Chapitre VII : La Mangemort
Juillet 1970,
Dans le salon au Manoir des Black, une stupeur inhabituelle ornait le visage de chacun de ses occupants. Les yeux de Narcissa, Andromeda, Rabastan, Sirius et Regulus étaient posés sur le couple debout devant eux. Seul Rodolphus, debout face à sa femme, semblait en proie à une grande colère. Il tenait le bras de Bellatrix dans sa main, la manche remontée jusqu'au coude révélant au grand jour la Marque des Ténèbres.
– Depuis quand es-tu à son service ? éructa-t-il avec colère.
Bellatrix le défia du regard, dégagea brusquement son bras et abaissa la manche sur son tatouage. Elle lança un regard noir à son jeune cousin de dix ans, Sirius, qui regardait toujours son bras avec une expression de surprise et d'horreur mêlées. C'était de sa faute si le sort de dissimulation qui maintenait sa marque cachée avait cessé de fonctionner : le jeune garçon avait trouvé drôle de distribuer à Bellatrix, Narcissa et Andromeda des chapeaux de chez Zonko qui modifiaient la couleur de cheveux de ceux qui les portaient. Bellatrix avait trouvé cela assez amusant en remarquant la chevelure rouge de Narcissa, celle bleutée d'Andromeda et la sienne vert vif jusqu'à ce que la magie qui ensorcelait le chapeau fasse dysfonctionner son propre sort de dissimulation. Au moment où Bellatrix avait retiré son chapeau, sa manche avait glissé, laissant apparaître la Marque des Ténèbres. Rodolphus l'avait aussitôt remarquée.
– Réponds-moi Bellatrix ! s'exclama-t-il encore, les yeux presque fous.
– Tu pourras poser la question au Seigneur des Ténèbres, répondit froidement Bellatrix.
– Qu'est-ce que c'est ? demanda Regulus innocemment, avant de saisir le bras de sa cousine pour observer le dessin du tatouage.
Agacée, Bellatrix le repoussa sans ménagement.
– C'est joli, commenta Regulus sans s'émouvoir de la réaction de Bellatrix, t'en penses quoi Sirius ?
Le garçon se contenta de hausser les épaules sans répondre. Bellatrix se tourna vers ses deux sœurs qui étaient restées silencieuses. Narcissa semblait songeuse et ne cessait de poser alternativement les yeux sur Rodolphus puis sur Bellatrix. Andromeda, quant à elle, regardait Bellatrix la mort dans l'âme. Rabastan laissa échapper un léger ricanement.
– Je ne vois pas où est le problème, dit-il, tout le monde devrait rejoindre les rangs du Seigneur des Ténèbres ! Je suis moi-même devenu Mangemort la semaine dernière…
Andromeda hoqueta de surprise. Elle semblait choquée par cette nouvelle révélation mais très vite elle se tourna de nouveau vers sa sœur.
– Bella… souffla-t-elle, les yeux remplis de tristesse, est-ce que tu te rends compte de ce que cela signifie pour toi ? Pour ta vie ?
– Bien-sûr que je le sais… Cela a toujours été mon plus grand souhait.
– Pour-
– Je ne suis pas en train de sous-entendre que c'est une mauvaise idée, interrompit Rodolphus, mais j'aurais pu être mis au courant ! Je suis ton mari après tout !
– Tu es mon mari parce que le Seigneur des Ténèbres me l'a ordonné ! riposta Bellatrix avec hargne. Je ne me serais jamais mariée sinon ! Je n'obéirai à personne d'autre que lui !
– Quoi ? Depuis quand es-tu Mangemort par merlin ? demanda Rodolphus, cela s'est passé avant notre mariage ?
– Oui, Rodolphus, avant… admit Bellatrix avec un sourire fielleux, j'étais sienne avant d'être à toi.
Dans tous les sens du terme, pensa Bellatrix avec amusement. La formulation choisie par sa femme ne laissa pas Rodolphus indifférent. Il la regardait avec étonnement.
– Comment est-ce que j'ai pu passer à côté de ça… Tu n'es jamais là lors de nos réunions ! Tu n'as jamais été appelé devant moi…
À ces mots, Bellatrix sentit son cœur battre plus vite.
– Il ne voulait pas que je le dise… Je ne pense pas être la seule Mangemort qu'il essaie de cacher vu les masques que nous utilisons. Ce qui signifie que je viens probablement de faire une erreur…
Un léger rictus étira les lèvres de Rodolphus.
– Probablement, admit-il, être un Mangemort ne s'improvise pas… Tu n'as pas l'air d'être le Mangemort le plus accompli qui soit.
