Chapitre 2 - Le silence des rails sous les feuilles de l'automne
Au petit matin du 1er septembre, je me réveillai au son tonitruant du réveil, la bouche pâteuse et les pensées emmêlées. J'avais peu dormi bien sûr, tout excitée à la perspective de mon retour à Poudlard pour cette cinquième année. Je repoussai ma couette avant de donner une caresse à mon écharpe pour lui souhaiter le bonjour.
—Allez, debout! Une longue journée nous attend!
Dehors, un pâle et timide soleil perçait à l'horizon. Je traînai des pieds pour rejoindre la salle de bain et me brossai les dents d'un geste somnolent. Une douche revigorante me réveilla, puis je m'attaquai vaillamment à ma chevelure emmêlée de boucles, chaque coup de peigne m'arrachant une grimace.
Lorsque je rejoignis la cuisine une demi-heure plus tard, je trouvai maman attablée devant une tasse de café.
—Je connais quelqu'un qui a fait une insomnie cette nuit, me dit-elle après qu'elle m'eut donné mon baiser matinal.
—Je dormirais dans le train, voilà tout! répondis-je en haussant les épaules.
Elle me prépara une tasse de chocolat chaud et beurra mes tartines tandis que je nous versai à toutes les deux un verre de jus de citrouille. Puis, elle pointa sa baguette magique sur le poste de radio et la voix langoureuse de Célestina Moldubec entama son dernier tube Aimes-moi d'amour mon ténébreux attrapeur.
—Tes affaires sont prêtes? me demanda maman alors que je m'efforçai de ne pas écouter la musique au risque de l'avoir toute la journée dans la tête.
—Presque, soupirai-je. Je n'arrive pas à caser mon télescope et mon chaudron dans ma malle.
—Je m'en occuperais.
Des bruits à l'étage puis dans l'escalier se firent entendre et mon papa apparut sur le seuil de la cuisine, ses yeux papillonnant comme ceux d'un hibou.
—Pourquoi faut-il que le Poudlard Express parte si tôt? ronchonna-t-il en guise de bonjour.
Je cachai un rire derrière ma tasse de chocolat en voyant sa dégaine. Il portait un tee-shirt aux couleurs des Serdaigles délavé, un pantalon en toile écossaise du plus mauvais goût et des pantoufles usés. Il se passa une main dans sa chevelure, l'ébouriffant un peu plus au passage et bailla outrageusement avant d'embrasser ma mère et de déposer un baiser sonore sur mon front.
—Nous partons dans une heure, l'avertit maman en le voyant s'affaler sans grâce sur la chaise, prêt à se rendormir.
À croire que je n'étais pas la seule à avoir passé une nuit blanche!
—À vos ordres, MrsMcBee, grogna-t-il tout en faisant signe à la cafetière de le servir.
Au même instant, un hibou cogna son bec à la fenêtre de la cuisine, et je me levai pour récupérer la Gazette du sorcier, n'oubliant pas de glisser quelques noises dans la petite bourse en cuir accrochée à sa patte. Je donnai le journal à mon papa grincheux qui ne tarda pas à grommeler.
—Mais qu'est-ce que nous a encore inventé Fudge? Écoute ça, chérie: «une nouvelle taxe sur les balais volants vient d'être annoncée par le ministre de la magie, suscitant une vague de mécontentement parmi les sorciers et les sorcières de tout le pays. Cornélius Fudge a déclaré que cette mesure vise à collecter des fonds pour améliorer les infrastructures magiques, notamment les routes de transplanage telles les zones de Portoloin». Pfff! On peut dire que nous avons le ministre le plus incompétent de toute l'histoire. Une taxe sur les balais? Et puis quoi encore? C'est l'équipe nationale d'Angleterre qui va être contente…
Maman, que la politique n'intéressait pas vraiment, me demanda d'aller rejoindre ma chambre pour finir de me préparer. «Nous partons dans quarante-cinq minutes!».
—À vos ordres, MrsMcBee! m'exclamai-je en écho à mon père, tout en effectuant un salut militaire.
J'étais contente de pouvoir étrenner mon nouveau tee-shirt aux couleurs de l'équipe de Quidditch d'Écosse, que je complétai avec un jean et une paire de converses. Mon écharpe finissait de faire sa toilette, mais elle me montra un nœud qui s'était formé sur ses franges et que je démêlai patiemment avec un petit peigne. Elle me remercia en me chatouillant le cou avant de se lover tout contre moi.
