Écrit par HateWeasel

392. Moqueur Tequila.

Ciel sortait à peine de sa chambre durant les jours qui suivaient. Il sortait de temps à autres et socialisait, avant de repartir aussitôt. Il n'accompagnait pas le groupe dans leurs visites touristiques, prétextant avoir déjà tout vu par le passé. En réalité, il ne supportait juste pas l'idée d'être près d'Alois sans pouvoir lui parler ou ne serait-ce que faire attention à sa présence par peur de contrarier à nouveau le garçon.

C'était un comportement lâche, mais le Phantomhive ne voyait aucune autre alternative. Il parlait brièvement avec l'autre garçon puisqu'ils partageaient une chambre, mais les réponses se résumaient à quelques phrases, voire un seul mot avant que le blond continue à l'ignorer. Le bleuté avait l'impression de se faire transpercer de part en part, mais que pouvait-il faire de plus ? Alois avait clairement fait comprendre qu'une simple excuse ne suffirait pas.

Alors, le bleuté s'était enfermé pendant la première semaine du voyage. Ce n'était décidément pas plaisant, étant donné qu'il avait épuisé toutes ses sources de divertissement les premiers jours. Il avait lu toutes les actualités sur son téléphone, il avait terminé tout le travail qu'il pouvait accomplir avec son ordinateur portable, et il avait lu le livre qu'il avait ramené au moins trois fois en quarante-huit heures. C'était agonisant et il avait fini par être obligé de penser à toutes les choses qui le rongeaient.

Le bleuté n'avait pas dormi d'ailleurs, ce qui lui donnait encore plus de temps libre. Il ne supportait pas l'idée de partager un lit avec le Macken au vu de l'état actuel de leur relation, et il ne voulait pas subir davantage de cauchemars. S'il se réveillait en hurlant à nouveau, qui sait ce qu'Alois ferait ?

Hanté par la silhouette dans ses rêves, rejeté par son amour dans la réalité, tout en sentant le poids de la future menace de l'enveloppe rouge, Ciel n'avait absolument aucune idée de quoi faire. Il ne pouvait plus demander de l'aide, maintenant, et c'était entièrement sa faute. La majorité de son temps était désormais passé à jongler entre chercher une solution et se complaire dans sa dépression. Parfois, le bleuté aimerait pouvoir s'en tenir à une seule solution pour un problème sans avoir à trop y réfléchir comme il le faisait souvent. Il avait été aveuglé par ses émotions une fois par la passé, en ne se rendant pas compte que "Alois" n'était pas celui qu'il affirmait être, et que les faits ne collaient pas avec le meurtre de ses parents. Il voulait être extrêmement prudent pour ce genre de choses, maintenant, pour ne pas répéter ses erreurs.

- Je sors, dit le blond en sortant l'autre garçon de ses pensées.

Ciel leva le bras qui était sur ses yeux afin de le regarder depuis sa place sur le canapé.

- Daniel a toujours en tête sa stupide idée d'aller "en boîte". Je reviendrai probablement tôt, dès qu'il comprendra qu'il est idiot.

- D'accord, répondit Ciel en remettant son bras là où il était.

- Tu viens pas ?

- Non.

Alois marqua une pause pour regarder le bleuté un instant. Voir le bleuté dans un tel état lui faisait du mal, oui, mais le garçon n'allait pas céder. Il n'allait pas se laisser prendre dans une autre toile d'araignée. Ciel lui avait caché des choses, et lorsqu'on lui cachait des choses, cela se finissait généralement mal. Le blond avait peur de perdre le peu de fierté qu'il avait gagné et d'être une nouvelle fois piétiné sous le talon d'une personne qu'il chérissait, et dont il pensait le sentiment réciproque. Il n'allait pas se laisser être aussi vulnérable à nouveau.