Bellatrix se contenta de lui lancer un regard noir avant de s'asseoir lourdement sur sa chaise. Elle craignait d'avoir fait une lourde erreur… Que pouvait-elle faire pour ne pas envenimer la situation ?
– Tu devrais lui dire rapidement, conseilla soudainement Rodolphus, il sait toujours quand on lui cache des choses…
Bellatrix acquiesça sans répondre. Elle se dit, presque malgré elle que partager cette expérience de mangemort avec son mari pourrait être une bonne chose, finalement. La jeune fille considéra qu'il était maintenant temps de quitter la maison des Black : elle était venue pour l'anniversaire d'Andromeda qui venait de finir sa sixième année à Poudlard. Elle se drapa de sa cape et s'apprêtait à sortir quand Andromeda l'interrompit :
– Bellatrix, est-ce que je peux te parler ?
La jeune fille avait les yeux quelque peu écarquillés, les poings serrés et l'air sévère, ce qui convainquit Bellatrix d'accepter. Elle la suivit à l'étage dans sa chambre. Bellatrix n'avait jamais aimé la chambre d'Andromeda : elle était décorée de façon bien trop extravagante à son goût. Elle remarqua un sac en plastique sur le lit et s'en approcha avec curiosité.
– N'y touche pas ! siffla Andromeda.
Un hoquet choqué lui répondit. Bellatrix tenait dans ses mains un jean brut de production moldue. Elle lâcha le vêtement d'un air dégoûté qui tomba rigidement sur le lit.
– Andromeda, il y a un vêtement moldu sur ton lit, commenta Bellatrix d'un air perplexe comme s'il s'agissait d'une serpillère couverte de boue.
– Je suis au courant, merci, rétorqua Andromeda d'un air pincé.
Bellatrix leva un sourcil.
– Tu m'expliques ?
– Oh, lâche-moi Bella, ce n'est qu'un jean, c'est bien plus pratique que les robes qu'on nous oblige à porter.
– Hmm, hmm…
– Laisse-tomber, insista Andromeda avant de cacher le jean sous la couverture du lit.
Bellatrix continua de regarder sa sœur d'un air désabusé puis leva les yeux au ciel.
– Peu importe… Que voulais-tu me dire ?
Andromeda s'approcha de sa sœur et la regarda d'un air grave.
– Bella… Je sais que ta vie a beaucoup évolué depuis que tu es partie mais tu n'as rien à prouver à Rodolphus ni à personne d'autre.
– Exact, je n'ai rien à prouver à Rodolphus… Où veux-tu en venir ?
– Tu es un mangemort ! Et crois-moi je sais ce que cela signifie. À Serpentard, tout le monde en parle… Tu risques ta vie et celle des autres pour une cause en laquelle tu ne crois même pas complètement !
– Je n'ai pas à ma justifier, Dromeda, et je t'assure que ma décision est tout à fait réfléchie, assura Bellatrix en fronçant les sourcils.
Andromeda, presque tremblante, saisit les mains de sa sœur.
– Bella, je ne pense pas que le Seigneur des Ténèbres soit un homme digne de confiance, il va mener notre monde à sa destruction.
La jeune mangemort retira brusquement ses mains et foudroya sa sœur du regard.
– Tu ne le connais même pas ! siffla-t-elle avec acrimonie, il est de loin le sorcier le plus puissant que j'aie rencontré dans ma vie et ce en quoi il croit correspond tout à fait à mes idéaux. Tu n'es qu'une petite fille gâtée, naïve et ignorante, tu n'as aucune idée de quoi tu parles.
– Ok, ok, peut-être ! s'exclama Andromeda, les mains levées en signe de reddition, mais tu pourrais très bien être comme papa et maman, soutenir ses idéaux sans entrer pour autant à son service. Je me dis simplement que tu as pris cette décision pour prouver quelque chose alors que tu n'as absolument rien à prouver à qui que ce soit !
La jeune fille avait les larmes aux yeux maintenant. Bellatrix la contempla avec un mélange de colère, de pitié et de dégoût. Elle semblait sur le point de la gifler. C'est pourtant avec une étrange douceur que Bellatrix invita Andromeda à s'asseoir sur le lit.
– Dromeda, je me rends compte que tu me connais bien mal. Je n'ai jamais eu d'autre rêve dans ma vie que de devenir un Mangemort. Mais comment pourrais-tu le savoir ? Je ne t'ai jamais rien dit…
– Dit quoi ?
Bellatrix s'assit à son tour.
