LE CHOIX DES RONCES
Chapitre 4
Le silence s'installa entre eux comme une troisième présence dans la cellule. Harry, croisant les bras à défaut de mieux, scrutait Drago sans trouver les mots. Face à lui, l'ancien héritier Malefoy était assis au bord de sa couche, le dos droit mais raide, comme figé par un mélange de défi et de crainte.
Les secondes s'étiraient, chaque souffle amplifié par l'écho des murs glacés. Finalement, ce fut Drago qui brisa l'attente. Un rire bref, amer, jaillit de ses lèvres gercées, mais ce son semblait lui échapper plus qu'il ne le maîtrisait.
— Alors ? lâcha-t-il, sa voix basse et rauque. C'est là que tu me poses tes grandes questions, Potter ? Que tu viens mendier des aveux spectaculaires pour que le monde te félicite encore ?
Son regard, bien que fatigué, retrouva une lueur d'arrogance. Cette étincelle, fragile mais reconnaissable, aurait pu rappeler à Harry le Drago de leurs rares rencontres passées, si elle n'était pas ternie par la maigreur effrayante du visage qui la portait. Mais ce semblant de défi ne dura qu'un instant. Drago détourna vite les yeux, incapable de soutenir le poids du regard d'Harry.
Harry s'approcha lentement, chacun de ses pas résonnait dans la cellule, accentuait l'espace oppressant entre eux.
— Je ne suis pas là pour te torturer, Drago.
Ces mots, calmes, presque doux, tombèrent comme un choc dans l'atmosphère lourde.
— Non ? Alors quoi, Potter ? Tu es là pour jouer au bon samaritain ? Pour prétendre quoi ? Que tu peux ou veux m'aider ?
Drago se redressa, tentant un geste qui aurait pu passer pour de la dignité. Mais l'effort le trahit. Son corps amaigri, épuisé par des jours – non, des semaines – de souffrance, tremblait visiblement sous l'effort.
Harry l'observait, sans bouger, son regard cherchant désespérément à déceler quelque chose, n'importe quoi qui le ramènerait à un moment plus ancien, moins dramatique. L'étincelle d'un mieux chez Drago grâce auquel il se dirait qu'il n'allait pas si mal, finalement. Mais tout ce qu'il voyait, c'était un fantôme.
— Je suis là pour comprendre, dit-il enfin.
Ces mots simples, presque naïfs, résonnèrent dans la cellule. Harry les avait prononcés avec sincérité, mais à cet instant, ils semblèrent plus cruel qu'un coup de poing.
Drago eut justement un hoquet, comme si ces paroles l'avaient frappé à la poitrine. Une toux douloureuse lui arracha un râle et il se plia en deux, ses côtes saillantes comme un rappel cruel de ce que son corps avait enduré.
— Par Merlin, Potter, tu comptes donc me tuer de rire ? cracha-t-il finalement.
Son ton mordant n'était qu'une façade, un dernier rempart contre l'effondrement total. Ce qu'Harry voyait, c'était la vérité brute : Drago Malefoy était au bord du gouffre, et chaque mot qu'il prononçait n'était qu'une tentative maladroite de détourner l'attention de sa propre déchéance.
— Qu'est-ce qu'ils t'ont fait ? demanda Harry soudain, son ton à mi-chemin entre la colère et la sollicitude.
Ces mots firent reculer Drago. Il secoua la tête, farouchement, ses lèvres serrées comme s'il craignait que la vérité ne s'en échappe malgré lui.
— Tu ne veux pas savoir, murmura-t-il, presque pour lui-même.
Harry se rapprocha encore, ignorant l'espace restreint, ignorant la tension entre eux.
— Drago…
— Ne prononce pas mon nom ! Pas comme ça, pas avec ta sale pitié…
Le cri résonna dans la cellule, brisé, comme une corde trop tendue qui venait de lâcher. Drago redressa la tête, son regard enflammé par une rage fragile.
— Ne gaspille pas ton temps précieux, survivant, cracha-t-il, presque en sifflant. Je ne te dirai rien. Rien du tout. De toute façon, je n'ai rien à dire.
