Chapitre VI : La Reproductrice

Janvier 1970,

A la pendule de la chambre, les douze coups de minuit résonnèrent. La tête pleine de pensées sombres, Bellatrix se leva aussitôt de son lit et enfila une robe de chambre. L'installation au Manoir Lestrange ne fut pas sans difficultés pour Bellatrix. Elle avait dû s'habituer à l'idée de partager la demeure de son mal-aimé époux Rodolphus, mais également de ses parents et de son plus jeune frère, Rabastan (ce dernier devant toutefois retrouver Poudlard pour sa dernière année). Peu encline à partager le même lit que son mari, Bellatrix avait usé de cette vieille tradition dans le milieu des Sang-purs qui consistait à faire chambre à part. Dire que Rodolphus s'était senti trahi était un euphémisme. Depuis leur mariage plus de six mois auparavant, il ne cessait de réclamer son dû conjugal - et Bellatrix continuait de le lui refuser.

Elle savait qu'elle ne pourrait pas y échapper indéfiniment. De plus, si elle voulait être honnête avec elle-même, la perspective de coucher avec son mari ne l'effrayait pas outre mesure même si elle n'en ressentait aucune envie. Ce qu'elle redoutait, en revanche, était une grossesse. Rodolphus avait une fois évoqué le fait qu'il s'attendait naturellement à ce qu'elle enfante son héritier mais c'était un sujet sur lequel Bellatrix ne souffrirait aucune concession. Devenir mère était inconcevable à ses yeux : elle ne s'était jamais vue et ne se verrait jamais comme une reproductrice – ses deux sœurs pouvaient se charger de ce fardeau à sa place. Quant aux Lestrange, ils pouvaient toujours compter sur Rabastan pour agrandir la famille. S'il fallait absolument écarter les jambes pour être tranquille, elle y consentirait mais elle devait s'assurer qu'aucun fœtus ne vînt s'approprier ses entrailles.

Munie de sa baguette magique et d'un vieux grimoire, Bellatrix s'enfonça dans les souterrains du manoir afin d'atteindre le laboratoire de potions privé de son beau-père. L'endroit était immense et rempli d'innombrables fioles multicolores aux propriétés terrifiantes. Bellatrix n'avait jamais été très douée en potions même si elle s'était assez appliquée pour recevoir un Effort Exceptionnel lors de ses ASPICs – cette branche de la magie était une arme indiscutable pour un sorcier mais cela lui semblait tellement fastidieux de mélanger des ingrédients pendant des heures. Bellatrix préférait de loin sentir les flux magiques traverser sa baguette magique. Seulement cette fois-ci, elle n'avait pu trouver un sort suffisamment puissant pour garantir le résultat qu'elle souhaitait. Elle s'attacha à ne pas faire de bruits mais elle savait que seule sa belle-mère était présente au manoir – les hommes de la famille avaient été appelé par Lord Voldemort tôt en début de soirée et n'étaient pas encore réapparus.

Cela était chose courante depuis l'été passé et à chaque fois Bellatrix avait pu observer la même grimace d'inconfort sur les bras des deux Lestrange tandis que le sien restait tristement indolore. Cela l'affectait au plus haut point. Nombre de ses nuits étaient hantées par l'inquiétude d'avoir été oubliée du Seigneur des Ténèbres… Elle savait évidemment que Lord Voldemort ne pouvait pas l'avoir oubliée mais il semblait penser que sa présence à ses côtés n'était pas nécessaire. Bellatrix avait longtemps cru, avant de devenir elle-même une Mangemort, que tous les serviteurs du Seigneur des Ténèbres étaient appelés en même temps grâce à la Marque des Ténèbres mais cela n'était pas le cas. Souvent, seul Rodolphus était appelé ; Reginaldus, lui, ne s'absentait pas tous les soirs. Bellatrix n'avait pas de mal à imaginer pourquoi : même si Reginaldus était plus puissant et expérimenté, il n'avait plus la jeunesse des missions de terrain. Il était, par ailleurs, impensable de le mêler à des affaires sordides, au risque de ternir son influence au sein des familles sorcières. En revanche, elle savait pertinemment que le rôle principal de Rodolphus était de torturer et de massacrer des cibles choisies par le Seigneur des Ténèbres. Bien souvent elle l'avait vu revenir au milieu de la nuit les vêtements tâchés de sang, titubant de fatigue mais enivré par une certaine frénésie morbide qui le poussait quasiment chaque soir à pousser la porte de la chambre de Bellatrix. Il en ressortait toujours penaud et frustré.

À ce jour, Rodolphus ignorait toujours que Bellatrix était elle aussi devenue un Mangemort mais Reginaldus semblait suspecter quelque chose. Lors des dîners qu'ils partageaient à trois, Bellatrix, Reginaldus et sa femme – ce qui arrivait fort souvent en raison des missions nocturnes du fils Lestrange – il s'attardait souvent sur les robes qu'elle portait et notamment ses manches. Bellatrix n'avait pas une seule fois dévoilé ses avant-bras depuis son arrivée dans le manoir et avait dû porter des robes à manches très serrées au niveau du poignet pendant de longs mois. Cela avait été particulièrement désagréable pendant les chaleurs caniculaires de l'été. Heureusement, elle aperçut un jour Rodolphus appliquer un sort de dissimulation sur son avant-bras avant de se rendre à un rendez-vous au Ministère de la Magie. Ce n'était pas un sort que les élèves à Poudlard apprenaient ; cela devait être une invention du Seigneur des Ténèbres directement liée au tatouage. Bellatrix était donc maintenant capable de cacher sa marque mais elle craignait que Reginaldus ait été mis au courant par quelqu'un d'autre. Les seules personnes qui le savaient étaient Lord Voldemort, bien évidemment, et Enguerrand Avery par qui elle était passée pour s'entretenir avec le Seigneur des Ténèbres l'année passée. Elle ne savait pas si elle avait le droit de décliner sa qualité de Mangemort à ses proches à présent. Elle n'avait reçu aucune directive là-dessus. En réalité, Lord Voldemort ne l'avait pas contactée depuis cette nuit… depuis cette fameuse nuit dans son ancienne chambre chez ses parents.

