Chapitre IV : Les Impardonnables

Le souffle coupé et les membres endoloris, Bellatrix se sentait dans un état second, ainsi affalée contre le mur de pierre. Certains détails futiles du « sanctuaire » qui ne l'avaient jusqu'à lors jamais interpellés attiraient soudainement son attention. La veille, elle avait été trop fortement chamboulée par la présence de Lord Voldemort pour observer l'endroit avec application. Cette nuit-là, piégée dans les affres de la douleur, elle découvrit, hagarde, les plafonds sculptés avec finesse, traçant des arcs dans la pierre froide, les visages effrayants dans les coins angulaires qui dépeignaient des scènes infernales ainsi que d'anciennes écritures gravées sous les alcôves couvertes d'humidité. Elle se demanda une nouvelle fois où se trouvait-elle exactement mais la douleur, trop intense, lui fit oublier cette réflexion.

Lord Voldemort l'avait accompagnée la première fois sans lui expliquer comment elle pouvait rejoindre l'endroit par ses propres moyens. Pourtant, à sa grande stupéfaction, le simple fait de se remémorer cette pièce et celui qui hantait ses murs avait suffi à l'emmener à bon port au moment de transplaner.

La leçon du jour portait sur le Doloris : le sort de torture. Bellatrix avait d'abord imaginé que le Seigneur des Ténèbres utiliserait un cobaye comme il l'avait fait la veille avec l'Imperium mais force fut de constater que la méthode avait un peu changé.

Essoufflée et pétrie de douleur, Bellatrix tentait de retrouver ses moyens alors que Lord Voldemort l'observait. Il se tenait debout au centre de la pièce, sa baguette magique entre les doigts. Bellatrix ne perçut aucune émotion sur son visage, si ce ne fut un certain ennui. Cette constatation l'avait ébranlée et incapable de soutenir le regard du mage noir, elle s'était tournée vers l'architecture de la pièce, tout en s'efforçant de ne pas s'évanouir.

Après de longues minutes, Bellatrix reprit contact avec la réalité et se redressa, parvenant non sans mal à tenir debout.

– Pardonnez-moi mon seigneur… murmura-t-elle avec affliction.

Lord Voldemort ne répondit rien. Il continuait de la regarder avec ce même air ennuyé.

– Je ne pensais pas… qu'une telle douleur pouvait exister…

Le mage noir leva un sourcil de façon presque imperceptible mais ne troubla pas son mutisme.

– Votre puissance est infiniment grande…

Cette réplique provoqua enfin une réaction chez le mage noir qui esquissa un léger sourire.

– En effet, ma chère Bellatrix.

– Je suis désolée pour ce matin, je n'ai pas réfléchi sous le coup de la colère, répondit-elle, honteuse.

– Ce maléfice n'est pas aussi implacable qu'il en a l'air, déclara Voldemort sans prendre la peine de répondre à la jeune fille, il est nécessaire d'en connaître la puissance pour s'en prémunir plus facilement. Il est possible d'apprivoiser la douleur…

– Je l'avais déjà expérimenté… coupa Bellatrix sans pouvoir s'en empêcher.

– Ne m'interromps pas ! s'exclama le Seigneur des Ténèbres avec irritation mais son regard se fit soudain intéressé, tous mes mangemorts ou futurs mangemorts sont soumis à ce sort par mes soins car il est absolument essentiel de s'endurcir. Les Aurors, si bons pensants soient-ils, n'hésiteront pas à l'utiliser contre toi, si te prenais la très mauvaise idée de te faire arrêter…

Bellatrix n'avait jamais réellement pensé à cette éventualité. Elle savait, bien évidemment, que le Seigneur des Ténèbres avait choisi depuis un moment maintenant de parvenir à ses fins par la force. Par conséquent, il était évident qu'elle deviendrait maintenant l'ennemie des Aurors mais l'idée qu'elle puisse finir à Azkaban ne l'avait pas effleurée un instant… Étrangement, cela ne l'effraya pas. Après tout, elle serait du côté des vainqueurs et au final, elle serait toujours récompensée pour avoir aidé l'ascension de Lord Voldemort.

Il s'approcha d'elle, le sourire maintenant clairement visible sur les lèvres.

– J'aurais pu commencer doucement et tenter de t'accoutumer à la douleur petit à petit mais il est vrai que j'ai été quelque peu contrarié par ta bêtise aujourd'hui. Quel intérêt avais-tu de mettre en danger notre petit secret ? Ne t'avais-je pas prévenu de ne pas lever le doute sur nos rencontres ? Et voilà que tu utilises les méthodes que je t'ai apprises pour régler tes petites affaires…

Le ton n'était pas froid mais plutôt doucereux, amusé, presque condescendant. Bellatrix déglutit sous le regard du Seigneur des Ténèbres et la sensation brûlante d'avoir pu le décevoir.

