Chapitre 1 : Croire une dernière fois

Ce soir là, le soir où Henry décrocha une étoile pour faire exploser la mairie avec, commença par une crise de panique.

Il tomba à genoux sous le jet brûlant de la douche, haletant. L'eau fumait sur sa peau jusqu'à lui en faire mal, et pourtant il avait la chair de poule quand même. Il n'y avait plus d'air à respirer, rien que de la fumée. Des aiguilles de glace torturaient le bout de ses doigts, une fourmilière grouillait sous son crâne. Un terrifiant engourdissement lui paralysait lentement les mains, le visage, s'écoulait vers sa nuque.

Ça recommençait. L'autre se débattait à l'intérieur de lui.

-Henry Mills, chuchota-il le souffle court. Je m'appelle Henry Mills. J'ai... j'ai quatorze ans. Je suis le fils de Regina Mills et Emma Swan. L'autre n'existe plus. Je n'ai jamais été l'autre, j'ai toujours été Henry... Mills...

Un violent spasme le cabra en arrière dans un gémissement rauque qui resta à moitié figé au fond de sa gorge, et le jeune brun plaqua les mains sur son visage en s'efforçant de ne pas pleurer.

-Ça se peut pas, murmura le garçon. Je suis Henry. Je suis Henry Mills, j'ai toujours été Henry. J'ai fais briser toutes les malédictions. On vient de battre la Méchante Sorcière de l'Ouest, tout est rentré dans l'ordre.

Est-ce que c'était son imagination ?

La question l'obsédait, de plus en plus chaque jour. Est-ce que c'était son imagination, ou est-ce que ses traits palpitaient vraiment au bout de ses doigts, comme s'ils essayaient de former un autre visage?

N'appelle pas Emma, se répéta Henry. T'es trop grand. Elle a tous les problèmes du monde en même temps, Emma, et elle ne peut rien faire. Elle ne doit pas voir l'autre. Si elle le voit...

-Je me suis fais... je... je me suis fais kidnapper. Tout le monde a été obligé de risquer sa vie pour moi. Et mon père est mort à cause de moi.

C'était horrible à chaque fois, mais se rappeler les choses horribles, c'était ce qui ramenait le mieux Henry à lui-même, beaucoup plus que les victoires et les bons moments – cette souffrance presque insupportable qui lui comprimait la poitrine, elle ne pouvait être qu'à lui, qu'à Henry. Il faillit bondir lorsque des coups hésitants toquèrent à la porte.

-Henry?, appela la voix d'Emma avec inquiétude. Tout va bien là-dedans?

-Ça va, haleta Henry encore tremblant. Ça va M'man, je descends.

-Champion... il vaudrait mieux qu'on parle un peu de la soirée avant, je sais que tu voul...

-J'arrive! Je... je ne veux pas qu'ils attendent à cause de moi.

Il y eu un silence tendu, pendant lequel Henry augmenta la puissance du jet de la douche dans l'espoir de couvrir ses halètements de panique. Il dû s'y reprendre à trois fois, parce qu'il avait beau les voir il ne sentait plus du tout ses mains. Et... il ne les reconnaissaient plus, non plus.

-Henry? Ta voix a l'air différente. Tu es sûr que tout va bien?

Henry parvint à sortir de la douche et se relever en se cramponnant à l'évier de la salle de bain, les jambes flageolantes. Mais quand il releva la tête, quelqu'un d'autre lui faisait face dans le miroir.

Ce n'était pas le reflet d'Henry. C'était le visage stupéfait de l'autre, de Peter Pan.

Henry poussa un hurlement incontrôlé, terrorisé.

M'man n'était peut-être pas chevalier ni rien, mais Henry pouvait être fier de tout ce qu'elle avait apprit à Storybrooke: elle défonça la porte d'un grand coup de pied sans hésiter une seule seconde de plus. Les gens disparaissaient dans des nuages de fumée trop vite pour qu'on fasse des manières, ici, ou alors ils se faisaient avaler par leur miroir.