Bellatrix frissonna alors qu'elle s'approchait à pas précautionneux de la potion qu'elle tenait cachée dans un recoin de l'immense laboratoire. D'un sort, elle leva le camouflage qui la rendait invisible. Elle observa les bulles vertes éclater à la surface du chaudron d'un air absent. La plupart du temps, elle évitait au maximum de penser à la nuit qu'elle avait partagé avec son Maître. Cela la faisait immensément souffrir. Ce souvenir avait pourtant été une grande source de réconfort au début. Si elle avait survécu à son installation chez les Lestrange, c'était uniquement dû au bonheur que lui avait procuré cette nuit.

Elle se souvenait avec une grande acuité son réveil le lendemain de ses noces, seule dans sa chambre, découvrant à la lumière du soleil ses draps couverts de sang. Elle avait dû les faire disparaître en hâte avant que sa mère ne s'en aperçoive mais elle ne put rien faire contre la douleur qu'elle ressentit à l'entrejambe. Elle n'aurait, de toute façon, rien tenté pour amoindrir cette douleur car c'était bien la seule qu'elle avait accepté avec plaisir. Les deux jours qui avaient suivi, cette douleur l'avait accompagnée au rythme de ses pas dans sa nouvelle vie de femme mariée. Elle s'était sentie tellement heureuse d'avoir perdu sa virginité dans les bras du Seigneur des Ténèbres. Etre mariée à Rodolphus semblait alors presque un moindre mal maintenant qu'elle était devenue Mangemort et qu'elle avait connu cette nuit cent fois rêvée. C'était sans compter les jours, les semaines et les mois qui avaient suivi sans que Bellatrix ne reçoive aucune nouvelle, aucun mot, aucun signe. Elle ne savait que penser mais elle se disait que suite à l'entraînement rigoureux qu'il lui avait infligé, ce silence ne pouvait qu'être la conséquence de sa visite dans sa chambre. Regrettait-il ? L'avait-elle déçue ?

Bellatrix soupira. Elle versa une louche entière du liquide visqueux dans une coupe puis but la potion d'une traite. Voilà maintenant quatre mois et deux semaines que cette potion mijotait dans les tréfonds du Manoir Lestrange : elle s'appelait Sterilis et était censée détruire de façon irrémédiable ses ovaires. La décision n'avait pas été difficile à prendre. Bellatrix avait toujours su qu'elle n'aurait jamais aucun enfant. Une grimace de douleur parcourut son visage, puis une autre. Un feu brûlant semblait envahir ses intestins, son estomac et son utérus. Ce n'était pas censé être douloureux selon le grimoire. Dans un sursaut de panique, Bellatrix se souvint qu'elle avait versé la potion sans ajouter le dernier ingrédient, celui-là même pour lequel elle s'était levée précisément à minuit cette nuit-là. Quelle idiote faisait-elle ! Elle s'écroula sur le sol froid du laboratoire, les mains serrées sur son bas-ventre. Trop idiote, trop niaise, trop distraite, se répétait-elle en boucle. Elle se tordit au sol de longues minutes, puis n'y tenant plus, elle hurla de douleur. Elle tenta de se redresser pour récupérer le grimoire et découvrir un antidote mais c'était peine perdue. La douleur était trop intense. Ses yeux injectés de sang parcoururent alors la pièce du regard en quête d'une aide : un bézoard, peut-être ? Elle n'y voyait plus rien. Elle envisagea un court instant d'appeler son Maître mais elle avait trop honte. Il la préférait certainement morte de toute façon. Elle s'évanouit.

XxXxXxX

– Qu'as-tu fait… ? souffla Rodolphus, assis à côté d'elle, les yeux remplis de larmes.

Bellatrix détourna le regard. Elle ne pouvait supporter cet étalage d'émotions. Elle se trouvait à Ste-Mangouste depuis trois jours. Madame Lestrange l'avait trouvée dans le laboratoire, inanimée, et l'avait immédiatement conduite à l'hôpital des sorciers. La potion ingérée fut analysée et les guérisseurs durent mettre au point une potion régénératrice adaptée. Bellatrix était réveillée depuis seulement quelques heures et ne ressentait plus de douleur, hormis une gêne au niveau de l'aine comme si elle avait le souffle coupé en permanence. Elle connaissait l'origine des larmes de son mari, l'homme qui s'amusait la nuit à tuer et torturer des Moldus. Même si la potion était ratée, Bellatrix avait atteint son objectif : elle était stérile. Les guérisseurs étaient parvenus à régénérer toutes les parties de ses entrailles touchées à l'exception de son utérus. Cela ne la contrariait pas mais dans son plan originel, elle n'avait pas eu un seul instant l'intention de l'avouer à Rodolphus. Il était censé découvrir qu'elle était stérile bien des mois plus tard lorsqu'il s'apercevrait que Bellatrix ne tombait pas enceinte, et jamais la potion n'aurait été mentionnée.

