Harry accélérait alors qu'il était convaincu de ne plus sentir la moindre force dans ses muscles. Il avait presque l'impression de retrouver de l'énergie à mesure que le port se rapprochait, une ruelle étroite après l'autre. Il ne le voyait même plus, mais il était étrangement sûr de savoir dans quelle direction était l'océan, il le sentait comme on tends la main vers son père au milieu d'une foule même sans vraiment le voir. Harry était peut-être juste en train de tourner cinglé, mais il se sentait... attendu.
Il descendait les volées de marches en pierre de la vieille ville quatre à quatre, fuyait la lumière des lampadaires malgré sa terrible envie de hurler à l'aide ou de tambouriner à une porte, ne pensait plus à rien.
Le garçon n'avait jamais connu une chose pareille de sa vie entière.
Pas vraiment le monde extérieur, il l'avait déjà vu une fois ou deux, entre deux cachette intransplanables et incartables, la serre de Grand-Père fermement crispée sur son bras, avec ordre de garder la tête baissée sous sa capuche. Il avait vu le Chemin de Traverse le jour où il était allé acheter sa baguette avec Grand-Mère, le jour préféré de sa vie.
Mais il n'avait jamais haleté l'air salé pour le sentir lui glacer les poumons, n'avait jamais choisi lui-même s'il allait à droite ou à gauche, s'il empruntait telle rue ou telle autre, n'avait jamais senti le goût de la mer sur sa langue. Même la plante de ses pieds nus qui partait en lambeaux à chaque pas sur les graviers, ça faisait mal mais c'était une douleur qui avait une saveur différente des punitions à coups de baguettes. Cette douleur là le projetait en avant un peu plus loin à chaque bond, au lieu de le renvoyer heurter le bureau de Grand-Père comme pour enfoncer sa joue dans le bois.
Harry était terrorisé, traumatisé. Mais une part de lui ne pouvait s'empêcher de savourer la nuit, avec d'autant plus d'ardeur qu'il avait l'impression de pouvoir être abattu n'importe-quand.
-Je vous entends, haleta-il les yeux braqués sur la mer qui apparaissait et disparaissait entre les toits. J'arrive!
Il commençait presque à croire à ce plan désespéré lorsque les premiers Mangemorts surgirent dans le ciel au-dessus de sa tête. Au début il cru presque à de simples nuages d'orages, tant il y en avait qui tournoyaient en rugissant au-dessus de la ville. Mais ces nuages là étaient trop petit, trop noirs, ils se déplaçaient trop vite, et ils quadrillaient très clairement le ciel à la recherche de quelque-chose.
Soudain, l'un d'eux piqua droit sur le garçon alors qu'il se croyait à l'abri dans une ruelle sombre. Harry hurla et accéléra encore alors que la brume noire se jetait à sa poursuite comme si elle inondait la rue. Des bras gantés de noir en jaillir, d'abord deux, puis une autre paire, et une de plus. Une autre traînée de fumée s'écrasa tout prêt d'Harry dans une explosion de pavés et de poussière, en tentant de lui barrer la sortie. Une douleur sourde déchira l'arrière de la jambe du garçon, il se débattit furieusement pour échapper à des mains qui lui ceinturaient la taille, il sentit même une haleine fétide contre son visage, mais au final il parvint à jaillir comme un démon sur la grande place sans s'être arrêté une seule seconde. Si seulement il avait au moins sa baguette!
Il était vraiment face à l'océan, maintenant. Plus qu'à dévaler les marches en granit qui descendaient de la place jusqu'au port de pierre grise, et...
Et quoi? La mer n'était qu'une impasse.
Une autre fumée noire tenta de s'abattre sur Harry. Le garçon eu le temps d'apercevoir le visage de Jalousie dans la brume avant que le Mangemort soit brutalement rejeté en arrière par les vents contraires que déchaînaient au hasard la tempête. Harry ne put s'empêcher de lever le nez en l'air. C'était quand même étrange. Ils étaient au moins dix là-haut, pourquoi ils avaient autant de mal à l'attraper ? Les traînées de fumée tournoyaient follement dans le ciel. L'ouragan s'était saisi d'eux pour les faire tournoyer. A croire que la tempête essayait de les empêcher de reprendre forme humaine, de les disperser. Seuls ceux qui volaient le plus bas parvenaient à échapper au maelstrom presque surnaturel qui s'apprêtait à exploser dans le ciel, gorgé de foudre.
