Les fleurs de l'interdit
* Prologue – Secrets et Promesses *
Le camp frémissait sous une menace invisible, comme si l'air lui-même était devenu plus lourd, chargé d'une tension sourde, les rires désinvoltes des premiers jours, ces instants d'insouciance où chacun tentait de prétendre que tout allait bien, avaient disparu. Ils avaient été remplacés par un silence oppressant, brisé seulement par les toux rauques des malades et les murmures précautionneux des survivants. La vie au camp était devenue une lutte constante contre un ennemi qu'ils ne pouvaient ni voir ni comprendre, chaque souffle semblait être un risque, chaque regard, une demande silencieuse d'espoir. Clarke Griffin, le visage marqué par l'épuisement, passait d'un patient à l'autre avec une détermination presque mécanique, ses sourcils étaient perpétuellement froncés, et une ride profonde barrait son front, témoin de la pression immense qu'elle portait sur ses épaules. Ses mains étaient fermes mais fatiguées, tremblant parfois lorsqu'elle changeait un bandage ou administrait les maigres doses de médicaments qu'il leur restait, à mesure que les jours passaient, elle réalisait à quel point leur situation était désespérée. Ils n'étaient pas préparés à une telle épreuve: pas assez de médicaments, pas assez de nourriture, pas assez de savoir, et encore moins d'espoir. Chaque tentative de réconforter les malades semblait vide, les regards vides qu'on lui renvoyait étaient pires que les plaintes, Clarke faisait de son mieux pour cacher sa peur, mais même elle commençait à se demander combien de temps encore elle pourrait tenir. Ses gestes étaient précis, mais son esprit vagabondait, cherchant désespérément une solution, Octavia Blake, en retrait, observait Clarke d'un regard empreint d'un mélange de compassion et de distance. Ses bras croisés semblaient être une barrière invisible entre elle et le désespoir ambiant, contrairement aux autres, ce n'était pas la maladie qui accablait Octavia. Son esprit était ailleurs, pris dans un tumulte intérieur qu'elle gardait farouchement secret, elle regardait Clarke, puis détournait les yeux, comme si elle craignait que son secret ne soit découvert rien qu'à travers un échange de regards, ce n'était pas une maladie qu'elle portait, mais un fardeau d'un autre genre.
Depuis plusieurs semaines, Octavia vivait avec un secret qui la consumait, dans l'ombre de la forêt dense qui bordait leur camp, elle avait découvert quelque chose – ou plutôt quelqu'un – qui avait bouleversé son existence, Lincoln, un grounder. Un homme qui incarnait tout ce qu'on lui avait appris à craindre, mais qui, contre toute attente, s'était révélé être une source de lumière dans son univers sombre. Leur rencontre avait changé sa perception du monde, ébranlant ses certitudes et remettant en question tout ce qu'elle croyait savoir sur le danger et l'ennemi, Lincoln n'était pas seulement un grounder. Il était un mystère, une énigme qu'elle n'avait pas encore totalement résolue, il lui avait montré un visage du monde extérieur qu'elle ignorait, dans ses bras, elle avait trouvé quelque chose qu'elle n'avait jamais connu: une liberté qu'elle n'avait pas cru possible. Pour lui, elle n'était pas juste "la fille cachée sous le plancher", mais une personne à part entière, forte et capable de choisir sa propre voie. Pourtant, cette relation était une corde raide, tendue au-dessus d'un abîme, si Bellamy, Clarke ou quiconque au camp découvrait la vérité, Lincoln serait en danger immédiat, et elle avec lui. Chaque rencontre avec Lincoln était un mélange de bonheur volé et de peur viscérale, Octavia savait que leur relation était un risque, mais elle ne pouvait pas s'en empêcher. Le besoin de le voir, de sentir sa présence, était devenu vital, pourtant, ce poids commençait à se mêler à une autre peur, plus intime et plus immédiate, depuis plusieurs jours, elle se sentait différente. Une fatigue écrasante l'habitait, rendant chaque mouvement lourd et laborieux, ses jambes lui semblaient de plomb, et chaque bouchée de nourriture la rendait nauséeuse, au début, elle avait attribué ces symptômes au stress et à l'angoisse ambiante, mais au fond d'elle-même, une petite voix murmurait une vérité qu'elle ne voulait pas entendre.
