Éclaircissements : Le caractère fragmenté de mon AU, avec ses régulières mais vagues ellipses, peut rapidement prêter à confusion. Cela est particulièrement dommageable dans le cas des âges de Sissi et Mélian, d'autant qu'il y a ce qu'ils sont (enfants ? adolescents ?) et la façon dont les autres personnages les voient/traitent. Ainsi, Mélian a près de neuf ans au moment de la résurrection d'Erika, soit un peu plus de onze lors de la fin du monde. Il est donc discutable qu'il soit encore qualifié d'enfant, sans pour autant que cela soit totalement injustifié. Concernant Sissi, introduit comme n'ayant « en vérité pas quinze ans » dans un message datant d'assez peu de temps avant sa rencontre avec Erika, quelques six mois avant l'effondrement d'Eldarya, cela lui fait environ six ans quand est perpétré le massacre des kappas. De fait, bien que Sissi considère Mélian tantôt comme un monstre, tantôt comme un enfant, ils n'ont que quatre ans d'écart.
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Voile bleu, fil blanc
Mathieu ignorait par quel miracle les fées parvenaient à garder leur calme. Si elles avaient l'air sombre, preuve en soi de la gravité de la situation, pas une ne cédait à la panique. Elles supervisaient l'évacuation de la population par cette faille titanesque que le providentiel Sire Châtiment stabilisait. Ce n'était pas l'altruisme qui motivait le kappa. Constatant la violence des flux de maana déchirant l'espace entre les mondes, les fées avaient rapidement décidé d'unir leurs pouvoirs à ceux d'Erika et Leiftan afin de ménager dans ce déchaînement d'énergie une voie sûre aux autres citoyens de Ba' ih An'da. Auraient-elles tenu assez longtemps pour permettre à tous de passer ? C'était peu probable. Et face à la certitude que la démone n'aurait pas survécu à cette tentative désespérée de sauver ce qui pouvait l'être, Sissi s'était résolu à mettre ses propres compétences au service des fées. Ni elles, ni lui ne savaient exactement comment il lui faudrait procéder mais elles s'étaient tenues prêtes à le relayer et il s'était engouffré dans la brèche sous le regard horrifié d'Erika.
Après un moment, les familiers s'étaient soudain rués vers la faille, donnant le signal de l'exode. La reine Alinor avait ordonné à son amant et à ses enfants de la devancer. La petite Azenor n'avait que quelques jours lorsque sa mère l'avait solennellement confiée à son frère Balian. Ezarel, ne quittant lui-même la reine qu'à contre-cœur, avait dû entraîner Mélisande de force. Il était du devoir d'Alinor de fermer la marche mais sa famille n'avait pas à partager ce péril. Tout le monde avait cependant pu traverser la brèche, la reine y compris. Les exilés continuaient à marcher, s'éloignant autant que possible de la faille. Gardes et éclaireurs se dispersaient déjà dans la forêt, un messager prenant la route du manoir des vampires. Les fées encadraient la foule, intervenant au plus petit signe de bousculade. Derrière la colonne de réfugiés, la brèche se tordait comme un brasier dans le vent. Les crépitements de cette gigantesque flamme d'énergie étaient pareils aux rugissements d'une cataracte. A travers les volutes bleutées s'apercevaient encore les arbres de Ba' ih An'da, plus imposants, plus majestueux que ceux de cette forêt terrienne.
Erika demeurait seule plantée sur le pas de la faille entre les mondes. Où était Sissi ? Le voile s'épaississait, les flux s'affolant et s'opposant. Désormais tout juste discernables dans ce maelström, les arbres du bois des fées paraissaient s'enflammer. Déracinés, ils en fracassaient d'autres et s'envolaient, ballet de torches fantômes. Mathieu avait fait demi-tour en découvrant que la démone n'avançait plus. Il la rejoignit tant bien que mal, cuisant au feu de l'énergie brûlante qui l'aveuglait. La brèche se refermait, de plus en plus mince et de plus en plus opaque. Il n'en resta bientôt qu'un long fil bleu et sifflant, large d'un empan, suspendu entre le ciel et la terre. Erika hurlait le nom du kappa. Elle se serait jetée dans la maigre faille si Leiftan n'avait pas fondu sur elle pour la plaquer au sol. Tous crocs dehors, Miranda tournait autour des deux démons. Qu'en se débattant Erika parvienne à prendre le dessus et que dans sa fureur elle ose en abuser, elle risquait de se faire broyer les ailes entre les puissantes mâchoires de la louve.
La main crispée sur la poignée de son épée, Mathieu observait l'ondulation, la palpitation du fil devenu blanc et silencieux. La brèche était presque refermée, à présent. Les cris hystériques de la démone viraient aux lamentations étranglées. Les yeux de l'humain s'embuèrent. « Ce n'était qu'un gamin. », songea-t-il, à moitié assommé. « Ce n'était qu'un gamin, mon Dieu, ce n'est pas juste. » Et il tomba à genoux. Toutefois, lorsque la faille lui souffla une brise glaciale au visage, Mathieu bondit sur ses pieds et, ne réfléchissant pas, y enfonça un bras sans considération pour le danger qu'il courait de se le voir trancher. Alors une main gelée attrapa la sienne et il tira de toutes ses forces.
