry ignora la protestation et continua son exploration. Visiblement agacé, Drago se leva enfin pour l'arrêter. Mais ses mouvements, bien que contrôlés, étaient lents et douloureux. Harry ne manqua pas de le remarquer, ses yeux se fixant sur le torse de Drago.
— Tu t'es fait frapper dans le ventre, constata Harry.
Drago détourna les yeux, silencieux.
— Est-ce que ça nécessite l'intervention discrète d'un médicomage ? Tu veux que je t'accompagne ? insista Harry.
Drago sembla peser le pour et le contre, triturant une boîte qu'il avait saisie. Après un moment de réflexion, il hocha la tête, presque imperceptiblement.
— Très bien. Je vais t'aider, Drago. Mais cette fois-ci, il faudra m'en dire un peu plus. Je ne peux pas continuer à ignorer ça.
Drago pinça les lèvres.
— Laisse tomber.
Harry le dévisagea, persistant.
— Tu es sous l'emprise de quelqu'un ? On te fait du chantage ?
Drago haussa les épaules, toujours insaisissable. Harry, après un moment d'hésitation, se lança :
— Gregory Goyle… Est-ce qu'il a quelque chose à voir avec ça ?
L'effet fut immédiat. Drago se figea, et ce silence, plus éloquent que des mots, suffit à confirmer les soupçons d'Harry.
— Il n'y est pour rien, murmura finalement Drago, la voix basse.
Mais Harry n'en crut pas un mot.
— C'est moi, reprit Drago avec une amertume froide. Tout seul. C'est moi qui me fais ça.
Harry plissa les yeux, sceptique.
— Bien sûr… Je veux bien te croire pour ta main, vu que tu l'as fait sous mes yeux. Mais sérieusement ? Tu crois que je vais avaler que tu te fracasses le torse tout seul ?
— Aussi insensé que cela puisse paraître, oui, répondit Drago avec obstination.
Il reposa sèchement l'objet qu'il triturait sur le bureau, son expression fermée. Mais Harry ne comptait pas lâcher l'affaire.
— Et les Doloris ? Tu te les infliges tout seul aussi ?
Ces mots frappèrent comme un sort bien placé. Pour la première fois, l'assurance glaciale de Drago se fissura. Harry vit dans ses yeux un éclat de panique, un mélange de colère et de vulnérabilité.
— Comment… comment tu sais ça ?
Harry adoucit sa voix, conscient qu'il marchait sur un fil fragile.
— Le médicomage a détecté des traces du sort sur toi, Drago. Pas besoin d'être un génie pour savoir que ce sort est interdit. Alors ? Gregory…
— NON !
Drago éclata, sa voix claquant comme un fouet.
— Laisse Gregory en dehors de ça ! Il n'a rien fait, c'est clair ?
Harry ne répondit pas tout de suite. Il observa Drago, scrutant les émotions qui se bousculaient derrière son masque d'arrogance et de froideur. Il aurait voulu creuser, forcer les mots à sortir, mais il savait que ça ne mènerait à rien. Pas maintenant.
— D'accord, finit-il par dire doucement, levant les mains en signe de reddition. Je ne veux pas te pousser à bout.
— Ça serait bien la première fois que tu ne veux pas me provoquer, Potter.
— Je peux faire des efforts, tu sais, répondit Harry avec un petit sourire. D'ailleurs… je dois dire que tu es vraiment différent de celui que j'ai connu à Poudlard.
Drago eut un rictus cynique.
— Différent ? Oh, laisse-moi deviner… Je ne passe plus mon temps à t'insulter ou à essayer de te jeter des sorts dans le dos ?
— Ça, et… tu sembles plus… humain, en fait. Moins…
— Moins insupportable, compléta-t-il en croisant les bras.
— Disons que je te trouve même presque… sympa.
— Bah voyons, tu me trouves "sympa" ? Par Merlin, est-ce que je rêve ? Est-ce que Merlin même est tombé sur la tête ?
Harry esquissa un sourire amusé.
— Ne t'emballe pas trop. C'est juste que… tu n'es plus le garçon arrogant et mesquin d'avant.