Maman choisit ce moment pour passer sa tête dans l'entrebâillement de la porte. Elle jeta un rapide coup d'œil à ma chambre.
—Tu es prête, ma poupette?
—Maman, soufflai-je en levant les yeux au ciel, je n'ai plus dix ans!
—Peut-être, mais tu seras toujours mon petit bébé. Alors?
Je lui montrai du doigt l'épineux problème de mon chaudron et de mon télescope qui refusaient de se ranger dans ma malle et qu'elle résolut en un claquement de doigts. L'instant d'après, je refermai ma grosse malle et lançai un «prête!» tonitruant.
Je fis un dernier tour de ma chambre pour m'assurer que tout était rangé et que rien ne manquait — je fourrai à la va-vite mon exemplaire de Milles herbes et champignons dans mon sac à dos — puis traînai ma malle jusqu'au rez-de-chaussée dans un fracas épouvantable.
—Tu veux réveiller tout le quartier ou quoi? rouspéta papa qui finissait d'agrafer sa cape de sorcier autour de son cou, coiffé et rasé de près.
—Non, juste la moitié me suffira! rétorquai-je avec un large sourire.
—Sale gosse, ricana-t-il en tirant sur l'une des boucles de ma chevelure.
Le geste n'échappa pas à maman qui eut une moue pensive.
—Viens par ici, je vais te faire un joli chignon, décida-t-elle.
—Non! criai-je en reculant d'un pas. Laisse mes cheveux tranquille, je les aime comme ça.
Papa jeta un coup d'œil à sa montre. «Allons-y, ou nous serons en retard pour de bon», déclara-t-il en s'emparant de ma grosse malle.
Un sortilège de rapetissage plus tard et elle fut mise dans le coffre de la voiture, tandis que maman fermait la porte de la maison à clef.
—Au revoir la maison! m'exclamai-je lorsque la voiture tourna à l'angle de la rue.
Le trajet jusqu'à la gare de King's cross ne dura guère longtemps, mais il nous fut impossible de trouver une place de parking. Enfin, au bout du troisième tour, papa dégota une place, mais, à notre grand désarroi, une vieille berline rouge qui avait connu des jours meilleurs occupait non pas une, mais deux places de parking, les pneus parfaitement posés sur la ligne blanche.
—Qui est l'abruti qui s'est cru tout seul? marmonna papa, la mâchoire crispée.
Maman, au comble de l'exaspération, brandit sa baguette magique pour lancer le sortilège Repulso. La voiture fautive se parqua entre ses lignes et papa put enfin se garer.
—Heureusement que nous sommes partis tôt! maugréa-t-il, décidément de très mauvaise humeur aujourd'hui.
Je donnai un coup d'écharpe supplémentaire autour de mon cou, descendis de la voiture, tirai ma malle du coffre et suivis mes parents sur le parvis de King's Cross, bondé en ce premier jour de septembre. Pour ne rien arranger, il y avait des travaux dans la gare et les palissades posées entre les voies cinq à huit nous obligèrent à faire un grand détour.
Je suivis mes parents jusqu'au pilier menant à la voie9 . Maman fit mine de fouiller dans son sac afin de nous permettre de nous y glisser subrepticement.
À peine mis-je un pied sur le quai accueillant le Poudlard express que je fus assourdie par un concert de cris et de revendications, le tout agrémenté de fumigènes rouge et or, et de grosses banderoles qui flottaient dans les airs tels des serpents. «Pas de train, pas de baguettes! On veut des horaires corrects!» était-il écrit sur l'une d'elle, ou encore: «sans respect, pas de trajet!».
—Mais qu'est-ce que… commença papa avant qu'un sorcier à la voix déformée ne lui hurle dans les tympans: «Nos droits ne sont pas invisibles contrairement à la cape!».
—Je crois que le personnel du Poudlard express fait grève, murmurai-je, ébahie de voir un feu d'artifice éclairer le quai tandis qu'il écrivait dans le ciel: «Des pauses plus longues que les sortilèges!».
— Polly!
Je me retournai vivement en reconnaissant la voix de mon amie Nymphadora Tonks, aussi pétulante et exubérante que la dernière fois que je l'avais vu. Avec ses cheveux rose pâle et ses yeux violets électriques, vêtue d'un jean, d'une paire de bottes en peau de dragon et d'un pull jaune, elle était la personnification de l'arc-en-ciel. Je la serrai brièvement dans mes bras avant de lui coller un baiser sonore sur la joue. Derrière elle venaient ses parents qui saluèrent les miens avec des poignées de mains.