– Le jour où je l'ai rencontré, mon monde entier a basculé. J'avais enfin une porte de sortie. Je n'avais pas encore quatorze ans quand je l'ai vu pour la première fois mais déjà la conviction que je le servirai s'est installée. Ce n'était pas une lubie ou un rêve d'enfant mais une véritable vocation. Il m'a ouvert les yeux. Toutes les angoisses que j'avais à l'idée d'endosser le rôle de la femme mariée, de haut-rang, avec ses chiards hurlants se sont éteintes. Je me trouvais face à mon destin, tu comprends ? expliqua Bellatrix dans un souffle passionné.
Andromeda la contempla avec circonspection.
– Quand l'as-tu rencontré pour la première fois ? demanda-t-elle à voix basse comme pour atténuer l'horreur qu'elle ressentait.
– A Square Grimmaurd, le jour de mes fiançailles, répondit-elle d'un ton sardonique.
Andromeda se remémora cette journée mais ne se souvint pas de la présence du Seigneur des Ténèbres au domicile de son oncle et sa tante.
– Il est parti très vite, expliqua Bellatrix comme lisant dans ses pensées.
– Et depuis ce moment-là, tu rêves de devenir mangemort ? demanda encore Andromeda avec surprise.
– Oui… et mon rêve est devenu réalité. Cela n'a pas été facile, tu peux me croire, mais je suis aujourd'hui la seule femme à son service.
Le visage de Bellatrix s'illumina d'un sourire troublant.
– Je n'ai jamais parlé de cela, reprit-elle avec amusement.
Pendant un long moment, Andromeda dévisagea sa sœur comme si elle la voyait pour la première fois.
– Es-tu heureuse ? s'enquit-elle enfin.
Ce fut Bellatrix qui saisit les mains de sa petite sœur cette fois-ci. D'un air fier et l'œil pétillant, elle lui répondit :
– Oui, ma petite sœur chérie, oui, je suis heureuse.
XxXxXxX
– Ah, Bellatrix.
Lord Voldemort était assis au bout d'une très longue table en bois massif. Il n'y avait personne d'autre autour de la table mais l'odeur capiteuse du Whisky pur feu et des pipes flottait encore dans l'air. Elle savait qu'une réunion venait d'avoir lieu car Rodolphus avait été appelé en fin de soirée. Sauf que cette fois, Rodolphus avait accepté de parler au Seigneur des Ténèbres à la fin de la réunion pour lui annoncer qu'il avait découvert la marque de Bellatrix par accident deux jours auparavant.
– Je suis venue présenter mes excuses, Maître.
D'un geste de la main, Lord Voldemort fit reculer la lourde chaise en bois à sa droite. Bellatrix comprit le message et vint s'installer sur la chaise, à seulement quelques centimètres de son maître. Le regardait qu'il posait sur elle était implacable.
– Qu'est-ce qui a fait dysfonctionner le sort de dissimulation ? demanda-t-il d'un ton neutre.
– Un chapeau enchanté de chez Zonko, répondit aussitôt Bellatrix, c'était un cadeau de mon cousin pour l'anniversaire de ma sœur.
– Tu m'amèneras l'un de ces chapeaux, ordonna-t-il, je dois comprendre ce qui a pu poser problème avec mon sort de dissimulation.
Bellatrix hocha la tête.
– Bien-sûr Maître.
– Je ne peux pas me permettre de voir tous mes mangemorts être découverts, expliqua-t-il froidement.
– Maître, je suis profondément désolée, murmura Bellatrix, la gorge serrée.
– Qui connaît ta qualité de mangemort ?
– Rodolphus, évidemment, Rabastan, mes sœurs et mes jeunes cousins, Sirius et Regulus.
– Que pense Rodolphus de tout cela ?
Bellatrix fut un peu surprise de cette question.
– Il… il était choqué mais je crois qu'il s'est fait à l'idée, répondit-elle d'un ton hésitant.
Lord Voldemort posa sur Bellatrix un long regard froid et calculateur. La jeune fille ne savait que penser – elle avait craint la réaction du mage noir mais n'avait pas pensé que cela poserait tant problème. N'était-il pas qu'une question de semaines avant que le monde prenne connaissance des plans du Seigneur des Ténèbres et de ses serviteurs ?
– Est-ce qu'il sait ce qui s'est passé dans ta chambre le soir de tes noces ?
– Non, Maître, répondit Bellatrix, le cœur battant.
Elle dévisagea le visage fermé de son maître. C'était la première fois qu'il faisait référence à cette nuit passée ensemble un an auparavant.
