2. Le bandeau

SPLASH !

Glacé jusqu'à l'os, je remonte à la surface et aspire une grande goulée d'air à travers mes cheveux dégoulinants.

Qu'est-ce qui s'est passé ? Qu'est-ce que je fais dans l'eau ?! J'étais en train de lire sur le bord du lac et...

« Tu avais raison, Sirius, les serpents savent nager ! »

Je frémis de rage en reconnaissant la voix familière de mon ennemi de toujours au milieu des éclats de rire. Je rejette les mèches ruisselantes qui pendent devant mes yeux, me tourne vers la rive et... ne peux retenir un rictus en voyant un ouragan approcher.

« JAMES POTTER ! » rugit la voix sèche de Minerva McGonagall.

Le sourire railleur des deux Gryffondors se décompose et ils bondissent instinctivement à trois mètres l'un de l'autre, se retrouvant de part et d'autre d'une McGonagall manifestement très en colère, autour de laquelle les badauds se dispersent bien vite.

Je qualifierais cette vision de pitoyable, si je n'étais pas moi-même en train de patauger dans de l'eau boueuse. Je rejoins laborieusement le rivage et tente de me hisser sur la terre ferme. Ma baguette est restée dans mon livre, non loin des pieds de Black, inaccessible.

« Ça devient de la provocation ! Vous êtes en sixième année ! continue McGonagall. Quand cesserez-vous de vous battre ?! »

De surprise, j'en lâche ma prise et rechute dans l'eau.

Nous battre ? Nous battre ?! Eh, oh, c'est moi, la victime ! Je subis !

« Je ne supporte plus vos mesquineries, Mr Potter, et vous, Mr Snape ! vocifère le professeur de Métamorphose en nous pointant successivement du doigt. Oui, vous aussi Mr Snape, ne faites pas l'innocent ! Même si je n'en ai pas la preuve, je sais que vous êtes responsable de l'invasion de fourmis rouges du lit de Potter, lundi dernier ! Vous êtes juste suffisamment malin pour ne pas vous faire prendre... Ce qui n'est de toute évidence pas votre cas, James Potter !

– C'est parce que lui, il fait ses coups par en-dessous ! proteste le Gryffondor.

– Je ne veux pas le savoir ! »

Potter pince les lèvres, la mâchoire crispée.

« Je suis navrée de voir que vous entraînez une fois de plus Sirius Black dans vos bêtises ! »

Aussitôt Black se met à admirer ses chaussures.

« J'enlève trente points à Gryffondor, aidez votre camarade à sortir de l'eau ! »

Je n'en reviens pas. Trente points pour avoir essayé de me noyer. C'est donc tout ce que vaut ma vie ? Le problème, c'est que mes tortionnaires sont les chouchous de tous les professeurs, même de l'inflexible McGonagall.

Black s'approche et me tend une main réticente, que j'ignore superbement. Je n'ai vraiment pas besoin de son aide. Mais chaque touffe d'herbe que j'agrippe s'arrache sous mon poids, et la situation tourne au ridicule.

« Dieux du ciel, ne soyez pas si borné, Mr Snape ! » s'exaspère McGonagall.

J'attrape à contrecœur la main du Gryffondor.

« James, aide-moi bon sang ! » ronchonne Black.

Potter saisit mon autre main en soupirant et je me trouve bientôt sur le bord, face à mes deux ennemis.

« Et faites vos excuses ! dit McGonagall.

– Désolé, bougonne Black en faisant un pas en arrière.

– Excuse-moi, Snape », dit James avec un sourire mauvais.

Il tient toujours mon bras et je n'aime pas du tout la lueur qui brille dans ses yeux plantés dans les miens.

Néanmoins satisfaite, McGonagall tourne les talons et s'éloigne.

« Oui, je suis vraiment désolé, souffle Potter tout près de mon visage. Sirius et moi, on se disait qu'il était grand temps que tu te laves les cheveux, mais un seul bain n'a visiblement pas suffi ! »

Et avant que j'aie pu réagir, il me repousse dans le lac.

« Cinquante points et une retenue, Potter ! » crie la voix lointaine de McGonagall.

Potter me toise avec mépris.

« Ça les vaut. »

Mais son sourire disparaît encore quand retentit un nouveau :

« JAMES POTTER ! »

Mmh, impression de déjà-vu.