Drago détourna le regard, comme s'il réfléchissait. Ses doigts caressèrent le papier d'un parchemin, posé près de lui. Puis, après un moment, il répondit d'une voix plus posée :
— Tu as raison. Je ne suis plus le même. Poudlard… la guerre… tout ça m'a changé. Et je ne dis pas ça pour me justifier ou chercher ta pitié. Mais j'ai compris certaines choses.
Harry, intrigué, s'adossa à sa chaise.
— Quelles choses ?
Drago hésita, fixant un point imaginaire sur son bureau.
— J'ai compris… que beaucoup de mes actions étaient stupides. Cruelles, même. J'ai suivi des idéaux qui ne m'appartenaient pas, des idéaux que je n'avais pas choisis. J'ai fait du mal à des gens qui ne le méritaient pas, simplement parce que c'était plus facile que de leur tendre la main. J'ai embarqué des gens dans des histoires qui ne les concernaient pas… Parce que je ne voulais pas être seul à plonger dans ces ténèbres.
Cette dernière phrase résonnait plus fort en lui, évidemment. Il releva les yeux vers Harry, un mélange de défi et de vulnérabilité dans son regard, puis reprit sa morgue habituelle :
— Voilà, tu es content ? Tu peux aller raconter ça à Granger et Weasley. Ils vont adorer m'entendre dire que j'étais un sale petit con.
Harry secoua doucement la tête, un sourire presque tendre étirant ses lèvres.
— Non. Je ne vais rien dire. Ce que tu viens de me dire, c'est entre toi et moi.
Pris au dépourvu par cette réponse, Drago se rassit dans son fauteuil se donnant des airs de grand prince.
— Et puis, ajouta Harry, je pense que tout le monde change. Ce qui compte, c'est ce que tu fais maintenant. Et honnêtement… je trouve ça… admirable, que tu sois capable de le reconnaître.
— Admirable, en quoi ça l'est ? T'es fou ou bien… ?
— Fou ? Non. Mais je vais même ajouter quelque chose que je ne pensais pas dire un jour sur toi… Je trouve que ce nouveau côté de toi te va bien.
Un silence tendu s'installa entre eux, Drago ne sut trop quoi répondre et détourna rapidement le regard pour masquer son trouble.
— Bon. Je t'amène au médicomage, alors ?
— Je suis encore sur mes heures de travail, remarqua Drago.
— Bah, si tu es accompagné d'un Auror… ! Et je ne crois pas qu'on te surveille, il lui fit un clin d'oeil.
Drago poussa un soupir à fendre l'âme, mais se releva.
— Soit. Mais que ça soit fait rapidement. Tu me transplanes, on me soigne et je reviens ici.
Harry hocha brièvement la tête et Drago fit le tour de son bureau. S'il le laissa poser une main sur son épaule, il le regarda tout de même d'un air réprobateur. Puis ils transplanèrent.
Même cabinet, même Terrence, toujours aussi vif et sarcastique. Le médicomage, d'abord surpris de revoir Drago, leva les yeux au ciel avec une exclamation exagérée.
— Par Merlin, je savais bien que Malefoy finirait par revenir sur ma table d'auscultation !
— C'est sûr que je ne viendrai pas vous voir pour autre chose, grogna Drago, déjà sur la défensive.
— Du calme, du calme, intervint Harry pour apaiser les tensions. Salut Terrence. Tu pourrais jeter un coup d'œil à Drago ? Il a quelque chose au niveau du torse, il me semble.
Terrence abandonna ses parchemins sur son bureau et s'approcha des deux hommes avec un mélange de curiosité et de lassitude.
— Au niveau du torse, hein ? Alors, il va falloir retirer ta chemise, Malefoy.
Drago croisa les bras, son mécontentement visible dans le tapotement nerveux de ses doigts sur son avant-bras. Il lança un regard agacé vers Harry, puis désigna ce dernier du menton.
— Il sort.
— Oh, arrête, Malefoy, protesta Harry avec un sourire taquin. On est entre mecs, il n'y a rien d'embarrassant !
Mais ce n'était pas la pudeur qui dérangeait Drago. Il redoutait plutôt la réaction de Potter en découvrant l'état de son corps marqué d'ecchymoses.
