Chapitre 2 Vives tensions

Emma se réveilla le lendemain, toujours accompagnée de son mal de crâne persistant. La magie de Regina commençait à sentir la naphtaline, si elle ne parvenait pas à guérir un simple coup à la tête. Elle se fit couler un café, sentant déjà son humeur tourner en eau de boudin. Elle prit une douche bien chaude, mais ne parvint pas à se sortir de son état apathique et renfrogné. Elle prit sa voiture et se retrouva rapidement derrière son bureau, attendant son père pour partir patrouiller. Lorsqu'il arriva une demi-heure plus tard, Emma fulminait.

- Bonjour!

- C'est pas trop tôt! Ça fait un bail que je poireaute ici! Je vais faire ma ronde. À toi le travail administratif!

- Euh… Il y a un problème?

- Nan!

La blonde claqua la porte, laissant son père totalement éberlué par son comportement.

La shérif ne comprenait pas son brusque mouvement d'humeur. Elle préféra partir à pieds, afin de se concentrer sur autre chose que le défilé des rues mornes de Storybrooke, ce qui aurait été le cas en voiture. D'ailleurs, on était en décembre, et les rues n'étaient pas encore décorées. Elle trouva dommage de ne pas égayer le paysage. Quelques lumières en plus n'allaient pas détruire le porte-feuille de la mairesse, tout de même! Sans qu'elle s'en rende compte, ses pas l'avaient amené devant la mairie. Elle se tâta, ne sachant quoi faire. Puis elle se contenta de hausser les épaules et gravit le perron. Elle faillit passer en trombe devant la secrétaire, mais cette dernière la héla avec tant de vigueur, qu'elle revint sur ses pas, penaude.

- Shérif Swan! Combien de fois devrais-je vous rappeler que vous ne pouvez pas déranger madame le maire à tout bout de champ?

- Environ deux fois par jour, à vue de nez.

- Pardon?

- Je précise: à chaque fois que j'entre ici. Vous faites un travail remarquable, digne d'un doberman. Vous avez des chocolats à Noël? Une prime particulière, pour cette compétence d'ordinaire plutôt… Canine?

- Mais je ne vous permets pas! Sortez immédiatement!

La secrétaire s'était levée de son siège, et lui indiquait d'un doigt vengeur la sortie. Emma soupira, et obéit. Jamais elle n'avait parlé de façon aussi désagréable à la pauvre femme. Qui, par ailleurs, ne faisait que son boulot. Elle prit note de revenir, une fois calmée, pour attirer l'attention de Regina sur le manque flagrant de décorations. Mais pas aujourd'hui…

Lorsqu'elle revint au commissariat, elle trouva son père les bras croisés, et l'air contrarié. Elle passa au large, et préféra ne pas entamer la conversation. Il le comprit et s'en chargea à sa place.

- Tu n'as rien à me dire?

- Sois plus précis. À quel sujet?

- Ne joue pas à la plus maligne avec moi, Emma! J'ai reçu un coup de fil de la mairie…

- Il ne vaut mieux pas, en effet. Nous savons tous les deux qui gagnerait, et haut la main!

L'expression de David devint plus dure, sous le coup de l'insulte.

- Tu me prends pour un demeuré, ma parole.

- Non, mais tu pourrais peut-être concurrencé Simplet, je te l'accorde.

- Mais qu'est-ce qui te prend, Emma?! Je suis ton père! Tu me dois un minimum de respect!

- J'ai la musique de Star Wars dans la tête, c'est malin.

- Quoi? Mais de quoi tu parles?!

- Ah. La preuve en direct que tu es un peu… Lent.

David s'approcha de sa fille, les poings serrés. Il fit crisser ses dents, les unes contre les autres. Tout son corps exprimait une rage contenue. Mais la déception, mêlée à la fureur de son regard, ne trompait pas Emma. Elle l'avait blessé, intentionnellement. Et il ne lui pardonnerait pas facilement cet affront. David s'écarta, lentement, afin de ne pas faire un geste malheureux qu'il aurait pu regretter plus tard.

- Je ne sais si c'est dû au coup que tu as reçu en tombant sur cette étagère, ou si tu as un compte personnel à régler avec moi. Mais sache que je ne veux plus te voir, pour le moment. Tes paroles étaient particulièrement cruelles.

Le prince tourna les talons, et laissa sa fille plantée là, comme une malpropre. Elle se prit la tête entre ses mains, et gémit. Mais pourquoi avait-elle dit de telles horreurs à son père?

La journée parut bien longue à la shérif. Elle ne revit pas son père, et elle se morfondit sur son siège. Elle ne pouvait excuser les paroles qu'elle avait prononcé, malgré un semblant de vérité, au fond. C'était comme si sa langue ne lui obéissait plus. Ni son cerveau, apparemment. Elle soupira. Le coup qu'elle avait reçu devait l'avoir sacrément touché, pour qu'elle ne parvienne pas à mieux se maîtriser.