Les hanches d'Henry disparaissaient juste à temps sous une serviette lorsque sa mère fit irruption dans la pièce. Une seconde tandis qu'elle balayait la salle de bain du regard, Henry resta tétanisé, à attendre sa réaction face à sa métamorphose. Puis il osa se regarder à nouveau dans le miroir. Pas de Peter. Ce n'était que lui, Henry, décoiffé et le visage rouge, agrippé à sa serviette un peu courte.

-M'man !, balbutia le brun embarrassé.

-Désolé, souffla Emma les yeux encore écarquillés. J'avais presque cru entendre... je ne sais pas, quelqu'un d'autre.

-J'arrive...

-Ok. D'accord.

Elle referma précipitamment la porte.

Henry s'effondra aussitôt par terre, tremblant de tous ses membres. Qu'est-ce qui lui arrivait? Qu'est-ce que c'était que ça? Est-ce qu'il était... maudit, ou un truc du genre ?

Peut-être que c'était rien, tenta de se convaincre le garçon. Il y avait... de la buée, et de la vapeur. J'ai cru voir Peter dans le miroir parce que j'avais peur que ça arrive. C'est impossible. Il est sorti de mon corps, entièrement, il ne m'a même pas eu longtemps. Il n'a rien laissé en moi, ça ne se peut pas.

Henry se sentait atrocement seul à chaque fois que ça arrivait. Quand son corps cessait de lui répondre, que ses membres se couvraient de chair de poule et qu'il avait l'impression de sentir Peter se débattre dans ses os, pousser pour sortir. Il ne supportait même plus de prononcer le nom de Peter Pan.

Ça faisait presque un an maintenant, depuis qu'il avait été enlevé et emmené au Pays Imaginaire. Là-bas, Peter avait réussi à obtenir ce qu'il voulait d'Henry – son cœur – mais juste après sa famille l'avait sorti de là. Sauf que Peter avait été plus malin. Au dernier moment, il avait échangé son corps avec celui d'Henry. Il avait fallu des jours et des jours à M'man, Emma et les autres pour découvrir ce qu'il s'était passé. Peter avait été vaincu, ensuite, parce que le Bien l'emportait toujours. C'était censé être fini.

Sauf qu'apparemment, Peter Pan gagnait toujours lui aussi.

Henry se sécha et s'habilla aussi vite que possible. Il devait se reprendre. Il allait descendre, et il allait sourire. Tout le monde ferait un effort, alors lui aussi. Lorsqu'il ouvrit, Emma l'attendait juste devant la porte de la salle de bain, mais il fila devant elle en courant.

-Henry, attends, commença Emma un peu gênée, il faut qu'on parle !

-Maman viendra, Emma, tu vas voir!, lança Henry sans s'arrêter. Noël c'est comme une trêve! C'est exactement à ça que ça sert. Toutes les choses qui vont mal arrêtent de compter, et on ne se rappelle que des bons moments passés ensemble, et qu'on est avec les gens qu'on aime. Et c'est exactement de quoi notre famille a besoin cette ann...

Il pila net en déboulant dans le salon. Kilian se leva de sa chaise, l'air inquiet, et tenta un sourire encourageant. Il n'y avait que lui. Toutes les autres chaises autour de la longue table étaient désespérément vides. Henry avait invité toute la famille à venir manger, pour fêter le début des fêtes de Noël. Il y avait une grosse chaussette de Noël au nom de chacun d'entre eux accroché à la cheminée trop petite, et ils devaient décorer le sapin tous ensemble. Rumplestiltskin ne serait peut-être pas venu, peut-être. Et Henry pensait bien que M'man serait un peu en retard, mais...

Personne n'était venu.

-Henry, haleta Emma en arrivant derrière-lui. J'ai essayé de te prévenir.

-C'est... c'est pas possible. Au moins grand-mère et grand-père, ils ont bien dû venir.

-Henry, mon grand... essaye de les comprendre, d'accord? Bébé Neel leur prends beaucoup de temps, tu sais. Et ta mère...

-Ma mère, elle avait rendez-vous avec une bouteille de vin, murmura Henry.