– Je te l'ai déjà dit… Je ne veux pas d'enfant, répondit Bellatrix d'une voix morne. Tu l'as toujours su.

Rodolphus resta silencieux de longues minutes. Il semblait profondément déboussolé mais très vite son expression de tristesse se mua en colère.

– Cela aurait pu coûter ta vie ! Quelle folie t'est passée par la tête ! Cette potion est d'une complexité infinie et n'est pas connue pour sa stabilité. Tu sais pourquoi ? Parce qu'elle a été imaginée par des folles dans ton genre ! s'écria-t-il.

Rageur, il se leva et sembla vouloir la dominer de toute sa hauteur. Ce qui n'était pas bien difficile vu que Bellatrix était couchée dans un lit d'hôpital : blanche, molle et terne. Elle s'était rarement sentie aussi faible. Elle se dégoûtait.

– La potion a été inventée par un homme, un fils cadet qui voulait absolument bénéficier de l'héritage de son père, corrigea-t-elle avec un sourire ironique, on dirait que j'ai rendu un grand service à Rabastan.

– Pauvre folle, tu n'as…

– Annule notre mariage, l'interrompit Bellatrix. Il n'est pas consommé. Tu pourras te remarier et avoir autant d'héritiers qu'il te plaira.

Rodolphus stoppa net la tirade assassine qu'il s'apprêtait à asséner.

– Tu as encore le choix, Rodolphus ! reprit-elle, vivre la vie que tu as toujours voulu ou supporter une folle pour le restant de tes jours.

– C'est toi que j'ai toujours voulu… avoua-t-il d'une voix rauque.

Bellatrix leva un sourcil en signe de scepticisme.

– Non, tu as juste envie de moi depuis tant d'années que cela t'obsède.

Rodolphus secoua la tête. Il posa ses mains de chaque côté de Bellatrix et approcha très près son visage du sien.

– Je suis amoureux de toi, Bellatrix… Non, ne grimace pas, je ne mens pas. Tu peux te moquer de mes sentiments si cela te rassure mais c'est la vérité. Je t'ai toujours voulue car j'ai toujours été amoureux de toi, depuis ton arrivée à Poudlard. Depuis que je t'ai vue au milieu des élèves tremblants de première année, déjà grande, fière et narquoise.

– Oh par pitié…

– Je t'ai adorée les deux premières années, tu étais tellement mignonne avec tes cheveux fous et tes robes froissées. Tu savais si bien faire tomber les Gryffondor de leurs balais. Et c'est vrai lorsque tu es arrivée en troisième année, je ne t'ai pas reconnue. Tes robes froissées et mal-boutonnées ne pouvaient pas cacher ta poitrine naissante… Et tu n'as cessé de te transformer : tu devenais de plus en plus belle et tu ne t'en apercevais pas. Tu riais aux éclats comme si c'était un jeu mais moi j'avais quatorze ans, les hormones en feu, et je crevais d'envie de te faire l'amour. Tu m'as rendu fou…

Bellatrix baissa les yeux. Elle se souvenait fort bien de cette époque lorsqu'elle considérait Rodolphus comme son meilleur ami, son frère. Elle n'avait pas imaginé que son attitude pouvait autant l'affecter elle n'avait jamais rien fait pour entretenir cela. Mais était-ce l'entière vérité ? Légèrement honteuse, Bellatrix se remémora un vieux souvenir, l'une de ses fois où elle l'avait taquiné dans la salle commune. Il lui arrivait souvent de le pincer ou de provoquer des combats avec lui car cela l'amusait follement. Les filles l'ennuyaient atrocement alors que Rodolphus était un camarade, un copain, un acolyte dans leurs escapades nocturnes, un ami. Cette fois-là, elle lui avait sauté dans les bras alors qu'il était assis sur l'un des canapés. Les jambes autour de lui, sa tête au niveau de ses seins, elle l'écoutait raconter comment il avait renversé sa soupe de champignon sur la tête de Grace Prewett. Elle avait senti l'érection du garçon sous elle. Cela l'avait surprise. Elle avait fait mine de rien, riant toujours mais subrepticement elle s'était amusée à remuer sur lui d'une façon à un peu plus appuyée qu'elle ne l'aurait habituellement fait. Bellatrix ignorait si cela l'avait excitée mais, ce jour-là, elle avait eu envie de jouer… Jouer avec Rodolphus l'amusait infiniment. C'était drôle d'entendre le souffle du garçon se couper lorsqu'elle ondulait contre lui. Elle n'avait que treize ans, tout cela était un jeu pour elle. Les jours suivants, Rodolphus modifia les règles du jeu et plus rien ne fut drôle entre eux. Six mois plus tard, ils se fiançaient.

Ils en étaient là aujourd'hui, à Ste-Mangouste, une potion de stérilité dans le ventre, mariés mais pas amants, tous deux Mangemorts mais pas complices, tous deux amoureux. L'un de sa femme, l'autre de son maître. Bellatrix déglutit.

– Qu'attends-tu de moi ? Je ne te donnerai jamais d'enfants.

– Peu importe, il n'y a que toi qui compte. Je veux être un Mangemort et ton mari. Les enfants ne sont pas le plus important, seuls toi et le Seigneur des Ténèbres ont une importance pour moi. Nous n'avons pas le choix de toute façon Bellatrix. Nous sommes mariés maintenant. C'est à toi de décider si tu veux passer le reste de ta vie à me détester.

Il semblait sincère. Bellatrix avait envie de le croire.

– Ramène-moi à la maison avant que ce discours de Poufsouffle me fasse vomir, répondit-elle.