Après avoir traîné une bonne partie de la nuit sur son canapé, Emma alla prendre une douche, pour aller travailler. Elle se sentait encore vaseuse, mais elle ne pouvait se permettre un nouvel affront à son paternel, aujourd'hui. Une fois chaussée, elle prit ses clés, et fut saisie d'un léger vertige. Elle se rattrapa au chambranle de la porte.

- Punaise, mais c'est quoi ce cirque? Faut que j'aille voir Regina pour tirer ça au clair. Elle m'a sûrement maudite!

Certaine de son fait, elle prit le volant, et partit pied au plancher, toute sirène hurlante.

Moins de cinq minutes plus tard, Emma se garait à cheval sur la belle pelouse de la mairie, laissant une traînée de gadoue dans l'herbe verte. Elle sortit tel un diable de sa boîte et fonça comme une fusée dans le bureau de Regina. La secrétaire voulut dire un mot, mais il fut balayé par le vent soulevé par la blonde, telle une tornade remontée à bloc. La shérif ouvrit la porte avec fracas, et s'avança dans l'antre de la sorcière.

- Regina, faut qu'on parle!

Un silence paisible lui répondit. La pièce était déserte. Emma en fut décontenancée, et sa colère retomba comme un soufflé sorti trop tôt du four. Elle referma la porte, dont la vitre s'était fissurée sous l'impact, et repartit tranquillement. Elle croisa le regard de la secrétaire, qui la toisa, un sourire satisfait aux lèvres. Elle redémarra et se rendit directement chez Regina. Elle n'avait pas dit son dernier mot.

Une fois devant la porte d'entrée du somptueux manoir, elle toqua, par prudence. L'ancienne reine pouvait être souffrante, ou pire, de mauvaise humeur. Et la provoquer chez elle n'était pas une riche idée. De plus, elle avait envie de faire un câlin à son fils, chose impossible si elle se mettait Regina à dos. La brune lui ouvrit, suspicieuse.

- Miss Swan, que me vaut le… Plaisir de votre visite matinale?

- Matinale? Il est presque neuf heures!

Regina haussa un sourcil, mettant en garde, par ce simple geste, la shérif. Cette dernière se racla la gorge, consciente d'avoir brusqué la mairesse.

- Je viens pour ma tête.

- Je ne peux pas améliorer quelque chose de détérioré, miss Swan.

- Espèce de…

- De?

- Non, non… Je voulais dire mon mal de tête. Il est toujours là.

Regina fronça les sourcils. Elle eut un geste pour toucher le crâne de la blonde, mais se retint au dernier moment.

- Pourriez-vous être plus précise? Oh, et entrez, nous n'allons pas résoudre ça sur le trottoir.

Emma se plia à la demande, et patienta dans le vestibule. Regina se rendit dans une pièce au fond de sa maison, et en ressortit avec une fiole.

- Je ne sais pas pourquoi la guérison n'a pas totalement fonctionné. Peut-être un simple résidu. En attendant, prenez ça avec votre repas ce midi, sinon, vous risquez des brûlures d'estomac.

- Euh… Ok. Merci. Vous êtes gentille.

- Auriez-vous le toupet de sous-entendre quelque chose?

- Absolument!

Regina écarquilla les yeux, ainsi qu'Emma. Mais pourquoi dire une chose pareille?

- Enfin, pas nécessairement. Et je peux voir Henri?

- Il est parti à l'école.

- Ah, dommage.

- Sur ce, miss Swan, je ne vous retiens pas.

- Ouais, merci!

- Au revoir.

La porte se referma derrière Emma, sans bruit. Cette dernière ronchonna.

- Aussi froide qu'un bloc de glace. C'est peut-être elle qui a coulé le Titanic…

La shérif déguerpit avec son remède, soulagée d'avoir trouvé une réponse à sa souffrance.

En fin d'après-midi, Emma était maintenant persuadée que la mairesse s'était jouée d'elle. Son mal de crâne avait empiré. Et son humeur avoisinait un marasme inimaginable. Elle se leva de sa chaise de bureau, et se mit debout. Elle n'avait pas de plan, mais devait absolument aller chercher des cachets. Elle était tombée à court de ceux fournis par le médecin de l'hôpital. Elle n'avait pas fait trois pas, que Belle se matérialisa devant elle, le visage inquiet.

- Emma? Bonjour, je viens pour faire ma déposition, suite à l'incident à la bibliothèque.

- Ah oui… David n'a pas déjà fait le nécessaire?

- Non. Mais je peux repasser. Tu n'as pas l'air bien.