– Il ne devra jamais savoir Bellatrix… Il me serait très inconfortable de voir éclore un esclandre dans mes rangs, d'autant plus au sein de la famille Lestrange qui ne compte pas moins de quatre sorciers à mon service.
– Bien-sûr, Maître, je n'ai jamais eu l'intention de divulguer quoi que ce soit.
– Tu me seras d'une utilité relative maintenant que ton identité est dévoilée, un mangemort comme les autres, avoua Lord Voldemort d'un ton acide.
Le cœur de Bellatrix se brisa en mille morceaux. La déception qu'elle pouvait entendre dans la voix de son maître était pire que tous les Doloris du monde. Elle ne sut que répondre, tant elle peinait à se maîtriser pour ne pas pleurer devant lui.
– Avez-vous consommé votre mariage ?
La tristesse se mêlait maintenant au choc. Que voulait-il ?
– Oui…
C'était à n'en pas douter l'échange le plus étrange qu'elle avait eu avec son maître.
– D'où la potion de stérilité, j'imagine. Voulais-tu qu'il sache que tu étais à mon service ?
– NON ! s'exclama la jeune fille avec force.
Lord Voldemort resta silencieux de longues secondes puis il se leva sans un bruit.
– Tu peux disposer, dit-il enfin.
– Maître, je vous en supplie, pardonnez-moi, je n'ai jamais voulu vous désobéir… implora Bellatrix, les larmes couvertes de larmes.
– Rentre chez toi, Bellatrix.
Bellatrix ne quitta pas du regard la porte par laquelle Lord Voldemort avait disparu durant de longues minutes. Le corps traversé de sanglots, elle tentait de contrôler ses pleurs et sa respiration erratique. Le cœur enflammé, elle ne peinait à croire que son Maître pouvait un seul instant douter de sa loyauté. Prise d'un élan irrépressible, elle traversa la pièce et ouvrit la porte que venait d'emprunter son maître. Elle atterrit dans un long corridor illuminé par des torches au mur. L'ambiance était lugubre.
Elle fit quelques pas à l'intérieur, entendit ses talons résonner au sein de ces murs de pierre puis s'arrêta aussitôt. Elle ne pouvait pas faire ça… Elle transplana au Manoir Lestrange.
XxXxXxX
Un mois plus tard,
Les mangemorts avaient été appelé, même Bellatrix. Sans son masque, elle s'était installée à l'instar des autres autour de la longue table en bois. Lord Voldemort présidait au bout de la table, entouré à sa droite d'Enguerrand Avery et à sa gauche de Reginaldus Lestrange. A côté de Reginaldus était assis Abraxas Malefoy, puis d'autres mangemorts d'un âge avancé. Avec tristesse, Bellatrix s'était aperçue qu'elle était installée quasiment à l'opposé de Lord Voldemort, entre Rabastan et un homme qui avait un fort accent slave quand il prenait la parole. Rodolphus était du côté droit de Lord Voldemort, quelques rangs après son père, Reginaldus.
Bellatrix ne connaissait pas tous les hommes qui étaient là ce soir-là. Certains sortaient de Poudlard, d'autres de Durmstrang ou de Beauxbâtons. Les plus anciens étaient installés au plus proche de Voldemort, les plus jeunes à l'autre bout de la table. Dans la hiérarchie établie par le mage noir, Bellatrix connaissait à présent sa place. Elle était assise après Rabastan qui n'était au service de Lord Voldemort que depuis un mois. Après l'homme à l'accent slave, il n'y avait que le vide. La table s'arrêtait là. En face d'elle, un petit homme à l'air hagard ne quittait pas ses mains des yeux. Il n'avait pas prononcé un mot de toute la réunion. Bellatrix se sentait humiliée.
Après quelques comptes rendus de ses différents mangemorts durant lesquels Lord Voldemort ne disait pas grand-chose, un sorcier du nom d'Ethan Rosier prit la parole. Bellatrix le connaissait bien – il avait été à Poudlard en même temps qu'elle mais était plus vieux de trois ans. Il venait de finir sa formation d'Auror au Ministère de la Magie, et agissait en tant qu'informateur.
– Maître, j'ai de nouvelles informations concernant Igor Maggins.
Bellatrix tourna son regard vers Lord Voldemort. Il était impassible.
– Il était en congé ces derniers mois suite à la mort de sa fille mais depuis son retour il y a trois semaines, il ne cesse d'alerter le département tout entier sur votre prochaine ascension, Maître. Il est incontrôlable et refuse à présent de collaborer.
