C'était la voix de Père, mais comme Harry ne l'avait jamais entendue. Il ne put s'empêcher plus longtemps de trembler comme une feuille alors que des éclats de voix montaient de la porte entrouverte au bout du couloir.
-Pas Harry... S'il vous plaît, pas Harry, haletait Père d'une voix rauque de douleur qu'il s'efforçait de maîtriser.
-Nous aurions pu nous entraider, James, rétorqua calmement une voix aigu, doucereuse. Nous le pouvons toujours. Crois-tu que tu respirerais encore, si tu m'étais inutile?
-Les Londubat sont morts, leur fils aussi. Vous avez déjà tué le garçon de la prophétie, ma famille n'a plus rien à voir là-dedans.
-Douze ans... Je le reconnais, même Alastor Maugrey n'a pas su m'échapper aussi longtemps. Ils sont tous morts, tu sais. Morts, ou prit au piège d'une fuite futile et inutile.
-Ma famille a quitté l'Ordre du Ph...
Un éclair mauve illumina le couloir, et Harry tressaillit quand la voix de Père se brisa dans un hurlement de douleur. Severus le poussa vers la porte.
Rien de tout ça n'avait jamais parut réel aux yeux d'Harry. Vous-Savez-Qui était comme un mythe, une légende qui ne pouvait pas plus sortir des histoires de grand-mère que les personnages dans les livres de conte. En fait, les Potter avaient beau avoir passés toutes ces années à fuir, Harry n'avait jamais eu à vivre dans la peur. Il savait bien que c'était à cause de lui que sa famille devait parfois passer d'une résidence secondaire à une autre, mais qu'est-ce que cela changeait vraiment dans sa vie de déménager, lorsque de toutes façons il n'avait pas le droit de sortir et qu'on changeait le professeur particulier d'Harry tous les mois ? Les déménagements n'étaient pas effrayants, parce que les Potter avaient des alliés jusque dans les plus hautes sphères du Ministère qui les avertissaient toujours de l'arrivée des Mangemorts des jours à l'avance. Harry n'avait jamais eu à voir ni les uns ni les autres. Peut-être qu'il haïssait vivre en cage, et les coups de baguettes de Grand-Père à chaque fois qu'Harry enfreignait l'une de ses centaines de règles, mais non, il n'avait pas peur.
Et maintenant, il y était. C'était réel. Voldemort était réel, et le Harry de Grand-Mère était réel lui aussi, il était bien ce garçon désigné par une horrible prophétie, voué à l'abattoir, et poursuivi par des hommes en noir qui l'offrirait au diable s'ils pouvaient mettre la main sur lui.
Lorsque Severus ouvrit la porte du salon plongé dans le noir, Harry comprit qu'il s'était habillé pour se donner du courage. Et il comprit jusqu'à quel point cet effort, n'importe-quel effort, serait parfaitement vain.
-Père, balbutia Harry glacé jusqu'aux os.
Mais Père ne bougeait plus. Il était attaché sur une chaise au milieu de la pièce, la tête quasiment baissée sur les genoux, inerte. Du sang gouttait de son visage.
C'était un carnage. Les meubles renversés partout, des traces de sortilèges lézardant les murs et les tableaux, les morceaux du lustre en cristal qui jonchaient le sol. Plusieurs hommes en noir gisaient là aussi, l'un d'eux dans une mare de sang, sous une étagère renversée; Père s'était bien battu. Il y en avait un autre encore debout, près de la fenêtre brisée, tenant son bras ensanglanté. Harry et Souillé n'avaient sans doute pu dormir que parce que les rugissements de la tempête avaient couverts la catastrophe. Les éclairs étaient la seule chose à éclairer la pièce par intermittence. Un couinement de souris échappa à Harry lorsqu'il découvrit Grand-Mère et la gouvernante attachés sur des chaises un peu à l'écart. Elles pleuraient abondamment dans le silence le plus total.
-Je te dois des remerciements, capitaine, murmura une voix dans l'ombre derrière Père. J'ai été en colère, tout d'abord. Furieux. Après tout, tu étais mon ennemi, et tu t'étais enfui. Mais ce que j'ai appris durant toutes ces années... oh James, quand je penses que j'ai failli tuer ton garçon.
Capitaine ?
Une silhouette démesurément grande se tenait derrière James. Dans l'obscurité quasi-complète, Harry ne voyait qu'une robe de sorcier qui semblait draper celui qui la portait dans la nuit elle-même, mais il savait qu'il n'avait aucune envie qu'un éclair vienne révéler ce visage là. De longs cheveux grisonnants rampaient le long des épaules du sorcier. Il tournait lentement autour de Père comme s'il observait un sujet d'étude, un simple objet et pas un homme tremblant de douleur, en caressant sa baguette du bout de ses doigts interminable. Et ses yeux brûlaient dans la pénombre, d'un rouge ardent.