Mais même ceux là cessèrent brutalement leur course au moment où Harry descendit sur le port, comme s'ils hésitaient. Le gamin était presque ébahi d'avoir pu aller aussi loin. Une force nouvelle irrigua ses muscles dés qu'il posa un pied sur le sol humide. L'appel de l'océan était si impérieux maintenant qu'Harry n'était pas sûr qu'il aurait pu s'arrêter s'il avait essayé, mais qu'est-ce qu'il devait faire maintenant?
Ce n'était qu'un petit port de Moldus, avec seulement cinq embarcadères qui disparaissaient presque sous l'eau, à chaque fois qu'une nouvelle vague se fracassait contre eux.
Le ciel se confondait avec la mer dans un seul grand rideau de pluie, si bien que l'horizon ressemblait plutôt à un autre monde, un monde secoué d'une myriade d'éclairs et de vagues déchaînées. Harry n'y connaissait rien, mais il savait que personne n'aurait réussi à prendre la mer aujourd'hui.
Même si Harry avait pu convaincre un Moldu de l'emmener, ils n'auraient jamais pu partir, et il n'y avait absolument personne. Rien que quelques bateaux de pêche à la coque usée et délavée dans lesquels les Mangemorts le retrouverait tout de suite, et un canot renversé qui pourrissait contre un banc.
Désespéré, Harry s'engagea sur le ponton, un simple chemin de bois qui menait directement à l'eau. Rien. Il n'y avait rien, personne pour l'aider, personne pour lui dire quoi faire. Les larmes remontèrent aux yeux du garçon, et la terreur avec elles. Est-ce que ce n'était qu'un jeu cruel de Severus?
Le garçon poussa un cri et accéléra lorsqu'un mage noir plus courageux que les autres osa reprendre sa forme humaine pour courir après lui le long de l'embarcadère. Il était presque assez près pour le saisir par le dos de ses vêtements. Le Mangemort brandit sa baguette, ouvrit la bouche pour prononcer une formule, mais soudain une grande vague le happa et il bascula à la mer sans avoir eu le temps d'émettre un son. Harry ne s'arrêta pas pour vérifier s'il remonterait à la surface.
Une deuxième vague fit purement et simplement exploser le chemin de bois sur les talons d'Harry. On aurait dit que la mer refermait le passage derrière-lui. Ce n'était pas que son imagination : les Mangemorts en l'air hésitaient, planaient au-dessus de lui sans oser approcher. Harry ne ralentit pas pour autant : il ne comprenait peut-être rien à cette histoire d'océan, mais il était sûr et certain que Voldemort n'hésiterait pas, lui.
« Il faut constamment considérer le Seigneur des Ténèbres en chemin, avait déclaré Grand-Père à Père un jour où il croyait Harry endormit. Ne jamais s'arrêter de bouger, considérer le moindre sentiment de sécurité comme un piège ».
« Ne pensez qu'à avancer », fit la voix de Severus dans son esprit.
-Avancer, haleta Harry le regard braqué sur la fin du ponton. Avancer !
Severus n'avait jamais dit qu'il y aurait qui que ce soit pour le sauver, ni qu'il devait prendre un bateau. Il avait dit d'avancer quoi qu'il arrive. De suivre...
L'Appel.
Harry n'était pas là pour un bateau ni rien, il devait continuer d'avancer jusqu'à l'océan. C'était complètement fou, c'était délirant, mais au fond de lui il n'en avait jamais douté. L'Appel.
Quand il fut à dix pas du bout du ponton, les Mangemorts abandonnèrent toutes leurs précautions : dix sorciers maintenant bien visibles dans leurs nuages de fumées noires descendirent en piquée, droit sur lui, en hurlant des sortilèges. Harry se couvrit la tête avec les bras en hurlant de terreur, sans cesser de courir.
Mais les sorts ne l'atteignirent jamais.
Le temps sembla s'arrêter une seconde, la tempête elle-même se tut un instant, et soudain, la mer explosa tout autour de lui dans une grande tornade d'eau qui monta jusqu'à masquer le ciel. Les Mangemorts furent tous happés dans le tourbillon comme autant de feuilles dans le vent, tandis qu'Harry, au centre, battait des bras pour ne pas tomber, hurlant de terreur à pleins poumons. Il n'avait rien du tout à quoi se raccrocher, et il n'y avait plus de chemin devant lui maintenant : le tourbillon le cernait de toutes parts, il n'avait épargné du ponton que le petit carré de bois sur lequel Harry se tenait. Le garçon n'y comprenait plus rien. Ca ne pouvait pas être naturel, mais si c'était un sort, alors qui l'aurait lancé?
