3. Porridge mon amour

Je ne sais pas pourquoi, mais d'aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours mangé du porridge au petit-déjeuner. Il n'y a rien de plus satisfaisant qu'un bol de bouillie d'avoine bien tiède avec quelques noisettes ou fruits frais. J'y ai même initié James. Je crois qu'il ne m'est jamais venu à l'esprit de manger autre chose, bien que la table à Poudlard soit remplie de mets autrement plus appétissants.

Certes, le porridge ressemble à s'y méprendre à des aliments prédigérés. Mais il ne faut pas se fier aux apparences. Le porridge, c'est la vie. Le porridge… SPLASH !

« Oups ! Désolé Sirius ! s'exclame Peter au moment où son stupide pigeon voyageur atterrit en plein dans mon assiette, projetant du porridge dans tous les sens. Allons, Plumeau, il faut vraiment que tu travailles tes atterrissages… »

Mais quel boulet, sérieux. J'ai du porridge plein la robe, sur le visage et jusque dans les cheveux.

« Nom d'un chien, Peter ! Je m'emporte. Un oiseau qui ne sait pas voler, il faut l'euthanasier ! »

Peter me regarde d'un air scandalisé et cache de ses mains la tête du pigeon.

« Ne l'écoute pas, Plumeau. Il ne pense pas un mot de ce qu'il dit.

– Rrrrouh rrrrouh ! » rétorque Plumeau, indigné, avant de prendre son envol en me projetant à nouveau du porridge sur la tête.

James est hilare.

« Est-ce que je rêve ou tu es en train de racler le porridge sur ta robe pour le manger ?

– On ne gâche pas du porridge !

– Tiens, prends du mien… De toute façon, je lui trouve un drôle de goût, ce matin.

– Aide-moi plutôt à me nettoyer ! J'en ai encore dans les cheveux ? »

Toujours mort de rire, James a tout de même la gentillesse de sortir sa baguette pour faire disparaître les restes épars de mon petit-déjeuner. Mais soudain, il se met à gémir et se plie en deux, une main crispée sur le ventre.

« James ? Ça ne va pas ? » dis-je stupidement, ne sachant que faire.

Si, il pète la forme, c'est pour cela qu'il a l'air de souffrir comme s'il avait avalé du verre pilé. Crétin.

James lève alors les yeux vers moi. Et un sentiment d'horreur incompréhensible me glace le sang.

Son visage a changé. Son nez s'est aplati, ses yeux se sont écartés, et sa peau olivâtre se craquelle comme de la terre sèche.

« Qu'est-sssse qui m'arrive ? » grimace-t-il.

J'ouvre les yeux tellement grands que je dois ressembler à un elfe de maison – en moins laid, bien entendu. Sa langue est devenue fourchue.

Quelqu'un crie à la table. Je perçois de brusques mouvements de fuite, mais je suis incapable d'esquisser un geste.

« Oh... non... Pas ssssa... » gémit mon ami.

Il tombe brutalement en arrière, au bas du banc. Ses jambes ne sont plus qu'une longue queue reptilienne.

Sirius, ressaisis-toi !

Reprenant mes esprits, je me lève d'un bond. C'est alors que je ressens à mon tour une violente crampe dans l'estomac.

Je ne réussis qu'à grand peine à rester sur mes pieds. Ma vue se brouille. Ma tête tourne. J'ai la nausée. C'est un peu comme au bout de quinze verres de punch, mais sans l'agréable petit goût de jus d'orange. Et la gaieté idiote de l'ivresse est remplacée ici par une terreur indicible et inexplicable... qui trouve bientôt une justification.

Qui a éteint la lumière ?!

La salle est devenue obscure. Mais je décèle des mouvements furtifs autour de moi, et distingue fugitivement des formes – des formes tout à fait anormales.

Bon sang de bon sang de bon sang mais qu'est-ce que c'est que ces abominations ?!

Il n'y a plus un seul humain ici. Ils m'ont tous laissé dans le noir. Seul.

Je suis peu à peu encerclé par des versions gigantesques de ces créatures ignobles qui grouillent dans les ténèbres de mes cauchemars. Ils sont partout, et tout ce que j'ai envie de faire, c'est de me cacher sous le banc en attendant la mort. Mais sous le banc il y a déjà cet être mi-humain mi-serpent qui était autrefois mon meilleur ami.

Une chimère ressemblant à un épouvantable métissage d'homme et de mouche agite ses antennes dans ma direction. Je fais un pas en arrière en hurlant.

