La tête d'un ours en peluche explosa, terriblement près de l'épaule d'Henry. Kris hurla en se jetant derrière une étagère, et le brun s'effondra près de lui dans le noir.
-D'où ils sortent?! Qu'est-ce qu'ils veulent?!, balbutia Heny en s'aplatissant sur le sol pour échapper aux tirs qui pleuvaient au-dessus de leur tête.
-J'en sais rien!, s'écria Kris terrorisé.
-Dans quel genre de conte de Noël on fait ça?!
-J'ai jamais dis que je venais d'un conte de Noël!
Les tirs cessèrent aussi brusquement qu'ils avaient commencés. Le magasin était si silencieux que les adultes auraient aussi bien pu avoir disparu. Henry était sous le choc. Il commençait à avoir l'habitude, pourtant. La magie, les vilains, les combats. Mais ce qui arrivait maintenant était simplement trop...
Normal.
Incroyablement normal. Des hommes normaux, avec des pistolets. Ça ne ressemblait à aucun contes, il avait l'impression que quelque-chose qui n'avait rien à y faire venait d'interrompre l'histoire, comme s'il avait passé ces dernières années plongé dans un livre et que quelqu'un venait subitement de le refermer. En fait, il aurait eu moins peur si on leur avait jeté des sortilèges.
Il tenta de jeter un coup d'oeil, et aussitôt un coup de feu lui explosa dans les oreilles. Kris se pressa par terre en criant de terreur.
-Ne hurle pas!, chuchota Henry.
-Ils nous canardent dessus, putain!, s'écria Kris blême de peur.
-Ils ont du mal à nous repérer! On a une chance si on ne fait pas de bruit, mais on ne peut pas rester là.
Henry n'avait jamais vraiment pu réaliser à quel point les dernières années l'avait rendu différent d'un garçon normal. Il était mort de peur, mais en fait... on avait déjà essayé de le tuer. Souvent. Et il avait l'habitude des coups de feu d'Emma ou James tellement plus bruyant que ceux qu'on montrait à la télé, ça ne rendait plus son esprit complètement blanc comme il y a deux ans. Il arrivait à repousser la panique, au moins pour un petit moment. Même si au fond il mourait d'envie de hurler en se recroquevillant dans sa cachette.
Il prit une grande inspiration et s'engagea dans l'allée principal, suivi de Kris, mais presque aussitôt un coup de feu les força à se cacher dans le rayon des jeux vidéos. Les hommes en costume cravate les coinçaient peu à peu au fond du magasin de jouets, ils s'étaient déployés pour s'assurer qu'Henry et Kris n'aient aucuns moyens de sortir. A chaque fois que les garçons tentaient de passer dans un autre rayon, un coup de feu.
-Ils sont quatre, haleta Henry d'une voix chevrotante, ils n'ont qu'une arme chacun, je crois qu'ils ne savent pas trop où ils sont tombés.
Il commença à trembler lorsqu'il entendit les homme en costumes s'approcher de tout côtés. Ils se déplaçaient dans le plus grand silence, et ils les localisaient de mieux en mieux.
Henry se plaqua contre l'étagère. C'était celle des voitures télécommandées.
-Tout va bien se passer, assura-il à Kris à côté de lui, c'est... pas la première fois qu'on essaye de me... enfin, on s'en sort toujours, tu vas voir.
-Comment?!, haleta Kris. Comment on s'en sort?!
-Heu... en général, on ne penses à rien.
-Ne penser à rien? C'est ça, ton truc pour toujours s'en sortir?!
-Chut! Je veux dire, on fait ce qu'on a à faire, on court! Si on réfléchit à ce qu'il se passe on va complètement perdre la tête.
Oui, voilà comment Henry avait survécu, voilà pourquoi il était tellement plus terrifié cette fois-ci. Face à leurs aventures il avait toujours pu se dire que tout faisait partie d'une histoire, rien ne pouvait jamais avoir l'air entièrement réel. Comme les contes du livre. S'il faisait partie d'une histoire, tout finirait bien, il pouvait y croire. Là, Henry avait l'impression que le monde avait arrêté de jouer pour la toute première fois.
-L'important, insista le brun en tentant d'avoir l'air sûr de lui, c'est de rejoindre ma famille aussi vite que possible!
-L'important c'est d'appeler la maréchaussée!, rétorqua Kris en se recroquevillant un peu plus par terre.
La maréchaussée? Qui appelait encore la police comme ça?!
C'est peut-être bien eux, la police, songea Henry avec effroi.
Pas littéralement, sûrement pas. Mais, les pistolets, les costumes... tout ça avait l'air officiel. Incroyablement officiel, dans une ville où on n'avait même pas d'élection pour choisir le maire et où n'importe-qui avait l'air de pouvoir devenir shérif en levant la main.