XxXxXxX

En pleine nuit, elle l'entendit ouvrir la porte avec précaution, retirer sa cape et sa robe et venir sous les couvertures près d'elle.

– Comment c'était ? chuchota-t-elle.

– Tu ne dors pas ? souffla-t-il avant de s'approcher d'elle, laçant ses bras et ses jambes autour d'elle.

Elle ne répondit pas.

Bellatrix s'était remise relativement rapidement de la potion ratée et avait définitivement déménagé ses affaires dans la chambre de Rodolphus. Leur nuit de noce avait enfin eu lieu une semaine après son retour de Ste-Mangouste. Cela s'était déroulé beaucoup plus facilement que Bellatrix ne l'aurait cru. Elle n'avait pu s'empêcher de comparer Rodolphus et Lord Voldemort. Les deux expériences avaient été diamétralement opposées. Rodolphus avait été passionné, aimant, fougueux il avait embrassé chaque centimètre de sa peau, avait glissé ses doigts, sa langue et ses lèvres là où le Seigneur des Ténèbres n'avait daigné aucun contact. La douleur avait été quasi inexistante avec Rodolphus alors qu'elle avait été proche de l'insupportable avec Voldemort. Et pourtant… Tous les baisers, toutes les caresses, tout l'amour de Rodolphus n'avaient pu rivaliser avec l'exaltante et euphorique sensation qui l'avait saisie dans les bras de son maître – sa puissance qui s'exerçait sans relâche entre ses cuisses, son unique gémissement dans son oreille, ses mains dominatrices, intransigeantes sur elle, et ses lèvres froides mais douces parfois posées sur les siennes. Il avait été implacable et dur mais jamais Bellatrix avait ressenti une excitation aussi intense avec Rodolphus. Elle avait cependant aimé être au contrôle – chose inconcevable en compagnie de son maître. La dernière fois qu'ils avaient couché ensemble, Bellatrix avait été pour la première fois à califourchon sur lui, à son tour dominante et intransigeante. Rodolphus l'avait regardée avec un regard sombre empli d'un désir irrépressible. Bellatrix ne pouvait que rêver voir un jour le même éclat dans les yeux de son maître…

– C'était facile, mission de routine, reprit Rodolphus coupant ainsi les pensées dans lesquelles Bellatrix s'était perdue.

Elle se rendit soudain compte qu'il était un peu tendu contre elle. Il semblait vouloir en dire davantage sans parvenir à se décider.

– Que se passe-t-il ? demanda Bellatrix.

– Je ne sais pas… Après une mission, je ne suis généralement pas celui qui fait le compte-rendu devant le Seigneur des Ténèbres mais il a voulu que cela soit moi, ce soir.

Bellatrix tenta de déchiffrer l'expression de son visage mais il faisait trop sombre dans la chambre.

– Et ce n'est pas une bonne chose ?

– Si, évidemment ! J'imagine que je viens d'obtenir une petite promotion. Tellement de Mangemorts viennent grossir nos rangs, c'est incroyable. J'en ai entendu un hier qui parlait bulgare, tu imagines ? Ils viennent de partout !

Bellatrix esquissa un sourire.

– Quel est le problème alors ?

Rodolphus réajusta sa position contre elle, posa une main sur sa hanche nue et tourna son visage vers elle.

– Il… Il m'a demandé comment tu allais.

– Quoi ? Moi ? Mais comment a-t-il…–

Le cœur de Bellatrix explosa dans sa poitrine.

– Je ne sais pas ! Je ne lui ai rien dit pour ce qui s'est passé, je ne savais même pas qu'il te connaissait, répondit-il dans un chuchotement hâtif.

– Il était là le jour de nos fiançailles, lui rappela Bellatrix avec un peu d'aigreur, pensais-tu qu'il ne se souviendrait pas de moi ?

– C'est vrai… J'ai juste été surpris que le Seigneur des Ténèbres pose des questions sur ma femme et qu'il sache pour…

Rodolphus s'interrompit. Il n'aimait pas évoquer la potion et ses effets sur Bellatrix.

– Que t'a-t-il demandé exactement ?

– Comment tu allais et ce que je comptais faire pour remédier au problème.

Bellatrix eut l'impression de plonger dans un bain d'eau glacée.

– Ton père a dû lui dire, souffla-t-elle avec angoisse, je suis sûr que les guérisseurs ont dû lui expliquer ce que j'avais fait.

– Peut-être, ma mère a tout de suite reconnu la potion de toute façon…

– Le Seigneur des Ténèbres… Était-il en colère ? Et qu'as-tu répondu ?

– Il était peut-être en colère, je ne sais pas. Il semblait calme mais…

Rodolphus ne parvenait pas à expliquer l'impression de froide tension qui s'était installée entre son Maître et lui à l'évocation de Bellatrix.

– Je lui ai répondu ce que les guérisseurs nous ont expliqué, à savoir que c'est irrémédiable. Que je n'aurai jamais d'enfants, et que je l'accepte.

Malgré son cœur battant la chamade et son angoisse, Bellatrix sentit une pointe de gratitude envers Rodolphus. Il ne l'avait pas désavouée, même devant le Seigneur des Ténèbres.

– Qu'a-t-il dit ?

– Rien. Il m'a congédié.

Bellatrix resta sans mot dire, glacée malgré les couvertures et les mains de Rodolphus. Elle ignorait ce que cela signifiait pour elle. Était-il furieux ? Allait-elle être appelée elle aussi pour lui en parler ? Non… Il était passé par Rodolphus pour lui faire passer le message mais ne l'avait pas appelée. Pourquoi cela ?