Je veux fuir. Des voix me parviennent comme étouffées... Peut-être les autres sont-ils au-dehors ? Je me précipite vers la porte. Quelques monstres tentent de m'arrêter ; je les esquive ou les repousse avec l'énergie du désespoir.

Mais dehors, il n'y a personne. Je m'enfuis dans les couloirs sombres.

Je suis entouré de voix chuchotantes. Çà et là surgissent de nouvelles visions d'horreur. Les portraits eux-mêmes sont à présent peuplés de silhouettes difformes. Je passe devant le tableau d'un homme défiguré... et stoppe ma course en réalisant qu'il ne s'agit pas d'un tableau.

C'est un miroir.

Je reviens lentement en arrière ; chaque pas me coûte un effort incroyable. Je me place devant le miroir et porte aussitôt mes mains à mon visage. Ou ce qu'il en reste.

Non, ce n'est pas possible...

Je sens sous mes doigts écorchés la peau en lambeaux, la texture poisseuse du sang, les meurtrissures multiples.

Un hurlement d'effroi s'échappe de mes lèvres tailladées. Il est long, puissant, continu – mais bientôt entrecoupé de sanglots de panique. Je recule jusqu'à ce que mon dos heurte le mur, et je repars en courant.

Je ne vois plus où je vais à travers mes larmes. Je finis par trébucher. Je tombe sur le sol et me terre contre une paroi. Je me recroqueville, me tasse ; je voudrais faire partie du mur, disparaître. Je pleure entre mes mains, et je suis forcé de sentir encore les lacérations de mon visage.

Je veux mourir.

J'entends des créatures rampantes approcher. Je suis acculé. Mes cris sont impuissants.

Laissez-moi mourir.

Mon front heurte violemment le mur et je sombre dans l'inconscience.

⊹────────────༺༻────────────⊹

« Aaah ! »

J'ouvre les yeux, le souffle court.

Mal.

Peur.

Je ne peux pas bouger.

Soudain, une main fraîche se pose sur mon front. Je tressaille.

« Là, là... » murmure une voix rassurante.

Maman ?

Les idées se mettent douloureusement en place. Bien sûr que non, ce n'est pas ma mère ; ma mère m'a renié depuis longtemps déjà. À cette pensée, je me sens plus misérable qu'un chiot abandonné dans un caniveau.

Le visage inquiet de Mme Pomfresh apparaît dans mon champ de vision. Je voudrais parler, mais ma langue est comme paralysée et je n'émets qu'un faible râle.

« Du calme. Nous avons dû vous immobiliser pour vous empêcher de vous faire du mal. Je vais enlever le charme. »

Un instant plus tard, je retrouve le contrôle de mes muscles. Et tout me revient en mémoire.

Je touche instinctivement mon visage. Je rencontre des bandages.

« Non... j'articule faiblement.

– Ne vous en faites pas, me réconforte Mme Pomfresh. Votre coup à la tête sera sans conséquences. Quant à vos autres... blessures... Elles ont commencé à disparaître d'elles-mêmes. »

Je n'arrive pourtant pas à me sentir soulagé. Je ressens encore la terreur qui s'était emparée de moi précédemment.

Je relève la tête et regarde autour de moi. Je suis dans l'infirmerie, bien sûr. Tout est obscur. Serait-on déjà en fin de journée ? Dans le lit d'à-côté, James est raide comme une planche, endormi, mais les papillonnements de ses paupières trahissent un sommeil agité.

« Allons, dit Madame Pomfresh. Vous allez me boire cette potion, maintenant.

– Mais...

– Vous parlerez plus tard avec le directeur. »

Je ne proteste pas plus. Je ressens une grande lassitude.

Bientôt, je glisse dans un sommeil sans rêves.

⊹────────────༺༻────────────⊹

Le lendemain, en fin de matinée, Mme Pomfresh donne enfin le feu vert pour que nous répondions à quelques questions.

James et moi avons déjà eu le temps de discuter entre nous de ce qui était arrivé. Son expérience semble avoir été plus traumatisante encore que la mienne. Dans son délire, il s'est mordu et griffé profondément le visage et les bras, et malgré les efforts de l'infirmière, il lui a fallu beaucoup plus de temps pour revenir à la réalité.

Dumbledore apparaît, affichant un sourire bienveillant, mais le regard grave. Il est suivi de près par Slughorn et Wilkes. La présence du professeur de Potions confirme nos soupçons, mais celle du professeur de Défense contre les Forces du Mal ne nous semble pas être un bon signe.