Mais cette fois, James devient pâle comme un linge et, les yeux ronds, il déglutit péniblement avant de se retourner avec appréhension vers la jeune fille qui a surgi derrière lui.

Lily.

« Tiens, salut Evans ! dit-il en se passant dans les cheveux une main un peu tremblante. Tu es très en beauté aujourd…

– Tu es méprisable, Potter !

– Je sais, tu me le dis souvent...

– Un abruti de première !

– Ça aussi, tu le dis souvent...

– Et le pire égoïste que je connaisse !

– Alors là, pas d'accord. Je fais ça pour le bien de tous !

– Je ne parle pas que de ce que tu fais à ce... ce... »

Elle pose sur moi ses yeux d'enragée. De toute évidence, mon ex-meilleure amie ne m'a toujours pas pardonné pour la fois où je l'ai traitée de sang-de-bourbe, l'année dernière. Moi non plus, je ne me le suis toujours pas pardonné.

Je tente une nouvelle fois de remonter sur l'herbe.

« ... ce Serpentard !

– Bravo, Evans, tu pouvais difficilement trouver pire insulte, ricane Potter.

– TOI, FERME-LA ! » hurle-t-elle.

Sirius et James sursautent, moi je retombe une fois de plus dans la flotte.

« Je me fiche de tes petites querelles mesquines avec Snape, il s'agit des CINQUANTE POINTS QUE NOUS AVONS ENCORE PERDUS PAR TA FAUTE ! »

Fichtre. Je ne savais pas que la voix humaine pouvait atteindre ces décibels.

« À QUOI ÇA SERT QU'ON SE DÉMÈNE POUR ÊTRE LES MEILLEURS SI TU NOUS SABOTES EN PERMANENCE ?! TU VEUX VRAIMENT QUE SERPENTARD GAGNE ENCORE LA COUPE, OU QUOI ?! »

Tandis que l'amour de ma vie continue de nous vriller les tympans de sa voix mélodieuse, j'aborde une nouvelle tentative pour me sortir enfin de ce bourbier. Si j'attrape les roseaux d'une main, cette racine de l'autre, et que je mets mon pied ici...

Victoire !

Je m'affale, exténué et ruisselant, sur le sol accueillant. Je ramasse mon livre et m'empare de ma baguette – c'est la dernière fois que je m'en sers comme marque-page – afin de me redonner un aspect présentable.

Une fois sec et un peu moins boueux, j'hésite à profiter de l'inattention des Gryffondors pour leur jeter un sort bien vicieux. Néanmoins, à la réflexion, les laisser à la fureur de Lily me paraît bien plus cruel.

Et je préfère trouver une vengeance plus élaborée et plus discrète.

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Je n'arrive pas à dormir.

Outre les ronflements des autres dans le dortoir, outre ces tomates farcies qui me sont restées sur l'estomac, outre l'humiliation de la journée que je ressens encore douloureusement dans ma gorge, outre les idées de vengeance qui tournent sans fin dans mon esprit... j'ai cette fichue eau dans les oreilles qui ne veut pas sortir. C'est horripilant.

Je continue à tourner et me retourner dans mon lit, jusqu'à ce que je n'y tienne plus et que je me glisse hors des draps. Je prends le livre de potions posé sur ma table de nuit et je passe silencieusement devant les lits de mes « camarades » de chambrée, j'ai nommé Brute Épaisse, Nigaud Un et Nigaud Deux – officiellement Marshall Bulstrode, et les jumeaux Andrew et Jonathan Madley. Heureusement que mon lit est situé tout au fond de la pièce, là où je peux ruminer tranquille. Je ne les supporte pas, ces trois-là. Ils me le rendent bien, d'ailleurs. Je ne suis ni riche, ni influent, ni Sang-Pur : ils ne me considèrent pas comme l'un des leurs. Depuis le renvoi de Samael Mulciber, mon seul allié, ils n'hésitent plus à s'en prendre à moi quand l'envie leur prend... Je leur ferai payer, un jour. Comme aux autres.

Je sors du dortoir et me rends dans la salle commune, déserte, où crépite néanmoins un bon feu de cheminée. Je m'affale dans l'un des fauteuils ouvragés en soupirant. Je suis insomniaque, de toute manière, alors autant utiliser ces heures de veille de façon constructive...

C'est l'heure de la vengeance du Prince de Sang-Mêlé !

