Écrit par HateWeasel
346. Ce qui ne peut se voir ne peut être blessé.
Audrey retenait son souffle depuis sa cachette, craignant qu'expirer ne serait-ce que légèrement suffise à alerter les gardes qui patrouillaient dans l'école. Le garçon était sur les nerfs depuis le moment où les lumières s'étaient allumées. Ils savaient que ses amis et lui étaient ici, et il y aurait des conséquences s'ils se faisaient attraper. Qu'en était-il des autres ? Avaient-ils réussi à s'enfuir ? S'étaient-ils déjà fait prendre ? Allaient-ils bien ? Irait-il bien, lui ?
Il l'ignorait. Audrey ne pouvait rien faire d'autre que se cacher, et espérer qu'on ne le trouverait pas. Ses muscles étaient tendus et il commençait à se sentir quelque peu étourdi à force de retenir sa respiration aussi longtemps. Il ne savait absolument pas s'il était assez bien caché, ou s'il y avait vraiment de quelconques gardes près de lui, à cause de la pénombre, mais il y avait quelque chose dans l'air qui lui donnait des frissons tout le long de la colonne vertébrale, et de la pire manière possible. Il avait l'impression d'être observé, pourtant il ne voyait rien.
Le garçon était un demi Dieu de la Mort, mais voilà qu'il se retrouvait à avoir peur. Ce garçon qui avait une partie de la "mort" en lui avait peur de quelque chose dont il n'était même pas sûr. Il avait quelque peu honte de lui. La mort ? Apeurée par quoi ? Un trentenaire en fin de décennie en surpoids ? C'était tellement pathétique que c'était difficilement passable en plaisanterie.
Bien sûr, mais il l'ignorait, il avait raison d'avoir peur. Il y avait des choses dangereuses là où la lumière n'allait pas. L'obscurité était leur terrain de chasse, dans le sens figuré et littéral du terme. Elles restaient tapies dans l'ombre et ciblaient les ténèbres dans le cœur des mortels. Et ce qui dut arriver arriva.
- Audrey- dit une voix familière alors qu'une main se plaça sur l'épaule du Baines.
Immédiatement, le garçon sauta en arrière, relâchant toute la tension exercée sur ses muscles d'un seul coup.
- AAAAH ! lança Audrey, surpris par le bruit et le contact soudain.
Il s'empressa de plaquer sa main contre sa bouche afin de ne pas faire un bruit de plus avant de se retourner et de faire face à son attaquant. Bones plissa les yeux alors qu'il tenta de voir dans le noir, apercevant le bout d'un visage pâle illuminé par le peu de lumière disponible dans sa cachette, avec un seul œil à l'air surpris. Il fronça les sourcils en reconnaissant le visage.
- Mais putain, mec ?! T'as failli me faire avoir une attaque ! dit le Dieu de la Mort d'un ton énervé, criant tout en chuchotant.
- Je suis venu te chercher, dit son ami, un garçon d'à peu près sa taille, avec un cache-œil et une attitude étrange qui pouvait difficilement être qualifiée "d'attachante". Tu regardais de l'autre côté, et je devais avoir ton attention, reprit Ciel. J'ai simplement fait la chose la plus logique, et je t'ai appelé. Du calme.
- Mais pourquoi est-ce que tu t'es faufilé derrière moi ?!
- Pour éviter d'être repéré par les gardes, enfin, répondit le Phantomhive. Tout ce que je fais n'a pas un but maléfique, Audrey...
- Tes pouvoirs de démon fichent la trouille, mec... répondit le Dieu de la Mort en prenant une profonde inspiration dans l'espoir de se calmer.
L'autre garçon était indifférent, comme toujours.
- Je suis presque certain que c'est là leur intérêt, dit-il en sortant de la cachette. Allez, viens, nous devons trouver Kristopherson. Il est parti vers le Nord, et il est en route pour l'Est. Nous devrions lui tomber dessus.
- C'est tout ? demanda Audrey. Tu n'es pas très doué pour toute cette histoire de "normalité", hein ?