« Bonjour, mes enfants, dit Dumbledore. Je suis rassuré de voir que vous êtes rétablis... ou presque », ajoute-t-il avec un clin d'œil.

Le visage de James est toujours d'une belle teinte vert gazon. Quant à moi, j'arbore encore plusieurs balafres assez vilaines. Si mon visage garde une seule cicatrice, je n'aurai de cesse de retrouver le responsable de tout cela jusqu'à ma mort ou la sienne.

« J'imagine que vous êtes curieux de savoir ce qui vous est arrivé hier. »

Nous acquiesçons silencieusement. Curieux, c'est un euphémisme de taille.

« Vos deux professeurs ici présents ont travaillé à résoudre cette énigme pendant que vous étiez inconscients, je vais leur laisser la parole. »

Wilkes, sec et droit comme i, se poste avec sévérité au pied de mon lit. Le professeur Slughorn, quant à lui, installe son corps imposant sur une chaise entre nous deux et croise les mains sur son ventre avec le regard affuté d'un Hercule Poirot. Tous deux pourraient ressembler à un duo comique, s'ils n'étaient pas si sérieux.

« Nous nous sommes d'abord intéressés à la question du "comment", annonce-t-il calmement. Il nous est vite apparu qu'une personne malintentionnée avait empoisonné votre porridge hier matin. »

Je déglutis comme le souvenir du petit-déjeuner me revient. Je dois des excuses au pigeon de Peter : si j'avais avalé plus qu'une ou deux bouchées de mon assiette, les choses auraient pu tourner encore plus mal.

« Le professeur Wilkes et moi avons donc analysé le contenu de vos assiettes et retrouvé des traces de la potion qui a été mélangée à votre petit-déjeuner. Nous allons maintenant avoir besoin de votre aide pour mieux cerner le "quoi"… De ce que les différents témoins nous ont rapporté, il semble que vous ayez été pris de puissantes hallucinations, propres à susciter l'effroi ? »

Je frissonne en repensant aux créatures que j'ai vues.

« C'était terrifiant.

– Euh, comment ça, "hallucinations" ? fait James d'un air renfrogné. Vous avez vu ma tête ?

– En effet, ce n'était pas le seul effet de la potion, dit Wilkes. L'un et l'autre avez été réellement transformés. Nous avons supposé que ce changement d'apparence n'était pas tout à fait laissé au hasard et qu'il se basait… sur une peur, un dégoût personnel et profond ?

– Quelque chose comme ça, oui, dis-je sombrement.

– Fascinant. Absolument fascinant », murmure-t-il pour lui-même.

Haussant un sourcil dans sa direction, Slughorn reprend posément :

« Si l'on se base sur les effets extrêmement néfastes de la potion, ainsi que les quelques ingrédients la composant que nous avons été en mesure d'identifier, au moins une chose est claire…

– …C'était de la magie noire », dit Wilkes.

J'échange un regard inquiet avec James.

« De la magie noire… à Poudlard ? Comment est-ce possible ?

– Cela nous amène enfin à la question du « qui »… dit Slughorn. Avez-vous vu qui que ce soit s'approcher de vos assiettes ce matin-là ? »

Je réfléchis un instant, mais rien ne me vient :

« Je ne crois p…

– Severus Snape, me coupe James d'un ton affirmatif.

– Hein ? dis-je, étonné. Tu l'as vu ?

– …Non, reconnaît James. Mais ça ne peut être que lui. C'est le seul qui nous déteste tous les deux, et tout le monde sait qu'il verse dans la magie noire.

– Allons, Mr Potter, intervient Dumbledore. Ne nous lançons pas dans des accusations hasardeuses qui pourraient avoir des conséquences dramatiques. J'ai déjà vu des élèves accusés à tort et injustement renvoyés par le passé… » Son regard se perd dans le vague un instant, puis il reprend : « Or, il est hautement improbable qu'un élève de sixième année ait pu mettre au point une telle potion tout seul. N'est-ce pas, professeurs ?

– Même s'il est clair que Mr Snape est un élève de potions extrêmement brillant, dit Slughorn avec une lueur d'admiration dans le regard, il reste qu'effectivement, je n'avais jamais vu cela. C'est une potion d'une puissance incroyable et qui, entre de mauvaises mains, pourrait faire des ravages terribles.