Ils bondirent dans l'allée principale pour rejoindre un autre rayon plus loin de la porte, deux silhouettes à peine discernables dans la pénombre, et pourtant un nouveau coup de feu déchira la nuit presque tout de suite. Les oreilles d'Henry sifflait à l'en rendre sourd.
Un seul coup de feu, nota Henry. Ils ne tirent que quand ils sont sûrs. Ou peut-être... qu'ils ne veulent tuer que l'un de nous deux?
Soudain, Henry eu une idée. Il se saisi d'une voiture et commença à déchirer l'emballage, puis une autre.
-Qu'est-ce que tu fais?, s'étrangla Kris.
-Je les adore celle-là, j'en avais une rouge quand j'étais petit.
-Ça y est? T'as perdu la boule comme t'avais dis, c'est ce truc là?!
-Mais non, haleta Henry sans cesser de déballer des jouets. Tu vas voir, elles marchent sans pile! Hé, comment ça se fait que tu peux parler, d'un coup?
-J'sais pas, bredouilla Kris. Je... je comprends pas bien. Je sais pas ce que je fais là, il y avait... un monstre, et...
-Ok. Ok, plus tard, les questions. On a besoin de magie, et moi je n'en ai pas. Il va falloir qu'on sorte par derrière.
-Comment tu sais qu'il y a une sortie derrière?, chuchota Kris.
-Ben... il faut qu'il y en ait une, sinon on est fichus. Parfois, il vaut mieux se contenter de croire. Viens vite – sans faire de bruit.
Très lentement, ils risquèrent un œil dans l'allée principale du magasin plongé dans la pénombre. Un homme restait posté devant l'entrée.
Un. Et il ne bougera pas quoi qu'il arrive.
Les autres n'étaient nul-part en vue. Henry se saisit d'une première voiture... et la lança dans l'allée de toutes ses forces. Kris faillit s'étrangler. Le jouet commença à émettre un long bruit de sirène de police et fonça droit devant.
-Elle bouge toute seule, bredouilla Kris. C'est... c'est des diableries de sorcier.
Un homme en costume surgit instantanément de l'ombre pour se ruer dans le rayon d'où provenait la sirène, mais Henry lança une deuxième voiture dans une autre direction, puis une troisième. En quelques instants, une bonne dizaines de voitures hurlaient dans tous les rayons alentours, leur hululement à peine dominés par les cris des hommes en costumes. Henry cru même entendre quelqu'un glisser et s'effondrer lourdement sur le sol.
Deux.
-Maintenant!, chuchota Henry.
Ils n'auraient pas d'autres chances, il y avait trop de bruit pour qu'ils se fasse repérer et Henry venait de lancer autant de fausses pistes que possible. Son sang se glaça dans ses veines quand ils passèrent dans le dos d'un homme en costume qui inspectait le rayon des poupées.
Trois.
Le petit brun dû faire un terrible effort pour ne pas crier lorsqu'un nouveau coup de feu retentit plus loin.
Quatre. C'est le dernier. Ne crie pas, ne pleure pas, c'est une bonne chose, tu sais où ils sont. Ne hurle pas. Du calme.
Kris suivi Henry jusque dans l'allée des jeux de société... et soudain, ils tombèrent sur un cul de sac.
-Merde, marmonna Henry alors que des bruits de cavalcade se rapprochaient derrière-eux. Merde, merde, merde!
Kris donna un coup d'épaule dans l'étagère au fond du rayon de toutes ses forces.
-Ils vont nous entendre!, protesta Henry.
-Alors aide-moi!
A deux, ça ne dura qu'un instant: l'étagère toute entière s'effondra sur l'homme qui se trouvait juste derrière – un homme qui n'était absolument pas avec les autres quand ils avaient commencés à tirer au début. L'agent poussa un hurlement de douleur et un craquement sinistre s'éleva dans le noir lorsque Kris bondit sur l'étagère renversée. Ça ne servait à rien d'essayer de les compter, songea Henry. Il y avait peut-être des hommes en noir partout. Ils avaient peut-être déjà cernés le centre commercial, ou même tué sa famille, peut-être qu'ils...
Calme-toi. Cours. Si tu as peur, cours et c'est tout, ne pleure pas, ne hurle pas, accélère!
Ils foncèrent tout droit. Henry n'était même pas sûr qu'ils se dirigent vers le fond du magasin, il n'était même pas sûr de devoir chercher au fond, mais le sang-froid l'abandonnait pour de bon, il n'était plus capable de penser. Il aurait affronté n'importe-qui à l'épée plutôt que continuer avec les pistolets et l'obscurité.