Que répondre à un acte aussi bas que celui de me faire tomber à l'eau ? C'est bête, c'est petit, c'est mesquin ! Et cette façon de me prendre par surprise, c'était perfide, pas du tout ce qu'on attend d'un Gryffondor ! D'un Serpentard, oui, mais pas d'un Gryffondor.

Malheureusement pour eux, j'étais en train de noter des idées pour une nouvelle potion au moment où ils m'ont lâchement attaqué par derrière. Je me suis inspiré de la Potion de Rêves paisibles de notre livre de cours en m'inspirant de certaines notions de magie noire que j'ai pu acquérir çà et là, pour obtenir quelque chose plus… cauchemardesque. Je sens que je tiens quelque chose.

Mettre au point une toute nouvelle potion risque de me prendre plusieurs semaines, mais peu importe. La vengeance est un plat qui se mange froid, et ma rancune est suffisamment tenace pour patienter jusque-là.

Ce vantard de Potter et ce bellâtre de Black vont me payer cet affront. Alors que je médite mon prochain coup d'éclat, une sensation de démangeaison terrible commence à me chatouille le nez. De quel sortilège perfide suis-je encore la victime ?!

« ATCHOUM ! »

Hum. Il ne manquait plus que ça. J'ai attrapé un rhume dans ce foutu lac.

⊹────────────༺༻────────────⊹

Ombre parmi les ombres, je circule avec assurance entre les murs suintants, percés de lourdes portes en bois. Plus je m'éloigne du long couloir qui relie l'entrée de la salle commune à l'escalier, plus la lumière se fait rare. Je sors ma baguette afin de voir où je mets les pieds, et j'ai juste le temps de voir un gros rat noir détaller dans un trou. L'état des sous-sols est vraiment infect. Tous ces cachots abandonnés... Plus personne ne met les pieds ici, depuis que les séquestrations d'élèves indisciplinés ont été abolies. Encore un coup d'un Gryffondor, si je me souviens bien. Quel gâchis.

Mais au moins, je peux être tranquille pour faire ce que j'ai à faire.

J'ouvre une des portes d'un coup de baguette et, jetant un dernier regard par-dessus mon épaule, je me faufile à l'intérieur.

La pièce est crasseuse et encombrée d'objets divers entassés sans précautions. On ne doit pas trouver pire bordel, à part peut-être dans le cerveau de Peter Pettigrow. Une odeur de moisissure flotte dans l'air, qui me rappelle étrangement l'époque où je me cachais dans l'abri de jardin, étant enfant. Je retrouve dans ces cachots le même sentiment de sécurité... Avec un peu de ménage – non, beaucoup de ménage -, je pourrais me plaire, ici. Cet endroit est dépourvu de la chose qui me cause le plus de tourments depuis toujours : des gens.

Je m'avance vers le chaudron que j'ai laissé contre un mur. J'en retire le couvercle – et suis aussitôt assailli par une puanteur suffocante. Je repousse le souvenir cette fois bien moins agréable des choux à la vapeur de ma vieille tante Hortense, et inspecte le contenu du chaudron avec circonspection. J'espère ne pas avoir à recommencer de zéro : mon premier essai raté était un peu onéreux.

Le problème avec la magie noire, c'est qu'on n'en trouve généralement pas les ingrédients dans une salle de classe. Néanmoins, le professeur Slughorn me vouant une confiance absolue, j'ai eu la bonne surprise de glaner dans ses placards quelques éléments plutôt rares qui m'ont évité de trop solliciter le concours de Samael Mulciber – allié ou pas, il ne m'envoie rien gratuitement, et ma réserve de gallions est loin d'être infinie. Au-delà de mon objectif ultime de vengeance, c'est l'amour de la recherche qui me pousse à continuer : inventer une potion, en trouver l'équilibre parfait, n'est-ce pas l'aventure la plus passionnante qui soit ?

Après avoir placé le chaudron sur un feu, je mesure la dose précise de poudre de narval noir, et j'y ajoute quelques gouttes d'essence d'if centenaire avant de commencer à incorporer lentement le tout à la mixture brune. À mon grand soulagement, des volutes bleutées commencent à s'élever de la potion, ce qui laisse supposer que cette fois, j'ai réussi. Je me demande même comment j'ai pu douter une seconde de mon génie !