– En effet, dit Wilkes. Son pouvoir de destruction est énorme. Si l'on se base sur votre malheureuse expérience, il semble bien qu'elle pourrait pousser ses victimes… aux plus terribles extrémités. »

James et moi échangeons un regard d'incompréhension.

« Excusez-moi, professeur... dit mon ami d'un ton dubitatif. Êtes-vous en train d'insinuer que nous avons essayé de nous suicider ? »

Wilkes hoche sobrement la tête. James a un rire incrédule.

« C'est ridicule. J'ai eu un vilain coup de stress, mais ça s'arrête là. »

Je sais exactement ce qu'il ressent. C'est insultant. Un Gryffondor ne serait jamais assez lâche pour mettre fin à ses jours.

Mais Dumbledore parle d'une voix douce :

« Mr Potter, dois-je vous rappeler que vous vous êtes lacéré les poignets à l'aide de vos... crochets ? »

Peu convaincu, James contemple ses bandages en fronçant le nez de façon plutôt comique. Un peu à bout de nerfs après toutes ces révélations, je suis saisi d'un pouffement de rire assez malvenu. Mon ami me jette un regard courroucé.

« Dis donc, Face-de-zombie, je ne vois vraiment pas ce qu'il y a de drôle !

– C'est parce que tu ne vois pas ta tête ! Tu es VERT de rage !

– Ah, c'est fin, ça ! Vraiment très fin ! râle le Martien.

– Hahahahahahaha… »

Dumbledore reprend, cette fois en me regardant :

« Quant à vous, Mr Black, vous avez tenté de vous fracasser le crâne contre un mur et avez bien failli réussir. »

Mon rire s'éteint instantanément. J'ai fait ça, moi ?

« Mais non... C'était un accident... »

Un frisson me parcourt l'échine comme des souvenirs jusque-là refoulés ressurgissent. Je veux mourir.

« Eh bien, Sirius ? ricane James à son tour. Tout d'un coup tu as l'air tout... décomposé ! »

Revenant à la réalité, je souris et lui tire la langue.

« Si ce n'est pas Snape, comment expliquez-vous ce qui est arrivé, professeur Dumbledore ? dis-je avec confusion.

– Je vais avoir l'humilité de reconnaître mon ignorance, Mr Black. Peut-être avez-vous raison et votre jeune camarade est-il partiellement en cause. Mais si c'est le cas, je crains qu'il n'ait été aidé par quelqu'un de l'extérieur, ne serait-ce que pour se procurer des ingrédients aussi… illicites. Le professeur Slughorn, en tant que chef de Serpentard, va l'interroger et me faire un rapport. »

James et moi échangeons un regard entendu. En clair, Snape serait en contact avec des Mangemorts. En même temps, c'est un fait avéré qu'il était en bons termes avec Mulciber, ce même élève qui a été renvoyé pour avoir attaqué vicieusement plusieurs sorciers d'origine moldue au cours de l'année passée, et qui a directement rejoint les rangs de Voldemort. Lui, c'était déjà un grand psychopathe.

« On va retrouver qui a fait ça, pas vrai ? je m'enquiers.

– J'en fais ma priorité, nous assure Dumbledore. Nous avons déjà interrogé les elfes et fouillé les dortoirs, sans résultat, mais le château est grand et nous avons encore plusieurs pistes à suivre. De plus, nous sommes en train d'établir avec le professeur McGonagall un protocole pour contrôler tous les hiboux, afin qu'il soit impossible de faire entrer dans l'école des substances dangereuses. Je vous tiendrai au courant. »

⊹────────────༺༻────────────⊹

« Vous pensez vraiment que c'est lui qui a fait ça ? » s'étonne Remus, venu nous apporter du chocolat.

Peter est absent puisque, sur ordre de Mme Pomfresh, nous n'avons droit qu'à un seul visiteur à la fois.

« Qui a fait quoich ? demande James en dévorant une chocogrenouille.

– À ton avis ? dis-je en roulant les yeux. Des napperons en dentelle ! »

Il déglutit en affichant un air perplexe.

« Quels napperons en dentelle ?

– James ! On est en train de parler de la potion qu'on a versée dans notre porridge ! Suis, un peu !

– Vous croyez vraiment que c'est lui ? répète Remus.

– Oh, Chnape ? dit James, la bouche pleine. Bien chûr que ch'est lui. »

Remus semble dubitatif.

« Je suis certes assez mauvais en potions…

– TRÈS mauvais, tu veux dire, je l'interromps.

