Ouais rugby. Pas foot américain. Parce que zut

Je perds un temps fou, à chaque fois, à installer la situation, expliquer le lore, bla bla bla. Puis je tartine jusqu'à me souvenir qu'il y a une intrigue, en fait.

Il y a déjà eu quelques "rencontre la famille" dans les os précédents, donc j'ai voulu faire dans l'originalité

Et, même si je dis toujours du bien de Toal, ce n'est pas un fantasme de la vie à la campagne, etc. J'ai surtout vécu à la campagne et suis actuellement dans un trou méga paumé. Et ses habitants sont des connards de premières :')

Bon, sans grande surprise, je n'arrive pas à écrire ce mois-ci, alors j'ai décidé que c'était bon pour ce thème-ci. Et, comme dit plus haut, "rencontre la famille" a déjà été traité dans d'autres occasions, donc au pire, vous trouverez peut-être votre bonheur ailleurs.

Désolé.

Bonne lecture !


— Qu'est-ce que tu comptes faire pour les vacances, Link ?

Jehd grinçait les dents derrière son livre alors que l'un des (nombreux) amis de son (trop populaire) colocataire parlait comme s'il se trouvait à dix kilomètres et non dix centimètres de son interlocuteur.

Franchement, c'était ridicule, lui était-il à ce point nécessaire d'informer le royaume entier de tout ce qui pouvait passer à travers sa cervelle de moineau ?

— Rien de particulier, répondit Link. Les vendanges et les moissons seront finies depuis longtemps donc ce sera surtout le soin aux animaux et les veillées au coin du feu. J'espère juste que cette fois, le père d'Iria n'essayera pas de me soutirer une partie de sumo. La dernière fois, il a fini à l'hôpital et elle m'en a voulu.

Des éclats de rire ponctuèrent sa déclaration, continuant de déconcentrer Jehd. Il avait besoin de finir son livre avant lesdites vacances sinon il dépasserait la date de rendu, mais il était constamment dérangé par les interruptions bruyantes de la bande de singes qui squattait le salon commun. Si ça ne tenait qu'à lui, il…

Il rien du tout.

Il pouvait se chuchoter toutes les bêtises qu'il voulait, au creux de son oreiller, il n'avait pas la moindre chance contre la filière sport, et plus particulièrement de l'équipe de rugby. Il était assurément mieux pour lui de rester cloîtré dans sa chambre à tenter de se concentrer sur sa lecture obligatoire plutôt que de perdre la face en allant réclamer du silence et du respect auprès des brontosaures d'à côté.

Au moins, lorsqu'ils partirent après un dernier « salut ! » tout aussi délicat que le reste de la conversation, le calme qui suivait était une vraie bénédiction. Il était aussi bien souvent le signal pour l'étudiant qu'il pouvait quitter enfin son refuge et gérer ses besoins.

Bien souvent, il croisait alors Link qui ramassait alors ce qui pouvait traîner, lui offrant un sourire enjoué, ne s'arrêtant qu'une fois qu'il eut fini.

Ils partageaient les corvées avec les autres colocataires (ils étaient quatre au total, bien que les deux autres avaient des horaires qui coïncidaient rarement avec les leurs) et personne n'avait rien à redire sur les autres à ce sujet. Il avait juste été établi très vite d'éviter de donner à Link la possibilité de cuisiner quoique que ce soit de plus élaboré qu'une casserole de pâtes. Après, il savait réaliser certaines recettes de chez lui, telle une délicieuse soupe au potiron, mais étant issu d'une vie plus rurale il était vite devenu évident que la moindre bouchée les couchait à terre, leur digestion mise K.O par toute la richesse des plats simples.

Heureusement, il ne l'avait pas mal pris quand ils lui avaient expliqué la situation. Il lui arrivait de cuisiner pour lui, généralement pour ses besoins caloriques, autant pour tenir le coup suite à tous les entraînements auxquels il faisait face que par nostalgie.

Le déracinement était souvent plus difficile à gérer que toutes les autres nouveautés de leur vie d'étudiant.

Jehd avait de la chance, il avait vécu toute sa vie, ou presque, à la capitale. Il connaissait moins cette partie de la Citadelle mais ça restait la même ville, les mêmes accents, les mêmes phrasés, les mêmes références. Il était chez lui.