Il se sentait diminué lorsqu'il était traité ainsi par le bleuté ; comme s'il ne servait à rien. Il se sentait faible lorsqu'il était exclu des sujets importants. Il avait l'impression que le Phantomhive avait décidé qu'il était incapable d'accomplir une telle tâche ; comme s'il n'arrivait pas à la cheville du garçon. Alois n'était pas faible, il n'était pas incompétent, et il n'était pas inutile. Même Ciel l'avait dit, estimant que le blond était encore plus brillant que lui sur certains aspects. Cela rentrait par une oreille et ressortait par l'autre, cependant. Ciel pouvait dire au blond à quel point il était brillant et à quel point il l'aimait un millions de fois, dès qu'Alois ne recevait plus ce réconfort il commençait à perdre pied, comme toujours.

- D'accord, dit-il en finissant de mettre ses chaussures. J'y vais, alors.

- Sois prudent, répondit Ciel tandis que le blond partait.

- Je suis parfaitement capable de m'occuper de moi-même, Ciel, répondit le Macken, l'agacement clair dans son ton.

Cela se calma, cependant, dès que le bleuté reprit la parole.

- Je sais que tu peux, répondit son bien-aimé. Mais sois prudent.

Alois marqua une pause en entendant cette phrase avant de reprendre sa marche vers la porte.

- Ouais, lança-t-il rapidement avant de passer la porte et de la refermer derrière lui.

Il s'adossa ensuite contre la porte de l'autre côté, un profond soupir lui échappant.

"Qu'est-ce que Ciel veut dire par là ?" pensa-t-il, essayant de trouver un sens caché dans les mots du garçon. Après tout, les paroles du Phantomhive ne pouvaient plus être directement crues. L'esprit d'Alois s'attarda sur cela, même après qu'il soit sorti de la chambre pour rejoindre les autres.

Le reste des Sept Sensationnels attendait devant l'hôtel. La plupart d'entre eux semblaient ne pas s'importer, ou juste appréhender l'expérience qui allait suivre. La seule personne qui semblait réellement enthousiaste à propos de cette aventure était Daniel, qui avait continué à insister même avec l'avertissement du Phantomhive.

Il devait l'admettre, Alois avait un peu peur de ne pas être capable de tous les protéger si quelque chose devait arriver. S'il n'y arrivait pas, il devrait appeler le bleuté à l'aide. Son ego l'empêchait de vouloir faire une chose pareille. Implorer son aide ne ferait que confirmer qu'il n'était pas en mesure de s'en sortir tout seul. Il n'était décidément pas pressé.

Ils rentrèrent dans le premier endroit qu'ils trouvèrent, menés par le Westley. Il était presque exalté en pensant au fait qu'il était "mauvais", allant dans une boîte de nuit qui prenait leur pièce d'identité avant qu'ils puissent rentrer. Les autres se contentèrent de couvrir leurs oreilles alors que la musique battait son plein, faisant trembler le sol sous leurs pieds, alors qu'ils espéraient désespérément que leurs yeux finiraient par s'ajuster à la luminosité. La pièce était à peine illuminée par de vives lumières qui clignotaient parfois, éclairant une foule de gens en train de danser ; ou plutôt, en train de se tripoter d'une manière inappropriée en appelant cela de la "danse".

Pour Daniel, il était arrivé. Les autres aussi, mais pas de la même manière. Pour eux, ils étaient arrivés dans les limbes, plutôt qu'à une soirée. Puis, il y avait Alois, dont les sens étaient surmenés. Il y avait tellement de débauches en un seul endroit, et tellement de désespoir, que les instincts d'Alois lui hurlaient dessus, lui indiquant toutes les proies faciles.