Mais ce n'était pas qu'un défi. C'était un aveu : il n'avait plus rien à donner, plus rien à perdre, plus rien à défendre.
Le silence retomba entre eux, plus lourd. Harry continua de fixer Drago, essayant d'assimiler cette silhouette qui ne ressemblait en rien à celle qu'il avait connue. Il se trouva presque insolent, avec son physique intact, ses joues pleines, sa posture droite. Sa vitalité éclatante contrastait brutalement avec le corps meurtri devant lui. Mais Drago n'avait pas l'intention de le laisser s'appesantir dans ce qu'il percevait comme de la pitié. Ce sentiment-là, Drago Malefoy le méprisait plus que tout.
Il redressa légèrement le menton et laissa échapper, d'une voix acérée:
— Tu vas longtemps continuer à me fixer comme une vache stupide, Potter ?
L'éclat de sarcasme ricocha contre les murs froids de la cellule. Drago sentit presque un soulagement. Parler, briser le silence, c'était comme reprendre une bouffée d'air après avoir suffoqué trop longtemps.
— Regarde-toi ! Potter, le grand, le magnifique ! compléta-t-il avec un ricanement rauque. Complètement ahuri devant la vérité du monde. Eh oui, tu as peur maintenant, hein ? T'es face à la mort là, et ça te retourne l'estomac, pas vrai ? Tu chies dans ton froc ?
Ses mots fusaient, crachés avec une hargne qui ressemblait à une gifle. Drago, malgré son souffle court et son corps épuisé, parlait avec une énergie... délirante.
— Sache une chose, Potter : moi, je n'ai pas peur. Contrairement à toi.
Il se redressa, ou du moins tenta de le faire.
— Moi, Drago Malefoy, je suis passé au-delà de la peur ! Tu veux savoir ce que c'est que l'enfer ? Moi, j'l'ai vu. J'l'ai senti sur ma peau, dans mes os, dans ma tête. Je vis dans ce foutu trou de trolls depuis des mois et pourtant… je tiens debout.
Il planta un regard glacé dans celui d'Harry, puis, d'un geste théâtral, pointa deux doigts tremblants vers sa tempe comme s'il brandissait une baguette ou un pistolet invisible.
— Alors vas-y, Potter ! Essaie ! Essaie de fouiller dans ma tête, de tirer des aveux. Vas-y, fais ton héros, j'ai même mieux : fais ton office bourreau… J'en sais foutu rien de ce que tu fais maintenant, ici. La cause que tu défends. Je m'en fou.
Un éclat de rire étrange, hystérique, s'échappa de ses lèvres. Il parlait si vite, les mots sortaient à peine digérés de sa bouche.
— Et bonne chance hein, Même les Détraqueurs n'ont pas réussi. Ils ont fouillé, creusé, pris ce qu'ils pouvaient. Mais j'suis encore là ! Et vous crevez tous de haine ! Trop drôle, vous m'faites trop marrer. Et quoi, vous me tuerez pour ça ? Oh je le sais, mais ça ne changera rien, j'aurai gagné. C'est ça, Potter ! J'emporterai tous mes secrets dans la tombe, comme un putain de meurtrier jamais arrêté.
À bout de souffle, éreinté plus que de mesure, il se laissa tomber en arrière sur le lit, allongé. Il haletait comme s'il venait de courir un marathon. Il glissa une main sur son visage, essuyant distraitement le coin de ses lèvres, mouillées par sa tirade.
Ses joues semblaient reprendre des couleurs, comme si cette explosion de colère lui avait insufflé un semblant de vigueur. Mais cette lueur n'était pas rassurante. C'était une lumière vacillante, portée par une rage désespérée, presque incontrôlable.
Harry était resté totalement immobile tout du long. Un mot traversa son esprit : fou. Drago Malefoy n'était pas seulement en colère : il était consumé par une tempête intérieure, un mélange d'hystérie et de déni… Azkaban l'avait tendu totalement fou.
C'était ça le mal ? L'héritier Malefoy, le proche des ténèbres ? C'était ça qu'il devait écraser, briser jusqu'à en récupérer la vérité ? Un fou furieux de dix-huit ans, maigre à pleurer, mais dont le regard portait en son sein l'équivalent d'une cuvée d'acier liquide.