Ce soir, c'était à lui de réaliser le dîner, alors il décida de s'y mettre, ignorant volontairement Link qui allait et venait selon ses besoins, sifflotant alors qu'il terminait de ranger. Il sentait son regard sur lui mais jugea inutile d'y prêter attention. Il savait que s'il avait quelque chose à dire, il le dira. Link n'était pas vraiment du genre à tourner autour du pot, c'était un trait de caractère qui pouvait être appréciable, selon les situations.

— Et toi, Jehd ?

— Moi quoi ?

— Je sais que tu nous as entendu parler. Les murs, c'est du papier. Tu rentres chez toi pour les fêtes de fin d'année ?

Pour s'offrir un peu de temps, Jehd entreprit d'égoutter correctement sa spatule et s'essuya soigneusement les mains, se mâchonnant la lèvre.

— Rien. Je vais sans doute rester ici. J'ai des devoirs à faire, ce genre de trucs…

Il était compliqué d'éviter le regard de l'étudiant, surtout quand il se tordait dans tous les sens pour croiser le sien, juste à côté de lui.

— Tu ne rentres pas chez toi ?

— Je n'ai plus de chez moi.

La réponse avait quitté ses lèvres avant que son cerveau ne l'enregistre totalement. Il se figea, autant sous le choc de l'avoir formulé que de s'être laissé aller à ce genre de confidence.

— Occupe-toi de tes affaires, claqua-t-il finalement.

Il abattit le couvercle de casserole avec plus de forces qu'il n'en était réellement nécessaire, mais Link ne commenta pas et quitta le coin cuisine sans rien rajouter, le laissant seul.

L'élaboration du repas occupait bien les mains mais elle permettait aussi au cerveau de vagabonder, et avec ce qui venait de se passer, hélas, c'était loin d'être plaisant.

Au moins Jehd pouvait-il prétendre que les larmes s'agglutinant à ses yeux étaient dues à la coupe des oignons, et rien d'autre. Enfin, pas comme si qui que ce soit se fatiguerait à l'interroger sur quoi que ce soit d'autre que l'heure.


La plupart des étudiants semblait heureux des vacances prochaines, devenant intarissables sur leurs projets, que ce soit de rester pour travailler ou de retrouver leurs proches / familles / amis et les célébrer selon leurs croyances.

Jehd était loin d'être le seul à accueillir l'arrivée du Solstice avec une tête d'enterrement. Ils étaient simplement une minorité que l'ambiance festive tentait d'invisibiliser.

Et dans leur petite colocation, c'était la même chose.

L'esquiver était loin d'être difficile. À partir du moment où sa part des tâches était réalisée, il était libre comme l'air. Ils étaient tous les quatre des jeunes adultes majeurs, sans liens familial ou biologique, personne n'avait vraiment de raison de materner qui que ce soit.

Bien sûr, Link s'en étonna et tenta de l'interroger, mais il ne fut pas dur de prétendre avoir des devoirs assez chronophages à réaliser. Étant tous deux dans des filières différentes, c'était un mensonge simple à mettre en place.

La vérité, c'est que Jehd était incapable de faire quoi que ce soit de concret. L'aveu involontaire semblait lui avoir remis en tête tout ce qu'il tentait d'oublier le reste du temps. Et c'était long et lourd à gérer. Beaucoup trop long et lourd. Et il était clairement dans une situation où il n'était pas capable de le gérer.

Malgré tous ses efforts, il ne parvenait pas à donner le change, de ce qu'il pouvait voir à travers les quelques interactions qu'il avait, mais ce n'était pas comme s'il pouvait y changer quoi que ce soit. Alors, il remontait son sac sur son dos et reprenait son chemin.


Les responsables des dortoirs avaient déjà fait le tour des chambres, notant ceux qui restaient de ceux qui partaient. Au total, ils étaient peu nombreux. C'était majoritairement des étudiants étrangers pour qui le déplacement serait trop coûteux en temps et en argent, et des dernières années qui devaient utiliser tout le temps qu'ils avaient pour finaliser leurs thèses.

Les valises s'amassaient un peu partout, rendant parfois le passage acrobatique, mais il fallait plus qu'une vilaine chute pour écorcher la bonne humeur ambiante et son excitation.