Emma se décomposa. Killian ferma les yeux. Henry s'en voulait déjà, il n'en revenait pas d'avoir osé le dire. Mais ça faisait des mois que tout le monde savait. Et c'était tellement plus difficile de faire semblant que tout allait bien, quand il avait l'impression d'être le seul à avoir envie d'essayer. On aurait dit que tout cherchait à s'effondrer en ce moment, et que ça n'intéressait personne d'autre que lui. Emma hésita, se repris plusieurs fois avant de bredouiller :

-Regina...

-Pourquoi est-ce que tu continues à lui trouver des excuses?, lâcha soudain Killian comme s'il retenait cette question depuis des semaines (ce qui était le cas).

-J'ai gâché sa fin heureuse en ramenant l'ex-femme de son petit-ami Robin des Bois du passé, lâcha Emma plus sèchement. Ça s'invente pas. C'est normal qu'elle ait besoin de temps. Alors lui demander de venir ici, et de juste...

-Ça fait six mois, Swan. J'ai l'impression qu'on ne parle plus que de ça. Le petit veut fêter « Noël », là. Et de ce que j'en comprends ce n'est pas censé ressembler à ça.

-Je..., tenta Henry.

-Tout ce que je veux dire, rétorqua Emma en haussant le ton, c'est que si on n'est pas en forme pour fêter Noël, peut-être que ce sera juste pire de forcer la main à tout le monde. Si ça se trouve, l'an, prochain, on sera tous réun...

Emma s'arrêta net. Henry venait de saisir une chaussette sur la cheminée avant de s'asseoir devant l'âtre éteint. La chaussette sur laquelle Blanche avait cousu le nom « BAELFIRE ». P'pa. Il avait été englouti par la malédiction que Pan avait jeté sur la ville, comme tout le monde, et Henry ne l'avait jamais revu. Il avait juste fini par apprendre que son père avait été tué. Pas un au revoir. Il était mort à un moment où Henry ne se souvenait même pas qu'il existait.

Un frisson glacé parcouru Henry lorsqu'il senti Emma dans son dos tenter de le serrer contre lui, et il s'esquiva maladroitement – non, pas maladroitement, brutalement. C'était méchant, il pouvait le voir dans le regard d'Emma mais il n'arrivait pas à s'en empêcher. C'était encore une chose que personne n'avait remarqué : Henry ne laissait plus personne le toucher depuis son enlèvement au Pays Imaginaire.

Emma s'agenouilla auprès de lui, véritablement inquiète maintenant.

-Hey, champion... quand est-ce que tu as déjà eu tord de croire en quelque-chose, hein? Si tu dis qu'ils viennent, ils viennent. On va les attendre, hein Killian ?

-Un vrai capitaine attends son équipage sur le pont toute une année si c'est le temps que ça prends, renchérit aussitôt Killian. Je reste avec le capitaine Henry.

Le pirate n'ajouta rien, mais sans cesser d'afficher le même calme, il se rapprocha de quelques pas, peut-être pour le rattraper. Très peu de choses échappaient à Killian : Henry vacillait, devenait blafard. Emma devait croire que c'était juste à cause de la situation. Quelque-chose venait de basculer dans l'estomac du garçon. Il tombait dans le vide, alors qu'il ne bougeait pas de sa place.

Ca allait le lui faire. Là tout de suite, devant Emma et Killian. Pourquoi maintenant? Il venait à peine de faire une crise, ce n'était pas juste. Il bondit sur ses pieds.

-Henry ?, fit Emma en se relevant.

-Tout doux mon grand, fit calmement Killian. Et si tu...

-J'ai pas envie, finalement, bredouilla Henry en détalant précipitamment vers l'escalier. C'était idiot, je vais me coucher.


Henry ouvrit sa fenêtre pour avoir un peu d'air frais et tomba à genoux, maussade. Il n'était pas différent de Rumplestiltskin qui passait ses journées à parcourir ses grimoires pour trouver un moyen de ramener Baelfire à la vie, ou de M'man qui ne sortait plus de chez elle. Il laissait ses problèmes le couper de tout le monde.