Voldemort. Il existait vraiment.
Mais il y avait deux autres silhouettes. L'adolescent qui était monté voir Harry tout à l'heure, accroupi devant le père d'Harry. Et, assis sur le piano à queue à moitié brisé... un petit garçon? Un beau garçon plus jeune qu'Harry d'environ huit ans, avec des cheveux noirs soigneusement plaqués en arrière. Il était vêtu d'un uniforme grisâtre qui pendait sur ses épaules comme du carton détrempé et s'achevait en short. Une flaque d'eau se formait à ses pieds goutte à goutte, pourtant personne ne semblait trempé à part lui.
-Je faisais mon devoir, hoqueta James en se ranimant au grand soulagement d'Harry. Pour ma famille.
Père portait le Masque. Fissuré de traînées sanglantes, froissé par l'effroi, mais il portait encore le Masque, ce visage froid et imperturbable qu'un noble se doit d'arborer. Pourtant, on aurait dit un gamin prit en faute, malgré tous ses efforts pour afficher une façade de dignité il semblait rapetisser à mesure qu'il se recroquevillait. L'adolescent prit la parole à son tour, en griffonnant dans son carnet :
-Cette maison... quand je vois tout ça je comprends mieux pourquoi on n'arrivait plus à vous mettre la main dessus depuis Godrick's Hollow. Je n'ai jamais eu le droit à quelque-chose comme ça, moi. Tu es rentré chez tes aristos de parents la queue entre les jambes. Beaucoup plus facile de fuir avec ton fils sous le bras, quand tu as un gros sac d'or dans l'autre.
-C'est assez, Jalousie, maugréa Voldemort. Ces considérations n'ont plus d'importance. Nous sommes venus avec une demande simple.
-Nous sommes pourtant de sang noble, nous aussi. Si notre père ne nous avait pas lâchement abandonné, si...
-Silence.
L'adolescent se détourna avec mépris en refermant sèchement son livret.
-Laissez partir ma mère, supplia James. C'est le petit et moi que vous voulez, ma mère et Agatha ne vous servirons à rien!
Attachée dans un coin, Grand-Mère remua en vain. Silencieusement, toujours incroyablement silencieusement. Puis Harry plissa les yeux dans le noir et comprit enfin avec effroi. Grand-Mère et Agatha n'avaient plus de bouche.
Là où elle aurait dû se trouver, il n'y avait que de la peau parfaitement lisse, comme s'il n'y avait jamais rien eu sous leurs yeux écarquillés luisants de terreur.
-J'étais venu en paix, grinça lentement Voldemort. Peut-être pour la toute première fois...
A la grande surprise d'Harry, se fut le petit garçon sur le piano qui poursuivi, sans pause, d'une voix claire et enjouée:
-...pourquoi donc deviez-vous si mal m'accueillir? Les Potter connaissent pourtant les usages anciens. Votre nom était suffisamment respectable pour cela il n'y a pas si longtemps. Je me demande, James.
-Je me demande ce que je dois faire, acheva Jalousie, pour que tu accepte de me donner ce que je veux.
-Silence !, tonna encore Voldemort en faisant volte face vers lui.
C'était un spectacle terrifiant, mais si différent de ce qu'Harry avait imaginé que le garçon en était complètement décontenancé. Voldemort ne parvenait plus à tenir ses propres Mangemorts?
Severus poussa brutalement Harry dans le dos pour le forcer à entrer dans la pièce, et automatiquement, par réflexe, le garçon s'efforça de porter le Masque, lui aussi, lisser son visage pour en faire un simple portrait de calme et de mépris. Il était content que l'obscurité dissimule un peu ses traits.
Jalousie sourit. De près, il était beau, un beau visage anguleux qui exhalait quelque-chose de profondément faux, comme un piège.
-Tu nous l'as fais tout mignonnet, Severus, grogna Jalousie avec un sourire en détaillant Harry. Je ne t'imaginais pas joueur, cette nuit tu me plaît bien.
Harry en eu envie de vomir, encore.
Docilité. Une tendre docilité. Non, c'était impossible, Harry ne pourrait pas.
-Comme il est beau, s'extasia le petit garçon sur le piano. Son esprit est rempli de rage. Je peux regarder? Laisse-moi l'ouvrir Tom, oh s'il te plaît, Jalousie a eu James, lui !
-Ne m'appelle pas Tom, articula lentement Voldemort en dardant ses yeux rouges sur l'enfant. Jamais plus, si tu ne veux pas mourir encore.
Harry cessa de respirer quand les yeux se tournèrent vers lui. Deux braises rougeoyantes dans le noir.