C'était dans cette atmosphère à mille lieues de ce que ressentait Jehd qui, pour cette fois, s'était retranché dans sa chambre, voulant se couper de tout ça. Et sans doute l'aurait-il pu si on ne toquait pas à sa porte. Il n'y avait pas mille personnes pouvant le faire, alors, quand il l'invita à rentrer d'une voix lasse, il savait d'avance qui ce serait.

— Que puis-je faire pour toi Link ?

Celui-ci semblait nerveux mais gardait son sourire malgré tout alors qu'il fermait la porte derrière lui.

— Salut Jehd, désolé de venir t'embêter, mais j'ai reçu une lettre de mes parents ce matin.

Sans être complètement arriéré, le village de Toal était tellement coupé du monde que l'unique moyen de communication restait la correspondance. Une ligne téléphonique avait été essayé mais les kilomètres de câbles et l'humidité des lieux avaient découragé le plus motivé. Link faisait donc partie de ces étudiants qui trépignaient d'impatience devant les boîtes aux lettres.

— Les nouvelles sont bonnes ? demanda-t-il poliment.

— Rien de nouveau, balaya le sportif . Par contre, j'avais demandé un truc à mes parents et ils ont accepté !

Il sautillait pratiquement sur place, très excité par quelque chose dont son interlocuteur était bien en peine de deviner la teneur.

— J'en suis heureux pour toi, déclara-t-il.

Ce n'était pas vraiment vrai, mais c'est ce qu'exigeait la politesse. Et qu'était-il, si ce n'était poli ? Il parvint à forcer un sourire, bien qu'il était à des années-lumière de celui qui lui était adressé.

— Maintenant, que puis-je pour toi ? répéta-t-il.

La question sembla le prendre au dépourvu avant qu'il ne se ressaisisse et ne lui tende pratiquement son courrier.

— J'ai demandé à mes parents si tu pouvais venir à la maison pour les fêtes, et ils ont dit oui !

Le sourire de Link était si lumineux qu'il aurait pu être pris pour une incarnation d'Hylia, mais à la place, Jehd le fixa, l'esprit tournant à vide.

Il avait fait quoi et qui avait dit oui ?!

Link avait dû comprendre qu'il y avait un problème car il finit par se reprendre et arborer une grimace repentante.

— J'ai oublié de t'en parler ?

— Oui, je crois aussi.

— Et, du coup, tu ne veux pas venir ?

Le futur historien ouvrit la bouche, s'apprêtant à le rembarrer vertement, mais soudainement il se rendit compte qu'il n'en était plus si sûr.

C'était très gentil de la part du jeune hylien, surtout qu'ils n'étaient pas plus amis que ça. Certes, il l'avait fait complètement dans son dos, mais ce n'était qu'un oubli de sa part et ça n'avait aucune intention malveillante. En était-il seulement capable ? Link avait clairement l'air d'être du genre à demander pardon aux moustiques qu'il écrasait.

Il sentit sa détermination fondre alors que les yeux bleus continuaient de le fixer avait un air coupable et suppliante.

— Je sens que je vais le regretter, mais d'accord. De toute façon, tu as déjà prévenu tes parents, et vu le délai postal, on sera déjà chez eux avant que l'explication leur sera arrivé.

Il n'en fallut pas plus pour que Link explose de joie et ne l'attrape par les épaules, le soulevant comme s'il ne pesait rien, essayant de le faire tournoyer. Hélas pour la réussite de ses projets, la pièce était bien trop étroite et il lui fallut rapidement changer d'idée. Alors, il décida à la place de l'enlacer dans une étreinte à lui rompre les os, dont Jehd en sortit le souffle coupé.

— Désolé, j'ai toujours du mal à contrôler ma force, s'affola le rugbyman.

— Pose-moi avant qu'on ait à appeler les urgences, couina-t-il.


Comme Link l'avait prévenu seulement quelques jours avant la date effective, Jehd avait dû faire ses sacs dans l'urgence et restait persuadé d'avoir oublié quelque chose…

Lorsqu'il dut rejoindre la queue des retardataires à la laverie commune, il eut quelques mots bien sentis envers son colocataire, bien qu'il se contenta de les cracher en son for intérieur.

Mais voilà, ils étaient dans le 4x4, leurs bagages dans le coffre et l'appartement propre, direction la région de Latouane !

