Chapitre XII : L'Autre
Elle était noyée dans un océan de draps blancs, entourée d'un parfum qu'elle connaissait par cœur, celle de forêts en éclosion, de feuilles mortes et d'une odeur qu'elle pouvait maintenant parfaitement définir : l'effluve métallique du sang. Bellatrix ne put s'empêcher de sourire en ouvrant les yeux. La pièce était faiblement éclairée par la cheminée au fond de la pièce, et une bougie posée sur la table de nuit. Elle reconnut immédiatement la chambre même si elle n'y était entrée qu'une fois, un court instant, lorsqu'en août de l'année précédente, elle s'était jetée sur le mage noir.
Elle n'avait pas pensé à cet événement depuis très longtemps. Il lui semblait incroyable qu'il y eût un moment dans sa vie où Bellatrix avait eu l'audace de forcer l'intimité de son Maître, jusqu'au point de… Elle étouffa un rire dans les draps lorsqu'elle se remémora la façon dont elle l'avait agressé, à genoux devant lui. C'était un des moments les plus honteux et mortifiants de sa vie. Quand bien même, elle avait osé être d'une imprudence folle envers Lord Voldemort… Cela lui manquait. Son impulsivité et son effronterie avaient été l'étendard de sa personnalité à Poudlard. Depuis son enlèvement, elle l'avait inconsciemment enterré dans les tréfonds de son être. Elle voulait redevenir cette Bellatrix-là, celle qui se fichait du regard des autres ou des conséquences de ses actes.
Elle se redressa. Le lit et les draps de coton serré qui le garnissaient étaient extraordinairement confortables, chose qu'elle n'aurait pas imaginé venant du Seigneur des Ténèbres. À en juger par la décoration simple et le confort minimal des autres pièces du Quartier Général, elle s'était imaginé un lit plus spartiate – non pas que l'idée de dormir aux côtés du Lord Voldemort lui ait souvent traversé l'esprit ! Elle était toujours vêtue de la chemise de nuit que Rodolphus lui avait intimé d'enfiler en revenant de la mission en Roumanie. Penser à son mari lui fit mal. À son réveil, elle avait oublié un instant la raison pour laquelle elle ne se trouvait pas dans sa chambre au Manoir Lestrange.
Elle avait perdu la raison, elle le savait.
Rodolphus avait, lui aussi, dépassé les bornes, se défendit-elle en se remémorant les phrases horribles qu'il avait dites. Elle n'était aucunement responsable de sa fausse couche, et n'avait rien fait pour cela. Si son idiot de mari ne la croyait pas, qu'est-ce que cela pouvait bien lui faire ? Elle soupira. Le nœud dans son estomac s'était de nouveau installé. Elle s'était rendu compte depuis quelques temps qu'elle ne pouvait plus faire abstraction des sentiments de son mari comme elle le faisait auparavant. Insidieusement, il avait pris une place dans sa vie, et elle tenait à lui, malgré tout. Cela la terrifiait. Elle n'avait jamais eu l'intention de s'attacher à lui… Elle s'était promis de le mépriser toute sa vie. Qu'y pouvait-elle si elle préférait être au service de Lord Voldemort plutôt que devenir mère ? Elle n'avait pas changé. Il avait toujours su qu'elle était cette femme-là, celle qui préférait les maléfices aux potions d'amour. Il n'avait pas le droit de lui en vouloir maintenant pour quelque chose qu'il avait toujours su. Elle s'extirpa des couvertures, regrettant immédiatement la chaleur des draps lorsque le froid mordant vînt lui piquer la peau.
D'un pas un peu tremblant, elle se dirigea vers la double-porte de bois brun près de la cheminée et poussa le battant. Elle aperçut immédiatement Lord Voldemort, assis derrière son bureau, dans le salon-bibliothèque qui faisait suite à sa chambre. Il suspendit sa plume au-dessus de son parchemin lorsqu'il entendit le grincement de la porte, et leva les yeux vers elle. Soudainement embarrassée, Bellatrix croisa les bras sur sa poitrine. Il lui sembla que sa courte chemise de nuit était un rempart ridicule face au regard pénétrant de son Maître. Il s'était maintenant redressé contre le dossier de son fauteuil.
– Maître, je suis désolée de m'être emportée contre Rodolphus… Il m'a… énervé, avoua-t-elle, honteuse.
– C'est ce que j'avais cru comprendre, oui.