Je continue à remuer le breuvage jusqu'à ce qu'il acquière la teinte idéale puis, satisfait, je le retire du feu et le transvase dans un alambic. Cinq jours à laisser décanter avant de pouvoir passer à l'étape suivante.

L'heure du couvre-feu est proche lorsque je rejoins la salle commune, et celle-ci est plongée dans une semi-obscurité. N'ayant aucune envie de rejoindre les dortoirs où la bande des Quatre ne doit même pas être encore couchée, je m'assois dans le fauteuil devant la cheminée, les pieds sur le bord de l'âtre, mains croisées sur le ventre.

Je suis incroyablement détendu. Bercé par la douce tiédeur du feu, je m'assoupis lentement...

Je suis un puissant sorcier, craint et respecté. Potter est mon elfe de maison, et il a l'honneur de me servir de paillasson à l'entrée de mon manoir, tandis que Black est ma dame de compagnie la plus dévouée. Son tablier en dentelle le met particulièrement en valeur... Je sors mon tromblon pour partir à la chasse au Lupin dans le jardin quand, soudain, deux mains froides se plaquent sur mes yeux et je me réveille en sursaut.

« Aaaah !

– Devine qui c'est ? piaille une voix que je reconnaîtrais entre mille malgré mon état de demi-sommeil.

– Gwendolyn... je marmonne avec un rien de détresse dans la voix.

– Gagné ! »

Les mains se dégagent de ma vue et mon insupportable cousine apparaît devant moi.

« Pourquoi tu ne m'appelles pas Gwen ? demande-t-elle. À t'entendre, on croirait qu'on ne se connaît pas !

– Si seulement je pouvais ne pas te connaître... je soupire. Qu'est-ce que tu fais ici ? Tu devrais dormir depuis longtemps, à ton âge.

– J'ai onze ans, je te signale, objecte-t-elle.

– Je m'en étais douté, je réplique sèchement, puisque tu es ici. Malheureusement...

– Si tu savais ce que je suis heureuse d'avoir été placée à Serpentard, comme toi ! On va pouvoir passer tellement de temps ensemble ! »

Je me frotte les yeux, vraiment très fatigué.

« Qu'est-ce que tu fais ici ?

– J'avais oublié ce roman sur une table, dit-elle en me montrant un petit livre bariolé. Tu connais ?

– Pas vraiment, non, je réponds avec dédain.

– Tu as tort, c'est super ! C'est le huitième tome des Chroniques de la Pleine Lune, de Roberta Fier. Mon préféré !

– Tant mieux...

– Ce n'est pas ton truc, les romans d'horreur, c'est ça ? »

Je lui souris avec condescendance.

« Non, désolé, je fais partie de ces gens qui perdent leur temps à lire de la littérature de genre.

– C'est pas grave, tu sais. Tu as beau être un peu barbant, tu restes mon cousin préféré ! »

Je ne prends pas la peine de lui faire remarquer que je suis son seul cousin. Au lieu de quoi je m'extirpe du fauteuil et m'éloigne de la fillette autant que possible.

« Ben tu vas où ?

– Je vais me coucher !

– Dans le dortoir des filles ?! »

Oups. Je ne suis pas très bien réveillé.Le temps de secouer un peu mon sens de l'orientation endormi, je m'élance vers le bon couloir.

« Sev, attends !

– Mon nom est Severus.

– Tu vas au bal d'Halloween la semaine prochaine ?

– Non ! je lance par-dessus mon épaule avant de m'éloigner dans le boyau sinueux.

– Chouette, moi non plus, je suis trop jeune ! entends-je Gwendolyn s'exclamer derrière moi. On passera la soirée ensemble, alors ! »

Note à moi-même : prévoir un déguisement pour le bal d'Halloween.

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Mais quel est l'imbécile qui a été mettre de l'alcool dans le bol de punch ?! Incroyable. En temps normal, j'aurais pensé à Potter, mais depuis qu'il fait activement la cour à Lily, il semble se retenir de tout écart de conduite. D'un côté, ça me fait des vacances… De l'autre, je n'arrive pas à croire que Lily soit tombée dans le panneau. Comme s'il pouvait changer ! Je ne peux même pas les regarder ensemble sans avoir la nausée.

Je repose la louche du breuvage orangé dans son bol et me rabats avec joie sur le pichet de diabolo menthe. Je dois confesser que la menthe est mon péché mignon.