– Ne t'en fais pas Bellatrix, murmura Rodolphus contre elle, ce n'est sûrement pas important.

Il ne semblait pas tout à fait convaincu et Bellatrix encore moins.

XxXxXxX

Ma chère sœur,

Comment vas-tu, Bellatrix ? Je suis vraiment inquiète de ne pas avoir de tes nouvelles. Comment se passe ta vie au Manoir Lestrange ? Je sais que tu n'aimes pas parler de tes histoires mais je suis là pour toi si tu en as besoin.

Ici, à Poudlard, tout se passe comme à l'accoutumée. Narcissa va bien mais je la vois peu. Elle est constamment entourée d'un ENORME gang de filles et elles semblent s'amuser comme des folles. Elle a de bonnes notes néanmoins. Tu sais comment sont les Quatrième Années cependant : les garçons ont enfin remarqué que les filles étaient réellement des filles, et les filles sont heureuses d'être enfin reconnues comme telles. Bref, beaucoup de pouffements, de rougissements et de cancans dans l'air… Je n'ose pas prévenir nos parents à ce propos. Narcissa est de loin la plus timide de toutes : je suis sûre qu'elle ne voit pas le mal là-dedans.

De mon côté, je passe mes journées à m'occuper des poulains licornes nés il y a un mois. Le professeur de Soins aux Créatures Magiques m'aime bien et m'a autorisée à les nourrir. La maman est trop fatiguée pour s'occuper des deux. Cela m'occupe bien depuis que Vivian Fawley a décidé de ne plus m'adresser la parole… La faute à Rabastan ! Il m'a invitée à passer la prochaine sortie à Pré-au-Lard avec lui. Je lui ai répondu qu'il ferait mieux de préparer ses ASPICs ! Tu pourrais dire à ton beau-frère de cesser de m'importuner car Vivan est amoureuse de lui, et à cause de lui j'ai perdu ma seule amie à Poudlard.

Parfois je suis pressée d'en finir et de passer à autre chose. Plus qu'un an et demi à tenir ici… Tu me manques, Poudlard n'est plus pareil sans toi.

Andromeda.

Bellatrix ne put s'empêcher de sourire quelque peu en lisant la lettre de sa petite sœur, Andromeda. Elle n'avait pas vraiment pensé à ses sœurs depuis son mariage mais elle prit conscience, en lisant cette lettre, qu'elles lui avaient énormément manquée. Surtout Andromeda, à vrai dire. Elle adorait Narcissa mais c'était une gamine. La relation entre Bellatrix et Andromeda avait toujours été plus compliquée mais plus intime aussi. Elles étaient très différentes mais à Poudlard, leur loyauté l'une envers l'autre n'avait jamais failli. Elle s'inquiétait néanmoins du comportement de Narcissa… Il ne faudrait pas que le laxisme de ses parents à son égard lui donne assez de latitude pour faire honte à sa famille – surtout maintenant qu'elle était devenue un Mangemort ! A cette pensée, Bellatrix s'assombrit aussitôt. Elle n'était plus vraiment sûre d'être un mangemort malgré la marque à son poignet.

Bellatrix s'était efforcée à ne plus penser, à ne plus réfléchir depuis ce que lui avait rapporté Rodolphus. N'ayant reçu aucun signe du Seigneur des Ténèbres, elle s'était résignée comme jamais et elle s'enfermait jour après jour dans la bibliothèque des Lestrange, le nez plongé dans de gros grimoires poussiéreux. Cela lui rappelait ses dernières années à Poudlard durant lesquelles, désireuse de prouver sa valeur, elle n'avait fait qu'étudier jusqu'à épuisement. Elle n'avait plus à plaire à qui que ce soit dorénavant : ni à ses parents ni au Seigneur des Ténèbres. Bellatrix s'immergeait dans ces lectures pour échapper, ne serait-ce que fictivement, à sa nouvelle vie.

Chaque matinée était partagée entre une grasse matinée, une longue toilette et un petit-déjeuner solitaire. Elle passait ensuite l'après-midi entière dans la bibliothèque. Le soir venu, elle dînait en compagnie de ses beaux-parents, parfois de Rodolphus. Chaque soir, elle partageait le lit de son mari, faisait l'amour, s'endormait puis tout recommençait. Ce qu'elle avait redouté depuis le jour de ses fiançailles à l'âge de treize ans était maintenant réalité : elle était devenue une femme mariée tout à fait banale. Il lui semblait maintenant que son intronisation en tant que Mangemort, ses entraînements intensifs en compagnie du Seigneur des Ténèbres et leur nuit passée ensemble faisaient parties d'un passé lointain dont elle était définitivement détachée. Elle avait maintenant perdu tout espoir de jamais revoir le Seigneur des Ténèbres.

Ce fut pourtant lors d'une belle journée fraîche mais ensoleillée d'avril 1970 qu'il refit surface dans sa vie.

Vêtue d'une légère robe blanche en lin serrée d'un bandeau de soie violette autour de la taille (un cadeau de mariage qu'elle avait dédaigné porter jusque-là), les cheveux encore humides de sa récente toilette (elle ne cessait d'oublier sa baguette magique ici et là maintenant qu'elle ne l'utilisait que pour des sorts basiques), Bellatrix s'apprêtait à continuer sa passionnante lecture de Les Plus abjects et horribles maléfices de tous les tempslorsqu'elle aperçut une grande silhouette installée dans l'un des fauteuils de la bibliothèque.

– M-maître ? souffla-t-elle sous la surprise.

Il ne leva pas la tête vers elle mais se contenta de tourner la page du livre qu'il tenait devant lui. Bellatrix reconnut le vieux grimoire de magie noire.