Le trajet allait durer de longues heures, Link l'avait prévenu et ils s'étaient préparés en conséquence, établissant une feuille de route.

N'ayant pas le permis, Jehd se sentit mal de le laisser conduire toute cette distance sans pouvoir partager, mais il lui fit remarquer que, avec ou sans lui, ça ne changeait pas grand-chose.

La partie sur les belles routes goudronnées du royaume fut la plus facile et tranquille. Du moins, en terme de déplacement, car aucun des deux étudiants ne décrocha un mot, un silence gêné flottant dans l'habitacle. Mais l'ambiance changea du tout au tout au premier nid de poule, Jehd, inhabitué, sursauta et s'accrocha à sa ceinture comme si sa vie en dépendait.

— Qu'est-ce que c'était que ça ?

— Bienvenue en Latouane, rit Link. La civilisation, c'est derrière nous !

Et, en effet, le véhicule fut secoué, vibrant presque, alors qu'il avançait diligemment.

— Tu veux qu'on fasse une pause ? proposa finalement le sportif. On en a encore pour une demi-heure, mais ce n'est pas un problème.

Lorsque les chaussures de Jehd touchèrent le sol, il comprit un peu mieux pourquoi il avait l'impression d'être dans une essoreuse à salade, alors que la route de fortune se dévoilait à lui. Elle était constellée de nids de poule, d'ornières de diverses tailles, de flaques et sans doute de trous profonds. Et c'était sans parler de sa consistance, certaines parties n'étant plus que de la boue, là où d'autres étaient plus denses, tassées par le passage et le temps.

Quand il revint à son accompagnateur, celui-ci arborait un air gêné, ce qui le surprit. Ce n'était pas vraiment une expression qu'il était habitué à voir sur lui. Rien ne semblait arracher son sourire lumineux, en temps normal, mais peut-être n'était-ce qu'une façade, se rendait-il compte. Peut-être allait-il rencontrer le vrai Link durant son séjour ?

Les derniers mètres sur la route cahoteuse fut loin d'être une partie de plaisir pour son dos, mais Jehd n'y prit pas tant attention que ça, l'esprit occupé par sa dernière réflexion. Il en fut arraché par Link, justement, qui lui adressa son fameux sourire avant de sortir et de se précipiter dans l'étreinte d'une femme dehors, sans l'attendre.

Heureusement qu'ils s'étaient arrêtés un peu avant, évitant à l'étudiant cette allure d'armure grippée alors qu'il quittait l'habitacle prudemment.

Il y avait un petit attroupement autour de la voiture, un tas de visages inconnus qui l'intimidaient alors qu'il se résolvait à patienter que son camarade revienne vers lui et les présente ou autre. Mais il semblait l'avoir oublié, bien que Jehd ne lui jetterait pas la pierre. La rentrée remontait à plusieurs mois et les lettres ne remplaçaient pas le contact humain !

Il lui restait donc deux choix : continuer d'attendre en évitant de croiser le plus de regards possibles, ou tordre le cou à sa timidité et se présenter de lui-même.

Bon, il pouvait aussi feindre le malaise (ou ne rien feindre du tout), mais il se réservait cette carte pour une autre fois. Sait-on jamais…

Heureusement, il parvint à régner suffisamment sur ses nerfs et ne s'embrouilla pas trop sur les salutations d'usage, bien qu'il devait leur paraître un peu trop guindé. C'était malheureusement l'effet secondaire de son anxiété.


— Et donc, tu habites… ici ?

Depuis qu'ils avaient quitté les belles routes de la capitale, Jehd avait l'impression de passer de surprise en surprise. Et il avait la sourde impression qu'il était loin d'en avoir fini.

Mais pour le coup, il se le pardonnait. Rien au monde n'aurait pu le préparer à passer son séjour dans ce qui devait être un vieil arbre mort. Pas que Link ne dorme dans une cabane construite dans ses branches, non ! Le tronc vénérable semblait avoir été évidé minutieusement, donnant ainsi la possibilité pour son colocataire de s'y loger avec tout le confort de leur époque. Enfin, plutôt le confort du village, mais il n'allait pas chipoter dessus.

— Oui ! C'est sympa, non ? Moï me l'a offert il y a quelques années. La maison commençait à être un peu étroite, avec Colin qui grandissait. Et maintenant j'ai tout cet espace pour moi tout seul ! Enfin, avec toi, pour le séjour, mais tu vois ce que je veux dire ?