– Comment va-t-il ? demanda-t-elle.
– Il s'en remettra, éluda Lord Voldemort, évasif, dis-moi plutôt comment tu te sens.
– Bien, beaucoup mieux, merci Maître, répondit Bellatrix avec reconnaissance.
Elle hésita un instant. Il la regardait sans dire un mot.
– Je… je n'arrive pas à croire que j'ai choisi de le garder pour lui… alors qu'il… chuchota-t-elle avec difficulté, les yeux baissés, j'ai été si stupide…
– Tu n'es pas la première personne que l'amour rend stupide, rétorqua-t-il.
– Je n'aime pas Rodolphus ! s'insurgea Bellatrix, relevant aussitôt la tête.
Lord Voldemort esquissa un sourire ironique qui irrita la jeune fille. Il ne semblait pas la croire. Croyait-il vraiment qu'elle nourrissait des sentiments envers Rodolphus ? Elle se haït violemment. Elle avait été encore plus stupide qu'elle ne l'avait cru. Ce soir-là, dans sa chambre, quand Edgar Mirepoix lui avait révélé qu'elle était enceinte, elle avait fait une grossière erreur. Comment avait-elle pu ressentir le moindre sentiment d'empathie ou d'obligation envers son idiot de mari alors que se tenait devant elle, l'homme de sa vie, sa raison de vivre, son Maître ? Elle avait maintenant l'impression que Lord Voldemort avait pris sa décision beaucoup plus au sérieux qu'elle-même, comme si, en refusant de tuer son fœtus, elle l'avait trahi.
Elle était horrifiée.
– Maître, vous devez me croire, il n'est rien…
– Ça n'a pas d'importance Bellatrix, interrompit-il, approche.
À pas lents et hésitants, Bellatrix franchit les quelques mètres qui la séparaient du bureau de son Maître. Elle s'arrêta à côté de son fauteuil, encore tremblante de froid, mais aussi d'une autre émotion qui grimpait lentement le long de sa colonne vertébrale. Il ne la quittait pas des yeux. Elle avait envie de l'enlacer, de l'embrasser, de lui dire qu'elle était désolée et qu'elle n'aimait que lui.
Lord Voldemort sortit une fiole de son tiroir et la tendit à Bellatrix :
– Ceci devrait t'aider à accélérer ta guérison, selon Alecto, du moins.
Bellatrix le remercia mais ne put cacher une moue à l'entente du nom de la Mangemort.
– Un problème avec Alecto, peut-être ? questionna-t-il avec amusement.
– Elle est totalement incompétente, accusa-t-elle, ce n'est qu'une arriviste des plus grossières.
Lord Voldemort leva un sourcil sceptique.
– J'avais un guérisseur très talentueux, comme tu le sais, mais il a dû être exécuté pour des raisons que tu connais également, expliqua-t-il, Alecto a étudié quatre années à la faculté de la médicomagie et elle a pour l'instant toujours été capable d'accomplir les tâches que je lui ai confiées.
– Vous lui confiez des tâches ?
La jalousie était à présent immanquable dans la voix de Bellatrix.
– Non, je l'ai accueillie dans mes rangs pour faire le ménage dans mes appartements, ironisa-t-il avec un sourire en coin.
Bellatrix qui imagina Alecto en soubrette à quatre pattes devant son Maître ne trouva pas la plaisanterie très drôle. Un rire amusé vînt troubler ses pensées maussades. Lord Voldemort était maintenant debout, face à elle :
– Dépêche-toi de boire ta potion.
Bellatrix obéit et ingéra le contenu de la fiole en une gorgée.
– Bien, maintenant rentre chez toi et repose-toi. Tu ne participeras à aucune mission les deux prochaines semaines.
L'idée de rentrer au Manoir Lestrange lui glaça les entrailles mais elle ne dit rien. Elle était trop préoccupée par le fait que Lord Voldemort la dominait de toute sa hauteur à seulement quelques centimètres d'elle.
– Et ma leçon d'Occlumencie, Maître ? s'enquit-elle, d'une voix faible, intimidée par la proximité entre elle et son Maître et le regard qu'il posait sur elle.
– Je n'ai pas oublié, assura-t-il, je t'appellerai le moment venu.
Bellatrix lui offrit un maigre sourire. L'envie ridicule de pleurer la saisit soudain. Elle n'avait pas envie de partir, surtout si elle devait être assignée à résidence pendant deux semaines sans le voir. Elle sentait le désespoir la gagner de nouveau.