— Par mesure de sécurité, je préfère ne pas rester seul avec un Serpentard, ajouta Terrence avec un sourire narquois.
Drago ferma un instant les yeux, exaspéré, puis abandonna le combat. Avec des gestes secs, il déboutonna sa chemise et la retira avant de la poser soigneusement sur une chaise. Ses mouvements restaient empreints de cette élégance naturelle qu'il semblait toujours arborer, malgré les circonstances.
Quand Harry aperçut les blessures sur le torse de Drago, son expression changea radicalement. Il écarquilla légèrement les yeux, la bouche entrouverte.
— Ce n'est pas possible…
Terrence, impassible, scrutait les blessures avec un œil professionnel. Il sortit sa baguette et effectua un mouvement souple pour évaluer l'état de son patient.
— Quelques traumatismes au niveau des côtes, et une côte fêlée. Bravo, Malefoy, tu progresses dans l'art de te blesser.
— Je suis tombé, répondit Drago d'une voix plate, sans même essayer de rendre son mensonge crédible.
— Du premier étage de ta stupidité, je suppose, rétorqua Terrence du tac au tac.
Drago ne releva pas la remarque, ses traits fermés. Terrence poursuivit son diagnostic, lançant cette fois un sort vers le visage de Drago, qui eut un léger mouvement de recul, surpris. Le médicomage secoua lentement la tête, son expression devenant plus grave.
— Encore des traces de Doloris, soupira-t-il, presque pour lui-même.
Drago sentit son estomac se nouer.
— Je ne peux pas faire grand-chose pour toi, reprit Terrence après un moment.
— Pardon ? Vous êtes médicomage. Vous pouvez réparer une côte fêlée, vous l'avez bien fait pour ma main !
— Certes. Mais c'était avant que je découvre que tu portais les séquelles d'un Doloris.
Le regard de Drago se durcit, incrédule.
— Ne fais pas semblant de tomber des nues, reprit Terrence en le fixant. On ne soigne pas avec des sortilèges un corps déjà marqué par une magie noire aussi invasive, sauf en cas extrême. Ça pourrait aggraver ton état. D'ailleurs, j'imagine que tu n'as pas très bien vécu les jours suivant mes soins sur ta main… vertiges, fièvre, nausées, n'est-ce pas ?
Drago détourna les yeux. Il se souvenait parfaitement des contre-coups, mais il avait refusé d'y accorder trop d'importance.
— Ces effets secondaires ne me dérangent pas. Potter, dis-lui que c'est ridicule.
Harry secoua lentement la tête, le regard fixé sur Drago.
— Ce qui est ridicule, c'est que tu te laisses aller comme ça. Réveille-toi, Drago.
Cette remarque fit crispa les mains de Drago. Il les regarda tous les deux comme un animal acculé.
Terrence, visiblement fatigué de ce jeu, attrapa une chaise et s'y assit à califourchon, son ton devenant plus sérieux.
— Dis-moi… tu connais les effets secondaires prolongés du Doloris, n'est-ce pas ?
Drago répondit sans relever la tête.
— En partie, oui.
Terrence se pencha légèrement en avant, sa voix baissant d'un ton.
— Alors tu devrais savoir que ce n'est pas juste une question de douleur physique. Ça laisse des traces… plus profondes.
Harry observa Drago, tentant de capter la moindre réaction. Mais le visage de ce dernier restait fermé, impénétrable.
— Tu en as des contre-coups ? demanda-t-il.
Encore une fois, celui-ci resta silencieux.
— Peut-être que tu cherches volontairement à subir ce sort interdit, alors, continua-t-il.
— Excusez-moi ? C'est complètement stupide, fit Drago avec de grands yeux.
— Oui et non.
— Qui pourrait vouloir subir ça, ajouta Harry.
— Laissez-moi vous raconter quelque chose, dit alors Terrence, toujours sur sa chaise. Subir un tel sort est horrible, nous sommes d'accord. Beaucoup de gens en ressortent traumatisés à vie, totalement fous. Pour autant… J'ai déjà eu affaire à des cas de personnes, même d'Aurors qui… Après avoir été torturé au Doloris en avait recherché l'effet par la suite. Résister à un tel sort peut causer une addiction masochiste. Une douleur qui rend vivant selon certains.