—Il semblerait que le personnel refuse d'emmener les enfants à Poudlard, expliqua MrTonks, les sourcils froncés.
—Que fait donc le ministère? demanda papa en tournant la tête de tous les côtés pour tenter d'apercevoir l'ombre du chapeau melon de Fudge parmi la foule.
—J'ai entendu Arthur Weasley dire que notre charmant ministre n'avait aucunement l'intention de céder à leurs revendications. Il a été reçu il y a quelques instants par les membres du syndicat à bord du train. Mais il ne reste plus beaucoup de temps pour les négociations…
Nous tournâmes tous la tête en direction de la grosse horloge qui surplombait le quai, pour constater que le Poudlard express devait partir dans une quinzaine de minutes.
—Comment allons-nous aller à Poudlard? demandai-je.
—Ça, c'est une bonne question.
Je demandai à Tonks si elle avait vu notre amie Rose parmi la foule, mais elle secoua la tête. «En revanche, j'ai croisé les Nullos», m'apprit-elle.
Mon père et MrTonks décidèrent d'aller voir un peu plus près les revendications tandis que nos mères discutaient sur la meilleure manière de se rendre à Poudlard dans le cas où le train ne partirait pas. Je pris place sur ma grosse valise et fis signe à Tonks de faire de même.
Nous échangions sur nos vacances respectives quand une grande clameur nous parvint.
Il était onze heures et il avait été décidé que le Poudlard express resterait à quai.
Les parents hurlèrent aussitôt au scandale et des clameurs s'élevèrent un peu partout, criant qu'il était honteux que le Ministère prenne les enfants en otage face à la contestation du personnel du train.
—Bon, on fait quoi en attendant? maugréai-je. Je me vois mal aller à Poudlard en voiture…
Je vis nos pères fendre la foule pour nous rejoindre.
—Alors? demanda MrsTonks, inquiète.
—Les négociations ont échoué, nous apprit inutilement papa.
Pas de train! Pas de rentrée scolaire! Pas de banquet ni de cérémonie de répartition! Une vague de grognement monta jusque sous les voûtes de briques et d'acier de la gare. J'échangeai un regard triste avec Tonks qui eut la même pensée que moi.
—Des Aurors ont été appelés en renfort pour effectuer des transplanages d'escorte. Le Magicobus a également été réquisitionné.
—Polly prendra le Magicobus, décréta maman sans me laisser le temps d'ouvrir la bouche.
Je gémis. Je n'avais jamais apprécié ce moyen de transport et je sentis déjà poindre la nausée en songeant au voyage rocambolesque qui m'attendait.
Mret MrsTonks décidèrent que leur fille m'accompagnerait et j'en fus soulagée. Au moins, je ne me ridiculiserais pas seule!
Papa nous quitta une nouvelle fois pour inscrire nos deux noms sur la liste, mais le chaos était si total qu'il se fit bousculer de toute part. Il parvint à rejoindre le sorcier qui lui indiqua un départ à midi, avec le groupe numéro trois.
Le quai9 était plongé dans un capharnaüm indescriptible. Des Aurors prenaient en charge des élèves pour les faire transplaner par groupe de deux ou trois. Deux membres du Bureau de liaisons calmaient les parents moldus en leur assurant que leurs enfants seraient emmenés en toute sécurité jusqu'à l'école de magie.
—Tu parles d'une rentrée scolaire, marmonna Tonks. Mais qu'est-ce que tu fabriques? ajouta-t-elle en me voyant me hisser sur la pointe des pieds pour observer la foule.
—Je cherche mon prince charmant, marmonnai-je.
—Vraiment?
—Mais non bécasse! Je cherche Rose.
Tonks se tourna vers nos mères pour leur demander si nous pouvions aller à al rencontre de notre amie. Elles se concertèrent du regard avant de nous accorder le droit de faire le tour du quai.
—On fait vite! promit Tonks.
Il y avait tant de monde qu'il fut difficile de faire un pas sans se faire marcher sur les pieds. Ça criait et gesticulait de partout: des sorciers très remontés voulaient parler au ministre Fudge, un groupe de deuxième année avait entamé une partie de Bavboules assis à même le sol et une journaliste de la Gazette du Sorcier m'alpagua pour me demander mon avis.
J'échangeai un regard avec Tonks qui s'avança vers la femme, ravie de pouvoir lui dire le fond de sa pensée.