Lord Voldemort l'observait toujours. Il glissa une main sur ses boucles brunes et avança doucement son visage vers le sien. Bellatrix sentit son souffle buter contre sa bouche, puis ses lèvres se posèrent sur les siennes. Son cœur s'emballa dans sa poitrine. Elle entrouvrit ses lèvres, et Voldemort en profita aussitôt pour approfondir le baiser. Sa main droite descendit lentement le long de la chemise de nuit de Bellatrix jusqu'à sa cuisse où elle se referma contre la peau nue et brûlante, avant de l'attirer brusquement contre lui. L'intensité du baiser fit trembler la jeune fille qui sentait la main froide de son Maître fermement crispée à la naissance de ses fesses et l'autre profondément enfoncée dans sa chevelure à l'arrière de son crâne. Elle abandonna un gémissement plaintif contre ses lèvres douces. Un désir électrique parcourut son corps.
Voldemort se recula d'un geste soudain.
– Rentre chez toi, ordonna-t-il sèchement.
Bellatrix lui lança un dernier regard avant de transplaner. Elle voulut mémoriser cette image à vie, le temps d'une longue et magnifique seconde, le Seigneur des Ténèbres l'avait contemplée, les yeux lourds de désir, les lèvres un peu meurtries, plus beau et désirable que jamais, avant que son masque de froideur habituelle ait repris le dessus.
XxXxXxX
Le bruit sourd de la pluie contre les fenêtres de la bibliothèque accompagnait sa respiration lente et profonde. Emmitouflée dans un épais cardigan en laine, elle ne souffrait pas trop du froid mais une étrange mélancolie l'étouffait. Depuis son retour au Manoir Lestrange, elle ne s'était jamais sentie aussi seule. Rodolphus l'avait aperçue une courte seconde et lui avait jeté le regard le plus meurtrier de sa vie. Bellatrix, d'ordinaire forte et insensible, n'avait pas pu soutenir ce regard. Elle avait baissé la tête. Cela faisait maintenant plus de deux semaines qu'ils s'étaient croisés dans le couleur du premier étage, et Rodolphus l'avait depuis soigneusement évitée. Il était sorti du matin jusqu'au soir. Rabastan refusait de lui adresser la parole et ses parents ne l'avaient pas recontactée depuis la disparition d'Andromeda, ce qui signifiait qu'ils n'avaient eu aucun indice à ce sujet. La solitude était implacable.
La marque à son bras brûla enfin. L'appel de son Maître tant attendu.
Suivant la connexion qui la liait à sa marque, elle se retrouva au Sanctuaire. Lord Voldemort était au centre de la pièce humide, baguette à la main. Bellatrix n'avait rien eu d'autre à faire que s'entraîner à l'Occlumencie ces derniers temps : cette fois, elle se battrait, elle résisterait. Elle était déterminée à laisser derrière elle tout ce qui s'était passé entre eux.
Maître et mangemort échangèrent un bref regard puis sans salutation ou signe avant-coureur, Lord Voldemort franchit les barrières de son cerveau. Bellatrix laissa quelques secondes de ses pensées malmenées lui échapper : Rodolphus et ses insultes, le baiser de son Maître, le venin dans la voix de sa mère quand elle lui reprochait la disparition d'Andromeda. Une intense colère s'empara de Bellatrix qui ne put contenir la moindre émotion. Elle sut alors qu'en-dépit de ses entraînements sans relâche, elle n'y arriverait pas. Elle était trop à cran pour fermer les barrières de son cerveau. Elle fit alors ce qu'elle faisait toujours dans ces cas-là : elle attaqua. Pour la première fois, et avec force et brutalité, Bellatrix repoussa violemment son Maître. Quelques pensées floues et disparates lui parvinrent alors. Ce n'étaient pas les siennes. Bellatrix s'en rendit compte aussitôt. Les pensées qui la hantèrent alors étaient plus anciennes, plus froides et lisses que les siennes : c'étaient celles de son Maître. Elle reconnut Poudlard. Une salle de classe. Elle se vit assise à une table, les yeux fermement fixés sur une jeune femme aux cheveux blonds qui se tenait sur l'estrade. Elle la regardait droit dans les yeux, ses lèvres pourpres dessinaient un sourire en coin et disaient « dix points pour Serpentard ». Des pensées dissolues de sortilèges, de chaudrons fumants et de potions vidées suivirent, puis Bellatrix fut chassée sans ménagement.