— Tu as terminé Drago Malefoy ? reprit-il avec calme. Tu n'as pas à me prouver quoi que ce soit, tu sais ? Pas ici surtout… Je crois… Qu'Azkaban t'a déjà suffisamment jugé, pour que je ne le fasse moi-même.
Le torse de Drago tressauta sous un souffle ironique.
— Que tu le veuilles ou non, je glisserai dans ton esprit… Si tu coopères, peut-être que je pourrais faire quelque chose… Te sortir d'ici par exemple.
Drago ferma les yeux, sans prendre la peine de lui répondre. Dans le dossier de son incarcération aucune fin de peine n'avait été mentionnée. Un début mais pas de fin… Il était comme dans les limbes. Le Ministère avait fait en sorte de laisser un flou juridique sans doute pour ralentir la moindre démarche qui diminuerait sa peine. Car après tout, si une durée de peine n'avait été prononcée, sur quoi pouvait-on se baser pour la défaire ? Et si l'on rendait caduque son incarcération pour l'oublie de cette ligne justement, combien de temps cela prendrait pour qu'il sorte ? Drago avait eu le temps de retourner la situation dans sa tête et jamais la conclusion ne lui était apparue satisfaisante. En fait, pire que ça, il supposait que son emprisonnement était une vaste blague et un méprit total pour lui. Le Ministère avait bâclé le dossier et pourquoi ? Parce qu'il savait pertinemment que Drago Malefoy ne serait sauvé par personne. Même pas les siens.
— Tu perds ton temps… Tu as toujours perdu ton temps et celui des autres, murmura-t-il.
Harry respira profondément. Il fit le dernier pas qui le séparait de lui. Que devait-il faire ? Pourquoi était-il là, déjà ? Il ferma les yeux quelques secondes, puis regarda la cellule. Quel endroit horrible… Mais le lit et les habits que portaient Drago paraissaient en bon état. Cela le rassura, Azkaban n'avait pas tenté de l'humilier plus que de raison. S'il savait...
Il décroisa les bras et se passa encore une main sur le visage. Le café qu'il avait partagé avec le directeur et qui l'avait un peu requinqué arrivait à ses limites.
— Bon… J'en déduis que je devrais faire moi-même tous les efforts possibles et inimaginables pour que tu parles ?
— N'attends rien de moi Potter…
— Avec une telle attitude… Ce n'est pas étonnant que tu sois là, tu sais.
À s'entêter dans le mal, Harry, dont la pitié basculait d'un côté et de l'autre était tiré par une irritation croissante. Il avait l'impression que Drago se donnait en spectacle, s'amusait de lui avec sa dépouille de prisonnier. Qu'il soit dans un salon où dans une cellule moisie, il ne pouvait pas s'empêcher de se mettre en scène. Harry en vint même à se demander s'il n'exagérait pas ses douleurs, son mal-être. Après tout… Hormis son aspect dénutri, Drago avait l'air physiquement en "pleine forme". Il n'avait aucune marque au niveau du visage, rien qui ne signale de réels mauvais traitements. Harry se laissa purement glisser dans le déni des affres d'Azkaban. Peut-être bien que Drago Malefoy avait eu un traitement de faveur.
— Si c'est ce que tu penses Potter, grand bien t'en fasse.
Drago darda son regard d'acier sur lui.
— Tant pis pour toi. Mais reste comme ça, je vais faire voler en éclat tes dernières tentatives de dissimulation.
Harry se pencha sur lui et osa deux doigts sur son front. Drago Malefoy leva une main pour le repousser comme un moustique gênant, mais son bras retomba lamentablement, alors que sa respiration se bloquait. Ses yeux se troublèrent et restèrent fixés dans ceux de Harry Potter. Ce dernier venait de glisser comme un serpent, dans la conscience fragile de Drago Malefoy.
. . .