-JE NE SUIS PAS AVEC EUX, hurla Harry désespéré. ARRÊTEZ-CA! JE VEUX JUSTE PARTIR !
-Un Ouranos ne demande pas..., murmura une voix qui provenait de partout à la fois.
On aurait dit que le rugissement des vagues avait été capable de former des mots, à peine compréhensibles dans le chaos. Un sentiment étrange s'était logé dans la poitrine d'Harry, comme une urgence de prononcer une formule magique qu'il ne connaissait pas. L'océan exigeait qu'il lui dise qui il était, sans ça il ne l'aiderait peut-être pas. Harry était en train de bafouer un rituel absolument vital pour la suite, rien qu'en se tenant là, en refusant de prononcer les paroles ancestrales pour se présenter. Bon sang, mais d'où lui venait des certitudes pareilles? Et si c'était juste la panique qui le faisait délirer?
-Je ne sais pas !, hurla le garçon pour couvrir le rugissement de la tempête. Je suis Harry! Juste Harry!
La tornade se resserra autour de lui, et avec horreur, Harry comprit qu'il allait être écrasé comme les Mangemorts. Ce truc n'était pas en train d'essayer de le protéger, au mieux c'était un test et Harry était en train de le rater.
Soudain, un éclair verdâtre ouvrit une faille dans la tornade d'eau qui tournoyait autour d'Harry. Epouvanté, le garçon aperçut Voldemort en personne, filant droit sur lui à travers le ciel, déchirant à coup de baguettes la tempête elle-même pour se frayer un chemin.
Harry regarda en bas. Un maelstrom d'eau aspirait absolument tout dans les profondeurs, assez fort pour réduire n'importe-quoi en miette. Harry avait vu ce qui était arrivé à Père, à Grand-Mère. Il préférait encore tenter sa chance avec le typhon – mourir – qu'être rattrapé par Voldemort.
-Avancer, haleta Harry.
Et il sauta juste avant que le plancher de bois ne soit réduit en mille morceaux sous ses pieds nus.
Il croyait plonger au fond de la mer, mais le typhon était si profond que sur le moment, il eu l'impression de sauter dans le vide, tout simplement. Et puis, brutalement, l'entonnoir cessa et l'océan se referma sur Harry de toutes parts. Le garçon ne put s'empêcher d'ouvrir la bouche dans un cri de douleur lorsque le choc le secoua tout entier. L'eau se rua jusqu'au fond de sa gorge. C'était plus douloureux que tout ce qu'il avait enduré cette nuit, une seconde il faillit perdre connaissance.
Remonter.
Il était au fond de l'eau, dans la mer, il allait se noyer s'il ne remontait pas. Le garçon leva la tête vers les tâches de lumière argentées qui dansaient à la surface, mais il ne put que tendre la main vers elles, incapable de lutter contre le courant qui l'entraînait dans les profondeurs. La terreur lui broya le cœur : il ne pouvait rien faire d'autre que se regarder couler, il commençait déjà à manquer d'air.
Nager. Je dois nager !
Il voyait bien que la lumière ne faisait que s'éloigner toujours plus, mais il battit des bras tout de même, malgré la douleur qui lui déchirait toujours la jambe. Plus il se débattait et plus l'air le désertait vite, bientôt l'obscurité l'enveloppa et Harry comprit qu'il était en train de couler à pic, la tête en bas.
Il lutta pour se redresser, pour au moins garder les yeux ouverts. Tout ce que Grand-Père croyait qu'il n'écoutait pas, Harry s'en souvenait, maintenant. Ne renonce jamais. Gagne une seconde, un instant, c'est peut-être tout le temps que tu as à attendre pour être sauvé, pour trouver une issue. Un lord ne meurt pas en vain, il ne meurt pas discrètement, et il ne meurt surtout pas sans avoir perpétué la lignée. Un Potter ne meurt que pour sa famille, tout le reste n'était que faiblesse et déshonneur. Mais Harry ne savait même plus où était le haut, ou le bas. Il ne bougeait plus, même ses poumons cessaient doucement leurs soubresauts. Il était si fatigué...
Il entendit résonner la voix de sa mère, douce et claire, comme pour l'aider à s'endormir.
Tu es né ici... mais ton sang est de là-bas... tout sera à toi... vagues... tempêtes... seigneur du voyage et roi de tout ce qui est libre...