– J'avoue qu'un tel revirement de situation était prévisible – c'est un Gryffondor après tout, il préfère agir plutôt que protéger ce qui lui reste de famille…
Le Seigneur des Ténèbres resta quelques secondes silencieux, contemplatif.
– Maintenant que son inutilité est établie, je veux que toi, Rabastan et Bellatrix finissiez le travail. La femme, parents, grands-parents. Tout le monde. Quand cela sera fait, vous me l'amènerez personnellement.
– Très bien, Maître, répondit Rosier.
Bellatrix sentit Rabastan lui lancer un regard insistant. Le jeune mangemort venait de recevoir sa première mission. Il était extatique. Les autres mangemorts dévisageaient Bellatrix d'un air circonspect. Envoyer une fille accomplir une mission de type raid devait leur sembler passablement incongru. Lord Voldemort, lui, ne lui accorda pas un regard. Il lança quelques dernières directives et mit un terme à la réunion. Les mangemorts commencèrent à transplaner sans attendre. Bellatrix le regarda une nouvelle fois disparaître derrière la grande porte en bois, puis transplana à son tour, le cœur piétiné et l'ego malmené.
XxXxXxX
– Bellatrix… Calme-toi, soupira Rodolphus d'une voix endormie.
Ils étaient tous les deux au lit depuis plus d'une heure mais Bellatrix ne parvenait pas à trouver le sommeil. La réunion ne cessait de tourner en boucle dans sa tête. La façon dont le Seigneur des Ténèbres l'avait ignorée la terrorisait. Jusqu'en avril, elle avait cru avoir perdu les faveurs de son maître et s'était sentie délaissée et abandonnée. Elle savait maintenant qu'il n'en était rien. Lorsque Lord Voldemort punissait ses serviteurs, il ne se contentait pas de les ignorer – il s'affairait à les humilier copieusement, en leur montrant à quel point ils avaient dégringolé dans son estime. Bellatrix ne voulait pas être le mangemort laissé de côté, celui qu'on envoie en première ligne et dont l'opinion, la vie ou le pouvoir n'exercent aucun attrait. Elle rêvait d'être à la place de Rodolphus Lestrange ou d'Enguerrand Avery, celle qui serait assise aux côtés du Seigneur des Ténèbres, celle dont il respecterait les avis et conseils.
Rodolphus lui-même avait dû faire ses preuves. Il avait longtemps été envoyé au casse-pipe dans les missions les plus périlleuses mais les moins délicates d'un point de vue stratégique. Aujourd'hui, il avait gagné la confiance de son maître. Bellatrix en était verte de jalousie.
– Tu ne pouvais tout de même pas croire qu'il laisserait passer ton erreur aussi facilement, reprit-il lorsqu'il s'aperçut que Bellatrix était loin d'être calmée.
Elle ne cessait de soupirer et de gigoter dans le lit.
– Oh ! Evidemment, il s'agit de mon erreur maintenant ! Tu n'avais qu'à ne pas mettre tes sales pattes sur moi. D'ailleurs si je n'étais pas mariée avec toi, je n'aurais jamais eu tous ces problèmes. Je serais devenue mangemort par mes propres moyens et je n'aurais eu que ça à penser. Je n'aurais pas eu à supporter un boulet de mari stupide et moche !
Il y eut un silence après cette tirade enflammée puis Rodolphus se mit à pouffer de rire. Bellatrix et ses mélodrames avaient toujours été l'une de ses distractions préférées.
– Je te préviens, si tu n'arrêtes pas tout de suite, je t'éjecte du lit ! menaça-t-elle, outrée qu'il ose se moquer d'elle.
– Bella… marmonna-t-il alors que se mains enlaçaient sa taille, tout ira bien. La mission qu'il t'a donnée n'est qu'une formalité et il te pardonnera très vite, tu verras. Il est intransigeant mais pas rancunier.
– Ce n'est pas que ça… Tu as vu comment ces idiots me regardaient ? On aurait dit que j'étais la première fille qu'ils découvraient.
– Tu ne peux pas t'attendre à ce qu'ils t'accueillent à bras ouverts, tempéra Rodolphus, ils n'ont pas l'habitude de voir une furie dans ton genre…
Bellatrix lui pinça le bras.
– Mmh… Continue, ça fait longtemps que tu ne t'es pas occupé de moi… gémit-t-il avant de déposer un baiser dans son cou.
– Oh lâche-moi !
Sur ces mots, Bellatrix se leva et enfila sa robe de chambre.
– Où vas-tu ? grogna-t-il.
– Dans ma chambre et n'essaie même pas de venir si tu ne veux pas perdre un testicule… ou même les deux !