– Que d'inepties, commenta-t-il avec un sourire goguenard, j'ai de bien meilleurs ouvrages en ma possession.

Il leva les yeux vers Bellatrix sans se départir de son sourire. Il n'avait pas changé du tout depuis juillet dernier : la même impression suffocante de puissance l'entourait. Il était tout de noir vêtu, comme à l'accoutumée, la peau blanche, les yeux d'un noir abyssal, les traits droits, durs et secs. Magnifique, songea Bellatrix, presque malgré elle.

– Tu y apprendrais de plus grandes choses encore, reprit-il.

Confuse et troublée, Bellatrix ne sut que répondre. Il lui était difficile de comprendre comment il était possible que le Seigneur des Ténèbres soit installé sur un fauteuil, chez les Lestrange, en pleine journée, dans cette bibliothèque baignée de lumière, comme si c'était tout à fait habituel. Lord Voldemort posa le livre sur la table basse devant lui et la contourna pour s'approcher de Bellatrix.

– Que faites-vous ici ? demanda-t-elle à voix basse.

– Nul besoin de chuchoter, il n'y a que nous ici.

Bellatrix le savait : les Lestrange l'avaient prévenue qu'ils seraient à Londres aujourd'hui. Ce n'était pas par souci de discrétion qu'elle avait chuchoté mais parce que la soudaine proximité entre elle et son maître lui avait coupé le souffle. Comme lisant dans ses pensées, Voldemort s'approcha davantage et posa sa main au niveau de son ventre contre le tissu fin de sa robe. Bellatrix tressaillit à ce contact.

– Qu'as-tu fait, Bella ? demanda-t-il.

Bellatrix baissa aussitôt les yeux.

– J'ai fait ce que je devais faire pour vous servir, répondit-elle dans un souffle.

Voldemort émit un bref rire moqueur.

– Oh non… Tu ne pourras pas m'utiliser comme excuse cette fois-ci, répondit-il doucereusement.

Le cœur battant à l'entente de ces mots, Bellatrix planta son regard dans celui du Seigneur des Ténèbres et se sentit obligée de se justifier.

– Maître, je… je n'ai jamais voulu être mariée, encore moins devenir mère. Je ne cherche qu'à vous servir.

Elle avait les larmes aux yeux à présent.

– Voilà une réponse plus honnête, consentit Voldemort, je n'aurais eu aucune objection à voir la pure famille Lestrange s'agrandir.

Bellatrix chercha dans le noir abyssal des yeux de son maître s'il était en colère par sa décision mais elle n'y vit que leur reflet glacial habituel, et un soupçon d'amusement aussi. Il relâcha enfin le contact contre son ventre.

– Cela facilite grandement les choses, admit-il avec un sourire amusé.

Bellatrix voulut en savoir davantage mais Voldemort n'élabora pas.

– J'ai une mission pour toi, ma chère Bellatrix, déclara-t-il d'un ton plus sérieux.

Il sortit une minuscule fiole de couleur vert d'eau de sa cape et la déposa dans la paume de la jeune fille.

– La Goutte du mort-vivant, à l'intention de Cassiopa Maggins.

Elle connaissait le nom Maggins : Igor Maggins était un Auror, un Gryffondor qui avait été Préfet-en-Chef lorsque Bellatrix avait fait sa toute première rentrée à Poudlard.

– Vous voulez que j'empoisonne le thé de la mère d'Igor Maggins ? demanda-t-elle avec circonspection.

– Oh non ! Cassiopa Maggins n'a que six mois et une semaine si mes calculs sont bons, il s'agit de sa fille. J'essayerai plutôt d'empoisonner le biberon à ta place, Bella.

Bellatrix ne put complètement dissimuler le choc qu'elle ressentait. Elle devait empoisonner un bébé ? Le nouveau-né et premier enfant d'Igor Maggins ?

– Cela devrait suffire à le faire réfléchir. Sois discrète et ne me déçois pas.

– Bien-sûr, Maître, répondit-elle aussitôt, à la fois surprise mais reconnaissante d'être de nouveau considérée comme un mangemort.

– À très vite, Bellatrix.

Le Seigneur des Ténèbres transplana, laissant Bellatrix seule, le regard fixé sur sa fiole de poison.

XxXxXxX

La mission n'avait pas été d'une grande difficulté d'un point de vue technique. Les Maggins habitaient une petite maison cossue d'un quartier moldu de Manchester. Briser les défenses autour de la maison avait été chose aisée grâce aux enseignements qu'elle avait reçus du Seigneur des Ténèbres. Invisible par un sort de dissimulation, Bellatrix était passée inaperçue dans la maison silencieuse. Le bébé était dans une des chambres, endormi. La maman était dans la cuisine, affairée à la vaisselle manuellement. Bellatrix devina aussitôt que la femme d'Igor Maggins était une Moldue, l'ancien Gryffondor lui-même était un sang-de-bourbe, il n'était donc pas étonnant qu'il se retrouve avec quelqu'un de la même fange.