—Je suis étonnée d'apprendre que le personnel du Poudlard express n'ait jamais obtenu d'augmentation de la part du Ministère, dit-elle avec beaucoup de sérieux. Après tout, ils représentent une étape cruciale dans la vie d'un jeune sorcier ou d'une jeune sorcière!
La journaliste fut enchantée des propos de Tonks et elle se tourna vers moi pour me demander si je partageais l'avis de ma jeune camarade.
—Oh oui! lançai-je à mon tour. Le Poudlard express est le symbole de la transition pour les enfants et le début d'une nouvelle aventure. Après tout, c'est dans ce train que se nouent les premières amitiés! Et c'est tout un rite pour les élèves! Je ne peux pas croire qu'il n'y aura pas de rentrée scolaire sous l'égide du Poudlard express cette année à cause du ministère de la Magie.
La journaliste nous demanda nos noms et notre maison, prit une photo de nous puis nous laissa partir. Tonks se tourna vers moi avec un sourire un peu moqueur.
—Le symbole de la transition?
—J'ai sorti la première chose qui me soit venue en tête, dis-je en haussant les épaules.
Nous poursuivîmes notre chemin sans trouver trace de Rose et retournâmes, un peu dépitées, auprès de nos parents.
Ils discutaient des conditions de voyage vers Poudlard, et je les écoutai discourir.
—Pourquoi les parents ne peuvent pas transplaner avec leurs enfants?
—Le Ministère le déconseille, ça va créer des embouteillages, m'expliqua MrsTonks. De plus, Poudlard a mis en place une sorte d'accueil à Pré-au-Lard afin de pointer l'arrivée de chaque élève pour éviter d'en perdre un ou deux en route…
Oui, une telle chose aurait été fort embêtante…
L'attente ne dura guère lorsque le groupe numéro trois fut appelé. Nous nous frayâmes un chemin jusqu'au sorcier qui s'occupait du transport via le Magicobus. Il trouva nos noms sur la liste et nous enjoignit de rejoindre une rue perpendiculaire à la gare afin d'être pris en charge par une certaine Mrs Rooks.
Traînant nos valises derrière nous, nous suivîmes les directives pour nous retrouver en compagnie d'une dizaine d'élèves attendant sagement le Magicobus, pour certains seuls, pour d'autres accompagnés de leurs parents. Le moldu un peu trop curieux collé à sa fenêtre aurait sans doute trouvé étrange de voir ces adolescents encombrés de grosses malles avec un énorme P estampillé dessus, de cages occupées par des hiboux, des chats ou des crapauds, ou tenant à bout de bras des chaudrons en étain ou des balais de course. Cependant un sorcier à qui il manquait une jambe, un œil et la moitié du nez rodait d'un air menaçant. Il posa un œil bleu électrique sur nous lorsque nous le rejoignîmes et émit un grognement en guise de salut.
J'échangeai un regard avec Tonks, tout aussi apeurée par la physionomie terrifiante de l'Auror que moi, et plus encore quand une moldue qui faisait son jogging arriva derrière nous. Il dégaina sa baguette magique et lui lança un si rapide «confundo!» que je sentis à peine le souffle du sortilège.
La pauvre jeune femme, déboussolée, fit demi-tour sans demander son reste, au moment où le Magicobus apparaissait au coin de la rue.
Sur le devant, un panneau en lettre d'or indiquait «SERVICE SPÉCIAL». Le bus s'arrêta devant nous et les portes s'ouvrirent sur un jeune homme dégingandé tout de violet vêtu.
—Bienvenue à bord du Magicobus, transport d'urgence… commença-t-il.
—Oui, oui, on sait, gronda une voix derrière lui.
Une sorcière apparut, une femme à la prestance impressionnante. Ses cheveux courts et crépus, parsemés çà et là de mèches grises, encadraient un visage aux traits délicats et aux yeux perçants, qui lui donnait une allure autoritaire de femme qu'il ne fallait pas contrarier. Elle portait un long manteau en velours bordeaux brodé de fils argenté, et à sa taille pendait un étui en cuir d'où dépassait une baguette magique prête à être dégainer à chaque instant. Elle consultait un bloc-notes d'un œil sévère. Je supposais qu'elle était cette Mrs Rooks censée nous prendre en charge. Elle annonça le nom de la dizaine d'élèves inscrits sur la liste, et nous répondîmes tous présents sauf un, un dénommé Bonaparte. La femme haussa un sourcil devant ce manquement avant de lui accorder un retard de cinq minutes, le temps pour nous de faire nos adieux.