La porte de la chambre se referma sur un claquement sec. Rodolphus rit de nouveau et s'endormit.
XxXxXxX
La mission ne se passa pas comme prévu. Ethan Rosier était plus que dépité à l'idée de collaborer avec une femme et n'avait cessé de lui donner des ordres : « Reste en arrière ! », « Je m'en occupe, toi tu restes là et ne bouge pas », « Laisse faire les hommes, Bellatrix, je ne veux pas avoir ton mari sur le dos ». Rabastan, quant à lui, était tellement euphorique qu'il avait entendu la moitié des choses qu'on lui disait. Au final, la famille avait été tuée comme prévue – cela n'avait pas été compliqué car ils étaient tous Moldus mais Igor Maggins avait réussi à s'enfuir.
Une fois de plus, Bellatrix se trouvait face à son Maître dans cette grande salle de réception qu'elle commençait à détester. Ethan et Rabastan l'entouraient. Le jeune frère de Rodolphus ne disait rien, trop honteux de leur mission ratée mais Ethan ne cessait de parler et accusait Bellatrix de tous les maux.
– Elle n'a pas voulu m'écouter Maître ! s'exclama Ethan d'un air offusqué, je lui avais dit de ne pas bouger ! Au final, Igor Maggins a pu s'échapper car elle n'était pas devant l'entrée pour l'empêcher de sortir, comme je lui avais dit.
– Rosier, la seule raison pour laquelle Maggins t'a échappé est parce que tu étais trop nul pour le neutraliser. Si tu m'avais laissé faire, il ne m'aurait fallu que quelques secondes pour stupéfier cet idiot de Gryffondor !
– Tais-toi, Lestrange ! Tu n'es pas en position de parler ici !
Prise d'une colère folle, Bellatrix sortit sa baguette et envoya Rosier valser à l'autre bout de la salle. Sa tête cogna violemment contre un coin de table et il s'évanouit.
– Réanime-le, ordonna aussitôt Lord Voldemort d'une voix froide.
– Maître-
– Réanime-le ! s'exclama-t-il, la voix forte et claire.
Bellatrix déglutit difficilement et s'empressa de rejoindre le corps allongé au sol pour le réanimer.
– Raccompagne-le chez lui, Rabastan, l'entendit-elle dire au jeune Lestrange.
Le petit frère de Rodolphus s'approcha alors d'elle, lui lança un regard compatissant mais trop heureux d'échapper au châtiment, ne perdit pas une seconde de plus. Il saisit le poignet de Rosier et tranplana. Le souffle court, Bellatrix n'osait pas se retourner vers son Maître. Il lui semblait qu'elle ne faisait que le décevoir ces derniers temps mais c'était tellement injuste : rien de tout cela était de sa faute !
– Es-tu fière de toi, Bellatrix ?
La jeune fille se retourna vivement vers son Maître.
– Maître, j'aurais accompli cette mission sans encombre si Rosier ne m'avait pas empêché d'agir.
– Ce n'était pas ta mission mais celle d'Ethan – tu n'étais là qu'en renfort mais il semble que cela était déjà trop compliqué pour toi.
– Maître ce n'est pas juste, j'ai toujours réussi les missions que vous m'avez confiées, se défendit Bellatrix.
Il s'approcha d'elle.
– C'est exact, tu étais d'une utilité remarquable lorsque ton identité était cachée… Que vais-je faire de toi si tu es incapable de t'intégrer aux autres mange- ?
– Ce n'est pas moi qui refuse de m'intégrer ! Ce sont eux qui me traitent comme une moins-que-rien parce que je suis une femme !
D'un geste brusque, la main du mage noir vint se refermer autour de la gorge de la jeune fille.
– Fais attention Bellatrix, susurra-t-il à son oreille, tu ne voudrais tout de même pas que je perde toute estime pour toi.
– Pardon Maître…
Il l'interrompit en accentuant sa prise sur son cou.
– La seule raison pour laquelle je t'ai acceptée dans mes rangs est parce que tu es une sorcière puissante. Perds encore le contrôle comme aujourd'hui, blesse encore une fois un de mes mangemorts, et je te montrerai à quel point ta puissance est ridicule comparée à la mienne.
Lord Voldemort se détacha un peu d'elle pour la regarder dans les yeux. Elle y vit une cruauté sans nom. Bellatrix ne pouvait nier qu'elle était terrifiée… Il ne s'était jamais montré aussi dur avec elle. Elle prit alors pleinement conscience qu'elle avait vraiment bénéficié d'un traitement de faveur jusque-là. Cela la glaça de l'intérieur. Elle avait perdu quelque chose qu'elle ignorait posséder. Les doigts se détachèrent lentement du cou de la jeune fille.