Il fit un geste évasif de la main.
— Il existe un marché noir des sorts interdits. Certains seraient prêt à payer pour le subir. Quitte à en perdre la tête. Je n'invente rien, cela existe. Alors je le répète Drago Malefoy, est-ce que tu cherches volontairement cette douleur ?
Drago ne rebondit pas de suite, au grand étonnement d'Harry, moins de Terrence. Cherchait-il cette douleur ? De but en blanc il aurait dit non, mais en y réfléchissant c'était plutôt un petit oui. Le premier Doloris l'avait soulagé après coup. Et même s'il avait peur de ce sortilège à chaque fin de séance avec Gregory, une partie de lui se sentait alléger. Les hallucinations le terrifiaient, mais voir Vincent, même moqueur, lui réchauffait le coeur. Mais penser de cette manière, Drago le sentait, c'était vraiment illogique.
Drago passa une main dans ses cheveux, secouant lentement la tête.
— Non… Non, je ne cherche rien.
Mais en disant cela, il laissa échapper un rire nerveux. C'était ridicule, non ?
Terrence s'ébouriffa les cheveux, comme pour se donner un peu de contenance, avant de se redresser légèrement.
— Harry, tu peux sortir ?
— Quoi ? Mais pourquoi ?
— Parce que j'ai besoin de m'entretenir seul avec lui, répondit Terrence d'un ton qui ne laissait pas de place à la discussion.
Harry fronça les sourcils et fit un signe négatif de la tête, comme si la requête n'était même pas envisageable. Terrence, imperturbable et leva et posa une main ferme sur son épaule.
— C'est mon cabinet. Malefoy n'est pas un prisonnier en garde à vue. Allez, dehors. Ça ne prendra pas longtemps.
Il le guida presque de force vers la sortie et referma la porte derrière lui. Reprenant place sur sa chaise, Terrence fixa Drago avec un mélange de professionnalisme et de dureté.
— Écoute-moi bien, Drago Malefoy. Je ne ressens pas une grande sympathie pour toi, ni pour le rôle que tu as joué pendant la guerre. Mais… le Ministère t'a gracié, et ça, ça signifie que tu as le droit de vivre une vie normale. Alors pourquoi, par Merlin, tu te laisses mutiler de cette façon ?
Drago serra les mâchoires et se dirigea vers sa chemise, qu'il enfila lentement, évitant soigneusement de croiser le regard de Terrence.
— Ça n'a rien à voir. Rien du tout. Je ne me mutile pas, répondit-il d'un ton défensif.
— Mais pourquoi acceptes-tu ce sort sur toi ? Parle librement, Harry n'est plus là, et je suis tenu par le secret médical.
Drago resta silencieux, ses mains tremblant légèrement alors qu'il boutonnait sa chemise. Finalement, il se laissa tomber doucement sur la chaise en face de Terrence et fixa le sol. Ses doigts se mirent à triturer nerveusement l'accoudoir.
— Quels… sont les effets secondaires du Doloris ? demanda-t-il, presque à contrecœur.
Terrence fronça légèrement les sourcils.
— Globalement ? La folie. Mais avant d'en arriver là, il y a plusieurs étapes. Le sort attaque directement le système nerveux. Chez certaines personnes, ça entraîne des symptômes similaires à ceux de la schizophrénie : hallucinations auditives et visuelles, dépersonnalisation, gestes brusques incontrôlés. Ça peut aussi provoquer des troubles physiques : une hypersensibilité à la lumière, aux sons… et à la douleur. D'autres perdent au contraire toute sensation.
Drago releva les yeux, une étincelle d'espoir mêlée d'angoisse.
— Est-ce que ces symptômes sont réversibles ?
Terrence le fixa longuement, pesant ses mots. Si Drago posait cette question, c'est qu'il avait déjà des symptômes.
— On peut te soigner, soulager certains troubles. Mais guérir complètement ? Non. Ce que le Doloris a fait à ton esprit et à ton corps, tu le porteras jusqu'à la fin de ta vie.