Ses yeux bleus glacés passèrent au rouge alors que le blond se rappela de la dernière fois qu'il avait dévoré une âme humaine. C'était mieux que n'importe quelle drogue au monde ; mieux que l'argent, le sexe, ou le pouvoir. Il n'y avait qu'une seule chose qui pouvait potentiellement dépasser cela, et il s'agissait du bonheur que Ciel lui donnait. L'amour avait effacé toute preuve qu'il avait été déshumanisé et qu'il avait tout perdu un jour, mais l'amour n'était pas là. L'envie qu'Alois avait autrefois avait commencé lentement se mettre en place, mais là, elle était ressortie sous la forme de faim. Un sourire tordu apparut sur son visage alors qu'il balaya la foule du regard, cherchant un candidat qui pourrait le distraire de ses problèmes. Il s'arrêta, cependant, lorsqu'il sentit une main sur son épaule.

- Tu vas bien, Alois ? demanda Kristopherson d'un air inquiet, ramenant le démon à la lucidité.

Le Macken cligna des yeux et les frotta, les ramenant à leur couleur originelle.

- Ouais, mentit-il. Ça fait juste beaucoup.

- Ouais, ces genres d'endroits sont toujours comme ça, dit le faux-blond. Je crois que Daniel veut qu'on le suive au bar. Il nous regarde depuis là-bas comme s'il se demandait ce qu'on fout.

- D'accord. Je te suis~! dit Alois, espérant que le Westley n'ait pas remarqué son petit moment de faiblesse avant de suivre le Miles.

Il avait honte d'admettre qu'il était bien plus qu'un "peu" tenté de prendre une âme alors qu'ils étaient ici. Le bleuté et lui avaient tous les deux jurés qu'ils ne mangeraient que si cela était nécessaire, ayant décidé que la chasse aux âmes étaient une chose monstrueuse, et qu'ils étaient au-dessus d'un comportement aussi bestial. Voilà comment était son cher Ciel, un piètre démon toujours à se tenir désespérément à son humanité.

Alois comprenait jusqu'à un certain point, puisqu'il était, lui-même, effrayé par les conséquences qui venaient avec le fait de dévorer l'essence même d'une personne, la chose qui les faisait exister. Une âme est une chose de valeur pour un individu. Le blond en savait quelque chose. Il avait existé en tant que simple âme piégée dans une bague fut un temps. L'idée de dévorer celle de quelqu'un d'autre l'agaçait, lui faisant se demander s'il n'était pas véritablement un "monstre". Le fait de dévorer une âme, cependant, n'apportait aucune plainte.

Une poussée d'euphorie qui duraient plusieurs semaines surpassait les sens, faisant croire au démon que la faim justifiait les moyens. Mais ensuite, lorsque cet état était passé, le garçon retrouvait ses sens et réalisait ce qu'il avait fait. C'était le résultat du comportement "humain" mutuel du duo. Un démon ordinaire n'avait aucun problème avec cela, mais Ciel et Alois étaient différent. Eux, contrairement aux démons "ordinaires", pouvaient éprouver de la culpabilité comme de l'amour ; deux choses impossible pour les démons.

Alois se faisait peur à lui-même, en se demandant s'il devenait un vrai démon, serait-il toujours capable de ressentir de l'amour à nouveau ; la seule chose qui était mieux que le festin d'une âme ? Les démons mangent parce qu'ils sont vides. Ils sont un néant sur pattes qui a besoin d'être rempli, et ils le font avec l'essence des autres. Ils le font en passant des pactes, quand ils ne se contentent pas de devenir "sauvage". La raison est simplement de compenser une chose qu'ils n'ont pas ; une identité. Alors, en prenant en compte cette philosophie qui lui avait été présentée par nul autre que Ciel Phantomhive et les chercheurs de H.E.L.L.S.I.N.G ; se perdrait-il s'il venait à céder à ce désir pour apaiser ses souffrances actuelles ?

Un nouveau soupir s'échappa des lèvres du Macken alors qu'il arriva au niveau du bar avec Kristopherson. Les autres les attendaient déjà avec des boissons, et le blond plissa les yeux d'un air confus. On aurait dit qu'ils ne faisaient que boire de l'eau ridiculement chère dans de tout petits verres. Daniel sourit et tendit l'un d'eux à Alois.