Soudain, quelque chose – un bélier ? un dragon ? Voldemort ?! – me percute me percute violemment par derrière. Le pichet m'échappe des mains et retombe tout droit sur la table (ouf).

Je me retourne à la vitesse d'une chauve-souris fondant sur un papillon de nuit. Un Sirius Black au regard trouble et déguisé en pirate se raccroche difficilement à ma cape. Je frémis d'horreur.C'est pire que de se réveiller avec une mygale sur son oreiller.

« Lâche-moi tout de suite, Black ! »

Pour le convaincre, je lui assène un grand coup de faux sur le crâne. Il recule en titubant, se tenant la tête d'une main. Eh oui, elle est en vrai métal et elle fait très mal. Je sens venir une de ces crises de colère dont seuls les Gryffondors sont capables. Mais, à mon plus grand étonnement, et à ma plus grande frayeur encore, il se met à sourire bizarrement. Les boutons de sa chemise se sont défaits, ce qui lui donne l'air pour le moins… inconvenant.

« Bonsoir, Severus... Joli costume. »

Je lui lance un regard qui signifie plus ou moins : « Si tu trouves ça drôle, je vais te faire changer d'avis bien vite ». Sans effet.

« Tu es ivre, dis-je en fronçant le nez. Aie un peu de décence, par pitié. Et rhabille-toi.

– Eh bien, je ne te plais pas comme ça ? dit-il avec une moue. Tu me préfèrerais en rousse, peut-être ? »

D'une cruauté inattendue, sa répartie me fait l'effet d'un poignard dans le cœur. Je ne me suis pas vraiment remis d'avoir perdu Lily. Je ne sais pas si m'en remettrai un jour. Mais ce qui est sûr, c'est qu'il n'a aucun droit de sous-entendre que je suis amoureux d'elle. Même si c'est vrai. D'autant moins parce que c'est vrai !

« Va mourir, Black ! » dis-je d'une voix transpirant de haine.

L'ivrogne n'a pas l'air très impressionné. Il m'adresse un clin d'œil lubrique.

« Eh, c'est toi la Mort, non ? Alors vas-y... prends-moi. »

J'ai un blanc de plusieurs secondes pendant lesquelles mon cerveau cherche à traiter cette réponse. Celui-ci me renvoie un rapport d'erreur : j'ai forcément mal entendu. Pourtant, le sourire du Gryffondor semble suggérer que non.

Qu'est-ce qu'il y avait dans son verre, exactement ?!

« Black, espèce de… de… de… »

– De ?

– De dégénéré ! »

Hors de moi, je file me retrancher dans un coin sombre avant qu'il ne puisse répliquer une autre idiotie qui ne me pousserait à un acte impardonnable.

Maudit Black. Maudits Gryffondors. Tous des imbéciles.

Le coup du numéro de séduction, ce n'était pas loyal ! Un vulgaire coup bas ! Je n'y étais pas préparé ! Bien sûr, c'est pour cela qu'il l'a fait. Je ne peux pas croire que je me suis fait prendre au dépourvu par ce lourdaud de Black.

En plus, à cause de lui, j'ai oublié mon diabolo là-bas. Toutefois, je n'ai aucune intention d'y retourner, Black a visiblement l'intention de passer la soirée à vider tous les saladiers de punch. Débile ET alcoolique. Les Gryffondors ne sont plus ce qu'ils étaient.

Bientôt, il se lance sur la piste de danse. J'ai honte pour lui. Je refuse d'assister à ce spectacle lamentable une seule seconde de plus.

Alors que je rase les murs pour trouver un endroit où m'asseoir pour réviser mes cours en paix, je tombe sur une nouvelle vision d'horreur. Un peu plus loin, je vois la petite-amie de Brute épaisse, Lenna Jugson, est blottie dans les bras d'un garçon que je ne vois que de dos, mais qui n'est PAS Brute épaisse. Quand mon compagnon de chambrée va l'apprendre, il va être furieux ! Et sur qui va-t-il se défouler ? Moi, évidemment. Je dois à tout prix intervenir.

« Jugson, dis-je d'un ton froid et réprobateur en m'approchant du couple. Veux-tu que je te raccompagne aux dortoirs ? De toute évidence, cet individu est en train de profiter d'un moment de faibl… LUPIN ?! »

Rouge comme une tomate, Remus Lupin me regarde d'un air paniqué.