Il fit brutalement volte-face.
– Rentre chez toi, tu auras besoin de repos pour retrouver Maggins.
Et sur ces mots, Lord Voldemort disparut une fois de plus derrière la porte de bois. Indécise, Bellatrix ne sut quoi faire. Elle n'allait pas passer sa vie du mauvais côté de la table. Cette fois, elle irait jusqu'au bout. Quelques secondes après son maître, elle franchit à son tour la porte de bois. Le corridor était déjà désert. Loin de la décourager, Bellatrix continua sa course à l'intérieur de l'étrange bâtisse qu'habitait le Seigneur des Ténèbres. Elle ouvrit quelques portes à la volée mais la plupart étaient vides. Au bout du corridor, elle se trouva face à une double-porte en bois. Elle actionna la poignée et pénétra dans la pièce qu'elle reconnut aussitôt : il s'agissait de la suite dans laquelle elle avait parlé avec son maître en avril dernier. Lord Voldemort était dans la pièce adjacente, celle qu'elle avait reconnu comme une chambre. Il se tenait dans l'embrasure de la porte, le regard posé sur elle, sa cape dans la main. Le cœur battant, Bellatrix se rendit compte qu'il allait probablement se coucher. Il était très tard, après tout. L'acidité brûlante du regard de son maître la glaça sur place et tout son courage menaça de fondre comme neige au soleil.
– Il me semble t'avoir demandé de partir, siffla Lord Voldemort d'un ton glacial.
Bellatrix le contempla encore, apeurée au-delà des mots, mais également prise d'un élancement violent au creux des reins. Les yeux du mage noir étaient à présent parcourus de reflets rougeoyants comme des lames couvertes de sang. Le col autour de son cou était plus lâche que d'habitude comme si le mage noir avait commencé à se déshabiller – Bellatrix pouvait y voir la peau blanche et lisse qu'elle rêvait d'embrasser.
– Je refuse de m'en aller sans vous prouver ma loyauté d'abord, expliqua Bellatrix.
Elle n'était pas rassurée mais alors que le désir enflammait ses sens, elle se dit qu'il serait moins douloureux de subir les tortures de son maître que de ne pas l'embrasser, là, maintenant. Elle s'approcha de lui à pas lents.
– Tu refuses ? Bellatrix, je te conseille fortement de faire demi-tour maintenant si tu ne veux pas connaître toute l'étendue de ma colère.
Tremblante mais décidée, elle posa ses mains sur le torse du mage noir et dans un geste fluide, se mit sur la pointe des pieds pour embrasser le minuscule carré de peau qui n'était pas couvert par le col de sa robe. Elle n'eut le temps d'apprécier la douceur de sa peau qu'une microseconde avant d'être violemment repoussée. Bellatrix sentit sa tête cogner douloureusement contre le chambranle de la porte. Elle se trouvait à présent à l'intérieur de la chambre. Une main se glissa sous sa chevelure et rejeta brutalement sa tête en arrière.
Par chance, le sorcier n'avait pas sa baguette sur lui. Du coin de l'œil, Bellatrix la vit posée sur le lit. Sans attendre, elle s'empressa d'empoigner la robe du mage noir.
– Bellatrix, persifla alors Voldemort d'une voix caverneuse, ne fais pas l'erreur de croire que la clémence que j'ai fait preuve envers toi m'empêchera de te faire du mal…
Un drôle de sourire effleura les lèvres de la jeune fille. Non pas qu'elle était sans peur – tout son corps tremblait – mais elle sentait aussi au fond d'elle un relent de folie pure qui lui hurlait de continuer. Elle préférait être torturée des heures plutôt que rentrer chez elle. De ses mains libres, elle s'affaira à déboutonner la robe de son maître. Elle ne se hâta même pas. Ne le quittant pas des yeux, elle ouvrit méticuleusement chacun des fermoirs de la robe. Bientôt, elle put glisser ses doigts à l'intérieur, sous les vêtements, le long de son ventre à la peau infiniment froide et douce, et enfin, contre la virilité à moitié dressée du mage noir. Silencieux, la mâchoire serrée, et les pupilles dilatées à la manière d'un serpent, Lord Voldemort la laissa faire quelques secondes avant de poser la main qui n'était pas crispée dans ses cheveux sur son poignet. Il fit mine de reculer. Bellatrix se mit alors aussitôt à genoux et n'attendit pas avant de poser sa bouche autour du membre chaud et dressé de son maître. Un sifflement s'échappa des lèvres du Seigneur des Ténèbres. Là encore, il laissa Bellatrix faire quelques vas et viens avec sa bouche avant de la repousser. Elle était à présent trop loin pour le toucher.