– Che dirais même complètement nul, renchérit James.

– Une vraie calamité ! j'ajoute joyeusement.

– Une catashtrophe ambulante ! »

Imperturbable, Remus élève la voix pour finir sa phrase :

« …MAIS celle-ci m'a l'air trop complexe pour être l'œuvre d'un élève, non ?

– C'est vrai, dis-je en retrouvant mon sérieux. Dumbledore semblait croire que seul un Mangemort aurait pu la fabriquer.

– Dumbledore a trop foi en l'humanité, chi vous voulez mon avis. Chnape est le cheul à avoir des raisons de ch'en prendre à nous.

– Mais ça fait plus d'un mois que nous nous fichons mutuellement la paix ! j'objecte. Enfin, hormis ma prise de bec avec lui dans les cachots samedi soir… »

James s'essuie la bouche, presque enseveli sous les emballages des chocolat qu'il vient d'engouffrer.

« Snape est assez vindicatif pour avoir pris son temps. Et vu qu'il n'a plus aucun ami, il a tout le temps pour le faire. Je le vois d'ici, ce cancrelat, à se prendre pour le maître de l'univers parce qu'il sait fait bouillir un chaudron…

– On parle de magie noire, James !

– Ça ne fait que l'accuser, justement. Sa mère est une Sang-Pur et il descend d'une longue lignée de sorciers noirs ! »

Je fronce les sourcils, indigné.

« Moi aussi, je descends d'une longue lignée de sorciers noirs, je te signale.

– Toi, ce n'est pas pareil ! Lui, c'est un Serpentard.

– Certes, dis-je. Quoi qu'il en soit, je doute que Slughorn tire grand-chose de lui. C'est l'un ses chouchous. Il fait partie de son petit club

– Sans compter que Snape est un dur à cuire. Il ne se laisse pas impressionner si facilement », dit Remus.

James hoche la tête.

« Vous avez raison. Si les recherches des professeurs de donnent rien, il faudra enquêter nous-mêmes. »

Un léger rictus se dessine sur son visage à ces mots et il me jette un regard diabolique.

« Je ne veux même pas savoir à quoi tu penses, James !

– Sirius... dit-il d'un ton doucereux. Tu as toujours un gage à honorer, n'est-ce pas ?

– ...Je savais que je ne voudrais pas savoir.

– Écoute, ce n'est pas compliqué ! Tu vas de toute façon être obligé de passer un peu de temps en sa compagnie, si tu veux tenir ta parole...

– Non, mais, attends un peu ! Est-ce que j'ai vraiment perdu ce pari ? Au final, Lily et toi ne sortez toujours pas ensemble ! Pas vrai, Remus ? »

James me jette un regard noir. Il vit assez mal le fait que Lily l'ait friendzoné.

« Les termes du pari étaient qu'elle devait accepter de sortir avec moi. On n'a jamais dit que ça devait être plus d'un rendez-vous. Remus en est témoin !

– J'en suis témoin, confirme Remus.

– DONC j'ai gagné et DONC tu as perdu. Et DONC c'est à toi qu'il revient d'aller soutirer des informations à Snape en te faisant passer pour son nouveau meilleur ami… et plus si affinités. »

Je repense à l'échange que nous avons eu dans les cachots et je secoue la tête.

« Je suis désolé mais honnêtement, j'ai déjà essayé et il y a juste trop d'animosité entre nous. C'est impossible. Remus a peut-être une chance, il peut le faire, lui !

– Ah non. Hors de question, dit aussitôt le loup-garou. Il est bien trop suspicieux. Je ne peux pas prendre le risque qu'il découvre la vérité à mon sujet.

– Peter, alors ? »

Nous échangeons un regard tous les trois, puis nous éclatons de rire. Peter, devenir l'ami de Snape ! Et pourquoi pas une souris avec un hippogriffe ?

« Bon, d'accord, pas Peter, dis-je en gloussant encore un peu. Mais moi… il ne va jamais m'avouer qu'il nous a empoisonnés !

– Snape est un vrai pou bouffi d'orgueil, dit James. Si tu le flattes comme il faut, il laissera forcément passer quelque chose. Et puis, tu auras peut-être l'occasion de fouiller son dortoir... »

J'ouvre de grands yeux.

« Eh, oh ! Ça va pas, non ? Tu peux m'expliquer pourquoi je me retrouverais dans son dortoir ?!