Quand Bellatrix refit surface avec la réalité, Lord Voldemort la regardait sévèrement, visiblement fâché.
– Tu n'as pas utilisé la méthode que je t'ai enseignée, récrimina-t-il avec acidité.
– Mais j'ai réussi à vous repousser Maître, répondit Bellatrix, un brin de fierté dans la voix.
– Je ne peux pas nier que ta méthode était efficace, consentit Voldemort avec ironie, même si tu ne pourras pas toujours utiliser ta colère pour arriver à tes fins… tu dois d'abord apprendre à défendre ton esprit avant d'attaquer le mien. Sans cela tu restes très vulnérable.
– Oui, Maître.
Lord Voldemort la jaugea du regard un instant.
– Qu'est-ce qui t'a mis dans un tel état ?
Bellatrix haussa les épaules et remit en place son cardigan en laine sur ses épaules.
– Je me suis pourtant beaucoup entraînée ces derniers temps, tenta de se justifier Bellatrix.
– Ce n'est pas la question que je t'ai posée…
Un soupir s'échappa des lèvres de la jeune fille, ce qui ne plut pas au mage noir.
– Je t'ennuie, peut-être ?
– Non, Maître, c'est plutôt moi qui ai peur de vous ennuyer avec mes stupides petites histoires… Vous avez vu ce qui me trottait dans la tête avant que je… avant que je ne voie vos pensées.
– J'ai vu, oui, affirma Lord Voldemort avant de se détourner, est-ce qu'il te faudrait de nouveau des potions de sommeil ou autre chose?
– Autre chose, Maître ?
Lord Voldemort ne répondit pas.
– Je n'en ai plus besoin, merci… Je suis simplement en colère contre…
Bellatrix esquissa un geste flou pour désigner toutes ces choses qui la maintenaient dans un état de rage inextinguible. Le flot de ses humeurs semblait se déverser à l'infini dans son cœur, comme une coulée de lave, lente, brûlante et infinie… mais comment expliquer cela à son Maître ?
– Rodolphus refuse de me parler, ce qui simplifie les choses mais le Manoir Lestrange n'est pas un territoire très accueillant ces derniers temps, finit-elle par dire.
– Il finira par oublier, assura Lord Voldemort.
Cela surprit Bellatrix.
– Maître… Rodolphus a accepté tant de mes frasques et caprices sans même se plaindre… Je pense que cette fois-ci, c'est différent.
– Nous savons toi et moi que Rodolphus ne t'a pas épousée pour avoir des enfants, il passera au-dessus de ça.
– C'est ce qu'il m'a fait croire, oui, mais tous les hommes veulent des enfants…
La phrase de Bellatrix plana quelques secondes entre eux comme un nuage toxique. La jeune fille leva les yeux vers son Maître avec un minuscule sourire aux lèvres.
– Enfin, je crois. Vous… vous ne voulez pas d'enfants, Maître, n'est-ce pas ?
Voldemort sourit à son tour et s'approcha de sa servante.
– Absolument pas. A quoi cela me servirait ? questionna-t-il à voix basse.
– Pour ne pas laisser tout ça disparaître ? proposa Bellatrix en désignant la pièce autour d'elle de la main.
– Tout ça, reprit Voldemort en mimant le geste de Bellatrix, n'est qu'une illusion… je n'investis pas dans l'avenir, Bellatrix, j'investis dans le présent.
Qu'est-ce que cela signifiait ? Lord Voldemort ne lui paraissait pas être le genre d'homme à vivre avec les mots carpe diem en tête. C'était un homme prudent et prévoyant. Il pensait forcément au futur.
– Et tout ce que vous construisez aujourd'hui… qui s'en occupera ?
Lord Voldemort ne répondit pas mais son humeur semblait maintenant plus légère, presque malicieuse. Bellatrix ne put s'empêcher de sourire. Il dégaina de nouveau sa baguette.
– Prête ?