– Lestrange est absolument exécrable… répondit-elle tout en sachant son excuse stupide.

Lord Voldemort s'approcha davantage.

– Serait-ce également lui l'impudent qui a osé te soumettre au Doloris ? s'enquit-il avec ce même ton moqueur.

– Oui, mon seigneur.

– Qu'as-tu pu constater en comparant son Doloris au mien ?

– Le sien me paraissait déjà insupportable, mais ce n'est rien comparé au vôtre…

Voldemort sourit. Il était si proche que cela aurait pu devenir extrêmement inconfortable si Bellatrix n'était pas encore en proie aux séquelles du maléfice de torture. Légèrement étourdie, comme enivrée, elle plongea dans une liesse sans nom lorsque le Seigneur des Ténèbres posa doucement sa main contre la peau de sa joue. Il dessina le contour de ses lèvres comme il l'avait fait la veille puis sa main s'égara vers son cou où ses doigts s'écartèrent légèrement comme pour recouvrir l'étendue de cette partie gracile de son anatomie.

– Et j'aspirais seulement à ce que tu comprennes la leçon et t'endurcisses. Imagine seulement à quel point mon Doloris serait intolérable si j'avais été énervé, profondément déçu ou pire… trahi…

Lord Voldemort prononça ces mots sans acidité mais utilisa au contraire un ton presque doux. Bellatrix sentit pourtant ses sens se glacer et toute torpeur enjôleuse s'envoler car dans les yeux noirs du sorcier, elle distingua nettement l'éclat rouge vif de la rage. Lord Voldemort n'était pas tourmenté mais de toute évidence, il ne lui avait pas dit cela de façon anodine. Bellatrix était maintenant prévenue : Lord Voldemort ne tolérerait aucune autre erreur de sa part.

Sa main cessa de caresser sa peau et il se détourna.

– La prochaine fois, tu apprendras à lancer le Doloris. Avec un peu de travail, tu arriveras sans peine à lancer des maléfices plus destructeurs que ceux de ton fiancé… À utiliser seulement après ton intronisation.

Bellatrix ne put s'empêcher de sourire et aurait pu jurer déceler la trace d'un regard complice de la part du Seigneur des Ténèbres.

XxXxXxX

– Je sais que tu ne m'as jamais pardonné que nous soyons fiancés, murmura Rodolphus, les lèvres effleurant la peau fine de son cou.

Il l'avait piégée dans son propre Manoir alors qu'elle s'apprêtait à rejoindre sa chambre. La maison dormait au rythme des pendules ancestrales il était en effet déjà tard lorsque Bellatrix était rentrée de son énième rencontre avec le Seigneur des Ténèbres. Elle n'avait pas remarqué la présence de Rodolphus sur le palier de sa chambre. Tout habillé de noir, sa silhouette s'était aisément fondue dans le décor et la fatigue extrême de la jeune fille ne l'avait pas prédisposée à être très vigilante. Maintenant plaquée contre le mur, il lui chuchotait tout un tas d'inepties en tentant d'égarer ses mains le long de ses hanches. D'un geste un peu découragé, elle refusait ses nombreuses tentatives tout en s'efforçant de ne pas soupirer trop bruyamment. Elle peinait déjà à être discrète lorsqu'elle s'éclipsait, ce n'était pas pour se faire surprendre à cause de Rodolphus au moment de son retour.

– Je n'aurais pas dû réagir ainsi mais tu as le don de me rendre complètement fou…

– Je suis fatiguée, on parlera une autre fois, répondit Bellatrix d'un ton las.

– Où pars-tu ainsi tous les soirs ? chuchota-t-il d'une voix calme (mais Bellatrix pouvait reconnaître que c'était le prix d'un violent effort).

Les mains de Rodolphus atteignirent les cuisses de Bellatrix et se figèrent soudainement. Les yeux noirs du jeune homme soutinrent le regard un peu inquiet de sa fiancée. Le tissu de sa robe était trempé et visqueux.

– Tu es… humide… constata-t-il d'un air incertain.

– Mmh, j'ai pris la pluie, se justifia Bellatrix un peu stupidement avant de se défaire de son emprise et de s'enfuir vers sa chambre.

Il la retint par le bras et la ramena contre lui. Le dos plaqué contre son torse, elle sentit une fois de plus ses lèvres contre son cou, sa respiration brûlante, ses mains fébriles qui semblaient ne pas pouvoir se rassasier d'elle.

– Oh ma Bella, ce n'est pas de la pluie sur ta robe mais du sang… Nous autres, mangemorts, nous savons bien le reconnaître.

Le souffle de Bellatrix se bloqua dans sa poitrine : il ne fallait surtout pas qu'il comprenne qu'elle rencontrait le Seigneur des Ténèbres ! Il lui avait bien précisé qu'il lui était interdit de répéter qu'elle était en contact avec lui et qu'elle serait peut-être bientôt marquée.