Un champ de blé qui s'étend à perte de vue. Il savait ce que c'était, pourtant il n'en avait jamais vu. Il leva les yeux très haut, se mit sur la pointe des pieds, mais les épis étaient gigantesques, à moins que ça soit lui qui soit ridiculement petit. Il trébucha sur ses pieds à force de se grandir et remarqua à ce moment qu'il paraissait en effet, assez petit. Il regarda ses mains. Il était un enfant… Agé d'une dizaine d'années. Il cligna des yeux et regarda de l'autre côté. Il y avait une route de campagne, puis un pré et pas très loin une forêt se déployait.
Tout cela avait un goût de déjà vu. D'ailleurs il ne fut pas étonné en voyant un enfant accroupit dans le pré. Il traversa la route en courant et parti le rejoindre.
— Eh, qu'est-ce que tu fais ?
— Je t'attendais Drago, quoi d'autre ?
Le garçon accroupit avait les mains sur ses genoux et observait une fourmilière.
Drago… Oui il s'appelait Drago mais le garçon en face de lui était un jumeau, un autre Drago dont seuls les habits différaient des siens. Il portait un short et un polo quand lui avait un pantalon en toile avec une t-shirt rentré dedans, brodé d'une pierre et de vagues.
Le garçon accroupit se releva en faisant craquer ses genoux. Il pointa la forêt du doigt.
— On y va ? Et cette fois tu te dépêches de choisir le chemin, dis.
Puis, comme si c'était la chose la plus naturelle du monde, il tendit la main à son double, et les deux enfants partirent main dans la main en direction de la forêt, leurs petites silhouettes perdues dans l'immensité du paysage.
À quelques mètres derrière eux, Harry Potter les observait, figé de perplexité. Il ne s'attendait pas à tomber dans une illusion aussi vivante, un souvenir ou une pensée aussi tangible. Normalement, explorer l'esprit des autres ne se résumait qu'à des flashs d'images ou de souvenirs épars. Pas à… ça. Il sentait la chaleur du soleil sur sa nuque, le crissement de l'herbe sous ses chaussures. Tout était réel.
Mais ce qui le déconcertait le plus, c'était ces deux enfants au visage identique : deux Drago, à l'âge où il était encore innocent de tout. Pourquoi cette pensée prenait-elle cette forme ? Pourquoi deux représentations de lui-même ? Et où allaient-ils ?
Prenant une inspiration, Harry décida de les suivre. Il ne tenta même pas de se cacher. De toute évidence, les enfants ne semblaient pas remarquer sa présence.
Le Drago en short lâcha la main de l'autre et se mit à gambader dans le pré, sautillant comme un cabri. L'autre resta en arrière quelques secondes, un sourire hésitant se dessinant sur son visage avant qu'il ne se mette à courir pour le rattraper. Les deux se chamaillèrent brièvement, leur rire clair résonnant dans l'air tranquille.
Harry accéléra le pas, s'efforçant de ne pas perdre leur trace. Pourtant, il ne put réprimer un léger frisson. Il y avait quelque chose d'étrange dans cette scène. Tout semblait si… artificiellement parfait, jusque dans les mots qu'ils échangeaient. Cela avait un goût de pièce de théâtre.
Quand ils arrivèrent au bord de la forêt, le Drago en pantalon ralentit, tirant sur le bras de son double.
— Attends… Je ne sais pas trop. Elle est grande, la forêt. Pourquoi on doit y aller, déjà ?
— Parce qu'il le faut ! Et cette fois tu te dépêches de choisir la route ! Allez, fais pas ta poule mouillée.
— Je ne suis pas une poule mouillée ! protesta-t-il avec un éclat de colère enfantine.
Le défi sembla le motiver, et il serra plus fort la main de son double. Mais lorsque les arbres s'alignèrent devant eux, majestueux et immobiles, l'hésitation revint. Deux sentiers s'ouvraient : l'un, à gauche, était envahi de ronces parmi lesquelles quelques roses rouges émergeaient comme des éclats de sang ; l'autre, à droite, était un chemin de terre battue, bordé de fleurs sauvages.
Harry les regardait, son malaise croissant. Tout cela semblait trop ordonné, trop figé. La forêt n'était pas réelle, elle non plus. Qu'allait choisir Drago ?
Drago s'apprêtait à désigner le chemin de terre, mais à la surprise d'Harry, il pointa plutôt du doigt celui de gauche, envahi de ronces et parsemé de roses.