Il tâtonna frénétiquement derrière le dernier rayonnage, jusqu'à réaliser qu'il se trouvait au-dessus d'une led verte. Henry aurait pu en pleurer de soulagement. Une porte de service. Il l'ouvrit en priant pour qu'elle ne mène pas dans la réserve ou quelque-chose du même genre, et tomba sur un local à poubelle. Et une porte de plus, au fond. Kris se rua dessus, mais Henry l'arrêta avec des gestes frénétiques et l'incita à se plaquer avec lui juste derrière.
Il repensait à la façon dont les adultes s'étaient aussitôt répartis l'espace pour s'assurer de les empêcher d'atteindre la sortie principale. Si des gamins pouvaient penser à sortir par derrière, alors pourquoi pas les hommes en costume?
Henry se saisit d'un extincteur accroché non loin et ouvrit prudemment la porte en restant caché derrière. En une fraction de seconde, une femme en costume cravate s'avança dans la pièce, son arme braqué devant elle. Henry bondit et abattit l'extincteur sur elle de toutes ses forces. Le jeune garçon n'avait jamais entendu quelqu'un s'effondrer comme ça, avec ce bruit horrible.
Une seconde, les garçons restèrent figés devant le corps inerte de la victime d'Henry, hébétés. Il avait fait un tas de choses, mais il n'avait jamais...
-...est-ce que je l'ai tué?, balbutia Henry d'une voix blanche.
-On s'en tamponne, haleta Kris en l'attrapant par le bras pour le tirer vers la sortie.
Henry se dégagea aussitôt en réprimant un cri, mais il parvint à détacher son regard de la femme en costume.
Ne penser à rien.
Survivre.
Ils s'élancèrent dans un nouveau couloir du centre commercial en courant aussi vite que possible. Sans se le dire, ils avaient bien compris tous les deux que ce serait stupide de tenter de sortir par le hall principal. Et si d'autres hommes les attendaient là-bas? Henry regrettait terriblement d'être parti à la poursuite de Kris sans personne.
-«Que me soit donné la force d'accepter ce qui ne peut être changé», haleta Kris tout bas comme une prière, «le courage de changer ce qui peut l'être, et le discernement pour les différencier l'un de l'autre».
-Pourquoi tu dis ça?
-Je... je sais pas...
Ils durent faire demi-tour deux fois, en avisant au bout d'un couloir d'autres hommes en costumes qui se lançaient aussitôt à leurs trousses.
-Mais combien ils sont?!, s'écria Kris trempé de sueur.
-Il faut..., haleta Henry, qu'on gagne un maximum... de temps... même si on ne sort pas...
Il n'en pouvait plus. Il n'avait plus d'idées, plus la moindre, il se sentait comme une souris de laboratoire courant dans un labyrinthe, comme si on le regardait d'en haut. Tous ce que deux ados pourraient faire, ceux qui étaient derrière tout ça l'avait imaginé un million de fois. Il y aurait des ennemis à toutes les sorties. Ils étaient déjà coincés.
Après mille et un détours, ils débouchèrent sur la grande place du centre commercial, un carrefour au sol de marbre au centre duquel bruissait une grande fontaine. Au-dessus d'eux, le plafond vitré laissait abonder la lumière de la lune, et plusieurs étages de balustrades couraient le long des murs. Ils s'assurèrent bien de ne voir personne avant d'oser s'avancer au milieu de la place, et pourtant, cinq secondes plus tard, au moins dix crans de sécurité claquèrent dans le silence. Des hommes en costumes surgirent de l'entrée du cinéma, de l'escalator qui menait à une sortie, de l'escalier qui menait au parking souterrain, et Henry comprit que Kris et lui n'avaient absolument rien fait d'autre que se laisser mener précisément là où on voulait les amener.
-Attendez, haleta Henry en levant les bras. Attendez!
Les hommes continuèrent à avancer comme s'ils ne l'entendaient même pas. Ils étaient au moins dix, et, comme une proie à la fin de la chasse, Henry pu presque sentir celui qui était chargé de l'abattre, juste en face de lui.
Les deux garçons reculèrent contre la fontaine, désespérés. Une seconde, il sembla à Henry ne plus rien voir d'autre que le fond du canon de l'arme avançant vers lui, un puits sans fond comme prêt à l'engloutir, puis Kris poussa un hurlement et le monde explosa.
Le brun réalisa qu'il avait fermé les yeux uniquement quand il les rouvrit, en sueur, tremblant de tous ses membres. Il était vivant. Il n'avait mal nul-part. Les hommes en costumes regardaient, bouche bée.
Henry loucha. La balle s'était figée en plein vol, à moins de trente centimètre de son front.