Un rire rauque s'échappa de la gorge de Rodolphus.

– Et dire que je t'imaginais fricoter avec d'autres hommes…

Bellatrix se retourna vivement vers lui, les yeux brillants.

– Cela restera ton seul privilège, n'est-ce pas ? susurra-t-elle tout contre ses lèvres.

Rodolphus émit un grognement de désir et voulut l'embrasser mais Bellatrix s'échappa, recula à pas lents, et lui offrit un sourire dangereusement angélique avant de s'enfermer dans sa chambre.

– Merde, siffla-t-elle une fois couchée, prise de panique à l'idée que Rodolphus découvre ce qu'elle faisait réellement tard la nuit hors de chez elle.

Je dois détourner son attention,pensa Bellatrix. Elle serait implacable. Il rêvait d'elle, la désirait ardemment. Il lui suffisait de le laisser rêver. Qu'il s'endorme au rythme de ses propositions cachées. Elle devait être subtile. Elle apprivoiserait le désir de Rodolphus, et une fois bien serré au creux de son poing, elle ne le laisserait plus partir. Elle le regarderait panteler pathétiquement jusqu'à ce qu'elle soit devenue officiellement un mangemort.

XxXxXxX

Deux semaines plus tard, Bellatrix transplanait de nouveau au Sanctuaire. Un curieux mélange de mélancolie et d'anticipation la secouait alors que ses yeux parcouraient la pièce froide Lord Voldemort n'était pas là. Elle était arrivée en avance, de toute façon. Elle savait qu'elle s'apprêtait à vivre sa dernière nuit ici. Le Seigneur des Ténèbres l'avait prévenue : elle était presque prête. Ces dernières semaines, elle avait retrouvé le mage noir quasiment un soir sur deux, parfois à minuit, parfois bien plus tard dans la nuit. Chaque fois, elle avait appris un nombre incalculable de choses, tant sur la magie noire que la magie traditionnelle. Lord Voldemort était un excellent professeur : il n'était ni patient ni gentil mais ses explications étaient claires et précises, il tolérait les erreurs si elles étaient rapidement rectifiées et comprenait immédiatement ce qui la freinait à accomplir correctement tel ou tel maléfice.

Lorsqu'elle devait se concentrer et lancer un sort difficile, il se tenait toujours à proximité d'elle. Elle le sentait presque imperceptiblement briser les barrières de son esprit, faire dérouler ses pensées, ses blocages. Parfois, elle le sentait même dans ses veines, là où sa magie se mélangeait à son sang. Il la rendait euphorique. Il observait calmement ses réactions, ses résultats en l'aidant de sa propre magie au début puis la laissant produire ses effets seule.

Bellatrix se demandait si Lord Voldemort avait été d'une telle méticulosité avec les autres mangemorts. À en croire les dires de Rodolphus, il n'avait jamais eu droit à de telles séances privées avec son maître. Cela laissait Bellatrix intriguée et étrangement heureuse.

Elle savait que ces cours particuliers allaient énormément lui manquer. Au fur et à mesure de ces rencontres, Bellatrix s'était sentie proche du Seigneur des Ténèbres. Il ne l'avait plus jamais punie depuis son cours sur le Doloris… Rodolphus l'avait beaucoup inquiétée ces derniers temps mais il n'avait jamais semblé percer à jour son secret. Le seul problème maintenant était qu'il était devenu incontrôlable. Il venait la voir quasiment tous les jours, quémandant un baiser ou une caresse. Il l'observait sans cesse, le feu dans les yeux, avec la sombre envie de l'embrasser. Bellatrix l'avait entendue murmurer ces mêmes mots chaque jour : il lui chuchotait tous ses désirs à l'oreille, son souffle chaud se perdant dans le cou de Bellatrix. La jeune fille était restée au contrôle en apparence mais intérieurement, elle était perdue. Rodolphus n'exerçait aucune attirance sur elle. Il n'était pourtant pas laid mais elle n'aimait pas le contact de ses mains sur sa peau et ses yeux fous l'effrayaient. Le mépris qu'elle ressentait à son égard ne semblait pas vouloir s'estomper… Elle ne parvenait pas un instant à s'imaginer dans un lit avec lui alors que tout ce qui hantait ses pensées était la voix de Lord Voldemort lui murmurer de se concentrer plus et de recommencer encore et encore et encore.

Bellatrix frémit. Son mariage était prévu dans trois jours. Il ne lui restait que ce laps de temps pour convaincre Lord Voldemort de briser son union. Elle ignorait cependant comment aborder le sujet. Lord Voldemort ne lui devait rien… encore. Bellatrix s'apprêtait à lier sa vie à la sienne mais cela signifiait-il qu'elle était en droit de lui demander un service ? Cette simple idée semblait passablement outrageuse et déplacée. Qu'était-elle pour demander cela de Lord Voldemort ?