Lorsque la jeune femme eût fini de laver les assiettes, verres et biberons qui avaient rempli son évier et quitté la pièce, Bellatrix s'approcha du comptoir sur lequel était posé un pot de lait en poudre d'une marque Moldue. Sans réfléchir à son geste, elle vida le contenu de la fiole de poison dans le lait en poudre puis sortit de la maison. Elle attendit quelques minutes. Au bout de vingt minutes, le bébé pleura. Dix minutes plus tard, il se calmait. Cinq minutes plus tard encore, la maman hurlait. Le cri le plus déchirant que Bellatrix avait pu entendre. Considérant sa mission réussie, Bellatrix transplana de nouveau au Manoir Lestrange. Elle se sentait drôlement molle comme désensibilisée de tout sentiment. Au fond d'elle, pourtant, elle reconnaissait les accents de l'horreur l'emplir. Elle avait déjà tué quelqu'un, une femme, enceinte de huit mois, à New York l'été dernier. Isabella Jdanov, la femme d'un ennemi de son maître. Aujourd'hui, elle avait tué le bébé d'une femme qu'elle ne connaissait pas. Les missions que le Seigneur des Ténèbres lui attribuait semblaient toujours contenir un accent de maternité lors même que Bellatrix venait de brûler irrémédiablement son propre utérus.

Bellatrix eut un haut-le-cœur et se hâta de prendre la direction de la salle de bain attenante à la chambre qu'elle partageait avec Rodolphus. Il n'y avait toujours personne dans la maison. Il n'était pas très tard : le soleil commençait seulement à décliner dans le ciel. Elle n'attendit pas le retour de Rodolphus ce jour-là, ne dîna pas non plus mais gagna directement la fraîcheur de ses draps. Au bout d'une heure, les yeux encore écarquillés, le ventre noué, elle conjura une potion d'apaisement qu'elle préparait généralement pour Rodolphus. Elle s'endormit aussitôt.

Au beau milieu de la nuit, une sensation de vive brûlure la réveilla en sursaut. Elle passa une main sur son avant-bras et sentit la Marque des Ténèbres chauffer contre sa paume froide. Son Maître l'appelait ! Elle se tourna vers Rodolphus qui dormait à côté d'elle : il n'avait pas bougé d'un millimètre. Le cœur de Bellatrix bondit dans sa poitrine. Le Seigneur des Ténèbres n'avait pas appelé Rodolphus cette fois, mais elle ! Il fallait qu'elle se dépêche, Rodolphus et Reginaldus n'attendaient jamais plus d'une minute avant de transplaner lorsque le Maître les appelait. Bellatrix glissa hors du lit, enfila une robe de chambre par-dessus son négligé et transplana. Elle ne réfléchit pas à la destination : elle la connaissait sans l'avoir jamais entendue. Elle devait rejoindre son maître, et le lien magique qui reliait sa marque à son maître suffisait à lui indiquer le lieu à atteindre.

Lorsqu'elle ouvrit de nouveau les yeux, elle se trouvait dans une sorte de pièce similaire à celle qu'elle venait de quitter. Il s'agissait plutôt d'une grande suite : une partie de la pièce était constituée d'une petite cheminée dans laquelle un feu était allumé, encadrée d'une bibliothèque si encombrée qu'aucun autre livre n'aurait pu y trouver sa place, et de fauteuils et canapés recouverts d'un velours pourpre disposés devant l'âtre. Sous ses pieds, un épais tapis vert bouteille était agréablement tiède. À l'autre extrémité de la pièce, en face de la cheminée, une énorme bibliothèque recouvrait là encore l'intégralité du mur à l'exception, en son milieu, d'une grande double-porte de bois foncé. Il n'y avait pas de fenêtre dans la pièce. Derrière elle, une deuxième porte du même bois que l'autre s'ouvrit brusquement. Bellatrix se retourna aussitôt et fit face à son maître, grand et impressionnant dans l'embrasure de la porte.

– Bonsoir Bellatrix, dit-il avant de s'avancer à l'intérieur de la pièce.

La porte se ferma de son propre chef derrière lui tandis que le Seigneur des Ténèbres contournait Bellatrix et s'installait sur un des canapés en face de la cheminée. Il lui fit signe d'approcher. Elle s'exécuta aussitôt et se tint, debout et droite, à bonne distance de son maître.

– Bonsoir Maître, répondit-elle enfin en dévisageant avidement le visage de Lord Voldemort.

Il semblait un brin plus fatigué que préalablement chez les Lestrange. Elle remarqua qu'il était habillé de la même façon et qu'une certaine colère peinait à quitter son visage. Elle ignorait ce qui l'avait énervé mais elle espérait ardemment ne pas en être la cause.

– Assis-toi, ordonna-t-il sèchement.

Bellatrix hésita un instant, se demandant si elle devait s'asseoir à côté du Seigneur des Ténèbres, mais se fustigea aussitôt, et alla prendre place sur un fauteuil en face de lui.

– Comment s'est passée ta mission ? demanda-t-il sans autre préambule.

– Bien, le bébé est mort, Maître.

– Très bien, Maggins saura désormais que les menaces de Lord Voldemort ne sont jamais vaines.

– Il saura donc que vous êtes responsable de la mort de sa fille, murmura Bellatrix, un peu mal à l'aise.

Elle ignorait totalement quelle était l'approche de Voldemort ces temps-ci. Elle était témoin des départs quasi quotidiens de Rodolphus auprès de son maître, de ceux répétés de son beau-père et malgré quelques étrangetés décrites dans les journaux sorciers, le nom de Lord Voldemort n'avait encore jamais été mentionné. Elle savait qu'il se préparait dans l'ombre et Maggins, dont la profession était de chasser les mages noirs, avait maintenant la possibilité de lever le voile.

Lord Voldemort consentit un bref sourire.

– Oui, il saura que j'en suis responsable mais il n'osera prévenir tout le monde. Il sait que le reste de sa famille est en danger. De plus, même s'il parvenait à trouver un allié digne de confiance au Ministère, il serait bien trop embarrassant pour lui d'admettre qu'il n'a cessé de nous donner des informations sur les Aurors depuis son entrée dans le département, expliqua-t-il avec amusement.