La Mangemort acquiesça, et la pièce disparut de nouveau. Elle était assez calmée pour contrôler ses pensées avec plus d'efficacité même si, encore une fois, elle fut incapable de laisser s'échapper quelques secondes de ses souvenirs les plus intimes. Cette fois-ci, Rodolphus et sa famille n'en faisaient pas partie mais elle se vit à genoux devant son Maître, essayant frénétiquement de le déshabiller… Fort heureusement, elle n'eut pas à subir l'intense humiliation de voir ce souvenir se dérouler jusqu'au bout et put bloquer ce flot de pensées. Elle voulut se rediriger sur celles de Voldemort à Poudlard mais elle se perdit dans un dédale de couloirs, de salles de classes vides, de Grandes Salles décorées pour Halloween, Noël… Il était impossible de savoir si ces pensées étaient les siennes ou celles de son Maître mais elle ne maîtrisait plus rien, c'était lui qui menait la danse. Elle se laissa complètement faire. Il l'emmena loin dans les profondeurs d'un Poudlard noyé d'une lumière blanche, vidé, puis dans un fastueux jardin, en début d'été, près d'un énorme manoir. Une nappe sur l'herbe. Une cruche. Un épais grimoire sombre. Une jeune fille dans une robe jaune allongée de tout son long dans l'herbe. Bellatrix se reconnut. Elle se vit à travers ce regard étranger qui se posait sur différents détails : les pieds nus que la robe relevée ne cachait pas, la cruche de jus de citrouille qui flottait à ses côtés, les longs cheveux noirs lâchés sur ses épaules, les yeux clos, les lèvres rouges. Elle se vit belle, forte et désirable.
Lord Voldemort se retira de ses pensées. Tout redevint droit, dur et froid dans la pièce aux murs de pierre humides. Bellatrix savait qu'elle n'avait rien volé cette fois-ci. Lord Voldemort lui avait volontairement laissé voir l'une de ses pensées, une qu'il avait manifestement choisie. C'était une pensée qui datait de quelques mois. Lord Voldemort l'avait rejointe au Manoir Lestrange pour lui demander de subtiliser un cheveu à Rodolphus pour créer du polynectar, et ainsi pouvoir ouvrir son coffre à Gringotts. Lord Voldemort lui avait fait un cadeau : il lui avait donnée à voir une pensée dans laquelle il l'admirait avec une certaine forme d'estime.
– Merci, murmura Bellatrix, émue.
– Ta prochaine leçon ne pourra pas avoir lieu avant quelques mois mais je veux que tu mettes ce temps à profit : tu dois t'entraîner chaque jour et pour cela tu ne dois plus utiliser ta colère. Des sorciers plus puissants que toi sont morts à cause de leur imprudence et impulsivité. Si tu veux voir ce qu'il adviendra de « tout ça », sois froide, mesurée, calculatrice… Est-ce que tu comprends ?
Il avait de nouveau imité son geste en désignant l'endroit autour d'eux.
– Oui, Maître.
Ne sois pas une proie facile, Bellatrix.
XxXxXxX
Décembre 1971,
C'était Noël. Dans la cuisine du Manoir des Black, la soirée s'annonçait longue et morose : Narcissa et Bellatrix étaient attablées à côté de l'Elfe-de-maison qui épluchait des pommes de terre. Dans le four, une énorme dinde aux marrons cuisait en répandant son odeur alléchante partout dans la demeure. Les deux sœurs étaient silencieuses. Bellatrix observait avec un maigre relent de jalousie la jolie bague que portait Narcissa sur son long doigt fin et élégant. C'était nouveau. Elle n'osait pas lui demander ce que c'était mais elle avait une idée d'où ça venait. Lucius Malefoy avait invité la jeune fille à passer un après-midi au Manoir Malefoy dès le premier jour des vacances. C'était probablement une bague de fiançailles. Les deux jeunes gens se fréquentaient depuis un bon moment et ne cachaient pas leur affection l'un pour l'autre. Bellatrix était très heureuse pour sa sœur mais elle ne pouvait s'empêcher de comparer leurs situations.
Elle et Rodolphus étaient dans une telle impasse qu'il avait refusé de fêter Noël avec elle dans sa famille. Deux années après leur mariage, Rodolphus et Bellatrix ne s'échangeaient déjà plus la parole. Ils ne passaient pas plus de cinq minutes dans la même pièce. Ne partageaient plus le même lit. Leurs seules interactions avaient lieu lors des réunions liées au Seigneur des Ténèbres et il y en avait eu peu. Elle imaginait mal leur relation se réparer un jour. Elle ignorait même si elle le voulait vraiment. Ces quelques mois sans son mari n'avaient pas fait grandir son affection pour lui.