Bellatrix s'assit sur le banc qui au rythme des cours particuliers avait fini par perdre toute la poussière qui était auparavant accumulée dessus. Elle inspira profondément. Elle aurait pu se contenter de ces moments-là toute sa vie : attendre son maître, apprendre, travailler. Ce mariage infect était la seule ombre au tableau.

Un bruit sourd se fit entendre et Lord Voldemort apparut devant elle. Il était élégamment habillé. Bellatrix l'avait rarement vu vêtu de vêtements aussi somptueux. Dans ses souvenirs, il ne l'avait été que lors de ses fiançailles, de longues années auparavant. Comme d'habitude, la totalité de ses vêtements était noire mais elle reconnaissait les tissus précieux et joliment travaillés. Une fois de plus, Bellatrix était émerveillée par sa stature, sa hauteur, son étrange et ensorcelante beauté.

– Bonsoir Bellatrix.

– Bonsoir mon seigneur, répondit-elle poliment.

Elle n'osait pas lui demander s'il y avait une raison particulière à son élégance, ce soir-là.

– Évidemment, Bellatrix, nous ne resterons pas ici ce soir.

Bellatrix rougit un peu. Il avait encore lu dans ses pensées.

– Un jour, je t'apprendrai à contrôler cet impertinent esprit qui est le tien mais pas avant d'être absolument certain de ta loyauté, expliqua-t-il d'une voix bizarrement moins froide que d'ordinaire.

Il ne semblait pas à proprement parler joyeux ou guilleret (Bellatrix n'imaginait sous aucune circonstance Lord Voldemort être guilleret), mais il semblait plus léger, serein presque heureux. Bellatrix ne put s'empêcher de sourire.

– Bien-sûr, mon seigneur, répondit-elle sans prendre offense de son manque de confiance. Où allons-nous ?

– Nous allons dîner et accessoirement finir ta formation de mangemort par le plus important de tous les sorts.

– D… dîné ? bredouilla Bellatrix, incertaine.

Lord Voldemort sourit.

– Qui l'eût cru ? Une fille peut réellement avoir un intérêt, parfois.

Bellatrix observa le mage noir quelques secondes, essayant de deviner s'il était absolument sérieux avec elle ou s'il plaisantait. À son expression, elle comprit que la situation avait beau être inhabituelle, elle n'en était pas moins très réfléchie.

– Il est déjà minuit… fit remarquer Bellatrix.

– Pas où nous allons, rétorqua Voldemort, prends mon bras.

Bellatrix avait envie de poser plus de questions mais elle obtempéra tout de même, croisant un court instant le regard du Seigneur des Ténèbres. Presque aussitôt, elle reconnut les sensations caractéristiques du transplanage. Le voyage dura infiniment plus longtemps que ses habituels trajets. Au moment où ses pieds touchèrent de nouveau le sol, Bellatrix sentit un violent tournis la saisir. Elle s'accrocha fortement au bras du mage noir en faisant appel à toutes ses forces pour ne pas s'évanouir ou pire… vomir aux pieds de Lord Voldemort.

– Ouvre les yeux, Bellatrix, ordonna-t-il d'une voix froide.

Elle s'exécuta et son regard se posa sur un des boutons en argent qui décorait la cape du Seigneur des Ténèbres. Elle se concentra dessus jusqu'à ce que sa tête cesse de tourner.

– Respire.

Elle leva enfin ses yeux embués de larmes vers ceux de Lord Voldemort.

– Où sommes-nous ? demanda-t-elle.

– Regarde autour de toi.

Bellatrix aperçut derrière Voldemort l'étendue calme de ce qui semblait être la mer ou un énorme fleuve dans la pénombre du crépuscule. Au loin, elle aperçut un pont éclairé qu'elle reconnut aussitôt. Elle n'était jamais venue ici mais qui ne connaissait pas ce célèbre pont aux mille câbles éclairés de toute part ?

– New York ? chuchota-t-elle avec circonspection.

– New York ou la ville la plus répugnante de cette planète… confirma Lord Voldemort, en soupirant.

Bellatrix ne put s'empêcher de laisser échapper un léger rire. Être en compagnie de Lord Voldemort au pied du pont de Brooklyn semblait absolument irréel. De façon générale, les sorciers britanniques méprisaient les États-Unis et a fortiori la ville de New York : elle était peuplée d'un nombre affolant de moldus et de sang-de-bourbes. De plus, une quantité non-négligeable de traîtres à leur sang s'étaient également exilés lors de l'ascension de Gellert Grindelwald.

– La ville de tous les excès, n'est-ce pas ? Et si nous n'y prenons pas garde, Bellatrix, notre chère Angleterre deviendra elle aussi le terrain de jeu des moldus et autres déchets. Ici ne s'étend que le début de la contamination si je ne fais pas quelque chose pour y remédier.