-C'est une promesse.
Soudain, il réalisa que des rayons de lumière argentés scintillaient derrière ses paupières. Comment c'était possible? Il ne pouvait pas être en train de remonter, il coulait.
-Personne n'était venu depuis très longtemps, fit une voix dans la tête d'Harry. Plus personne n'était censé revenir.
Ce n'était pas la voix de Mère. Pas plus que ce n'était la lumière de la surface. C'était des points lumineux, là où il aurait dû ne rien y avoir d'autre que des cadavres de Mangemorts et de l'eau d'un noir d'encre. De la lumière au fond de l'eau, comme des étoiles flottant dans les profondeurs. Non, pas des étoiles.
Il y avait des gens au fond de l'eau. Leurs voix vibraient comme une seule:
-Tu as trop attendu. Les Sept n'ont plus vogués côte à côte depuis trop longtemps. La Mer se souvient. Mais elle ne pardonnes rien.
Tout d'abord Harry n'en vit qu'un, une silhouette blanche évanescente, fantomatique mais définitivement humaine. Puis, à force de regarder, il réalisa qu'ils étaient cinq, tout autour du premier esprit. Bientôt, tandis qu'il coulait, Harry découvrit une foule toute entière de fantômes sans visage dans les fonds marins, la tête levée vers lui comme s'ils attendaient que le garçon les rejoignent. Leurs vêtements flottaient lentement autour d'eux, mais ils brillaient trop fort pour qu'Harry les distingue précisément.
Ils restaient simplement là, les bras le long du corps, à le regarder, pourtant Harry sentait ce qui émanait d'eux comme on sent la chaleur du soleil sur son visage.
Ils attendaient de voir quelle décision il allait prendre. Harry en était convaincu, et pourtant, il aurait été parfaitement incapable de dire de quelle décision il aurait bien pu s'agir. Qu'aurait-il bien pu choisir, au fond de l'océan, en se noyant?
Mais soudain, il su.
-Je veux vivre, dit-il d'une voix claire et audible au fond de l'océan. Je... je choisis de continuer à vivre!
-A quoi bon vivre sans nul-part où aller? Qui seras-tu, seul?
La réponse semblait venir de partout à la fois, pas seulement des fantômes. Elle vibrait dans l'océan tout autour de lui, comme une gigantesque pensée. L'un des esprits s'avança sans soulever le moindre grain de sable, et Harry entraperçu son regard, aussi vert que le sien au milieu de sa face blanche. Harry n'avait pas la moindre idée de comment il avait pu parler, mais il savait qu'il n'en avait plus pour très longtemps. Il était toujours en train de se noyer, l'océan se fichait de ses petites visions.
-Je serai un Potter même si Père ne veut pas, haleta Harry. Je le rendrai fier même s'il s'en moque. Je serai un Potter même tout seul !
L'océan vibra encore et, Harry l'aurait juré, l'air commença à lui échapper plus vite. Ce n'était pas ce qu'il était censé dire, il sentait bien que le rituel se passait mal, mais il avait douze ans et il n'avait pas la moindre idée de ce qu'il se passait. Les fantômes l'encerclaient maintenant. Harry était presque tout au fond de l'eau, il flottait la tête en bas, incapable de ne serait-ce que remuer. Un incendie de douleur lui ravageait les poumons. Il serait mort bien avant d'avoir touché le plancher sablonneux, il deviendrait un fantôme lui aussi, à attendre le prochain. Et pourtant, il continuait à essayer. Alors qu'il aurait dû renoncer et se tenir immobile depuis longtemps, essayer instinctivement de préserver ses précieux souffles d'air, il se débattait furieusement à l'intérieur de son corps paralysé par la fatigue.
Il remonterai. Il ne mourrai pas comme ça, il continuerai à essayer de remonter, même s'il ne lui restait qu'un instant, une seconde.
-Et si pour vivre encore tu devais abandonner Harry Potter ?, murmura la voix.
-Je continuerai quand même !
-Et si tu devais apprendre qu'il n'y a plus que la souffrance et la peur qui t'attendent ?
-ALORS JE SOUFFRIRAI!, hurla le garçon.
Le hurlement d'Harry se répercuta comme une onde au fond de l'eau, si fort qu'il se confondait avec le rugissement des vagues.
,
Ca ne fonctionnait pas. Les esprits aux yeux vert restaient juste là, à le regarder mourir. Tout était déjà terminé. Il allait fermer les yeux et se noyer.