Drago sentit ces mots le foudroyer. Il se recroquevilla légèrement, ses coudes appuyés sur ses genoux, la tête entre les mains. Pendant un moment, il avait naïvement cru qu'une fois que Gregory cesserait ses tortures, il pourrait tourner la page sur ses souffrances et ses visions. Mais maintenant… que lui restait-il ?
— Quels sont tes symptômes ? demanda calmement Terrence.
Drago secoua la tête, incapable de répondre.
— Je ne dirai rien à Harry, si c'est ce qui t'inquiète, reprit Terrence avec patience. J'ai besoin de savoir, pour t'aider. Si tu ne fais pas un pas vers moi, tu seras condamné, Drago.
Après un long silence, Drago céda d'un coup, d'une voix tendue.
— Des hallucinations… visuelles et auditives. Je vois des gens, dans le coin de ma vision… et ils me parlent. Parfois, je les sens. Comme s'ils me touchaient, ou… comme s'ils manipulaient du feu près de moi.
Terrence hocha lentement la tête.
— D'accord. C'est un début. On va gérer la suite ensemble.
Mais Drago, les poings serrés sur ses genoux, semblait à mille lieues d'être rassuré.
Terrence s'adoucit légèrement. Il voyait bien que Drago était en train de vaciller, pris dans une panique sourde. Il laissa un silence s'installer avant de reprendre d'un ton plus posé :
— Je ne vais pas te mentir : ce n'est pas réversible. Mais ça ne veut pas dire que ta vie est finie. On a des moyens pour limiter les effets, rendre cela presque anecdotique qui sait.
Drago releva la tête, son visage encore fermé mais ses traits plus maîtrisés. Il inspira lentement, cherchant à reprendre contenance.
— Vous parlez de limiter les effets. Vous pouvez m'en dire plus ?
— Pas tout ici, pas maintenant. Mais je vais te transmettre de la documentation complète sur le Doloris : ses effets, les thérapies possibles, les moyens d'atténuer les symptômes. Je te l'enverrai par hibou dès demain. Tu pourras lire ça à tête reposée.
— Merci, murmura Drago.
Terrence se redressa, récupérant sa baguette.
— Maintenant, parlons de tes côtes. Normalement, je devrais refuser de te soigner par magie. Mais… on va dire que je vais prendre le risque, exceptionnellement. Mais plus de sortilège par la suite.
Drago arqua un sourcil, presque étonné par cet élan de clémence. Terrence pointa sa baguette sur son torse et murmura une série d'incantations. Une lumière douce émana de la baguette, enveloppant les côtes blessées. Drago sentit d'abord une chaleur apaisante, puis l'étrange sensation de sa côte qui se remettait en place. Cela lui coupa d'abord le souffle, puis il soupira, se sentant beaucoup mieux.
— Voilà, c'est fait. Mais pas d'efforts physiques et surtout du repos. Tu vas sans doute avoir des nausées et de la fièvre à cause des traces du Doloris.
— Compris, répondit Drago d'un ton un peu plus léger.
Terrence rangea sa baguette et se leva, se dirigeant vers la porte.
— Je vais faire revenir Harry. Il ne supporte pas de rester trop longtemps à l'écart. Il a probablement le nez collé à la porte depuis tout à l'heure.
Drago esquissa un sourire malgré lui. Terrence ouvrit la porte, laissant Harry entrer.
— Alors ? demanda Harry, son regard passant immédiatement sur Drago.
— Tout est en ordre pour l'instant, répondit Terrence. Mais il a des instructions à suivre, et je compte sur toi pour lui rappeler de les respecter s'il a tendance à faire la sourde oreille.
Harry haussa un sourcil, les bras croisés.
— Moi ? Mais ce n'est pas un enfant, c'est Malefoy.
— Justement, répliqua Terrence avec un sourire narquois. Ce sont souvent les patients les plus compliqués qui nécessitent un baby-sitter.
Harry lança un regard amusé à Drago, qui roula des yeux mais semblait un peu plus détendu.
— On peut partir maintenant ? marmonna Drago, reprenant sa chemise et sa veste.
— Oui, allez-y. Et Malefoy… fais un effort, conclut Terrence.
Drago ne répondit pas mais son regard, plus calme, laissait entendre qu'il avait bien entendu le message. Les deux hommes quittèrent le cabinet, un silence flottant entre eux.