— Tu m'énerves ! Pourquoi tu choisis toujours ce chemin ? protesta l'enfant en short, une moue agacée sur le visage.
— Je sais pas, répondit Drago en jean, l'air perdu.
— Alors allons prendre l'autre, proposa-t-il en haussant les épaules.
Mais Drago secoua vivement la tête. Une peur évidente passa dans ses yeux lorsqu'il regarda le sentier de terre battue.
— Bah moi je vais pas là où il y a les ronces. Je ne veux pas me faire piquer.
— Et moi, je n'irai pas sur le chemin de terre, rétorqua l'autre avec un frisson. Il y a… quelque chose dedans.
Le silence retomba, lourd et pesant. Les deux enfants fixèrent le chemin de terre. Même Harry, en retrait, sentit une angoisse sourde s'infiltrer en lui. Il plissa les yeux, tentant de discerner ce qui effrayait tant celui qui préférait le chemin de ronces. Il n'y avait rien, à première vue, mais… quelque chose semblait rôder dans les ombres du bois, juste hors de portée de son regard.
Il recula d'un pas malgré lui, une sueur froide perlant sur sa nuque. Détournant les yeux de l'étrange sentier, il croisa le regard du Drago en jean. Ce dernier le fixait intensément, son visage soudain dur et adulte, comme s'il avait été arraché à l'enfance par un sursaut de lucidité.
— Que fais-tu là ? lança le garçon d'une voix grave, presque menaçante, qui n'avait rien d'enfantin.
Harry cligna des yeux, pris au dépourvu.
— Tu… tu me vois ? demanda-t-il, hésitant.
— Va-t-en d'ici ! aboya Drago.
— Drago ? Qu'est-ce que tu regardes ? À qui tu parles ? intervint son double en short, s'accrochant à son bras.
Le garçon en polo tourna à son tour son regard vers Harry, mais ses yeux glissèrent sur lui comme s'il n'était qu'un courant d'air. Pourtant, quelque chose dans son expression troubla profondément Harry. Ce n'était pas l'innocence d'un enfant qu'il voyait là. L'enfant semblait figé, son visage empreint d'une tension étrangère, incongrue. Une ombre pesait sur ses traits, quelque chose de trop ancien, de trop sinistre pour appartenir à un enfant.
Harry fronça les sourcils, son estomac se nouant.
— Drago, murmura-t-il, s'efforçant de garder sa voix calme, tu devrais t'éloigner de…
Il s'interrompit. Ce qu'il voulait dire, il ne le savait pas vraiment.
Drago continuait de le fixer avec une rage étrange.
— Hors d'ici, Potter !
— Potter ? répéta l'autre.
Et doucement le visage enfantin perdit de ses rondeurs. Il sembla muer pour un museau reptilien, une langue de vipère. La mue n'avait pas fait craquer tout du visage d'avant et demeurait pendue un bout de crâne, de cheveux blond et l'oeil gris.
— Harry Potter ? siffla la voix.
— Huh ?
Drago regarda l'autre. Il n'avait pas l'air de remarquer son changement, alors qu'Harry avec un frisson d'horreur contemplait l'amalgame d'un visage enfantin de Drago et celui de…
— Vol…
Il n'eut pas le temps de terminer. Une force invisible le frappa de plein fouet et le projeta hors du songe.
Harry fut brutalement ramené à la réalité, son dos rencontrant violemment le mur opposé de la cellule. Une douleur sourde irradia à travers son corps tandis qu'il glissait au sol, à bout de souffle.
La porte s'ouvrit dans un fracas, et le gardien se précipita à l'intérieur.
— Monsieur Potter, vous allez bien ?
— Oui… oui… balbutia Harry, levant une main pour lui intimer de ne pas s'approcher davantage.
Il tâtonna sur le sol, cherchant ses lunettes tombées dans l'impact, les remit lentement sur son nez et tourna son regard vers Drago.