– Igor Maggins est un espion ? s'exclama Bellatrix, incrédule.

– À son plus grand désespoir, j'en suis sûr, répondit Voldemort, il ne pouvait deviner que tant de sorciers influents et respectés au Ministère de la Magie pouvaient être au service d'un mage noir. Quand il a compris que ses confidences me parvenaient les unes après les autres, il a tenté d'en informer sa hiérarchie sans prendre en sérieux mes menaces à ce sujet. Il est prévenu à présent qu'il a tout intérêt à obtempérer s'il veut que sa femme au sang-de-bourbe vive.

Bellatrix acquiesça. Elle devait avouer qu'il était plus facile d'accepter les missions proposées lorsqu'elle en connaissait les raisons mais son Maître l'avait déjà rabrouée à ce sujet l'été dernier. Elle n'était pas censée questionner ses décisions mais simplement obéir.

– Je suis encore en pleine ascension mais je ne vais pas pouvoir rester dans l'ombre encore longtemps… reprit le Seigneur des Ténèbres, c'est plus qu'imminent maintenant et je ne compte pas faire de mon arrivée une frivolité.

– Pourrais-je être là ? implora Bellatrix aussitôt, pourrais-je être à vos côtés lorsque le monde vous découvrira ?

Une étrange expression passa sur le visage du Seigneur des Ténèbres.

– N'es-tu pas à mon service, Bellatrix ? s'enquit-il d'une voix quelque peu étonnée.

– Bien-sûr ! s'exclama-t-elle, plus que jamais mais vous n'avez pas fait appel à mes services ces derniers temps…

– Je comprends… Peut-être que la réalité d'être un Mangemort ne correspond pas exactement aux fantasmes que tu avais.

Il avait parlé d'un ton égal, sans animosité mais Bellatrix n'eut aucune difficulté à reconnaître la menace derrière ces mots.

– Maître, je n'éprouve aucun regret, se hâta-t-elle de répondre, je suis fière d'être un Mangemort mais j'ai simplement remarqué que vous appelez beaucoup plus souvent Rodolphus que moi.

C'était un euphémisme. Rodolphus était appelé tous les jours tandis qu'elle n'avait été appelée qu'une fois ces neuf derniers mois. Il y eut un long silence après ces mots.

– Tu n'as aucune raison d'être jalouse, Bellatrix, finit par dire Voldemort, Rodolphus est d'une utilité non-négligeable mais tu m'es beaucoup plus précieuse.

Bellatrix s'empourpra aussitôt.

– Vraiment ? répondit-elle sans pouvoir contenir l'immense joie qui l'animait.

– Bien-sûr, tu es plus puissante, plus intelligente et bien plus jolie que Rodolphus ! s'exclama Lord Voldemort avec un rire froid.

Sonnée, Bellatrix se rendit compte que le Seigneur des Ténèbres venait pour la première fois de lui dire une sorte de… blague ? Elle ne pouvait y croire mais son rire était contagieux, et très vite, Bellatrix sentit ses lèvres s'étirer. Toute colère semblait l'avoir quittée mais elle se demandait tout de même ce qui avait pu l'énerver, si ce n'était pas de son fait. Elle n'osa poser la question. Lord Voldemort avait maintenant détourné son regard vers le feu dans la cheminée. Il ne l'avait pas encore révoquée mais il ne semblait plus disposé à lui poser de questions. Que devait-elle faire ? Partir ?

– Dois-je partir, Maître ? se décida-t-elle à demander d'une voix faible, comme honteuse de le troubler dans ses pensées.

Il sembla se souvenir qu'elle se trouvait là.

– Oh oui, bien-sûr… J'allais oublier, cependant…

D'un coup de baguette, il fit venir à lui un énorme ouvrage noir à travers la double-porte de bois foncé dont les battants s'ouvrirent à la volée. Bellatrix y jeta un coup d'œil. Dans la pièce adjacente, plongée dans l'obscurité, Bellatrix y vit les pieds de ce qui semblait être un très grand lit. Sans savoir pourquoi, Bellatrix rougit alors que l'ouvrage atterrissait sur ses genoux. Elle venait de se rendre compte qu'elle se trouvait probablement chez Lord Voldemort. Déjà l'année passée, elle s'était demandée où se trouvait le Sanctuaire à l'intérieur duquel il lui avait enseigné tant de sorcellerie. Il n'y avait pas de fenêtre non plus dans la pièce aux murs de pierres.

– Voici un grimoire bien plus intéressant que celui que tu lisais tout à l'heure, expliqua-t-il simplement.

Le titre du livre était La Magie noire et ses maléfices, vol. III. Elle imagina que si le Seigneur des Ténèbres gardait l'ouvrage dans sa chambre plutôt que dans les bibliothèques chargées du salon, c'était parce qu'il devait s'agir d'un ouvrage rare ou qu'il le lisait très régulièrement.

– Merci Maître, souffla-t-elle.

Elle leva les yeux vers lui. Il la regardait fixement de ses yeux noirs parcourus d'une lueur rouge sang. Comme pétrifiée, Bellatrix observa les yeux du Seigneur des Ténèbres parcourir son visage, puis ses mains crispées sur le miroir et, presque négligemment, sa poitrine entre les pans de sa robe de chambre.

– Au-revoir, Bellatrix.

– Au-revoir, M… Maître.

Elle lui lança un dernier regard avant de transplaner, il n'avait pas bougé mais un minuscule sourire dansait sur ses lèvres.