Peut-être que c'était ça, la vraie raison pour laquelle on s'éloignait des gens qu'on aimait. Chacun s'éloignait pour empêcher sa souffrance de blesser les autres membres de la famille et pour qu'on ne touche pas à la sienne.

Henry ne put s'empêcher de se dire que personne ne décorerait le sapin. C'était bête, mais c'était le truc qu'il avait le plus envie d'essayer. Pendant le Sort Noir, Régina ne fêtait rien, alors Henry n'avait jamais pu. Ca aurait dû être le premier Noël de Storybrooke, et la dernière année où Henry était encore un peu, rien qu'un tout petit peu un enfant. L'an prochain, ce serait trop tard.

Le garçon leva les yeux vers le ciel. Exactement sous cet angle, agenouillé devant la fenêtre, on aurait dit que la grosse étoile qui scintillait dans le ciel était posée sur la pointe de l'arbre au sommet de la colline de Storybrooke. Et soudain, Henry fut prit d'un élan d'espoir incontrôlable.

Il gigota un peu, hésita, puis décida qu'il fallait le faire bien et joignit carrément les mains, les yeux fixés sur la grosse étoile. Même s'il se sentait un peu bête.

-Hey..., murmura-il. Hum, l'étoile.

Allez. Ce n'était pas bizarre. Il ne se serait même pas posé la question, encore l'an dernier.

-Ca a toujours été un endroit pour les miracles, ici, murmura-il. Tout finit toujours par s'accomplir. Je sais que j'ai déjà beaucoup demandé. J'ai deux mères, et une... hum, vraiment grande famille. Mais puisque c'est Noël...

Les mots se coincèrent dans sa gorge. Il ne savait même pas vraiment ce qu'il voulait. Il avait juste peur. Vraiment, profondément peur, comme s'il était tout à fait seul pour la première fois. C'était idiot pourtant, Emma et Killian étaient en bas, même si Henry les entendaient déjà se disputer il savait qu'ils s'arrêteraient pour lui s'il redescendait.

Soudain, il sut ce qu'il voulait dire.

-La malédiction est brisée. Toutes les malédictions. Mais ça ne sert à rien, si nous réunir n'a fait que rendre tout le monde plus malheureux qu'avant, pas vrai? Je croyais qu'il suffisait d'y croire. J'ai... j'ai peur. Je crois que j'ai jamais eu aussi peur, et j'ai l'impression que je ne peux le dire à personne parce que tout le monde va mal. J'ai peur d'avoir tout fait rater. Tout ça est arrivé parce que j'ai ramené Emma et réveillé les souvenirs de tout le monde. Je regrette pas. Mais ça devait nous rendre tous heureux, et... je ne sais pas. Peut-être que si je n'avais pas été capturé par l'autre, si je ne lui avais pas donné mon cœur... mon père serait...

Il se secoua. Ce n'était pas de cette façon là qu'on faisait un vœu. Un vœu, ce n'était pas triste. Il n'y avait pas de raison d'être triste, parce que son vœu allait être exaucé. A part s'il demandait à ramener son père. Ou à ne jamais avoir été touché par Peter. Ou...

Il se secoua encore.

-J'ai besoin d'eux. Je crois que je n'ai jamais autant eu besoin d'eux, je sais que c'est égoïste. Je les aient tous rassemblés, tous ceux qui sont encore vivants. Leurs souvenirs sont revenus, les miens aussi, mais tout le monde va tellement mal. Mais je suis le plus Pur des Croyants, hein? Même quand j'ai tout raté. Alors je veux... si c'est ok, je vais croire juste encore une dernière fois. Je souhaites ramener un Noël qui pourras tous nous rassembler. Un Noël qui rappellera à tout le monde ce qu'on aurait pu être les uns pour les autres.

Et Henry attendit. Il attendit longtemps, jusqu'à ce que la neige commence à tomber et que la brise froide qui entrait par sa fenêtre commence à le faire frissonner.

Il attendit jusqu'à ce qu'une boule commence à se former dans sa gorge, et qu'il réalise que son dépit se muait en colère. Il défiait l'étoile du regard, maintenant. Ses mains se desserrèrent un peu.