Ce dernier était recroquevillé sur le lit, suffoquant. Une main pressée contre sa poitrine, il se tourna douloureusement sur le côté, pris d'un haut-le-cœur. Son visage était livide, tandis qu'un filet de sang épais s'échappait de son nez, gouttant en un rythme régulier sur le sol. C'était la première fois qu'Harry voyait un effet secondaire si violent après une de ses incursions mentale.
Leurs regards se croisèrent. Les yeux gris de Drago, troubles, semblaient emplis d'incompréhension. Harry comprit aussitôt : Drago n'avait aucune idée de ce qui se passait réellement dans son esprit.
— Ça fait des heures que vous êtes enfermés avec lui, dit le gardien, hésitant entre le reproche et la curiosité. Il jetait des coups d'œil rapides à Harry, sans savoir s'il devait l'aider ou intervenir auprès de Drago.
— Des heures ? répéta Harry, abasourdi. Il avait l'impression de n'avoir passé qu'un quart d'heure dans le songe.
— Oui… répondit le gardien avec un hochement de tête prudent. Je suis passé vérifier il y a un moment, et vous étiez juste… figé, penché sur lui, la main sur son front. Vous n'avez pas bougé d'un millimètre.
Harry passa une main sur son visage, essuyant un reste de sueur froide, avant de reporter son attention sur Drago. Ce dernier serrait à présent une main sur son nez pour contenir le flot de sang, mais des gouttes s'échappaient d'entre ses doigts.
— Il faut l'emmener à l'infirmerie, déclara Harry en désignant Drago d'un geste insistant.
— Oui, bien sûr, ça sera fait, répondit le gardien d'un ton mécanique, comme s'il énonçait un mensonge banal.
Drago releva la tête à ces mots, un ricanement amer secouant ses épaules.
— Une infirmerie, Potter ? Et pourquoi pas des chocogrenouilles pendant qu'on y est ?...
Sa voix était enrouée, presque tremblante, mais l'ironie mordante y subsistait. Il se redressa péniblement dans le lit et écarta ses doigts ensanglantés, les observa avec une étrange fascination. Le bas de son visage était maculé de sang, et sa peau semblait encore plus pâle qu'à l'ordinaire, presque translucide.
Harry pouvait voir qu'il était secoué. Chaque intrusion mentale qu'il subissait laissait derrière elle un vide glaçant, comme une plaie invisible qui ne guérissait jamais. Aucun souvenir ne persistait réellement, ni pour lui, ni pour ceux qui tentaient de forcer ses défenses mentales, même les Détraqueurs. Pourtant, Drago savait qu'il rêvait de quelque chose. Parfois, il se réveillait en sueur, les mains tremblantes. D'autres fois, des terreurs nocturnes l'empêchaient de fermer l'œil, le plongeant dans un état de vigilance désespérée.
Il y avait quelque chose dans son esprit, une force obscure qui protégeait ses secrets à tout prix, mais qui le dévorait de l'intérieur à chaque tentative d'invasion.
Un malaise soudain le prit, et il se rallongea sur le côté, ses membres tombant mollement comme ceux d'une poupée de chiffon.
Harry, voyant l'état alarmant de Drago, se leva et écarta le gardien, qui restait planté là comme un idiot. Il se pencha sur Drago et posa une main sur son épaule, puis ses doigts glissèrent jusqu'à son cou pour vérifier son pouls. Il n'était pas mort… mais il n'allait pas bien. Sa respiration était irrégulière, et ses paupières semblaient prêtes à céder sous le poids de l'épuisement.
— Il ne tiendra pas longtemps comme ça, murmura Harry pour lui-même.
Il releva la tête vers le gardien, un mélange de colère et d'urgence dans les yeux.
— Il n'y a vraiment personne pour intervenir ? demanda-t-il, presque implorant. Quelqu'un pour soigner son nez, vérifier son état… quelque chose !
Le gardien haussa un sourcil, son regard morne glissant sur Drago comme si ce dernier n'était qu'un meuble abîmé.
— Je vais me renseigner, répondit-il d'une voix traînante, manifestement indifférent.
Harry serra les poings, mais avant qu'il ne puisse protester davantage, le gardien ajouta :
— Mais je ne peux pas vous laisser seul ici. Si vous avez terminé, je vais vous ramener au bureau du directeur. D'autres viendront s'occuper du prisonnier.