« Ce n'est pas ce que tu crois…

– Marshall m'a quittée, rétorque Lenna avec hargne, le visage barbouillé de mascara. Qu'il aille se faire voir, et toi avec ! »

Un peu heurté, je me sens néanmoins tenu de lui apporter un complément d'informations. Lenna Jugson étant une élève de cinquième année, il est possible qu'elle n'ait tout simplement pas conscience de qui est Lupin.

« Je suis au regret de te signaler que le triste personnage avec qui tu viens de fraterniser n'est autre qu'un Gryffondor, qui s'est manifestement déguisé dans le but de te duper !

– C'est un bal costumé ! proteste Lupin, outré.

– Je le sais parfaitement, me répond Lenna avec agacement. Et tu sais quoi ? Tu peux transmettre un message de ma part à Marshall.

– Lequel ?

– Celui-là. »

Et elle attrape le visage de Lupin pour l'embrasser à pleine bouche. Bien qu'un instant paniqué, le Gryffondor est très loin de la repousser.

Je vais faire une crise de nerfs. Si je me suis déguisé en la Mort, c'est pour qu'on me laisse tranquille, pas pour qu'on me balance des chaussures puantes !

Et puis c'est quoi, ces sifflements ?

Je surgis avec fureur de derrière la colonne de marbre. Et je me donne un coup de faux sur la tête pour m'assurer que je ne rêve pas.

Il y a un attroupement autour d'une des tables. Et sur la table, un Sirius Black hilare se trémousse en retirant sa chemise.

Une petite lumière rouge s'allume dans mon cerveau. Alerte, alerte. Gryffondor sur le point de commettre un attentat à la pudeur.

Cette fête est un enfer. C'est exactement pour cela que je ne participe jamais à ce genre d'événements d'habitude. Mais que font donc les professeurs ?!

Ben voyons. Ils papotent tranquillement à l'autre bout de la salle, tournant le dos à la scène – sauf Dumbledore, mais la corbeille de fruits sur la tête de Chourave ne lui laisse sans doute pas voir grand-chose. Notons que notre vénérable directeur est profondément ridicule, déguisé en grosse citrouille. Et dire que tout le monde le considère comme le dernier rempart face à Voldemort. Dites-moi que c'est une blague.

Et les prétendus amis de Black, où sont-ils ?

Lupin est de toute évidence accaparé par Lenna Jugson. Soit. Potter et Lily sirotent un milk-shake à la fraise en se regardant dans le blanc des yeux. Non, Severus, ce n'est pas le moment de pleurer. Quant à Pettigrow, il s'est endormi sur un banc dans son costume de Nounours et suce son pouce consciencieusement.

Je me répète, mais les Gryffondors ne sont plus ce qu'ils étaient.

Il n'est pas question que je m'en mêle.

Black fait tournoyer sa chemise en oscillant sur ses jambes.

Il n'en est pas question.

Des cris hystériques s'élèvent lorsque la chemise rouge s'envole – couverts par la musique tonitruante.

Il n'en est pas...

...

Pourquoi déboucle-t-il sa ceinture ?

Il est temps de se bouger. Je traverse la salle en trombe en direction du groupe des professeurs. Mais ma faux est encombrante ; elle se prend dans mes pieds et je m'écroule sur une petite table dans un fracas de chaises. Je suis empêtré dans ma cape, pas moyen de retrouver la position verticale.

C'est pas vrai ! Voilà ce que ça rapporte de vouloir rendre service !

« Va voir s'il va bien !

– Mais, Lily...

– Fais-le pour moi ! »

Soudain, une silhouette sombre arrive au-dessus de moi. Potter. Il ne manquait vraiment plus que lui pour que cette soirée soit un désastre total.

À ma grande surprise, il me prend la main pour me relever. Je me libère avec un ricanement méprisant.

« Si j'étais toi, Potter – et Merlin m'en préserve – j'irais plutôt m'occuper de ce cher Black et de ce qui lui reste de tissu sur le dos. »

Potter fronce les sourcils en signe d'incompréhension. Il se retourne et fait un bond d'au moins trente centimètres.

« Nom de... Remus ! Peter ! Venez m'aider ! »

Je me relève avec peine, mais retrouve instantanément ma mortelle dignité.