– Oh, Sirius ! Tout de suite ! Ce n'est pas ce que je voulais dire ! Tu me prends vraiment pour un pervers, ma parole...

– Est-ce que je dois te rappeler qui est à l'origine de ce gage ? »

Je croise les bras, boudeur. James tente alors une autre approche :

– Écoute, Sirius. Je comprends que tu aies peur. De toute évidence, Snape est réellement dangereux... La meilleure chose à faire est certainement de le laisser s'en tirer. En espérant bien sûr qu'il ne va pas recommencer… »

Peuh ! Les ficelles sont grosses, il me fait le coup de la lâcheté...

« Jamais de la vie ! Il doit payer ! » je m'exclame.

Que voulez-vous, on ne se refait pas.

⊹────────────༺༻────────────⊹

« Ne m'attendez pas, je vais demander quelques explications à McGo' », dit James.

Peter et Remus sortent de la salle en discutant avec animation, et s'empressent de descendre à la grande salle pour déjeuner. Je finis de ramasser mes affaires lorsque Sue arrive devant moi.

« Tu as l'air d'aller mieux, Sirius, dit-elle timidement.

– Ah… ouais. Comme neuf », dis-je avec un sourire poli.

Nous sommes un peu en froid depuis qu'elle m'a plaqué pour Diggory. Oui, je voulais en finir, mais bon, il y a des façons de le faire, quoi.

« Je suis vraiment soulagée. J'étais tellement inquiète…

– C'est vrai ? dis-je, touché par sa sollicitude.

– Ça aurait été vraiment affreux que tu restes défiguré à vie !

– Je n'étais pas fan de cette idée non plus.

– Tu étais vraiment horrible, frissonne-t-elle.

– Certes…

– Mais genre, monstrueux, quoi. J'en ai fait des cauchemars.

– Oui, bon. J'ai compris.

– Et on aurait dû te voir, comme ça tous les jours… L'angoisse.

– Hem. Euh. OK.

– Tu imagines ce qu'on aurait dit de moi ? La dernière petite-amie du monstre…

– BON ! C'est pas tout ça, mais j'ai besoin d'aller… aussi loin d'ici que possible.

– Pas de problème, Sirius. Amos m'attend, de toute façon.

– Super. Youpi. Je suis tellement heureux pour vous deux.

– Oh, Sirius, si tu savais ! rit-elle. Avec toi, je pensais que seul le physique était important… Mais avec Amos, je découvre qu'il y a tellement plus !

– Ha… Merveilleux.

– Oui, vraiment, c'est incroyable. Je comprends maintenant ce que c'est que d'avoir une vraie connexion avec quelqu'un. Nous avons déjà choisi le prénom de nos futurs enfants !

– Vous êtes ensemble depuis… Une semaine ?

– Cédric si c'est un garçon… Et Radégonde si c'est une fille ! s'exclame Sue, au comble du bonheur.

– Wow. Eh bien je vous souhaite d'avoir un garçon, alors. »

À ce moment, Amos Diggory apparaît dans l'encadrement de la porte.

« Tu viens, ma puce ? Tout le monde est déjà à table.

– Oui, Amour ! dit Sue. Me voilà ! À bientôt, Sirius ! »

James me rejoint alors, avec un regard qui en dit long.

« Eh bien ? Tu reparles à Sue ?

– Pfff. James, promets-moi que si je prétends à nouveau être amoureux, tu seras là pour me rappeler que la beauté n'est pas ce qui compte vraiment. »

Il me donne une claque dans le dos tout en m'entraînant vers la porte de la classe.

« Ce qui est bien, c'est qu'avec Snape, tu ne risques pas d'avoir ce problème !

– Je te hais. »

Arrivé dans le couloir, James tend brusquement son bras pour m'arrêter. Sur ses lèvres se dessine un sourire immense – immensément flippant.

« Sirius, est-ce que tu vois ce que je vois ? »

Je cherche du regard avec appréhension ce qui a bien pu arrêter un James sur le chemin du déjeuner. Et j'aperçois, plus loin dans le couloir, un élève de dos, affairé à ranger des livres dans son sac. Un élève aux cheveux noirs et légèrement graisseux. Pas besoin de voir le nez crochu pour le reconnaître.

James m'attire derrière une armure de chevalier.

« Sirius, c'est le moment idéal, il n'y a plus que nous dans les couloirs ! chuchote-t-il avec enthousiasme.

– Euh... James... Je ne suis pas sûr que...