— Vraiment ? railla Harry, peu convaincu.
Le gardien haussa mollement les épaules et lui fit signe de sortir. Harry hésita, jetant un dernier regard vers Drago, dont le nez ensanglanté continuait de teinter les couvertures de son lit et ses vêtements.
Si, au début, le gardien avait montré une curiosité presque enthousiaste en gardant la cellule pendant qu'Harry s'occupait de Drago, son mépris flagrant pour l'état du prisonnier douchait tout respect qu'il avait pu inspirer. Harry le suivit néanmoins à contrecœur, sachant qu'il n'avait pas le choix.
En revenant au bureau du directeur, un sentiment d'impuissance rongea Harry. Personne ne se soucierait de Drago Malefoy. Pour les geôliers, il n'était qu'un nom, un déchet du passé dont la souffrance importait peu. Cette histoire se répandrait sûrement entre eux comme une traînée de poudre, entraînant de probables coups bas. Mais ce qui inquiétait le plus Harry, c'était ce qui se passait dans l'esprit de Drago. Ce qu'il avait vu là-bas… ou plutôt qui.
Bien que son trouble soit évident et que le gardien qui l'avait trouvé dans la cellule en ferait les gorges chaudes d'Azkaban, Harry Potter garda pour lui une grande partie de ce qui s'était passé. Il se borna à dire au directeur qu'il avait su s'introduire dans l'esprit de Drago mais qu'au vu de son état global, c'était impossible pour lui d'agir efficacement.
Le directeur, assis en face, derrière son bureau, croisa ses doigts avec une lenteur sournoise, son regard pesant fixé sur Harry.
— Donc, vous n'avez rien trouvé, monsieur Potter ? Vous n'avez pas su briser ses barrières ? Même le fameux prodige de Dumbledore serait incapable de ployer la conscience de Drago Malefoy ?
Harry soupira, exaspéré par l'incompréhension manifeste.
— Ce que je vous dis, c'est qu'il a besoin de soins. De vrais soins, pas d'un coton dans le nez et d'un pansement sur une plaie béante.
Le directeur haussa un sourcil, avant de feindre un intérêt soudain pour une lettre qu'il se mit à rédiger, plume à la main.
— Sachez, monsieur Potter, qu'il reçoit déjà des soins tout à fait exceptionnels. Vous avez peut-être remarqué que sa cellule est dotée d'un véritable lit, d'un oreiller et même d'une couverture épaisse… Ce genre de privilèges est accordé avec parcimonie dans notre établissement.
— Et quoi ? répondit Harry, agacé. Les soins vitaux sont des faveurs maintenant ? Vous plaisantez…
Il fixa le directeur, espérant discerner la moindre lueur d'humanité, le moindre signe qu'il pourrait ployer sous l'évidence. Mais rien. Absolument rien.
— Drago Malefoy est un détenu avec un matricule, reprit le directeur, pesant chaque mot. Il recevra les soins minimaux nécessaires pour rester en vie et conscient. Si vous souhaitez davantage, adressez-vous au Ministère. Nous n'avons ni les moyens ni la volonté de transformer son séjour en celui d'un touriste dans un hôtel particulier.
Harry sentit une vague de colère monter en lui, incontrôlable. Il tapota nerveusement l'accoudoir de son fauteuil, luttant pour ne pas éclater, et finit par lever les yeux au ciel dans un geste d'exaspération.
— On se fiche complètement de moi, marmonna-t-il, plus pour lui-même que pour le directeur.
Mais il savait. Ce n'était pas seulement de lui qu'on se fichait. C'était de Drago, de sa santé, de sa souffrance. Ici, rien ne changerait.
— Je crois que je n'ai rien de plus à faire ici, aujourd'hui, conclut Harry en se levant brusquement.
— Vraiment ? répondit le directeur avec un sourire froid. Cela dit, vous avez raison, la journée est déjà bien avancée...
Si le directeur semblait mesurer le passage du temps dans le grondement des vagues et la noirceur pesante du ciel, Harry, lui, avait perdu toute notion des heures depuis qu'il avait franchi les portes d'Azkaban.
— Quand souhaitez-vous revenir ?