– Avec mon assistance, si vous le désirez, mon seigneur, ajouta Bellatrix, un sourire aux lèvres.

– Laisse-moi être le juge de cela, répondit Lord Voldemort. Te sens-tu encore étourdie ?

– Non, je vais mieux, répondit Bellatrix, pardonnez-moi je n'ai pas l'habitude de transplaner aussi loin.

– Bien, nous allons rejoindre quelques sorciers dans un de ces hôtels particuliers. La plupart ne me connaît pas sauf l'un d'entre eux qui semble s'intéresser de près à mes activités. Écoute-moi attentivement car tu t'apprêtes ici à accomplir ta première mission.

Bellatrix acquiesça avec solennité.

– Nous allons commencer par dîner avec eux. Tu t'apercevras vite qu'ils viennent tous de bonnes familles européennes principalement autrichiennes et russes. Ils ont fui ici en 1945 après la chute de Grindelwald : ils étaient tous dans son cercle intime d'amis et il était plutôt mal vu de rester en Europe lorsque Dumbledore l'a fait enfermer.

Jusque-là, Bellatrix maîtrisait la situation. Elle connaissait également ces sorciers qui avaient fui après la neutralisation de Grindelwald. Ils n'étaient pas plus dignes à ses yeux de s'enfuir comme des lâches au moment où la vieille Europe manquait cruellement de sorciers au sang pur, sûrs de leurs idées et prêts à véhiculer les bonnes pensées.

– Selon les informations que j'ai pu collectées, ils ont beaucoup entendu parler de moi et ont souhaité me rencontrer. Tu n'as pas besoin d'en savoir davantage pour l'instant. Ne parle que si je te l'ai autorisé et sois bien élevée.

Sur ces mots, Voldemort avança vers l'un des bâtiments majestueux qui longeaient l'avenue. Un portier habillé comme un moldu gardait l'entrée.

– Mon seigneur, je ne suis pas habillée pour dîner, murmura-t-elle.

Lord Voldemort la gratifia d'un sourire amusé.

– Ne dis pas de bêtises, Bellatrix, tes robes sont toujours ravissantes.

La jeune fille accueillit ce compliment avec plaisir : elle avait toujours craint d'être habillée de façon trop aguicheuse pour le Seigneur des Ténèbres mais force était de constater que cela ne lui déplaisait pas. Voldemort montra sa baguette d'un geste discret au portier qui leur ouvrit immédiatement la porte. À l'intérieur, une élégante femme d'une quarantaine d'année les accueillit avec un grand sourire.

– Bonsoir ! Bienvenue au Grand Hotêl, déclara-t-elle avec chaleur.

– Bonsoir, je suis Lord Voldemort et voici ma fiancée, nous devons rejoindre Dmitri Jdanov et ses invités.

Le cœur de Bellatrix manqua un battement. Voilà bien un détail que le Seigneur des Ténèbres s'était bien gardé de dévoiler. Sa fiancée ? Elle sentit un frisson délectable lui parcourir l'échine. Merlin, que ses mots dans sa bouche semblaient soudainement tellement beaux. Se sentant maintenant investie de la mission de représenter la fiancée du plus grand sorcier de tous les temps, Bellatrix se remémora tous les conseils de savoir-vivre de sa tante Walburga et de sa mère.

Le couple pénétra à l'intérieur du somptueux restaurant accompagné de l'hôtesse qui les menèrent jusqu'à la table de Dmitri Jdanov. Tous les regards s'étaient tournés vers eux dans la pièce. Ici se regroupaient tous les sorciers de la plus haute société qui s'étaient exilés et se retrouvaient au milieu de l'enfer des moldus, essayant d'oublier leur environnement en sirotant des Whisky pur feu et en se remémorant la bonne époque du début du siècle.

Le couple britannique dépeignait un tableau sombre et dangereux : tous les deux de noir vêtu, les cheveux sombres, la peau blanche, ils suintaient la magie noir, l'Europe, l'ancestralité du sang et des traditions. Lord Voldemort, de par sa grande taille et son aura comprimée d'une impossible puissance, inspirait une frayeur terrible. Il était placide, froid et son visage était marqué par des expériences maléfiques. Cela n'altérait pourtant pas son charisme. À ses côtés, Bellatrix, grande elle-aussi, élancée et d'une beauté à couper les souffles ne semblait pas beaucoup plus amène. Elle agrippait moins les esprits d'une sensation de malaise contrairement à Voldemort mais son air extrêmement fier, sa démarche altière et son regard froid eurent tôt fait de convaincre tous les clients du restaurant qu'elle n'était pas à sous-estimer.