- Si, si. Juste mal…

- On dirait que tu t'es pris une cuite…

- J'aurais préféré… Bref, assieds-toi, je vais prendre ta déposition.

Belle obtempéra, et sourit à son amie, pour la réconforter. Ce qui était un comble, puisque c'était elle qui avait été agressée, dans son temple tranquille de la lecture! Néanmoins, face à Emma, elle n'en pipa mot et patienta.

L'entrevue avec Belle fut rapide, cette dernière n'ayant aperçu qu'une ombre, avant de s'enfermer à clés. L'ombre n'avait pas prononcé un mot. Emma était donc au point mort. Cette enquête s'avérait ardue, tant par le manque flagrant de preuves que par l'absence de description potable de l'individu. Elle sortit peu de temps après la bibliothécaire, et se passa les nerfs sur une canette qui traînait sur le trottoir. La nuit tombait doucement sur Storybrooke, et elle repensa aux lumières de Noël inexistantes. Elle eut soudain une brusque bouffée de rage, et se dirigea vers la mairie.

La secrétaire s'étant visiblement absentée de son poste, elle toqua directement au bureau de la mairesse.

- Entrez!

- Regina, il y a un problème.

- Vous parlez sûrement de votre entêtement à venir constamment ici.

- Hein? Non! Je parle de la déco.

- Je vous demande pardon?

- Les rues sont nulles! C'est moche! Il n'y a rien qui nous dit «Hey, c'est Noël dans trois semaines!» Vous attendez quoi? Le déluge?!

La brune eut un temps d'arrêt, devant la charge éhontée de la shérif. Elle se leva lentement de son siège, et maîtrisa sa voix, qui faillit trembler d'indignation.

- C'est une plaisanterie, shérif? Vous n'êtes pas payée à regarder en l'air, comme une gamine décérébrée!

- C'est sûr qu'on a pas le même âge, mais quand même! Vous êtes trop radine pour simplement illuminer la ville? Pour refuser la magie des fêtes? Encore une sombre histoire de vengeance?!

- Je vois que votre humeur ne s'améliore guère. Néanmoins, je vous ferai remarquer que les dépenses liées aux festivités de fin d'année ont été revues à la baisse, suite au dernier conseil municipal. De ce fait, elles ne seront installées que la semaine prochaine. Restriction budgétaire! Mais pourquoi dois-je me justifier, d'ailleurs? Vous n'aviez qu'à pas roupiller en plein milieu de l'assemblée, comme toujours!

- C'est de ma faute, maintenant?!

- Je n'ai pas dit ça. Miss Swan, si vous êtes ici pour me faire une doléance concernant les décorations de Noël, c'est chose faite. Vous pouvez disposer.

- Je ne suis pas votre bonniche!

- Non, vous seriez virée depuis longtemps, dans ce cas.

- Vous êtes pire que de la vermine! Belle, vénale et monstrueuse!

- Sortez!

La mairesse fit un ample geste de la main, projetant Emma dans le couloir. La porte se referma dans un grand fracas, le verre cédant sous la violence du choc. Les deux femmes se regardèrent en chiens de faïence par ce trou improvisé par le destin. Aucune des deux ne baissa le regard. Regina s'évapora alors dans une fumée violette, royale de dédain et de dégoût.

- Elle s'est carapatée, j'y crois pas! La peau de vache!

Une fois dehors, Emma sentit la tension redescendre et son corps se relâcha enfin. Elle était épuisée, tant physiquement que moralement. Mais pourquoi avoir attaqué Regina au sujet des foutues décorations de Noël? Elle s'était couverte de ridicule, une fois de plus… Elle rentra chez elle, mortifiée. Une fois dans son canapé, elle ouvrit sa première bouteille de bière. Tant pis pour le mélange avec les médicaments. De toute façon, ils ne produisaient nullement l'effet escompté.

Elle se remémora les derniers jours et ses accès de diarrhées verbales. Elle ne pouvait s'empêcher de dire ce qu'elle pensait. Comme si une certaine vérité, la sienne bien évidemment, était cachée derrière ces mots. Elle se sentait dépossédée de sa capacité à parler normalement, sans effronterie ou fougue. Devrait-elle rajouter l'adjectif «agressif»? Peut-être bien. Regina ne lui pardonnerait pas facilement les mots de ce soir. Elle pouvait faire une croix sur Henri pour ce week-end. La brune se vengerait probablement de la pire des façons, en la privant de son fils. Une larme coula sur sa joue, aussi solitaire que la shérif. Elle se leva, prit une autre bouteille de bière, et reprit sa place. Elle s'acharna sur la télécommande de la télévision, mais ne put trouver un seul programme potable. De rage, elle l'éteignit, et l'injuria. Lorsqu'elle eut fini sa diatribe, elle ne put que se rendre à l'évidence: elle devenait folle à lier.