Ce matin-là, tout avait changé, alors qu'elle vomissait derrière une tente, Octavia avait compris, ses mains tremblaient lorsqu'elle s'était redressée, essuyant d'un revers de main la sueur froide qui perlait sur son front. Elle avait levé les yeux vers la forêt, cette masse dense et sombre qui lui offrait un refuge, un échappatoire, Lincoln saurait quoi faire, il avait toujours une réponse, un conseil, une solution. Mais partir pour le rejoindre n'était pas une décision facile, cela devenait de plus en plus risqué, surtout depuis que Finn semblait avoir remarqué quelque chose, il l'observait, ses absences répétées, ses excuses maladroites, Finn n'était pas dupe. Octavia sentait la menace croître, son ombre se faisant plus grande chaque jour, pourtant, ce soir-là, elle n'avait pas le choix, alors que le crépuscule teintait le ciel d'orange et que le camp se préparait pour une autre nuit difficile, elle s'éclipsa discrètement. Ses pas la menèrent vers la forêt, son sanctuaire, le bruissement des feuilles sous ses pieds, le murmure du vent dans les branches: tout lui semblait amplifié, comme si la forêt elle-même retenait son souffle. Chaque craquement de branche faisait bondir son cœur, mais elle avançait, poussée par une urgence qu'elle ne pouvait ignorer. Elle s'arrêta net lorsqu'elle vit la première fleur, une petite fleur blanche, délicate et lumineuse, presque irréelle sous la lumière déclinante, Octavia la reconnut immédiatement, Lincoln les avait semées pour elle. C'était leur chemin secret, un fil d'Ariane qu'elle seule pouvait suivre, ces fleurs étaient plus qu'un simple guide, elles étaient un symbole de leur lien, de leur confiance mutuelle, Lincoln lui avait dit un jour qu'elles étaient robustes malgré leur apparence fragile.
- Elles poussent dans les endroits les plus sombres, exactement comme toi… avait-il murmuré, ses yeux sombres fixant les siens.
Octavia s'accroupit, effleurant la fleur du bout des doigts, un mince sourire éclaira son visage fatigué, et pour la première fois depuis des jours, elle sentit un semblant de sérénité l'envahir, elle reprit sa marche, suivant les fleurs qui formaient un sentier discret à travers la végétation. À mesure qu'elle avançait, l'obscurité s'épaississait, les ombres des arbres semblaient s'étirer, formant des bras menaçants autour d'elle, mais elle ne vacilla pas. Tant que les fleurs la guidaient, elle savait qu'elle arriverait à destination, la clairière apparut soudain, comme une ouverture inattendue dans le mur oppressant de la forêt. Là, au centre, une petite cabane rudimentaire se dressait, presque entièrement camouflée par des feuillages épais, la lumière vacillante d'un feu dansait à travers une fissure de la porte, le cœur d'Octavia s'apaisa, elle était arrivée. Elle frappa doucement à la porte, trois coups rapides, le signal qu'ils avaient convenu, la porte s'ouvrit presque aussitôt, Lincoln apparut, sa silhouette imposante se découpant dans la lumière chaude de l'intérieur, son visage grave s'adoucit instantanément en la voyant.
- Tu es là… murmura-t-il, soulagé.
Octavia vacilla légèrement en entrant, Lincoln l'attrapa avant qu'elle ne tombe, ses bras solides l'entourant avec une douceur qu'elle n'aurait jamais cru possible de la part d'un homme tel que lui, sa chaleur, sa présence, tout en lui était un réconfort qu'elle n'avait trouvé nulle part ailleurs, mais cette fois, elle ne put cacher la vérité.
- Lincoln… Il y a quelque chose qui ne va pas… murmura-t-elle, sa voix tremblante.