— Le plus tôt possible, répliqua Harry sans détour. Quand Drago Malefoy sera en état, surtout.
Un pli amusé releva la commissure des lèvres du directeur, laissant transparaître une pointe de sarcasme.
— Oh, ça, monsieur Potter, soyez assuré que nous pouvons "l'arranger" très vite.
Harry plissa les yeux, méfiant.
— … J'attendrai au moins une semaine, coupa-t-il, tranchant net dans l'esquisse de raillerie. Remettez-le sur pied. Nourrissez-le. Et surtout, laissez-le tranquille.
— Tranquille ? répéta le directeur, feignant l'innocence. Azkaban, est un lieu de paix et de sérénité. Vous n'avez rien à craindre.
Harry n'esquissa pas un sourire. Il savait que, derrière l'ironie, ses mots alimenteraient le cynisme du personnel. Peut-être riait-on déjà de lui dans les couloirs de la prison. Mais il s'en moquait.
Il inclina légèrement la tête en guise de réponse, tourna les talons, et quitta le bureau sans un mot de plus, son esprit hanté par le visage défait de Drago Malefoy.
Deux membres du personnel l'attendaient à l'extérieur pour le reconduire au ferry. Il dut patienter un moment sur la grève, observant le déchaînement incessant des vagues. La fureur de l'eau l'aida à se vider l'esprit, à apaiser la frustration qui le tourmentait.
Dans le ferry, il repassa son court passage à Azkaban. Enfin, court, il se rendait compte qu'entre son arrivée et son départ, toute la matinée et une bonne partie de l'après-midi s'étaient déjà écoulées. Le temps perdait toute signification ici. Les murs de la prison avaient une façon d'étirer les heures, d'effacer toute notion de progression. Le personnel, de toute évidence, ne devait même pas se voir vieillir.
Harry s'installa dans un siège, essuya ses lunettes et rejeta la tête en arrière, laissant les vagues heurter les flancs du bateau dans une symphonie monotone, alors que ses pensées s'agitaient comme la mer autour de lui.
Qu'est-ce que j'ai vu ? Il n'arrivait pas à effacer le visage de l'enfant, cet autre Drago, celui qui se transformait en quelque chose de monstrueux, de reptilien. La violence de l'image s'imposait encore à lui. Mais plus que ça, il y avait ce sentiment étrange, ce tiraillement dans sa poitrine, comme une attraction et une répulsion mêlées. Qu'est-ce qu'il était ? J'ai voulu dire Voldemort, mais maintenant je n'en suis plus très sûr. Et Drago n'a vraiment pas l'air d'avoir conscience de ça. Ou alors il ment. Peut-être. En vrai, qu'est-ce que je connais ce Malefoy ?
Il soupira. Il aurait dû se sentir soulagé d'être capable de percer son mental. Et puis Drago Malefoy avait toujours été un ennemi, un antagoniste. Il aurait dû se réjouir de le voir souffrir, ou du moins ignorer. Mais là, dans la cellule… il ne pouvait pas. Pas après avoir vu ce regard, ce garçon tremblant, son visage couvert de sang. Harry était trop humain pour accepter la misère des autres sans agir.
Un frisson de dégoût le traversa. Il m'écoeure c'est indéniable. Mais ça serait un mensonge de dire que je le déteste. Même s'il ment… Non, je pense pas qu'il mente sur son état.
Une sorte de pitié, bouillonnait en lui, incontrôlable. Il aurait voulu le repousser, fuir ce sentiment, cette attirance pour la vulnérabilité de Drago. Je ne peux pas l'aider. Pas lui. Pas après tout ce que sa famille et lui ont fait.
Harry ferma les yeux un instant, sachant pertinemment ce que son bon coeur voulait de lui : le pardon. Drago Malefoy ne méritait pas d'être torturé à Azkaban. Il n'était pas encore totalement taillé comme son père. Harry était persuadé, d'autant plus en l'ayant vu dans sa plus violente fragilité, que Drago pouvait être sorti de ce monde d'ombres…
Il lui faudrait en parler à Dumbledore dès son retour en ville. Peut-être que lui, saurait quoi faire.