À la table de Dmitri Jdanov, une dizaine de sorciers buvaient un apéritif, l'air guindé et l'œil scrupuleusement fixé sur eux. Un sorcier d'âge mûr s'éleva de la table et leur esquissa un large sourire :

– Et voici l'homme dont je vous parlais, Lord Voldemort. Croyez-moi, ce sorcier fera parler de lui ! Bienvenue mon ami ! s'exclama Jdanov avec un fort accent slave.

– Merci Dmitri, répondit Lord Voldemort avant de saluer d'un signe de tête la femme de Jdanov à ses côtés, et les autres invités.

– Mon cher Voldemort, je ne vous imaginais pas si bien accompagné… avoua Jdanov en posant les yeux sur Bellatrix.

La jeune fille soutint le regard perçant de l'homme. Il était vieillissant mais il était aisé de reconnaître dans la surface glacée de ses yeux bleus la vigueur d'une magie puissante. Son visage était craquelé de rides autour de sa bouche et des yeux, comme s'il avait beaucoup ri et souri dans sa vie. Pourtant, Bellatrix ne pouvait discerner aucune chaleur dans son regard et cela malgré le sourire éclatant qu'il leur offrait.

– Voici Helga Black, ma fiancée.

Bellatrix baissa poliment les yeux – tentant de dégager cette pestilentielle impression de courtoisie mêlée de soumission virginale qu'il était bon ton d'observer chez une femme de son rang.

– Bonsoir ma chère, fit Jdanov et Bellatrix se courba légèrement, ne sachant pas si le sang de cet homme était plus pur que le sien et par conséquent à quel degré devait-elle se courber (les conseils de Walburga Black lui avaient toujours semblé absurdes, de toute façon). Elle est splendide, mon ami.

Bellatrix releva la tête et aperçut avec étonnement un léger sourire sur les lèvres de Lord Voldemort. Jdanov les invita à s'asseoir (Lord Voldemort et Bellatrix étaient assis juste en-face de Jdanov et sa femme) et une fois les présentations faites entre les différents invités, s'engagea aussitôt dans une conversation sur l'Europe :

– Alors dis-moi Lord Voldemort, cela fait tellement d'années que je n'ai pas foulé le sol de cette bonne vieille Europe. Que se passe-t-il outre-Atlantique ?

Lord Voldemort entreprit de lui expliquer la situation du Royaume-Uni et de la Russie (le pays d'origine de Jdanov) avec grande éloquence. Bellatrix ne disait rien. Elle l'observait parler. Il avait des manières absolument délectables : il parlait bien, calmement, avec persuasion. Il n'adoptait pas du tout la même habitude qu'habituellement. Ici, il n'était pas le Seigneur des Ténèbres : il jouait le rôle de l'invité cultivé, charmant et intelligent. Bellatrix remarqua que les femmes de la table l'écoutaient elles-aussi parler avec intérêt – malgré les sujets qu'elles considéraient d'ordinaire ennuyeux.

Bellatrix se demandait quelle était sa mission ici. Jdanov et Voldemort se connaissaient de longue date à en croire les discours du slave.

– Je me souviens de notre rencontre, tu étais encore si jeune, une vingtaine d'années seulement et déjà tu parcourais le globe en quête de réponses.

Voldemort ne répondait rien. Il lança un bref regard à Bellatrix puis posa de nouveau son attention sur Jdanov. Celui-ci continuait de parler avec animation, vantant les mérites de Voldemort, ses pouvoirs, ses idées radicales.

– Ah, mon cher Voldemort, si seulement je vivais encore en Europe, je prendrais grand plaisir à t'épauler dans ta tâche.

À ce moment-là, Bellatrix fut témoin du plus menaçant sourire que Voldemort esquissa ce soir-là. Une lueur dangereuse s'alluma un instant dans ses yeux puis s'éteignit brusquement. La jeune fille était sûre d'avoir été la seule à remarquer ce brusque changement d'attitude chez Lord Voldemort.

La soirée continua sous les mêmes auspices, et plus l'alcool coulait à flots, plus les langues des invités se déliaient. Ils riaient à gorge déployée aux nombreuses histoires divertissantes racontées par Jdanov. Voldemort ne parlait pas, et lorsqu'il le faisait, il ne s'adressait qu'à Jdanov. Bellatrix le sentait tendu à ses côtés. Bellatrix ne comprenait pas très bien la situation ni la raison pour laquelle elle se trouvait assise aux côtés du Seigneur des Ténèbres. Qu'allait-il lui demander ?

– Miss Black, c'est cela ? interpella soudainement Jdanov, les yeux un peu embués par l'alcool.

Bellatrix lança un regard interrogateur à Voldemort.

– C'est cela, répondit-il à sa place.

Le sorcier russe éclata de rire, en tirant sur un cigare. Bellatrix fronça légèrement les sourcils. Elle n'aimait pas du tout le regard moqueur qu'il leur lançait.

