Morgoth*

C'était un chiot. Enfin, un bébé warrifang. Il se débattait, mordait, griffait. Malgré ses avant-bras lacérés au travers des vêtements, en dépit même des entailles sur ses joues, Mélian était parfaitement calme. Il tendait le familier à Erika, attendant patiemment qu'elle le récupère.

-Non, fit la jeune femme, catégorique.

-Mais je ne peux pas le garder, argumenta l'enfant. Il essaye de croquer Jenny.

La musarose s'était réfugiée dans l'une des petites sacoches d'Isabeau.

-C'est donc à moi que tu comptes le refiler, reprit la démone en reportant son regard sur le garçon. Tu sais que j'ai déjà été mordue par un spécimen adulte et que je n'en garde pas à un souvenir particulièrement plaisant…

-Oui mais lui c'est un bébé. Son venin n'est pas encore hallucinogène. Tu as le temps de lui apprendre à être gentil.

La bête, à force de contorsions et d'acharnement, était en train de réduire les doigts du gamin en lambeaux. Son sang imbibait ses manches et dégoulinait dans le pelage de l'animal.

-Tu dois aussi savoir que j'avais encore un familier, il n'y a pas si longtemps.

« Pas si longtemps » pour qui avait passé sept ans à comater au cœur du cristal, mais Mélian était assez intelligent pour comprendre ça. D'ailleurs, il acquiesça.

-Et tu te doutes que je n'ai pas spécialement envie d'en reprendre un autre, insista Erika.

Un nouveau hochement lui confirma que oui, pourtant l'enfant leva plus haut les bras afin de rapprocher le warrifang du visage de la jeune femme.

-On l'a trouvé tout seul. Mère dit que sa famille a dû être aspirée sur Terre, sinon on aurait été traqués.

-Et alors ?

La démone était fermement décidée à ne rien concéder au garçon. Il avait pour projet de lui refourguer ce cadeau empoisonné, et elle avait celui de rester peinarde. Cela impliquait de ne pas s'encombrer d'une saloperie hargneuse à laquelle elle s'attacherait néanmoins et qu'elle finirait tôt ou tard par pleurer.

-Mère dit aussi que personne n'en voudra.

-Les fées…, voulut répliquer Erika.

-Vont le faire retourner à l'œuf ! La coupa Mélian. Elles ne l'en sortiront plus que pour l'étudier…

La jeune femme jeta un nouveau coup d'œil à l'elfe. Celle-ci ne semblait pas se sentir plus concernée par la lubie de son gamin que par les blessures que lui infligeait le familier déchaîné. Certainement son désintérêt était-il feint mais tenait-elle à ce que l'enfant assume et mène sa quête jusqu'au bout, sans son aide. Miranda était déjà partie vadrouiller, Leiftan s'assurant qu'elle ne provoquait pas quelque désastre. La démone soupira. Elle non plus ne recevrait aucun soutien de qui que ce soit dans cette affaire.

-Mélian, j'ai dit non.

Immobile, le garçon la fixa de longues secondes sans ciller. Constatant qu'elle ne revenait pas sur son choix, il baissa lentement les bras et les yeux. Étant celui qui avait découvert la bête, il faisait de son sort sa responsabilité et paraissait plus préoccupé par la suite des événements, inquiet de ne pas être à la hauteur plutôt que déçu par la prévisible réaction d'Erika. Un réflexe protecteur lui fit ramener l'animal contre son torse. A cet instant, un même frisson d'épouvante glaça les adultes. Mélian n'avait pas pris la précaution de maintenir les mâchoires du warrifang serrées : déjà le familier les ouvrait grand, prêt à les refermer sur la gorge de l'enfant.

En l'espace de quelques battements de cœur, Isabeau saisit son fils par le col et le tira sans ménagement en arrière, invoquant des plantes qui, jaillissant de terre, auraient quant à elles ligoté l'animal… s'il s'était encore trouvé là. Mais la démone avait surpassé l'elfe en célérité, arrachant la bête aux bras de Mélian, si bien que le cocon végétal n'enserra que de l'air. Isabeau posa sur son fils un regard réprobateur mais ne dit rien. Le garçon porta une main ensanglantée à sa gorge, réalisant ce qui avait bien failli lui arriver. Plus pensif que perturbé, il vit Erika agiter la main que le warrifang avait mordue, tenant de l'autre le familier par la peau du cou. Elle déversait une flopée de jurons quand l'enfant l'interrogea ;

-Alors il est à toi, maintenant ?

La jeune femme le foudroya du regard. Ne contenant qu'à grand-peine la réponse salée qui lui brûlait les lèvres, elle tourna brusquement les talons et s'éloigna à pas vifs. Elle pestait. L'animal grognait. A dire vrai, ils allaient plutôt bien ensemble.

*Du nom qu'Erika donnera ensuite à la sale bête.