– Trêve de bavardages ! Je reste planqué là ! Fonce, Casanova ! »

Et il me pousse en avant. Zut.

Snape tente désespérément de fermer son sac trop plein lorsque j'arrive silencieusement à quelques mètres derrière lui – un peu trop silencieusement, peut-être.

« Snape ? »

L'intéressé sursaute si fort qu'il en lâche son sac, qui se renverse sur le sol à ses pieds. Un instant plus tard, il me fait face, la main à moitié enfouie dans poche droite.

Merlin qu'il est nerveux ! Une peur inhabituelle se lit très brièvement sur le visage du Serpentard. C'est suspect. Pourquoi me redoute-t-il tant, tout à coup ?

Peut-être parce que tu as failli l'étrangler la dernière fois que tu t'es retrouvé seul avec lui...

Oh, ça va, hein. Il l'avait sacrément cherché. …Non ?

« Qu'est-ce que tu veux, Black ? demande-t-il d'une voix tendue.

– Je, hum. Je voulais m'excuser pour l'autre soir… dans les cachots.

– T'excuser ? répète-t-il, incrédule.

– Oui… J'ai bien remarqué que, depuis que James a décidé d'arrêter de te chercher des noises à tout bout de champ, tu ne nous a pas fait une seule crasse. Je trouve ça bien qu'on ait réussi à… établir une sorte de trêve. »

Il hausse un sourcil, manifestement peu convaincu.

« De trêve, dis-tu ?

– …Non ? »

Ha ! Je lui tends une perche ÉNORME. C'est le moment où jamais s'il veut avouer qu'il nous a empoisonnés.

« Certes, dit-il finalement. Une trêve.

– Donc… Je reconnais avoir eu un comportement inadmissible, samedi soir. Clairement, j'ai des problèmes pour gérer ma colère et je… je voudrais me faire pardonner.

– C'est inutile », répond-il vivement.

Puis, voyant que je ne bouge toujours pas :

« Tu peux disposer. »

Comme il se penche pour récupérer ses affaires tombées au sol, j'ai une illumination :

« Attends, je vais t'aider ! »

Héhé, un grand classique. Je me sens déjà plus dans mon élément. Snape me transperce du regard tandis que je réunis ses manuels de classe. Il se redresse, interdit.

« Tu peux m'expliquer ce que tu es en train de faire ?

– Eh bien, je ramasse tes livres...

– Je ne suis pas aveugle ! » s'agace-t-il.

Je lui tends la pile de grimoires avec un sourire candide. Il hésite. Lorsqu'il finit par les attraper, je les ramène vivement à moi, obligeant le Serpentard à faire un pas en avant. Ha, presque trop facile.

Je plonge mon regard dans celui de Snape, qui le soutient avec fureur.

« Donne-moi ça, Black, souffle-t-il entre ses dents.

– Il faut que tu me croies, Severus. J'ai vraiment envie de me faire pardonner », dis-je dans un murmure, tout en me penchant lentement vers lui.

Il fronce les sourcils avec incrédulité, puis dégage brusquement ses livres de mes mains et s'en sert pour me frapper violemment sur le crâne. Surpris par la puissance de son geste, j'en tombe à la renverse, à moitié sonné.

Snape recule, la lèvre retroussée dans un rictus.

« Considère-nous quittes, Black ! » lance-t-il avant d'attraper son sac et de s'éloigner prestement dans le couloir.

Dès qu'il est hors de vue, je vais chercher James derrière son pilier. Je trouve le Gryffondor assis par terre, en train de pleurer de rire.

⊹────────────༺༻────────────⊹

« Et là, VLAN ! Snape lui envoie ses bouquins en pleine tête !"»

James repart à rire de plus belle, écroulé sur la table. Peter observe la bosse que j'ai sur le front avec admiration, tandis que Remus me tapote gentiment la main.

« C'est bien de t'être excusé, Sirius. Le Préfet en moi est très fier de toi.

– Pfff… Je suis censé piéger Snape, mais j'ai l'impression que c'est surtout moi le dindon de la farce…

– Non, non, dit Peter d'un air expert. Une bosse de cette taille, c'est la preuve qu'il y a de la passion. Je pense que tu t'y prends bien, moi !

– Mon pauvre Peter, je soupire. Toi qui aimes les histoires d'amour, tu devrais commencer à prendre les choses en main de ton côté, parce qu'entre James qui est incapable d'émoustiller Evans…

– Eh ! proteste l'intéressé.