Le bleuté marqua une pause afin de regarder par-dessus son épaule l'autre garçon. D'abord, il eut l'air confus, mais bien vite, il reprit son stoïcisme habituel.
- Je n'ai pas été "normal" depuis mes dix ans, dit-il sur un ton plutôt sérieux. Quelques bêtises de lycéens ne vont pas y changer quoi que ce soit.
- Ouais, enfin et si tu essayais au moins ? demanda Audrey. Tout ne doit pas être méthodiquement préparé et exécuté de manière sérieuse. Suit juste le mouvement, tu sais ?
- Si je "suivais juste le mouvement", nous n'aurions pas dépassé le portail. Le fait que nous soyons en train de parler maintenant est dû à un manque d'organisation, répondit Ciel en continuant à marcher. Ne pense pas que forcer ton idée de ce qui est "socialement acceptable" sur moi déconstruira plus d'une centaine d'années passées à agir comme je le fais.
Il marqua une pause pour réfléchir.
- Je ne comprends pas pourquoi cela te concerne en fait... c'est... étrange.
- Je suis "étrange" ? demanda Bones en suivant l'autre garçon. On est au beau milieu d'une "situation", là, et on essayait juste de le faire pour que tu t'amuses comme tout le monde... Bon, je ne pense pas que l'idée de Daniel était la meilleure, mais c'est tout ce qu'on a trouvé.
- De quoi parles-tu ? demanda Ciel, levant un sourcil.
Le coin de ses lèvres bougea alors qu'il prit la forme d'un sourire narquois.
- Je m'amuse.
Bones ne sut pas quoi répondre à cela. Alors qu'il était confus, il pouvait comprendre que la montée d'adrénaline que l'on recevait en étant mis dans une pareille situation pouvait être "amusante", cependant, il avait quand même du mal à comprendre le comportement du garçon. Clairement, c'était plutôt compliqué, de se retrouver avec un seul des démons. Ils semblaient plus "ordinaires" lorsqu'ils s'équilibraient curieusement ensemble. Audrey ne s'attarda pas sur cela trop longtemps, cependant, et laissa tomber.
Il était impossible qu'il comprenne un jour parfaitement l'un des garçons. Il le savait. Leurs expériences étaient simplement trop différentes. Quand un individu passe par le genre de vie que le duo de démons avait eu, il ne comprenait pas comment les gens "normaux" fonctionnaient, et c'était un sentiment réciproque. Les Sept Sensationnels n'étaient pas présent. Ils n'avaient pas connu la mort, l'humiliation, la tromperie, les exploits, et les guerres que les démons avaient vécus, et cela n'arriverait sans doute jamais.
Audrey, cependant, voulait presque lui-même voir davantage ce monde chaotique que la paire avait à la fois haï et adorée. Le monde mystérieux du paranormal et du surnaturel avait attiré sa curiosité il y a bien longtemps, alors il pouvait comprendre l'attrait du danger. Et en même temps, c'était effrayant.
Il suffisait de voir toutes les horribles choses qui pouvaient arriver. On pouvait pourrir à cause d'étrange drogues, ou être changé en un monstre cannibale errant en obéissant aux ordres de son maître vampire. On pouvait être réduit en morceaux par un loup-garou, ou empoisonné par un démon et forcé de tuer ceux qui nous sont chers. La mort pouvait être rapide, ou lente. Elle pouvait être indolore, ou agonisante. Ce monde où vivait le duo de démons était dangereux, pourtant le "danger" était devenu leur "normalité", au point où ils trouvaient que le quotidien des mortels était ennuyeux.
- Plus un geste ! cria une grosse voix, et le Dieu de la Mort sursauta tandis que le bleuté se retourna nonchalamment en direction du bruit.
Il y avait un petit groupe de gardes devant eux. Ils avaient l'air excités, comme s'ils étaient contents d'avoir enfin un peu d'action. Cela changea, cependant, lorsque le bleuté ignora tout simplement leurs ordres et se remit à marcher.