La lumière tremblotante du feu projetait des ombres dansantes sur les parois de la cabane, éclairant par intermittence les visages tendus d'Octavia et de Lincoln, le silence à l'intérieur n'était troublé que par le crépitement des flammes, une cadence douce mais hypnotique qui semblait isoler ce lieu du reste du monde. Octavia était assise en tailleur sur une couverture usée, ses poignards reposant près d'elle, leurs lames étincelant faiblement dans la pénombre, le souffle court et les épaules affaissées, elle laissait transparaître une fatigue qui ne venait pas uniquement du corps, mais de l'âme. Cette bataille silencieuse qu'elle menait contre elle-même pesait lourdement sur ses traits, Lincoln, toujours attentif à ses moindres gestes, s'accroupit devant elle, sa silhouette massive contrastait avec la fragilité qu'Octavia semblait projeter en cet instant, il posa une main sur son genou, un geste à la fois protecteur et rassurant.
- Tu te pousses trop… murmura-t-il, son ton ferme mais empreint de douceur.
Ses paroles flottaient dans l'air, lourdes de bienveillance, Octavia détourna le regard, comme si elle espérait échapper à cette vérité, elle détestait montrer ses faiblesses, même devant Lincoln, cet homme à qui elle avait confié plus que tout ce qu'elle n'avait jamais osé dire. Pourtant, cette fois, elle ne pouvait plus cacher la vérité, elle inspira profondément, ses doigts se resserrant autour de ses genoux, avant de poser une main hésitante sur son ventre. Le geste fut discret, presque imperceptible, mais Lincoln ne manqua pas de le remarquer, son regard glissa lentement de son visage à sa main posée sur son ventre, ses sourcils se froncèrent légèrement alors qu'il tentait de comprendre. Lorsque la réalisation le frappa, ses yeux s'écarquillèrent légèrement, mais il ne dit rien, il attendait qu'elle parle, qu'elle brise le silence, Octavia releva finalement les yeux, sa respiration saccadée.
- Lincoln… il y a quelque chose que je dois te dire… commença-t-elle, sa voix tremblante, sur le point de se briser.
L'hésitation dans son ton était palpable, chaque mot semblait peser une tonne, elle n'avait jamais été aussi vulnérable, pas même lorsqu'elle s'était battue pour survivre dans un monde qui la rejetait.
- Je suis enceinte… De toi… murmura-t-elle enfin, ses mots se faufilant entre ses lèvres comme un secret arraché de son cœur.
Le silence qui suivit était chargé d'émotion, Lincoln resta immobile, comme si le temps lui-même s'était figé autour de lui, ses pensées semblaient s'entrechoquer, des éclats de peur, de joie et d'inquiétude se mêlant dans son regard, puis, avec une lenteur délibérée, il tendit la main et la posa sur celle d'Octavia, ses doigts chauds recouvrant les siens.
- Depuis combien de temps? demanda-t-il, sa voix calme, presque douce.
Octavia sentit les larmes lui monter aux yeux, elle n'avait pas anticipé sa réaction, mais cette sérénité, cette acceptation sans jugement, la désarma.
- Quelques semaines. Au début, je pensais que c'était juste le stress ou la fatigue… mais maintenant… je le sais. Et je t'aime… répondit-elle, sa voix à peine audible.
Lincoln déglutit, luttant pour trouver les mots justes, il glissa ses mains sur ses épaules, la forçant doucement à relever le visage pour croiser son regard.
- Tu m'aimes? demanda-t-il, sa voix vibrante d'émotion.
Octavia hocha la tête, incapable de parler alors que les larmes roulaient maintenant librement sur ses joues.
- Oui… Je t'aime. Plus que je ne devrais. Plus que je ne le peux. Mais ça n'a pas d'importance. Peu importe ce que Bellamy pense, ou Clarke, ou même tout le camp. Toi et moi… on est ensemble… finit-elle par dire d'une voix brisée.