-Tu sais quoi? Je m'en fiches, de toutes façons. C'est pas grave. Je commence à être trop vieux pour faire des v...

Henry se figea. L'étoile venait de faire... quelque-chose. Pas vraiment scintiller, plutôt palpiter une seconde, genre... un clin d'oeil. Mais non. Ce n'était que son imagination. Mais presque aussitôt, elle recommença. Henry se leva précipitamment. L'étoile tressaillait, s'élargissait. Une fleur qui s'épanouit. Puis Henry comprit. Elle ne grandissait pas.

Elle se rapprochait.

-Oh bon sang, bredouilla le garçon. Je vais prendre la punition de ma vie.

Soudain, le ciel tout entier s'embrasa et Henry fut projeté en arrière. Une boule de feu déchira l'obscurité. Henry écarquilla les yeux.

C'était pas une boule de feu. Le... truc qui descendait était nimbé de rayons ondulants de lumière blanche et écarlate. Ils semblaient danser à travers la ville, des guirlandes de soleil au beau milieu de la nuit. Henry poussa un cri émerveillé. Tout Storybrooke scintillait. L'étoile filante parait la neige de joyaux rouge, bleus et argentés dans son sillage. Les façades des maisons dévorées de givres se changeaient en miroir parés de milles reflets ondoyants. Les cristaux de glace au bord des toits et sur les branches des arbres vibraient, chantaient mille murmures qui semblaient presque former des mots en s'entrelaçant dans l'air brûlant. Sur la colline, le sapin aux branches chargés de neige avait l'air d'irradier, et l'étoile qui approchait derrière-lui flamboyait trop fort pour la regarder en face.

Personne n'avait vraiment pensé aux illuminations de Noël cette année, après tout ce qui était arrivé, mais pendant quelques secondes, Storybrooke fut paré de ses plus beaux atours, comme Henry en rêvait petit.

Puis Henry nota, un peu tard, qu'ils allaient tous mourir.

Il se jeta à terre quand la boule de feu rouge et blanche apparut clairement juste au-dessus des toits. Non... ce n'était pas une étoile, ni une boule de feu. L'espace d'une toute petite fraction de seconde, peut-être juste avant que le truc frôle le toit de sa maison, Henry le vit. Une forme un peu compliquée, trop vague, et pourtant aussi familière que la voix de M'man ou l'odeur du chocolat chaud.

Ce qui allait raser Storybrooke de la carte, c'était un traîneau.

Il l'avait sous les yeux, et l'instant suivant une explosion secouait la ville, peut-être tout le Maine, dans une note cristalline assourdissante qui déchaîna une tempête de neige dans la chambre d'Henry. Il entendait vaguement les cris de sa mère et Killian en bas, ou peut-être juste ceux de n'importe-qui.

Et puis aussi brusquement que ça avait commencé, tout s'arrêta.

Henry put enfin entendre les cris d'Emma qui appelait son nom. Le feu et les appels à l'aide à l'extérieur. Le garçon resta étalé sur le dos quelques secondes qui lui semblèrent durer une éternité, haletant, sous le choc, couvert de poudreuse... puis il sauta à nouveau sur ses pieds, surexcité.

-LE PERE NOËL VIENT DE S'ECRASER EN VILLE!, hurla-il à toute vitesse en dévalant les escaliers à moitié habillé.

-Attends moi !, s'écria Emma alors qu'Henry filait en claquant la porte de la maison.

-Attends, tu crois que c'est vrai ?, s'affola Killian en se relevant brusquement.

-Tu rigoles?, haleta Emma en mettant son blouson. On est à Storybrooke! Où est mon flingue ?!...

Apparemment, le Père Noël avait choisi d'anéantir la mairie. Henry n'avait eu aucun mal à retrouver son voeu, avec les immenses panaches de fumées qui montaient vers la nuit étoilée – et de toutes façons, il croisa un renne en feu fou de terreur qui remontait l'avenue principale, à moitié arnaché à un morceau de traîneau. C'était un indice.