– Black, la fameuse famille anglaise, j'imagine ? demanda-t-il, cette fois directement à Voldemort.

– Celle-là même, répondit celui-ci laconiquement.

– Un peu jeune pour toi, non ?

Le regard de Lord Voldemort s'appuya sur la femme de Jdanov, et celui-ci comprit tout de suite le message. La femme de Jdanov était très jeune : elle était blonde, gracile et enceinte – à en croire le ventre proéminent qu'on pouvait discerner sous la table.

– Ce n'est pas la même chose, ma première femme est morte, comme tu le sais.

Bellatrix se sentait mal à l'aise sous les regards des hommes de la table et leurs commentaires déplacés. De plus, elle se sentait extrêmement gênée de poser comme la fiancée de Lord Voldemort. Elle était loin d'être digne de lui et de son rang.

– Ce n'est pas un reproche, mon ami, ta femme est délicieuse et si je peux me permettre, vous allez magnifiquement bien ensemble.

– Merci, gronda Voldemort très,très froidement.

Après cette petite incartade, la discussion divergea de nouveau et l'ambiance se détendit. Bientôt, les hommes firent part de leur désir de boire un dernier verre dans un des salons de l'ancien hôtel particulier et les femmes furent conviées à faire de même et à « discuter de lingerie ou autre invention féminine » comme dirent Jdanov et ses amis avec misogynie. Avant de se lever, dans le tumulte des chaises raclant le sol, Voldemort se pencha vers l'oreille de Bellatrix et chuchota en français (langue que Bellatrix maîtrisait parfaitement en bonne Black qu'elle était) : « Isole la femme de Jdanov et tue-la ».

Bellatrix leva un regard affolé vers lui. Elle vit distinctement dans ses yeux une satisfaction sans nom. Il lui était facile de déchiffrer ses émotions car son visage n'était qu'à quelques centimètres du sien. Puis, il lui offrit un sourire magnifique, absolument terrifiant qui fit soudain écho à celui qu'il avait esquissé le jour de ses fiançailles.

– Mais… commença-t-elle, le cœur battant.

Voldemort l'interrompit. Elle l'observa, hébétée, se pencher un peu plus vers elle et déposer un baiser au coin de ses lèvres.

– Ne me déçois pas Bellatrix, dit-il avant de se lever et rejoindre les autres hommes dans un salon privé.

Les femmes autour de la table se dirigeaient elles aussi vers un autre salon, non sans lancer des œillades complices à Bellatrix, pensant certainement qu'ils venaient d'être témoins d'un moment d'affection entre les supposés futurs mariés. Hébétée, Bellatrix se leva à son tour.

– Quand aura lieu votre mariage ? demanda la femme de Jdanov une fois toutes installées dans un fastueux salon de l'hôtel particulier.

– Dans quelques jours, mentit Bellatrix, pensant simultanément au mariage qui la liait à Rodolphus. L'ironie était cruelle.

La femme de Jdanov, du prénom d'Isabella, était jolie et bien-élevée. Elle n'élevait jamais la voix et celle-ci était très douce. Le cœur de Bellatrix ne semblait pas vouloir se calmer. Elle tentait de rester calme mais ses yeux ne cessaient de faire le voyage entre les yeux bleus de la jeune fille et son énorme ventre de femme enceinte, en se demandant comment elle trouverait la force de tuer une femme, une sang-pur, enceinte, sans avoir reçu de justification. Elle avait torturé des moldus à mort mais ce n'était pas la même chose. Lord Voldemort lui avait appris à rester indifférente au sort des sang-de-bourbes (non pas qu'elle eut de gros scrupules à la base) mais elle n'avait jamais élevé la baguette dans le but exclusif de tuer sans aucune raison valable.

– C'est merveilleux ! Vous devez avoir tellement hâte ! s'exclama une des femmes avec un grand sourire.

– L'attente est longue, répliqua Bellatrix sans émotion.

Les femmes de la pièce mirent Bellatrix à l'écart au fur et à mesure de leurs conversations. Elles avaient vite remarqué qu'elle n'était pas une des leurs. Certes, elle était de toute évidence bien-élevée mais trop austère. Ses vêtements noirs et ses froides expressions ne les mettaient pas à l'aise. Bellatrix ne s'en indignait pas car leurs conversations sur les mariages, réceptions et la maternité l'ennuyaient au plus haut point. De plus, toutes leurs conversations résonnaient à ses oreilles comme un bourdonnement sourd. Elle imaginait son cœur battre fort dans sa poitrine, sa respiration s'accélérer alors que les minutes défilaient. Le regard presque fixé sur Isabella Jdanov, elle essayait de trouver une bonne raison pour l'isoler du salon et accomplir son devoir.

À sa grande surprise, elle vit Isabella se lever et s'asseoir à côté d'elle alors que les conversations allaient bon train entre les autres femmes.