Elle avait toujours espéré autre chose pour sa vie, pour elle-même. Narcissa avait pu choisir son partenaire, et de toute évidence, elle était amoureuse de lui. Bellatrix savait évidemment ce que cela faisait de lier sa vie à un homme qu'on aimait, de lui appartenir totalement. Non, ce qu'elle jalousait, était que Narcissa avait elle aussi posé sa marque sur Lucius. Il serait à elle… pas tout de suite car elle devait d'abord terminer ses études mais bientôt. Il ne serait qu'à elle. Bellatrix se demandait quelles émotions cela pouvait provoquer de posséder complètement l'homme qu'on aime.
Etait-ce pour cela qu'Andromeda était partie ? Elle n'avait toujours pas recouvré la raison et demeurait introuvable.
Il lui était arrivé de penser au fait qu'Andromeda avait été fiancée à Rabastan pendant quelques mois, et qu'elle ne l'avait jamais su. Il lui avait semblé que la jeune fille avait ressenti un soupçon de sentiment pour lui… une idée qui lui avait traversé l'esprit en lisant ses lettres de Poudlard. Elle s'était souvenue de sa réaction lorsqu'elle avait appris qu'il était un Mangemort. Elle avait raté tous les cris d'alarme de sa sœur, tous ses appels, tous les signes qui avaient mené à sa disparition.
– A quoi penses-tu ? demanda Narcissa, les yeux posés sur sa sœur.
– A Andromeda, répondit Bellatrix honnêtement.
Elle haussa les épaules.
– Elle a fait son choix, tu dois l'accepter, tout comme papa et maman…
Bellatrix fronça les sourcils.
– Quel choix ? Vivre loin de sa famille ? Nous trahir ?
Non, ne t'énerve pas, s'intima Bellatrix à elle-même. Elle essayait de maîtriser ses émotions, comme Lord Voldemort lui avait ordonné. Pas de colère, pas d'emportement.
– Elle n'a aucune idée du mal qu'elle nous fait, reprit-elle en baissant les yeux sur ses mains, Mère ne dort plus les nuits, père ne quitte plus son bureau. Cette maison est un tombeau.
Narcissa serra les mains de sa sœur sur la table de la cuisine.
– Nous devons essayer de ne pas lui en vouloir, chuchota-t-elle.
– Comment peux-tu me demander ça ? Est-ce que tu sais quelque chose que je ne sais pas ? répondit Bellatrix d'une voix qui cachait mal son exaspération.
– Non, murmura Narcissa, haussant de nouveau les épaules, c'est juste que… Nous n'avons pas besoin d'elle pour être une famille.
La jeune sœur de Bellatrix planta alors ses yeux dans ceux de son aîné.
– Tout comme nous n'avons pas besoin de Rodolphus, ajouta-t-elle d'une voix douce mais pleine de conviction.
– Je sais…
– Qu'est-ce qui s'est passé entre vous ? Tu ne m'as jamais répondu dans tes lettres.
Bellatrix garda le silence de longues secondes.
– Je suis tombée enceinte sans le vouloir mais j'ai perdu le bébé. Il pense que j'ai fait exprès.
L'air horrifié de Narcissa fit un peu sourire Bellatrix. Elle déblatéra de longues minutes sur tout ce qu'elle pensait de ce goujat et insensible de Rodolphus, puis reprit un air sérieux et affecté :
– Comment l'as-tu pris, toi ? Perdre le bébé… même si tu ne le voulais pas.
– Ça ne m'a rien fait, assura Bellatrix aussitôt.
– Vraiment ?
– Je n'ai jamais voulu être mère, tu le sais bien, je n'ai rien ressenti.
Narcissa semblait sceptique mais Bellatrix ne voulait pas parler de cela. Elle préféra changer de sujet :
– Et cette horrible pierre à ton doigt, qu'est-ce que c'est ? demanda-t-elle avec un léger sourire.
Narcissa rougit, bafouilla puis n'y tint plus et noya Bellatrix du récit romantique, sucré et parfait de sa relation avec Lucius. Bellatrix était fière d'elle : elle avait quasiment réussi à ne pas grimacer tout du long.
Après le repas, trop copieux pour être bien digéré, Narcissa était allée se coucher et Cygnus Black avait de nouveau rejoint son bureau. Il ne restait plus que Bellatrix et sa mère dans le salon du Manoir. Druella finissait de siroter un verre de whisky pur feu.
C'était le moment parfait.
Bellatrix et Druella s'étaient à peine adressées la parole depuis leur dispute mais Bellatrix brûlait d'envie de lui poser une question.