-Le fils de James... viens... viens mon garçon, joint-toi à nous...
Le garçon tremblait si fort qu'il serait tombé à genoux si Severus ne l'avait pas fermement retenu par le bras. Il avait l'impression de voir la scène depuis l'extérieur de son corps, de ne plus rien ressentir. Comme si chaque couche de peur était une couverture qu'on enveloppait autour de son visage jusqu'à lui faire perdre toute sensation. Il savait qu'il aurait dû pleurer et paniquer, mais la situation exigeait une terreur si grandiose qu'il ne ressentait plus rien.
Severus murmura un sort et Harry fut brutalement projeté en avant. Il gesticula en vain tandis que la magie le traînait sur le sol, jusqu'à une chaise encore intacte. Severus marmonna une formule de plus et des cordes jaillirent de sa baguette, pour ficeler Harry à la chaise jusqu'à ce qu'il en crie de douleur.
Jalousie s'avança. Il portait une robe de l'école Poudlard.
-Comment tu t'appelles, petit?, demanda-il à Harry d'une voix doucereuse.
Comme s'il ne le savait pas. Comme s'il n'avait pas été à la recherche d'un Harry depuis douze ans. Harry décida de se comporter en homme, de demander à négocier au nom de sa famille, puisqu'il était un otage de valeur. Mais tout ce qui sorti de sa bouche, dans un filet de voix qui le faisait paraître plus jeune encore que ses douze ans, se fut :
-...Ha... Harry...
Jalousie lui passa quelque-chose au doigt, et Harry baissa les yeux sur la chevalière de Père, tâchée de sang. La bague qui portait les armoiries de leur famille, un « P » encadré des ailes d'une chouette.
-Non, balbutia Harry livide.
-Papa va mourir, cette nuit, susurra Jalousie l'air désolé.
-Vous... vous n'avez pas le droit.
-Et Grand-Mère. Et Grand-Père, dés qu'on l'aura trouvé. Alors maintenant, Lord Potter, c'est toi.
Harry resta là un instant, à dévisager la grosse bague qui lui glissait déjà du majeur. Tout ce qu'elle était censé représenter, tout ce que ça signifiait de la lui faire porter à lui. Et il se sentit enfin tout à fait terrorisé.
-...pitié, murmura enfin Harry pour la première fois depuis son réveil. Pitié, arrêtez.
Jalousie sourit comme s'il avait attendu ce petit mot pendant des heures.
-S'il vous plaît, haleta Harry. Non.
-Mais si. Papa qui n'est jamais là. Qui te détestes parce que Maman est parti. Je paris qu'il cogne, je n'ai pas raison?
Les cordes scièrent les poignets d'Harry lorsque le garçon se raidit. Père ne cognait pas. Ça aurait été vulgaire, cogner. Mais il punissait, oui. Il assénait les coups de baguettes réglementaires si Grand-Père ordonnait que James daigne s'intéresse un peu à l'éducation de son fils. Et Harry était très souvent éduqué. Un sourire perfide s'étira sur les lèvres de Jalousie quand il comprit qu'il avait visé juste.
-Ou alors..., susurra-il. Qu'est-ce que tu serais prêt à me donner, si je ne tue pas Papa, Harry?
-Silence, Harry, parvint enfin à articuler James attaché en face de lui.
James regardait Harry avec une colère que le garçon ne comprenait pas. Pourquoi il avait l'air en colère contre lui? Père qui avait toujours été une silhouette morose et effacée, hantant le manoir dans un silence qui pouvait parfois durer des jours, avait soudain le regard flamboyant de rage et de détermination.
-Ne dis rien, insista Père. Pas un mot, tu m'entends? Tout ira bien.
De près, des rides profondes creusaient le visage de Voldemort, un visage qui ne savait plus rien exprimer d'autre que la cruauté et l'impatience. Il était encore plus grand qu'Harry l'aurait cru. Le garçon ne put retenir un cri lorsque les doigts arachnéens du Seigneur des Ténèbres se promenèrent distraitement sur son crâne.
-Harry..., exhala le sorcier derrière-lui dans un souffle.
Son nom avait des consonances particulières dans la bouge du Seigneur des Ténèbres, presque malsaines, comme si Harry était un plaisir inavouable.
-Personne n'est encore mort, Harry... sait-tu pourquoi? Parce que je n'étais pas venu tuer, cette nuit. Non... ce que j'ai proposé à ta famille, c'est une alliance. C'est ton père, qui a préféré semer la mort. L'échange était équitable, pourtant. Je peux restaurer la grandeur des Potter. Je peux leur rendre leur honneur. Leur pouvoir.
-Nous..., haleta Harry blanc comme un linge. Nous ne sommes pas...