Harry aurait voulu courir plus longtemps. C'était idiot, et pourtant, maintenant qu'il était là, peut-être déjà mort, rien ne lui semblait plus important. Il ne l'avait jamais fait avant, courir. Il voulait sentir de nouveau le vent dans ses cheveux et savoir ce que ça faisait d'aller là où il en avait envie. Harry n'avait pas peur d'être seul, ou d'avoir mal. C'était ce qu'il avait connu toute sa vie. Il voulait bien avoir cent fois plus mal et plus peur pour une seule journée à faire ce qu'il voulait.
-Je veux juste essayer, murmura-il tout bas. Je ne veux plus être enfermé. Je peux pas mourir sans avoir fait quoi que ce soit d'autre qu'attendre dans ma chambre.
-Que fera-tu d'autre, en ce cas?
-Je veux être libre. Prendre la mer.
Harry l'ignorait, mais s'il avait demandé quoi que ce soit d'autre, si l'instinct profondément enraciné en lui n'avait pas fait de cette option le seul choix possible, un instant plus tard son corps aurait eu un dernier sursaut et il serait mort noyé. Mais il venait de prendre une décision d'Ouranos, sans même savoir ce que c'était.
Le fantôme s'avança vers Harry à pas lents, comme si le garçon n'était pas en train de rendre son dernier souffle, et il lui tendit la main. Il ressemblait à Père. A Harry. Peut-être qu'Harry délirait et qu'il se tendait la main à lui-même. Un horrible instant, Harry ne parvint pas à mobiliser suffisamment de forces pour lever le bras. Puis, alors que les dernières bulles d'air s'échappaient d'entre ses lèvres, dans un soubresaut plus qu'un geste, il serra la main du fantôme dans la sienne. Elle était chaude et ferme, pas froide comme il s'y attendait.
-Quel sera notre cap ?, demanda l'esprit.
Le garçon n'avait plus la force de parler. Il ne comprenait même pas ce que ça voulait dire. Il adressa au fantôme un regard empli d'incompréhension. Il n'avait nul-part où aller, aucune destination. L'esprit pencha la tête sur le côté comme une chouette.
-Quel sera notre cap ?
Je ne comprends rien !, aurait voulu hurler Harry.
Soudain, il comprit qu'il venait d'échouer. Au tout dernier moment, après avoir donné presque toutes les bonnes réponses. Tout à coup, juste comme ça, le fantôme le lâcha.
Ce fut d'une violence inouïe. Soudain, Harry fut projeté vers l'horizon comme une balle de fusil. Les fantômes s'éloignèrent comme une myriade d'étoiles filantes, en une fraction de seconde Harry fut trop loin pour les voir. Il creva la surface et continua de s'élever sans s'arrêter, ballotté en plein ciel comme une poupée de chiffon. Il hurlait, sans doute, mais la tempête hurlait bien plus que lui et le vent rugissait trop fort à ses oreilles pour qu'il entende quoi que ce soit. Le monde tournoya follement autour de lui avant que l'océan ne se précipite sur lui à nouveau, et une nouvelle fois les vagues le poussèrent en avant aussi vite qu'un portoloin. C'était définitivement de la magie, mais pas de la magie de baguette, polie et domestiquée. Ca, c'était une magie insoumise qui se fichait de qui l'avait invoquée ou de ce que c'était qu'un Homme. A chaque fois, Harry avait l'impression d'être frappé assez fort pour lui casser tous les os, et le sort n'était pas spécialement prévu pour lui laisser le temps de respirer non plus.
Au bout de trois fois il sentit quelque-chose se briser dans son ventre, puis son dos, son crâne. Il allait être réduit en mille morceaux.
-A L'AIDE !, hurla-il sans plus savoir s'il était sous l'eau ou dans les airs. AIDEZ-M...
Un coup de plus et son corps ne fut plus qu'une masse vibrante de douleur. Des tâches rouges giclèrent devant ses yeux une à une, et finalement, il s'évanouit au beau milieu de l'océan, sans cesser de filer à toute vitesse.
La voix des fantômes lui parvint encore tandis qu'il achevait de sombrer dans l'inconscience, un murmure à peine perceptible à son oreille :
-Vie, Harry Potter. Et sache que chaque once de la douleur et de la solitude qui t'attendent ont été ton propre choix, comme il fut un jour le nôtre.
Et puis Harry sombra dans une douleur qui l'emportait un peu plus loin à chaque bond.