- Santé, mec, dit-il avant d'avaler son propre shot.

Il grimaça, son visage se tordant en une expression douloureuse tout comme les autres qui suivirent son appel. Alois plissa le nez.

- Qu'est-ce que c'est que ce truc ? demanda le blond.

- Un shot de Tequila, dit le Westley en toussant. Vas-y, ce n'est pas si mauvais.

Alois fronça les sourcils et observa la boisson d'un air suspicieux. Même s'il y avait quelque chose dedans, cela ne l'affecterait pas. Alors, il se dit qu'il pourrait essayer. Ce fut une grave erreur, il se mit aussitôt à grimacer comme les autres.

- C'est quoi cette merde ?! demanda-t-il en avalant de force tout en brisant presque le verre sur le comptoir.

Les autres garçons se contentèrent de rire.

- Je t'ai déjà dis. C'est un shot de Tequila, répondit Daniel.

- Ça a le goût de l'odeur de la pisse! répliqua le démon, s'essuyant la bouche.

- Ouais, c'est un peu comme ça les liqueurs fortes, dit Kristopherson.

- Oh, non. Ça, ce n'est pas de la liqueur, dit le blond. Ça, c'est juste de l'alcool dénaturé, et vous êtes dégoûtants.

- Je ne savais pas que les démons pouvaient être aussi sensibles à la binouze, plaisanta Audrey, ricanant lorsque la menace blonde rit.

- Sensible ? Non, on n'est pas "sensible" à ça. On ne peut même pas être saoul. Ce n'est pas être sensible, c'est juste faire remarquer à quel point ça doit être le breuvage au pire goût que j'ai eu la malchance de tester, répondit Alois. Merci pour l'échantillon gratuit. Je ne reboirai jamais quoi que ce soit que vous pourrez me donner.

- Ouais, c'est pas très bon, dit Preston. Je pense que je vais passer mon tour pour le deuxième round.

- Pareil, dit Audrey et Travis acquiesça.

- Mauviettes ! accusa Daniel. Très bien, je vais juste finir tous vos verres ! Et ce n'étaient pas des "échantillons gratuits", c'était des shots !

- Alors tu paies beaucoup d'argent pour pas beaucoup de liqueur ? demanda le blond.

- Alois, c'est chargé. Je ne pense pas que tu en ais besoin de beaucoup, dit Kristopherson. Je vais continuer à boire avec toi, Dan, mais je ne bois plus de ce truc là.

- D'accord, même avec tes boissons de fille, tu es toujours plus marrant que ces mecs-là ! dit le Westley.

Alois croisa les bras et pouffa.

- Et qu'est-ce qu'on est censé faire dans un endroit pareil ? demanda le Macken. Vous savez, à part boire de la fausse pisse dégueulasse, et se taper des inconnus en public ?

- Bienvenu dans la vie de fêtard, mon pote. C'est plus ou moins juste ça, répondit le Miles avant de se retourner pour demander sa propre boisson.

- J'aurais dû rester dans ma chambre... soupira Alois, passant une main dans ses cheveux.

Là, un certain Dieu de la Mort sourit.

- Mais si tu avait fait ça, tu aurais dû rester avec Ciel tout seul, plaisanta-t-il.

Sa plaisanterie, cependant, n'amusa pas du tout le démon. La menace fronça les sourcils, un air grave sur le visage.

- Je vais visiter, je pense, dit-il simplement avant de se retourner et de partir.

- Quoi, mais Ciel n'a pas dit que c'était dangereux ? dit Preston. Eh ! Alois !

C'était trop tard. Le démon avait déjà disparu dans la foule sans laisser une trace. C'était une erreur de sa part, il n'avait désormais plus personne pour le distraire de ses pensées monstrueuses.