– Maître… supplia-t-elle, la gorge nouée par un désir presque douloureux.
À moitié allongée sur le sol, essoufflée, enivrée, affolée, elle l'observa se rhabiller puis s'approcher du lit pour récupérer sa baguette. Placardée au sol par son regard froid et sa baguette tendue, il se tint droit et inquiétant devant elle. La porte de la chambre se referma derrière lui.
– Doloris, siffla-t-il.
Aussitôt Bellatrix sentit la plus intense des douleurs lui parcourir chacun des nerfs de son corps, chaque muscle, chaque os, chaque millimètre de sa peau. Au bout de quelques minutes, Lord Voldemort leva le sort. Elle était toujours étendue au sol, le regard fixé sur lui.
– En espérant que cela aura suffi à calmer tes ardeurs… Va-t-en, Bellatrix.
Il avait raison. Tout désir avait instantanément disparu. Il ne fallut pourtant qu'un regard sur lui, sur ses mains graciles et gracieuses, sa bouche froide, douce et sensuelle, ses yeux aux couleurs infernales pour sentir revenir le besoin irrépressible de le sentir en elle. Mais le désir n'empêcha pas la honte de l'envahir. Bellatrix prit conscience avec effarement qu'elle venait presque d'agresser sexuellement le Seigneur des Ténèbres ! À vrai dire, s'il avait s'agi de n'importe qui d'autre, elle n'aurait pas considéré qu'elle l'avait presque agressé mais Lord Voldemort était tout à fait capable de se défendre, baguette à portée de main ou non. Malgré sa peur et son humiliation, elle ne pouvait ignorer que le Seigneur des Ténèbres ne l'avait pas tout de suite repoussée. Bellatrix se releva, drapée de honte, et disparut, sans oser le regarder une dernière fois.
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Octobre 1970,
Les semaines filèrent dans le plus grand flou. Bellatrix passait ses journées avec Ethan Rosier, qui n'éprouvait pour elle qu'un mépris grandissant, et Rabastan Lestrange dans l'espoir de retrouver Igor Maggins. Jusqu'ici leur traque fut vaine. L'ancien auror avait totalement disparu : personne ne l'avait vu au Ministère de la Magie et tous les informateurs qu'ils avaient dans le monde sorcier étaient sans réponse. Cela rendait les trois mangemorts de plus en plus enragés. Lord Voldemort avait décidé de les inclure dans aucune autre mission tant que Maggins n'avait pas été retrouvé, mort ou vif. La frénésie autour du Seigneur des Ténèbres était pourtant plus intense que jamais. Les mangemorts pouvaient sentir que la première apparition publique de leur maître n'allait pas tarder : chaque jour une nouvelle mission était confiée, les interrogatoires musclés se multipliaient. Les absences du mage noir se répétaient, parfois plusieurs jours durant et chaque fois qu'il revenait, il semblait plus menaçant que jamais.
Ce soir-là justement, Rodolphus était en mission, ainsi que Reginaldus. Ereintée par une nouvelle journée sans résultats, Bellatrix rentra seule au Manoir Lestrange. Rabastan était parti boire un verre avec d'autres mangemorts. L'horloge du grand hall indiquait vingt-et-une heures trois. Madame Lestrange n'était probablement pas couchée. La plupart du temps, Bellatrix l'évitait au maximum mais ce soir-là, elle était affamée. Elle traversa les fastueuses salles du rez-de-chaussée jusque la salle à manger. Sur la table ronde étaient posées, comme d'habitude, plusieurs assiettes recouvertes d'un sort anti-refroidissement. Bellatrix n'eut pas le temps de goûter son repas. Du coin de l'œil, elle remarqua un corps étalé sur le sol près de la cheminée.
Bellatrix accourut aussitôt et reconnut le visage figé dans l'horreur de sa belle-mère.
– Oh par Merlin…
Bellatrix connaissait bien le Sortilège de la Mort qui recouvrait le visage de Madame Lestrange. Elle eut tout juste le temps de se dire qu'il fallait qu'elle prévienne quelqu'un lorsque sa baguette s'échappa soudainement de sa main. Elle se retourna vivement et fit face au visage déformé par la haine d'Igor Maggins.
– Stupefix !
Bellatrix s'effondra au sol.