– Helga… Puis-je vous appeler Helga ?

Bellatrix hocha de la tête, incapable de prononcer un mot.

– Je sens votre malaise. Je vous comprends. J'ai eu beaucoup de mal au début de mon mariage moi aussi.

– Vraiment ? coassa Bellatrix, avant de se racler la gorge.

– Bien-sûr ! Toutes ces femmes font les malignes mais elles ne savent pas ce que c'est d'être mariée à un mage aussi puissant que le sont nos hommes… chuchota-t-elle.

Bellatrix ne sut quoi répondre à cela. Était-elle censée se plaindre de sa situation ?

– Vous pouvez me faire confiance. Je ne répéterai rien à personne. J'ai bien vu à quel point votre Voldemort semble être un noir personnage… Il ne doit pas être le plus conciliant des fiancés, non ?

Bellatrix contempla le visage d'Isabella, une colère sourde commençant à poindre dans son ventre.

– Que voulez-vous dire ?

– Je peux vous être de bon conseil, ne vous vexez pas, je cherche juste à vous aider… Dmitri peut parfois être très exigeant…

Bellatrix lança un regard aux autres invitées qui sirotaient un thé en contant leurs péripéties de femmes mariées.

– Pas ici… Je ne veux pas que cela revienne aux oreilles de mon fiancé.

– Bien-sûr, répondit Isabella avec un sourire, venez.

Elles prirent congé des autres femmes et Isabella la mena à travers l'hôtel particulier jusqu'à une des chambres de l'étage.

– Nous connaissons bien les gérants, nous sommes des habitués. Ils ne diront rien si nous restons ici quelques minutes, expliqua-t-elle avant de s'asseoir sur le lit couvert d'un drap argenté scintillant.

– Que savez-vous de Lord Voldemort ? demanda Bellatrix, un peu décontenancée par l'attitude d'Isabella mais heureuse de la tournure des évènements. Tout cela lui facilitait drôlement la tâche.

– Je ne veux pas vous confier certaines choses que vous ignoreriez… susurra Isabella d'un air emprunté.

– Vous me seriez d'une grande aide.

À ces mots, le visage d'Isabella s'éclaira.

– Dmitri m'a confié certaines choses sur les agissements de votre fiancé en Europe… Apparemment, il nourrit de très sombres desseins…

– Vraiment ? demanda Bellatrix avec un soupçon de sarcasme.

– Mon mari n'est pas un enfant de cœur mais même lui semble effrayé par les projets de votre fiancé. Tout ceci ne me regarde pas mais j'ai observé votre attitude à table… Ne vous enfermez pas dans cette vie. Croyez-moi, j'en sais quelque chose.

– Comment cela ? murmura Bellatrix tout en sortant discrètement sa baguette de sa cape.

– Disons que j'avais rêvé d'une vie différente. De plus, Dmitri m'a dit des choses très bizarres concernant Voldemort…

– Pourquoi me dites-vous tout cela ? interrogea Bellatrix d'une voix froide. La baguette était dans sa main, cachée derrière sa cuisse, elle était prête.

– Il serait dommage qu'une jeune fille de sang si pur soit souillée par un homme de moindre naissance…

Bellatrix suspendit son geste alors qu'elle s'apprêtait à lever sa baguette. Soudainement, Isabella lui était révélée sous un autre jour. Depuis le début de la soirée, elle l'avait imaginée réservée et légèrement niaise mais à l'écart des autres, elle pouvait maintenant aisément voir la malveillance mal déguisée dans l'expression de son visage.

– Pardon ? dit-elle dans un souffle, choquée.

– Loin de moi l'idée de vous effrayer Helga, mais selon mon mari, personne ne connaît les origines de votre fiancé…

– Comment osez-vous ? s'indigna Bellatrix, sortant complètement de son rôle pour celui de féroce admiratrice du plus grand sorcier de tous les temps.

– Helga, ne vous offusquez pas, déclara Helga d'une voix apaisante.

Bellatrix contempla la jeune femme avec dégoût. Et soudainement, elle eut un affreux doute : et si Jdanov lui avait demandé de lui servir ce même discours infect concernant le plus grand sorcier de tous les temps pour le discréditer à ses yeux ? Et si, dans ce cas, Lord Voldemort avait prévu les manœuvres malhonnêtes de cette raclure ? Soudainement, sa tâche lui sembla logique et juste. Comment osait-on proférer de telles ignominies sur le Seigneur des Ténèbres ?

– Petite idiote, votre stratégie est bien vaine. Rien n'entravera l'ascension de Lord Voldemort, clama Bellatrix avec ferveur.

Isabella aperçut la baguette et se leva précipitamment.

– Que faites-vous ? s'exclama-t-elle, le souffle coupé.

Avada Kedavra !