Je n'y coupai pas cette année et je subis les éternelles remontrances de mes parents, à savoir le triptyque «sois sage — travaille bien — ne pense pas trop au Quidditch».
—Oui, oui, et je ne garantis rien, répondis-je en toute innocence.
Papa et maman me serrèrent dans leurs bras une dernière fois et me promirent de venir me chercher à la gare pour les fêtes de Noël.
—Enfin, si d'ici là le Poudlard express n'est plus en grève, marmonna papa, m'arrachant un sourire.
Bien malgré moi, je sentis les larmes me monter aux yeux. Je n'aimais pas les séparations. Oh bien sûr, j'étais heureuse d'aller à Poudlard pour y vivre ma petite vie tranquille d'adolescente, mais il était dur de quitter la douceur et le réconfort de mon foyer. Parfois, il m'arrivait de penser que les premières années étaient un peu trop jeunes pour devenir indépendants à onze ans…
Une toux sèche m'arracha de mes pensées. MrsRooks me fit signe d'embarquer dans le bus et je me dépêchai de monter à la suite de Tonks qui semblait aussi nerveuse qu'un Botruc coincé dans une usine de cure-dents. Elle choisit un canapé double recouvert d'un tissu en chintz décoloré d'un jaune pâle insipide et garni de tâches douteuses, témoignant de décennie d'accidents fortuits.
—Asseyez-vous! mugit la femme.
Nous obéîmes tous avant qu'elle ne fasse signe au chauffeur d'y aller.
BANG BANG!
Le Magicobus fila dans les rues de Londres. Nous nous accrochâmes à ce que nous pouvions afin de ne pas tomber sur le plancher à chaque virage et ce ne fut bientôt plus qu'une cacophonie d'élèves criards et beuglants, secoués dans tous les sens.
Tonks s'accrocha si fort à mon bras que je sentis ses ongles me lacérer la peau. Moi-même me cramponnai à l'un des accoudoirs du fauteuil, le sentant glisser un peu plus en avant ou en arrière à chaque coup de frein.
BANG BANG!
Par deux fois le Magicobus fit une halte, d'abord dans les Midlands puis dans le Surrey. L'Auror, furieuse par ces arrêts intempestifs, descendit du Magicobus pour houspiller le sorcier ou la sorcière qui avait eu l'audace de faire appel au service du Magicobus en ce jour si particulier.
—Vous ne savez pas lire? rugit-elle en désignant de son doigt le panneau «SERVICE SPÉCIAL».
—Oh! C'est gentil de votre part de vous soucier de moi, mais je suis simple vendeur de cravates vous savez… répondit le sorcier d'un air tranquille.
Et il fit mine de vouloir monter, avant d'être retenu par la terrible sorcière.
—Mais comment je vais aller travailler moi? gémit le pauvre homme.
—Vous avez des pieds, servez-vous-en!
Et les portes furent claquées sous le nez du marchand.
Toutes ces péripéties nous firent arriver en milieu d'après-midi à Pré-au-Lard, malades, sonnés et en bien piteux état. Je descendis du Magicobus les jambes branlantes et aussi mal en point qu'un hibou pris dans une tempête. Un Gryffondor se précipita vers le seau mis à disposition pour vomir tout à son aise tandis que les autres essuyaient discrètement leurs larmes de terreur.
L'Auror nous fit signe de la suivre jusqu'au pub des Trois Balais, où nous attendaient les professeurs McGonagall et Flitwick, assis tous deux derrière une large table où trônait un registre, des plumes, des tasses et une grosse théière.
—Tenez, Minerva, dit l'Auror en tendant à McGonagall le parchemin comprenant le nom de la poignée d'élèves qui avaient survécu au Magicobus.
—Merci, Nerissa.
McGonagall fit l'appel pour s'assurer que nous étions bien là tandis que Flitwick cochait nos noms dans le registre. Une fois cela fait, on nous demanda de patienter un peu le temps qu'un professeur vienne nous escorter à Poudlard.
Bien sûr, nos premières pensées allèrent vers nos amis et nous demandâmes tous à Flitwick si untel ou unetelle était déjà arrivé… Le vacarme fut si assourdissant que McGonagall nous menaça de nous transformer en crapaud ou en vipère si nous ne nous taisions pas.
—Combien de passage du Magicobus encore? demanda-t-elle en se tournant vers l'Auror avec un soupir.