Lincoln esquissa un sourire, léger mais empreint de sincérité, avant de poser son front contre le sien, leurs respirations se mêlèrent dans cette proximité intime, leurs cœurs battant à l'unisson.
- Et je t'aime. Plus que tout. Peu importe contre qui on doit se battre, je te protégerai, toi et cet enfant. Je ne laisserai personne vous faire du mal… murmura-t-il.
Ces mots étaient une promesse, un serment qu'il prononçait non seulement à elle, mais à lui-même, ils restèrent ainsi, unis dans ce moment suspendu, alors qu'un poids invisible semblait s'évanouir des épaules d'Octavia. Pour la première fois depuis des jours, elle sentit la paix l'envahir, ce n'était qu'un instant volé, mais il lui appartenait entièrement, pendant ce temps, au camp, l'agitation continuait de croître. Finn marchait d'un pas rapide près de la clôture, son regard rivé sur la forêt, tout autour de lui, le chaos régnait: les malades gémissaient sur leurs lits de fortune, leurs corps affaiblis par une maladie inconnue, tandis que Clarke s'efforçait de maintenir un semblant d'ordre.
Mais Finn avait la tête ailleurs, son esprit ne pouvait s'empêcher de tourner en boucle sur un détail qui le hantait, Octavia avait disparu, encore, cela faisait des heures qu'elle s'était éclipsée, et ce n'était pas la première fois. Finn avait remarqué ses absences répétées ces derniers jours, chaque fois, elle revenait avec des excuses maladroites: ramasser des plantes, explorer les environs, chercher un peu de solitude. Mais il n'était pas dupe, Finn savait qu'elle cachait quelque chose, et il était bien décidé à découvrir quoi, il se dirigea vers Bellamy, qui coordonnait une patrouille près des barrières, Bellamy, toujours concentré, donnait des ordres d'une voix ferme, mais il sembla légèrement irrité lorsqu'il aperçut Finn approcher.
- T'as vu Octavia? demanda Finn, essayant de dissimuler son agacement.
Bellamy se redressa, croisant les bras sur sa poitrine avec un air suspicieux.
- Pourquoi? rétorqua-t-il, son ton déjà sur la défensive.
- Parce qu'elle n'est pas là, elle disparaît tout le temps, et personne ne semble s'en inquiéter… répondit Finn, sa voix trahissant une pointe d'exaspération.
- Elle sait se débrouiller. Elle est peut-être juste en train de ramasser des plantes ou quelque chose. Détends-toi… dit Bellamy en haussant les épaules avec une indifférence feinte.
Mais Finn ne se laissa pas convaincre, quelque chose ne collait pas, Bellamy semblait trop désinvolte, comme s'il évitait intentionnellement de creuser le sujet, cependant, Finn savait qu'insister ici ne servirait à rien. Il s'éloigna, mais sa détermination restait intacte, il trouverait Octavia, et il découvrirait ce qu'elle cachait, dans la forêt, Finn avançait prudemment, une lampe de poche à la main. Il suivait des indices qui lui semblaient trop précis pour être accidentels: des traces de pas dans la boue, des branches cassées, mais plus étrange encore, ces petites fleurs blanches qu'il croisait sur son chemin. Chaque fois qu'il en voyait une, un frisson parcourait son échine, elles semblaient avoir été placées intentionnellement, guidant quelqu'un à travers la végétation dense, après plusieurs minutes de marche, un craquement le fit s'arrêter net. Il éteignit sa lampe et se tapit derrière un arbre, retenant son souffle, une silhouette féminine traversa son champ de vision, Octavia, elle marchait rapidement, presque précipitamment, disparaissant bientôt derrière un rideau de feuillage. Finn tenta de la suivre, mais le chemin devenait de plus en plus dense, la forêt semblait s'étirer, se refermer sur lui, après quelques instants, il la perdit de vue, frustré, il serra les dents, ses poings se crispant contre son flanc.
- Qu'est-ce que tu fais, Octavia? murmura-t-il, sa voix se perdant dans l'immensité de la forêt.