Un attroupement s'était déjà formé sur la grande place. La façade de la mairie n'était plus qu'un tas de ruines, mais heureusement, le traîneau l'avait traversé à la façon d'une balle de fusil au lieu de s'ensevelir parmi les décombres. La foule était massé autour du cratère juste devant le bâtiment. Henry accéléra, haletant. Il avait couru tout le chemin depuis chez lui, si vite que M'man et Kilian ne l'avait même pas encore rattrapé.

Il se fraya un chemin parmi la foule, en réalisant distraitement qu'il commençait tout juste à ne plus arriver à profiter de sa petite taille aussi bien qu'avant – ses épaules étaient un poil plus large depuis quelques temps. C'était vraiment un traîneau. Les débris encore fumants, à moitié brûlés, s'étalaient sur le sol. On aurait dit un jouet cassé par un enfant géant furieux. Ou par un vœu souhaité vraiment, vraiment trop fort.

Archy tenta de retenir Henry, tout en gardant Pongo au bout de sa laisse :

-Henry attends, c'est dangereux !

Mais Henry n'écouta pas. Il bondit dans le cratère en dérapant.

Il devait savoir. Il devait en avoir le cœur net tout de suite. Oh mon dieu, et s'il avait tué le Père Noël? C'était pas une chose dont il pourrait se remettre. Il escalada maladroitement un gros morceau du traîneau pour retomber parmi les débris. Le cœur d'Henry manqua un battement lorsque quelque-chose remua sous un morceau de bois.

Un bras d'une pâleur cadavérique en émergea à tâtons, tremblant.

-Je vais vous aider !, s'écria Henry. Ne vous inquiétez pas, je suis là.

Il parvint à soulever la planche avec un peu d'effort. Lorsqu'il la rejeta enfin de côté, son cœur s'arrêta de battre devant la vision qui s'offrait à lui. Un instant son esprit devint tout blanc.

Puis des choses commencèrent finalement à remonter à la surface de ses pensées, lentement, dans l'ordre. Déjà, le Père Noël n'avait pas l'air blessé, ce qui était juste ahurissant. Ensuite...

Ce n'était pas le Père Noël.

C'était un garçon de l'âge d'Henry, un type avec de beaux cheveux si blanc qu'ils se confondaient avec la neige dans laquelle il était étendu, et des yeux rouges rubis.

Et pour finir, il était complètement nu.

Il gisait sur le côté, hagard. Sa peau était d'une pâleur de porcelaine sous la suie qui la recouvrait, si bien qu'elle semblait presque briller sous la lune, à travers la crasse. Ca n'avait pas de sens. Ca ne ressemblait à rien, même à Storybrooke. Trop de questions se bousculaient pour qu'Henry parvienne à en extirper une de sa gorge. A la place, tout ce qu'il parvint à lâcher, se fut :

-Mer... merci. Pour les illuminations.

Le garçon se contentait de regarder à travers Henry, haletant, les yeux écarquillés. S'il comprenait quoi que ce soit, il n'écoutait pas. Lorsqu'Henry tenta de tendre la main vers lui, l'ado tressaillit en ramenant ses genoux contre sa poitrine.

Une seconde, son expression ressembla tellement à celle d'Henry quand on essayait de le toucher que le jeune brun en fut bouleversé. Et puis, le garçon parla enfin, pour dire la seule chose qu'il n'aurait pas dû pouvoir dire:

-Henry Mills.

-Tu me connais?, murmura Henry sidéré. Est-ce que... c'est vraiment à cause du voeu?

-Ils savent, balbutia le garçon aux cheveux blancs le regard vitreux. Tout le monde sait.

Il ne le voyait même pas. Il ne l'avait pas reconnu du tout, il ne faisait que dire son nom. Henry ne put retenir un mouvement de recul. Chaque mot tremblait puis semblait se briser en tombant d'entre les lèvres fines du garçon, on aurait dit qu'il en découvrait l'horrible sens en les prononçant.

-...Quoi ?, osa Henry. Qu'est-ce que tout le monde sait?

-Krampus, haleta l'inconnu.

Et puis sa tête bascula en arrière et il perdit connaissance.