– …moi qui me fait plaquer et tabasser à tout bout de champ, et Remus qui… » Je m'interromps brusquement et me tourne d'un coup vers le loup-garou. « MAIS AU FAIT. Remus ! La fille du bal ! »

Tous les regards se tournent vers Remus, qui semble soudain dans ses petits souliers.

« Euh… Oui ?

– Tu l'as revue ?

– Oh, non, non… balbutie-t-il. C'était un instant d'égarement. Le punch a fait des ravages, ce soir-là…

– Aha, non, on ne me la fait pas à moi ! Le seul verre que tu as tenu dans les mains, c'est moi qui l'ai bu !

– Ah oui ? Oui, en effet... L'approche de la pleine Lune, alors, je ne vois que ça...

– Mais c'était qui ? demande James.

– Pas une Gryffondor en tout cas, je l'aurais reconnue, dis-je, sûr de moi. Pas une fille de notre année non plus…

– Comment vous vous êtes rencontrés ? » demande Peter, les yeux brillants.

Remus se passe une main dans les cheveux.

« Si tu veux tout savoir, nous avions acheté nos livres en même temps chez Fleury et Bott cet été, et...

– DONC tu la connaissais avant ! je triomphe en sautillant d'excitation.

– Oui, et alors ?

– DONC vous aviez déjà discuté ensemble.

– Oui, et alors ?

– Et tu as omis de nous en parler.

– Oui, et alors ?

– DONC elle t'intéresse.

– Oui, et... Euh, non !

– Tu as dit "oui" ! j'exulte en le pointant du doigt avec un grand sourire.

– Tu m'as piégé ! proteste Moony. Tu devrais devenir journaliste people pour Sorcière Hebdo ! »

Je lui tire affectueusement la langue. Remus soupire.

« Écoutez, on est en train de parler d'un non-événement... Son copain venait de la quitter en plein bal, elle a eu besoin d'une épaule sur laquelle pleurer… Je n'ai servi que de soutien émotionnel, voilà tout.

– Pourquoi est-ce que tu n'essaies pas de lui reparler ? demande Peter.

– À ton avis ? Tu ne vois pas un petit obstacle, comme par exemple le fait qu'une certaine personne n'est pas totalement... humaine ? »

Il a dit ce dernier mot à voix basse, la tête courbée, entre les cuisses de poulet et le gratin de pommes de terre. L'imitant, je chuchote par-dessus la poivrière :

« Remus, c'est complètement idiot. Tu es humain et parfaitement charmant vingt-neuf jours sur trente, c'est déjà plus que la plupart des garçons normaux.

C'est impossible. Elle s'en rendrait compte. Et puis il y a les risques de… contagion. Non, non, je ne peux pas. Le risque est trop grand. Un point c'est tout. »

Peter pose une main sur son cœur, et l'autre sur son tome 18 des Chroniques de Sorcerton – Amours et trahison à la cour d'Angleterre.

« Un vrai amour maudit, soupire-t-il, les larmes aux yeux.

– Comment ça ? dis-je, outré. Je refuse d'accepter ça, Remus ! Je comprends que tu ne puisses pas lui dire, mais si tu as besoin qu'on t'aide à lui mentir, tu sais que tu peux toujours compter sur nous.

– Sirius… Je ne vais pas démarrer une relation avec un mensonge aussi énorme. Ça ne peut pas fonctionner.

– Laisse tomber, dit Peter. Tu sais bien que Sirius ne comprend rien à ces choses-là.

– Comment ça ?! J'ai plus d'expérience que vous trois réunis !

– En quantité, peut-être… en qualité, non, relativise James. Moi, je suis sorti presque une année entière avec Kamala.

– Et vous vous êtes embrassés quoi, trois fois ? dis-je, outré.

– Oui, enfin, hormis Sue que tu détestes, tu n'as eu que de vagues flirts de vacances, rétorque mon meilleur ami.

– Combien de temps a duré ta relation avec Sue, déjà ? fait Remus.

– Euh… Presque un mois et demi ? Mais je ne vois pas le rapport. Arrêtez de sourire comme ça. Il n'y a aucun rapport. Arrêtez, je vous dis ! Je n'ai pas encore trouvé l'amour, voilà tout ! »

Alors que je prononce ces mots, je remarque que quelqu'un entre discrètement dans la grande salle. Snape. Je le suis des yeux tandis qu'il va s'asseoir à sa table.

« Quand on parle du loup... » dit Remus.

Je lui lance ma serviette à la figure.