Pendant ce temps, il y a des remous au rayon fruits et légumes. Notre citrouille de directeur se met à glousser derrière l'ananas de Chourave, ce qui éveille les soupçons de l'assemblée... Tous se retournent comme un seul homme. McGonagall devient encore plus blanche qu'elle ne l'était déjà – étant donné qu'elle est déguisée en fantôme – et se précipite vers les réjouissances, fendant la foule comme Moïse ouvrant les eaux.

Sur ma droite, Lily observe avec consternation Potter et ses sous-fifres jouer des coudes pour atteindre la table où gigote l'autre exhibitionniste. Je devine qu'elle est en train de s'inquiéter pour les points que Gryffondor risque de perdre.

« C'est quand même une sacrée bande de crétins », dis-je en lui jetant un regard en coin.

Elle pose sur moi un regard glacial.

« Peut-être, mais ils sont loyaux en amitié. Eux. »

Et elle file rejoindre son amie Sue.

C'est bon, j'en ai assez vu. Je ne veux pas rester une minute de plus dans ce bal cauchemardesque. Dans un froissement de tissu, je me détourne de la scène et sors de la Grande Salle, mettant enfin un terme à mes souffrances.

Lorsque j'arrive dans la salle commune de Serpentard, Gwendolyn est endormie dans mon fauteuil habituel au coin de la cheminée. Avant de regagner mon dortoir, je ranime le feu mourant d'un coup de baguette. Parce qu'elle mignonne, quand même. Quand elle dort.

Dans le dortoir vide, je me défais de mon déguisement avec lassitude et range la faux dans une armoire. C'est alors seulement que je remarque qu'un morceau de tissu noir y est suspendu. Je le décroche, intrigué, et le tourne un moment entre mes doigts, avant de saisir enfin de quoi il s'agit.

Un bandeau de pirate.

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Je me dirige vers la Grande Salle, triturant machinalement la petite fiole au fond de ma poche. Il s'agit d'un peu de la potion d'épouvante. Je pense l'avoir réussie, mais je ne suis pas certain de sa maturité ; il va falloir que je trouve un moyen de m'en assurer avant de m'en servir contre Potter.

Absorbé par mes pensées, je ne fais pas attention à Marshall "Brute Épaisse" Bulstrode qui jaillit du couloir à ma gauche, et je m'emplafonne dedans allégrement.

« Tu peux pas regarder où tu marches, Snape ? grogne le tas de muscles ambulant. Tu veux peut-être que je t'apprenne à faire attention où tu mets les pieds ? »

Il écrase son poing dans sa main. Ridicule. Tant que j'ai ma baguette, il ne peut rien me faire.

Il me vient une idée.

« Non, merci, Bul. Mais par contre, j'aimerais que tu me dises ce que tu penses de cette eau de toilette... » et je lui colle le flacon ouvert sous le nez.

Il renifle avec méfiance et a aussitôt un mouvement de recul. Imbécile.

« Ça pue, ton truc ! Pas étonnant que les filles te fuient ! »

Je le regarde avec curiosité.

« Qu'est-ce qu'il y a Snape, j'ai un bouton sur le nez ou quoi ? »

Mais soudain il tourne la tête, comme attiré par un bruit fantôme.

« Mais qu'est-ce que... ?! glapit-il.

– Qu'est-ce que tu as ? je demande innocemment.

– Snape ! Aide-moi ! crie-t-il en agitant les bras dans tous les sens.

– De quoi tu parles ?

– Tu ne les vois pas ?! Regarde ! il y en a partout ! Aaah ! Elles sont sur moi ! »

Je suis impressionné et intrigué. Je ne m'attendais pas à un tel effet. Il se met à courir.

« LAISSEZ-MOI ! DIS-LEUR DE ME LAISSER ! »

Il s'engouffre dans un couloir et je m'élance à sa suite. Nous montons maints escaliers, jusqu'en haut de la tour des Gryffondors. Bulstrode, paniqué, se met à tourner en rond en hurlant et en se frappant les bras et la tête. Un attroupement s'est formé autour de lui. Je vois même Lupin, Black et Pettigrew. C'est certain que voir l'une des plus grosses brutes de l'école dans un tel état a de quoi surprendre. Moi le premier.

Il a trop de Gryffondors ici. Ma présence est suspecte et je ne dois pas être associé à cet incident. J'abandonne Brute Épaisse à son sort sans regret.