—Beaucoup trop, si vous voulez mon avis, marmonna l'autre en retour.
Ce fut le professeur Rogue qui nous escorta jusqu'à l'école, lui aussi détenteur d'une liste pour s'assurer qu'aucun élève ne se perde en chemin. «On ne pouvait pas rêver mieux que d'être accueilli par Rogue», grommelai-je à Tonks en voyant l'air grincheux qu'arborait notre professeur de potion. Il nous fit monter dans une diligence magiquement agrandie tirée par des Sombrals. Un garçon de cinquième année, celui qui avait vomi, me marcha sur les pieds en voulant me dépasser.
—Mais aïe! m'exclamai-je en le foudroyant du regard.
—Roh, ça va, j'ai pas marché sur un trésor national non plus! rétorqua-t-il.
—Swann, McBee! Dépêchez-vous de monter, je n'ai pas que ça à faire.
La diligence s'engagea lentement sur le chemin menant à Poudlard. Malgré l'odeur désagréable de paille et de moisi que je tentai d'ignorer, je me dévissai le cou pour admirer la silhouette du château de Poudlard qui se dessinait à l'horizon, émergeant majestueusement sous la brume dorée. Ses tours imposantes et ses tourelles élégantes se découpèrent dans le ciel azur et, à ses pieds, le lac noir semblait scintiller sous le soleil.
Enfin, après des heures d'attente et de voyage sans fin, Poudlard était en vue.
À peine un pied fut mis au château que je tirai Tonks par la manche pour rejoindre notre Salle commune dans l'espoir d'y trouver Rose et les Nullos.
—Pas si vite, McBee! aboya Rogue, les bras croisés sur sa poitrine.
De nouveau, un parchemin fut confié au professeur Chourave qui fit un dernier appel tandis que Madame Pomfresh nous auscultait. Deux élèves qui arboraient un teint verdâtre pour l'un et des bleus pour l'autre furent envoyés à l'infirmerie. Enfin, les plus vaillants furent autorisés à s'éparpiller, ce que nous fîmes dans la plus grande joie.
Tonks et moi rejoignîmes notre Salle commune, devisant sur l'étrange voyage que nous venions d'effectuer.
—On a réussi! soupira mon amie lorsque le tonneau marquant l'entrée du territoire des Poufsouffles se referma sur nous.
C'était comme retourner à la maison, mais en plus magique.
Baignée de lumières dorées, notre Salle commune offrait un refuge douillet pour tous les Poufsouffles. Ses murs de pierres et son plafond vouté étaient décorés de charmants tableaux représentant des paysages idylliques ou des chaudrons débordant de plantes vivaces comme du lierre, des monsteras et des philodendrons. Le sol était recouvert d'épais tapis moelleux tandis que des fauteuils confortables et des canapés invitaient à la détente et aux discussions sans fin entre amis.
Une grande cheminée trônait au centre de la pièce, diffusant une chaleur bienvenue, que surplombait l'immense portrait de la fondatrice de notre maison, Helga Poufsouffle. Un peu partout s'élevaient des étagères remplies de livres, allant du manuel scolaire annoté par des générations d'élèves aux romans en passant par une multitude d'ouvrages sur l'herbologie, et des bureaux étaient disposés afin de permettre à chacun d'étudier librement.
Alors que nous nous avancions, un cri nous fit sursauter, et une petite chose blonde vêtue d'un pull bleu pastel et d'un pantalon à pince se jeta sur nous pour nous serrer dans ses bras.
—Rose! m'écriai-je, ravie de retrouver mon amie.
—Je vous ai attendu une bonne partie de la journée, dit-elle en nous lâchant enfin.
—Comment es-tu venue ici?
— Transplanage d'escorte, expliqua-t-elle. Je suis venue avec les Weasley.
Elle me regarda avec intensité, fut sur le point de me dire quelque chose, mais se ravisa.
—Quoi?
—Non rien.
—Dis-le, je le vois sur le bout de ta langue.
—Ça ne va pas te plaire.
—Dis toujours.
—Charlie Weasley a été promu capitaine des Gryffondors, finit-elle par m'avouer.
Je restai muette de longues secondes avant de me reprendre.
—Quelle excellente nouvelle, marmonnai-je, la mâchoire serrée.
—Tu parles, ricana Tonks. Tu es tellement crispée que tu vas finir par te péter les dents! Les Nullos sont là? demanda-t-elle pour changer de conversation en voyant mon air outré.
—Par ici!