– Mère, à Poudlard, qui était ton professeur de Défense contre les Forces du Mal ?
– Galatea Têtenjoy, pourquoi ? fit Druella d'un ton à peine curieux.
– Oui… je le sais bien mais n'as-tu pas eu un autre professeur après elle ? Il me semble, d'après ce qu'on m'avait dit à Poudlard, qu'elle avait pris sa retraite en 1944. Qui a enseigné pour tes trois dernières années à Poudlard ?
– Pourquoi cet intérêt soudain ? Est-ce que ça a un lien avec l'une de tes missions?
– Non, pas du tout, répondit aussitôt Bellatrix, c'est juste que Narcissa m'expliquait que son professeur de Défence contre les Forces du Mal a encore changé cette année, et ça m'a fait penser à ce problème de recrutement qui dure depuis des années… enfin bref, qui a remplacé Têtenjoy ?
L'attention de Druella était maintenant complètement éveillée. Elle posait un regard circonspect sur sa fille. Bellatrix n'avait pas arrêté de penser aux quelques secondes qu'elle avait passé dans l'esprit de son Maître, à cette jeune femme blonde sur son estrade, qui d'un sourire charmeur, avait récompensé son Maître. Vu sa position dans la classe et les mots qu'elle avait prononcés, elle avait dû être professeure. Elle avait fait des recherches mais n'avait pas trouvé de professeur assez jeune à l'époque de son Maître qui aurait pu être la femme dans le souvenir qu'elle avait vu. Elle avait néanmoins appris que Têtenjoy avait pris sa retraite en juin 1944, et qu'un certain Magnus O'Neil était devenu professeur en mai 1945. Y avait-il eu personne pendant huit mois au poste de Professeur contre les Forces du Mal ? Aucun professeur lors de l'année scolaire 1944/1945, la dernière année – si ses calculs étaient bons – de Lord Voldemort à Poudlard ?
– Nous en avons eu deux, expliqua lentement Druella, lors de ma cinquième année, nous avons eu une jeune femme qui s'appelait Ludmilla Thenn mais elle n'est pas restée très longtemps, puis Magnus O'Neil l'a remplacée.
Bellatrix sentit son cœur s'emballer. Elle avait déjà entendu ce nom ! Ludmilla Thenn. Lord Voldemort l'avait déjà prononcé lorsqu'il avait préparé sa potion de sommeil. Cela remontait à plus d'un an mais elle en était certaine. Il n'y avait rien que son Maître disait qui pouvait s'échapper des souvenirs de Bellatrix. Chacune de ces rencontres avec son Maître était un trésor à protéger, et elle se souvenait fort bien de ce nom incongru qui avait parcouru ses lèvres. Ludmilla Thenn. La femme qu'il avait dit devoir remercier pour la potion. Cela signifiait-il qu'il l'avait appris d'elle ?
– Combien de temps est-elle restée ? demanda Bellatrix, brûlante de curiosité.
– Quelques mois… Elle a disparu avant la fin de l'année scolaire.
– Disparu ? répéta Bellatrix avec surprise.
Druella hocha la tête.
– Après les vacances de Pâques, elle n'est jamais revenue à Poudlard. Pourquoi me poses-tu toutes ces questions, Bellatrix ?
– Je te l'ai dit…
– Tu te poses des questions sur Lord Voldemort ? coupa Druella avant de se resservir d'un verre de whisky d'un coup de baguette magique.
Bellatrix baissa la tête.
– Cet été, quand tu as appris que j'étais à son service, tu as dit quelque chose d'étrange à son propos… que tu avais toujours su de quoi il était capable… Que voulais-tu dire ?
– Nous ne devrions pas parler de ça, chuchota Druella soudainement mal-à-l'aise.
– Mère, rien de ce qui se dit dans cette pièce n'en sortira, je te le promets. J'aimerais juste comprendre… Est-ce que ça avait un lien avec cette Ludmilla Thenn ?
– Je ne sais pas… J'ignore ce qui s'est passé entre le professeur Thenn et Tom, mais…
– Tom ? fit Bellatrix, surprise.
Druella hocha la tête.
– Tom Jedusor, c'était son nom avant Lord Voldemort.
– Tom, répéta Bellatrix.
C'était un nom si étrange. Trop normal, banal, courant pour être celui du plus grand sorcier du monde. Elle n'était pas sûre d'aimer ce prénom.