Mais son courage s'arrêtait là. Répondre à Lord Voldemort, protester, il en aurait été incapable. Il aurait voulu ne plus avoir de bouche lui non plus, Si on lui faisait dire quoi que ce soit, il exploserait de peur et tomberait en morceaux, il en était sûr. Harry ne comprenait rien. Leur grandeur et leur pouvoir? Les Potter n'avaient jamais perdus tout ça. Ils devaient se cacher, oui, mais c'était justement grâce à toute leur influence et leur fortune qu'ils avaient presque réussi. Il n'y avait aucune grandeur à leur rendre.
Soudain, la main osseuse se referma sur les cheveux d'Harry pour lui rejeter la tête en arrière, et Voldemort murmura à son oreille comme un secret. Et alors, dans la voix du Seigneur des Ténèbres lui-même, Harry entendit vibrer une peur profondément réprimée, une peur que Voldemort avait si peu l'habitude de ressentir qu'elle le dégoûtait de tout son être:
-Je veux te demander de venir avec moi, Harry, murmura le mage noir. Avant qu'il ne soit trop tard pour nous deux. Rien d'autre. Que veut-tu? Exprime tes souhaits, et je les comblerai tous.
Un instant, Harry en fut bouleversé. Ses souhaits. N'importe-lesquels. Plaire à Grand-Père. Plaire à Père. Être digne de son nom et de son rang.
Sortir dehors.
-Ne lui adressez pas la parole !, grinça James. Ce n'est qu'un garçon. Il ne pourrait pas vous aider même s'il le voulait.
-Nous saurons lui rappeler le sang qui est le sien, lâcha froidement Voldemort. Il se souviendra, tout comme on m'a amené à me souvenir.
-Nous n'avons besoin que du Léviathan, cracha Jalousie.
-Aussi, poursuivit le petit garçon souriant, je te le demande encore, James. Tu répondras, que tu souhaites nous suivre ou non.
La main dans les cheveux d'Harry disparue, et soudain Voldemort fut devant Père, front contre front, le visage si déformée par la fureur qu'il en devenait reptilien.
-Où est le Léviathan ?, tonna Voldemort en même temps que le petit garçon.
-Je n'en sais rien !, grogna James entre ses dents d'une voix où enflait la panique. Les Potter sont des sorciers civilisés depuis des centaines d'années !
Cette fois Harry en était sûr, ils ne parlaient pas d'un gros serpent de mer. Les léviathans étaient rares, mais Voldemort n'aurait jamais recherché quelque-chose d'aussi... commun. Même lui avait prononcé le nom avec une sorte de révérence dans la voix.
Severus s'agita un peu près de la porte. Il s'était tenu si immobile et silencieux près de la porte qu'Harry l'avait complètement oublié. On aurait dit un grand corbeau à la mine impassible.
-Ma famille ne connaît que les légendes, continua Père en respirant difficilement, c'était il y a plus de mille ans, Lily ne m'a jamais parlé de ce qu'elle avait découvert.
-Curiosité, siffla Voldemort. Tu peux ouvrir James, à présent, qu'en dis-tu ?
Le petit garçon sur le piano sautilla un peu, comme s'il avait attendu son tour avec impatience, et ses dents blanches brillèrent dans le noir tandis qu'il souriait avec excitation. Il se pencha un peu en avant, s'aventurant dans un rayon de lune.
« Orphelinat Wool », était brodé à la va-vite sur sa poitrine, à côté de l'étrange médaillon qui pendait à son cou. Il était mouillé des pieds à la tête, sa chemise était plaqué contre son torse frêle et l'eau qui se déversait au sol semblait devoir ne jamais finir de couler. Ses lèvres étaient si pâles qu'elles en étaient presque inexistantes, sa peau blafarde. En fait, il avait presque l'air mort noyé.
Son sourire était magnifique, et pourtant Harry ne songea pas un instant à croire que c'était un vrai garçon. Parce que quelque-chose dans ses yeux délavés était absolument, profondément déséquilibré.
-Il ment, assura Curiosité. Je suis déjà dans ton esprit, James. Moi, mon truc, c'est de tout apprendre. On devrait bien s'entendre.
Il inspira profondément par le nez, et Père se raidit tout entier, la tête rejetée en arrière dans un gémissement silencieux, comme si on le remplissait de douleur.
-Je veux la vérité, ordonna Curiosité d'une voix soudain glaciale qui n'aurait jamais pu appartenir à un véritable garçonnet.
La lune pointa franchement entre les nuages et osa baigner la pièce entière d'une lumière argentée, assez longtemps pour qu'Harry réalise, tétanisé.
Curiosité, Jalousie et Voldemort. Ils se ressemblaient. Ils se ressemblaient terriblement, à des âges différents peut-être, mais assez pour être tous frères.
Ou même assez pour être la même personne.