Elle nous guida jusqu'à un recoin de la Salle commune où les Nullos, allongés sur l'un des tapis élimé, jouaient à la version sorcière de Docteur Maboul.
—Vous pourriez nous dire bonjour! grognai-je en me laissant tomber au côté de William Kenway.
—Chut! Tu vas le déconcentrer! grogna Sean Hastings.
Samuel Fey, muni d'une paire de pinces en plastique, tentait de déloger un minuscule tibia. Hélas pour lui, la pince toucha le bord du plateau et un crachat gicla sur sa figure.
—C'est malin, soupira-t-il en s'essuyant avec la manche de son pull.
—Ce qui nous fait un total de trois points pour moi, deux pour Kenway et zéro pour toi. Allonge la monnaie, Fey!
Le Nullos grogna mais fouilla dans ses poches pour en sortir un ridicule petit porte-monnaie en scratch à l'effigie de Batman et tendit trois noises à Hastings.
Comme toujours, je trouvai ingénieux que les Nullos détournent un jeu moldu en version sorcière.
—C'est quand même bizarre, dis-je en contemplant le plateau. Le type est en train de subir une opération et pourtant, il est réveillé. Le Docteur Maboul ne connaît pas la potion de sommeil?
—Ou même l'anesthésie, compléta Rose en approuvant mes dires.
—C'est pas faux, approuva Kenway. Mais as-tu déjà vu un chirurgien opérer un type avec une pince à épiler toi?
—Ou prélever un cœur en forme de cœur?
—Ou un crayon dans le bras?
—Ou un…
—Oui, c'est bon on a compris, s'exclama Tonks.
—Vous savez à quoi je pense, les copains? fit Hastings d'un air songeur. On pourrait ensorceler un petit mannequin et faire de même!
—Ah ouais! Et puis faudrait lui retirer des petits objets comme des Bavboules ou un chaudron!
—Ah ouais! Et puis il faudrait lui faire boire des potions pour qu'il aille mieux!
—Ah ouais! Et puis…
Et les Nullos partirent dans leurs discussions de Nullos.
Je secouai la tête, amusée. Ce n'était pas leur première tentative de transformer des jeux moldus. Mais, la raison qui m'échappait était la raison pour laquelle ils ne souhaitaient pas commercialiser leurs inventions, et la seule fois où je leur avais posé la question, ils m'avaient demandé si j'avais déjà entendu parler du copyright…
Notre préfet Ned Gallagher annonça alors qu'une collation était servie dans la Grande Salle, et la Salle commune se vida de tous ses Poufsouffles comme par enchantement.
—C'est vraiment dommage que nous n'ayons pas de cérémonie de répartition cette année, soupira Fey d'un air fataliste.
—Quoi? s'exclama Rose, attristée.
—On a entendu le professeur Dumbledore en parler au professeur McGonagall. La moitié des élèves a terminé à l'infirmerie à cause des trajets en transplanage ou en Magicobus.
—Pauvre Choixpeau magique qui aura préparé tout l'été sa chanson sans avoir une chance de nous la présenter!
—En même temps, je ne vois pas ce qui compliqué, marmottai-je. Il suffit de faire rimer Gryffondor avec cœur d'or et Serpentard avec roublard.
—Qu'est-ce que tu es mauvaise langue! ricana Tonks tandis que nous dépassions les portes de la Grande Salle.
Une délicieuse odeur mêlant cannelle, chocolat et caramel fondant embaumait l'air, enveloppant la Grande Salle d'un parfum irrésistible pour nos papilles, et mes yeux s'écarquillèrent devant le spectacle des quatre longues tables débordantes de douceurs et de délices sucrés. Les elfes de maison s'étaient surpassés pour compenser l'absence du traditionnel banquet de début d'année, transformant une simple collation en une véritable fête sucrée.
Des montagnes de petits choux garnis de crème vanillée et saupoudrés d'éclats de noisettes croustillantes côtoyaient des puddings au caramel pétillant. Des éclairs fourrés de crème au beurre n'attendaient qu'être goûté tandis que des macarons révélant d'un cœur fondant de framboise épicée ou de citrouilles panachées attiraient tous les regards. Des théières déversaient un flot infini de thé varié, alors qu'une chocolatière en cuivre poli proposait son contenu encore fumant et garni d'un nuage de crème fouettée.
Et, au centre de chaque table trônait un imposant gâteau au chocolat recouvert d'une ganache brillante.