– Y avait-il quelque chose entre Ludmilla Thenn et… le Seigneur des Ténèbres ? demanda encore Bellatrix, rebondissant sur ce que sa mère avait dit.
– J'ai toujours soupçonné quelque chose mais personne ne le sait vraiment… Je les ai surpris une fois… Ils parlaient.
– Que se disaient-ils ? pressa Bellatrix.
– Elle le suppliait. Je ne sais pas pourquoi. Il ne disait rien et elle ne cessait de le supplier. C'était la veille des vacances de Pâques. Personne ne l'a jamais revue.
– C'est pour ça que tu t'es toujours méfiée de lui ? Rien ne prouve qu'il soit responsable de sa disparition.
– Il n'était pas un garçon comme les autres, se contenta de dire Druella après un court silence.
Elle finit son verre d'une seule gorgée.
– Je vais me coucher… Ne me pose plus de questions là-dessus.
Sur ces mots, Druella se leva et quitta la pièce sans un regard pour sa fille. Bellatrix resta longtemps face au sapin qui luisait devant elle. Loin d'étancher sa soif sur le sujet, Bellatrix avait l'impression qu'une toute autre dimension de la vie et de la personnalité de son Maître s'ouvrait devant elle. Et elle était tellement curieuse d'en découvrir plus. Cette petite incursion dans l'esprit de son Maître avait éveillé chez elle une envie de tout connaître chez lui. Elle ne pouvait imaginer que ce souvenir était anodin. Si elle avait vu ce souvenir en particulier, cela devait signifier qu'il ne voulait pas qu'elle le voie. Ou peut-être que si. Merlin ! Elle aurait tant aimé étudier à Poudlard en même temps que lui. Quelle chance avait eu son idiote de mère de l'avoir côtoyé si jeune. Ses parents n'avaient jamais saisi la chance incroyable que le destin leur avait servie. Ils auraient pu être à la place d'Enguerrand Avery ou d'Ennius Rosier à présent : faire partie du cercle le plus intime de ses Mangemorts, mais non ils avaient choisi la voie de la couardise et de la peur.
Bellatrix était plus qu'intriguée par cette Ludmilla Thenn. Qui était-elle ? Qui était-elle pour son Maître ? Que lui était-il arrivé ?
Il était impensable d'aller dormir maintenant. Bellatrix prit la direction de la bibliothèque du manoir où toutes les photographies étaient rangées. D'un claquement de doigts, elle fit venir l'Elfe-de-maison, et lui demanda de lui montrer où étaient rangées les photographies qui dataient d'avant le mariage de ses parents.
Bellatrix tomba sur des trésors incroyables qu'elle n'avait jamais vus : ses grands-parents à leur mariage ou sa tante Walburga à dix ans en train d'hurler son futur époux Orion puis, très rapidement, elle découvrit des photos de Poudlard. Elle vit notamment son père à douze ans avec l'équipe de Quidditch de Serpentard. Elle éplucha beaucoup de photographies. Il était peu probable que Lord Voldemort, ou Tom Jedusor, soit sur l'une de ces photos car les deux n'étaient pas vraiment amis à Poudlard, et n'étaient pas de la même année. Elle finit cependant par tomber sur une incroyable photo qui fit chavirer le cœur de la jeune Mangemort.
La photographie, datée de juin 1945, avait été prise lors d'une soirée au Club de Slug, le club d'élite du professeur Slughorn. On pouvait y voir son père, poursuiveur, avec l'équipe de Quidditch de Serpentard, dans laquelle, Antonin Dolohov et Georges Nott, les deux batteurs, étaient facilement reconnaissables. A droite, le professeur Slughorn enlaçait le capitaine de l'équipe, l'air fier, le torse bombé, et à gauche de l'équipe, la coupe de Quidditch entre les mains, se tenait Tom Jedusor. Son insigne de Préfet-en-Chef brillait, même à travers le noir et blanc de la photographie. Bellatrix scruta le jeune homme avec ardeur. Il esquissait un sourire en coin. Il se démarquait par sa taille, son attitude altière, son charme mais rien ne pouvait présager que ce jeune homme deviendrait Lord Voldemort.
Bellatrix rangea les photographies et rentra chez elle.
Dans sa chambre, au deuxième étage, seule dans son lit, Bellatrix pensa longuement à ce visage si jeune, si séduisant. Tom. Qui es-tu ? chuchota-t-elle dans l'obscurité.