- Eh ! Gamin ! Mets-toi à terre ! cria l'un des gardes, mais le bleuté continua, suivit par un Audrey inhabituellement nerveux qui était incertain du "plan" du bleuté.
- Tu vas avoir de gros ennuis, petit ! cria un autre homme.
Celui-ci, cependant, se mit en mouvement pour agir.
Il chargea le bleuté, se déplaçant dans le but de le plaquer au sol. Son plan échoua lorsque le bleuté attrapa son bras et jeta grossièrement l'homme par-dessus ses épaules pour qu'il atterrisse à terre dans un fort bruit sourd. Ciel ne cessa pas sa marche une seule fois, et il était ravi de voir les expressions sur les visages des hommes. Il n'avait pas besoin de les regarder. Il pouvait les sentir. Il était en mesure de sentir leur confiance vaciller en voyant un adolescent "ordinaire" jeter un adulte de quatre-vingt-dix kilos par-dessus sa tête d'une seule main. Le garçon sourit narquoisement alors que son ami se sentait un peu mieux par rapport à la situation. Audrey était soulagé que leur chance de s'échapper soit haute, mais cela restait déconcertant de voir un garçon qui n'avait l'air d'avoir que dix-sept ans soulever un homme d'un bras et le jeter sans effort, comme s'il s'agissait d'un oreiller. Le Phantomhive s'y connaissait bien dans l'art de la violence, et il avait le pouvoir de le montrer.
Les gardes étaient pétrifiés, incapable d'en croire leurs yeux. Tous ensemble, ils attribuèrent immédiatement ce qu'ils venaient de voir à leurs yeux qui leur jouaient des tours, et ainsi, ils chargèrent tous en même temps les garçons pour tenter de les maîtriser. Le bleuté, cependant, disparut soudainement. Son ami était en état de choc, et craignait d'avoir été abandonné. Du moins, jusqu'à ce qu'il se sente être soulevé par une force inconnue. Il fut jeté sur l'épaule du bleuté avec un petit cri avant que le démon se mette à courir. Les garçons semèrent les gardes aussitôt, étant donné que la plupart, pour être honnête, n'étaient pas très en forme.
Le silence reprit place, jusqu'à ce que le bruit de chaussures frappant contre du béton ne le brise lorsque le bleuté s'arrêta. Il regarda en arrière, de là d'où ils venaient, ne voyant rien, et il finit par remettre le Dieu de la Mort sur ses pieds. Le pauvre garçon se frotta l'abdomen, ayant mal après avoir eu l'épaule du bleuté enfoncée contre lui avec son propre poids.
- Tu étais obligé de me porter comme ça ? demanda-t-il d'une voix étouffée.
Ils étaient encore poursuivis, alors mieux valait ne donner aucun indice de leur position.
- Désolé, je ne pensais pas qu'ils seraient capable de tenir le rythme, répondit le bleuté avant de se remettre en avant. Nous devons encore trouver Kristopherson. Nous sommes du côté Nord, alors il ne devrait pas être loin.
Le garçon marqua une pause et sortit son talkie-walkie.
- Kristopherson, es-tu là ? demanda-t-il dans l'appareil.
Quelques instants passèrent avant que le grésillement de la radio retentisse.
- Ouais. Qu'y a-t-il ? répondit le faux-blond.
Parfait. Il allait bien.
- Nous sommes du côté Nord. Où es-tu ? demanda Ciel.
- Je vais vers l'Est ? Tu veux que je revienne ?
- Oui. Nous sommes tombés sur des gardes du côté Est, et ils sont assez remontés.
- D'accord. Je m'y rends, répondit Kristopherson. Il y a un belvédère au Nord. On s'y rejoint ?
- Ça marche, répondit Ciel et ainsi, il remit l'objet dans sa poche.
Il reprit sa marche, sachant que l'autre garçon le suivrait. Il n'y avait pas besoin de beaucoup parler, se disait-il, étant donné le contexte actuel, ils allaient de toute évidence se rendre peu importe où Kristopherson se trouvait. Pas besoin d'explication. Après tout, c'était évident, non ?