L'année commençait peut-être d'une manière inhabituelle, mais Poudlard n'avait rien perdu de sa magie.
Je m'installai à côté de Tonks et Rose tandis que les Nullos prenaient place sur le banc face à nous. Sans perdre une seconde, je me servis une assiette généreuse de petits gâteaux fourrés au citron.
La porte de la Grande Salle s'ouvrait de temps à autre, laissant entrer des grappes d'élèves retardataires, visiblement épuisés par le trajet. Pourtant, aucun professeur ne se montrait encore, preuve que tous n'étaient pas encore arrivés.
—À votre avis, qui sera notre nouveau professeur de Défense contre les Forces du Mal cette année? demanda Tonks.
—J'espère quelqu'un qui n'aura pas l'idée de se mettre à dos Peeves dès le premier jour! maugréai-je.
Il était connu que les professeurs de Défense ne terminent jamais vraiment leur scolarité à Poudlard. S'il y avait bien un poste maudit, c'était celui-là! Des quatre années passées, l'un de mes professeurs avait fait une dépression nerveuse causée par notre charmant esprit frappeur, un autre avait eu la brillante idée de faire exploser un chaudron rempli de potion d'amnésie sur son bureau et un autre, persuadé d'être la victime d'une malédiction ancestrale, avait fui quand des crétins de septième année lui avaient joué une farce en orchestrant une attaque spectrale…
Et encore, tout cela n'était rien comparé à l'année où le professeur avait été arrêté en plein cours par les Aurors pour falsification de documents officiels…
—Peut-être qu'on aura un chanceux cette année, lança Tonks, d'un ton optimiste.
—Ou pas, ricanai-je.
Une douce sensation de somnolence m'envahit peu à peu. La journée avait été longue, et la dernière part de tarte à l'abricot commençait à me peser sur l'estomac.
—Et si on retournait à la Salle commune pour y passer la soirée? proposai-je. Le banquet étant annulé, on ne risque pas de rater grand-chose ici…
Rose approuva — elle avait quelques vieux numéros de Sorcière Hebdo dans sa valise — et Tonks proposa de passer dans les cuisines prendre quelques sandwichs et des bouteilles de Bieraubeurre.
Nous abandonnâmes donc les Nullos à leur conversation ô combien fascinante sur le nom idéal pour leur version sorcière du jeu Dr Maboul.
—Moi, je dis queLe Sorcier facétieuxsonne plus drôle! ronchonna Hastings.
—Trop long! rétorqua Fey en secouant la tête. Le Guérisseur maladroit, ça claque mieux, non?
—À plus, les copains! lança Tonks.
Nous sortîmes toutes les trois de la Grande Salle, échafaudant déjà notre soirée «pyjama et potin», quand Rose me donna un coup de coude. «Regarde qui vient par-là», me chuchota-t-elle à l'oreille. Je dirigeai mon regard vers les portes pour voir arriver en contresens le capitaine de l'équipe de Quidditch des Poufsouffles, Leo Hadley. De taille moyenne, des cheveux bruns en bataille et des yeux verts, il arborait fièrement l'insigne des capitaines.
Une vive rougeur colora mes joues quand je le croisais. Oh! Si seulement j'avais le courage de lui avouer mon envie de faire partie de l'équipe des Poufsouffles! D'un geste, je touchai du bout des doigts le bracelet que m'avait offert la voyante égyptienne.
—Quand auront lieu les sélections? demanda Tonks l'air de rien.
—La deuxième semaine de septembre, soupirai-je.
Il était inutile de me demander si j'y participerais. Le poste de batteur était libre, mais je savais également que je n'avais aucune chance d'être accepté.
Parce que, malgré ses airs de jeune victorieux et de bellâtre à faire fondre les cœurs, Leo Hadley vivait comme au Moyen-âge et n'acceptait que les garçons dans son équipe.
—Si tu veux mon avis, c'est un plouc, annonça Tonks lorsque nous eûmes rejoint notre dortoir.
—Peut-être, mais ça ne m'empêchera pas de participer aux sélections! répliquai-je d'un air crâne.
—Bien dit! renchérit Rose avec un large sourire.
Note de bas de page : Merci à la SNCF de m'avoir donné l'inspiration de la grève surprise du Poudlard express !
J'espère que ce nouveau chapitre vous a plu et que vous trépignez déjà d'impatience à la lecture du prochain.
Il paraîtra en ligne le 11 février ! D'ici, portez-vous bien et préparez vos baguettes magiques !
A plus !
Citrouille