Alors que je descends les escaliers, je peux entendre ses cris :

« Les abeilles ! Les abeilles ! »

⊹────────────༺༻────────────⊹

Je referme soigneusement le bocal dans lequel j'ai versé la potion et glisse deux fioles dans ma poche, avant de m'autoriser à enlever mon masque. Après ce qui est arrivé à Bulstrode hier, je ne peux pas prendre le risque de respirer la mixture. Ses hallucinations n'ont duré qu'un quart d'heure, mais il n'est toujours pas vraiment remis.

Je laisse le bocal sur place et sors du cachot sans bruit. Je suis à peine en vue des lumières du couloir principal que je décèle un bruit. Quelqu'un vient !

Et alors ? J'ai parfaitement le droit de me trouver là.

Au détour du couloir surgit une silhouette désagréablement familière... Sirius Black. Bordel. J'ai réussi à l'ignorer superbement toute la semaine, mais dans un couloir d'un mètre cinquante de large, ça va devenir difficile. À mon approche, il pose le seau d'eau qu'il tenait dans la main droite en travers du chemin, comme pour m'empêcher de passer. Je sens le stress monter et plonge la main dans la poche où se trouve ma baguette. Mais Black s'appuie sur son balai-serpillère d'un air inquisiteur.

« Tiens, tiens ! Qui voilà en train de rôder parmi les cafards… Qu'est-ce que tu manigances encore, Snape ?

– Je te retourne la question. Qu'est-ce qu'un Gryffondor vient faire du côté des cachots ?

– À ton avis ? maugrée-t-il en montrant son attirail de ménage.

– Je ne sais pas, Rusard t'a pris en apprentissage ?

– Ha, ha, fait-il avec sarcasme. J'ai une retenue, figure-toi.

– Une retenue ? dis-je, faussement surpris. Mais pourquoi donc ? Oh, ce ne serait pas à cause de la mystérieuse disparition de tes vêtements l'autre soir ? »

Il rougit, manifestement embarrassé par cet épisode, mais garde la tête haute.

« Il faut croire que savoir divertir une salle entière n'est pas reconnu à sa juste valeur », dit-il. Puis, avec un sourire tordu : « Et toi, qu'est-ce que tu as pensé du spectacle, Severus ? »

Refusant de rentrer dans son jeu pervers, je renifle avec mépris.

« Disons que ça peut toujours te faire un plan B, si tes talents en ménage ne s'avèrent pas à la hauteur. Concierge ou gogo dancer, ça semble être les seuls choix de carrière qui s'ouvrent à toi à ce stade ! »

Black serre les dents, peinant à se contenir.

« Ça vaut toujours mieux que de rejoindre les bancs de tes copains Mangemorts !

– Tu avais pourtant toutes les cartes en main. Bonne famille, fort potentiel. Tu aurais pu briller comme ton frangin Regulus à Serpentard, mais tu t'es cru trop bien pour nous… Résultat, tu te retrouves sans famille, sans argent et sans avenir. »

Furieux, Black soulève le balai et le serre entre ses deux mains. J'ai dû toucher une corde sensible.

« Ferme-la, Snape ! crache-t-il. Tu ne veux pas me pousser à bout.

– Sinon quoi, Black, tu vas aller pleurnicher chez ta maman ? Oh, non, suis-je bête ! Tu vis chez les Potter maintenant, elle ne voulait plus de toi ! »

C'est mon problème. Quand je commence, j'ai du mal à m'arrêter. C'est dur de ne pas abuser des bonnes choses.

Je me retrouve plaqué contre le mur, le manche du balai serpillère m'écrasant la gorge. J'ai ma baguette à la main, mais je suis incapable de produire le moindre son à part un vague gargouillement.

« Que ce soit bien clair, Servilus, souffle Black tout près de mon visage. Si tu veux parler encore de ma mère, ce sera sur ton lit de mort à Sainte Mangouste !

– Grlg... »

Ce n'est pas une réplique glorieuse, mais je fais ce que je peux. Sûr de sa force, Black appuie sur le balai juste assez longtemps pour que le manque d'air transforme ma rage en terreur. Lorsqu'il finit par me relâcher, mes jambes se dérobent sous moi et je glisse sur le sol, la respiration sifflante.

Il ramasse ses affaires et s'engouffre dans un des cachots.

Le sang bat dans mes tempes. Ma gorge me fait mal.

D'accord. Très bien. J'avais encore quelques scrupules, mais puisque c'est comme ça, je vais mettre mon plan à exécution.