Lorsqu'ils étaient à l'université, Link ne semblait pas avoir de souci quand il parlait, bien qu'il lui arrivait de buter sur des mots un peu complexe ou aux consonnances étrangères, comme un peu tout le monde, mais jamais il ne lui avait paru autant maladroit. C'était étrange, mais Jehd ne releva pas. Ce n'était pas son rôle, pas sa place.

Il leva la tête, observant lentement ce qui l'entourait, curieux.

— Tu sembles très proche de la nature, commenta-t-il, finalement.

— Très ! Ici, nous ne sommes rien sans elle ! Il est important de vivre en harmonie avec et de garder un équilibre. Tu comprends ?

— Ce n'est pas ma spécialité, mais oui, c'est récurrent dans bien des civilisations, pour ne pas dire toutes. Le déséquilibre mène bien souvent à la mort et à la disparition.

Il sursauta à la fin de sa propre phrase, se rendant compte de ce qu'il venait de dire, et se tourna vivement vers son hôte, apeuré de l'avoir vexé, ou pire.

— Tu as parfaitement résumé, le rassura ce dernier. Tout équilibre est difficile à tenir. Bref, on s'installe ?

Ce fut assez rapide, tout comme le tour de l'habitation et plus tard celui du village.

Le contraste entre Toal et la Citadelle était affolant. Il était même ridicule de les lister car ils appartenaient clairement à deux époques différentes. Ce serait comme comparer les premières habitations de leur civilisation avec celles actuelles. Aberrant.

— Comment tu fais ? avait-il osé demander, un soir.

L'obscurité relative à cette heure avancée, à peine repoussée par le feu ronflant, permettait plus facilement les conversations, particulièrement celle plus poussées.

— Comment je fais quoi ?

Link était en train d'empiler quelques buches pour la nuit, lui tournant le dos.

— Pour vivre au dortoir ? On ne peut pas vraiment dire… qu'il y a une ressemblance ? On est plutôt loin de la nature, ce genre de truc ?

Il ne savait pas trop dans quoi il s'embarquait, mais il n'avait pas non plus envie de s'arrêter, de faire demi-tour.

— Ça ne te pèse pas, de vivre si loin de chez toi ? osa-t-il finalement.

Link semblait s'être figé, lui tournant toujours le dos, mutique. Impossible de savoir à quoi il pensait. Jusqu'à ce qu'il brise enfin le silence, déposant une bûche. Il claqua les mains, retirant la poussière de bois les recouvrant, alors qu'il s'asseyait à ses côtés, l'air pensif.

Il paraissait si préoccupé que Jehd ne put s'empêcher de regretter instantanément d'avoir posé la question. Pourquoi avait-il trouvé judicieux de le troubler par sa curiosité insatiable ?

— Si.

Il ne put s'empêcher de sursauter, surpris d'avoir obtenu une réponse, mais plus encore par l'aveu.

— Si, ça me pèse comme tu ne pourrais jamais le penser, reprit-il. Ce serait comme forcer un Kokiri à vivre dans le désert Gerudo. Tu penses sans doute que j'exagère, et pourtant c'est ce que je ressens. La vie à la capitale… Tout va si vite, tout est si bruyant, lumineux, Personne n'a le temps pour rien, et la nature est réduite à des plantes rabougries et souffreteuses.

Link fixait la danse des flammes avec une telle intensité que l'étudiant retenait son souffle, ayant l'impression que le moindre bruit parasite signerait sa fin.

Mais il ne pouvait s'empêcher de creuser, pourtant :

— Alors, pourquoi… pourquoi être venu ?

Cette fois, Link se tourna vers lui, souriant comme à l'ordinaire.

— Je n'en avais pas l'intention. Mais quand j'ai reçu ce courrier m'annonçant avoir été choisi pour la bourse royale… J'avais l'intention de la refuser, ce n'était pas un avenir qui m'intéressait, mais c'était un tel événement pour le village… Ce n'est pas pour moi que je suis parti, c'était pour eux. Ils étaient si fiers que l'un d'entre eux ait été remarqué et désigné pour ce privilège… J'étais juste incapable de les décevoir.

Un silence un peu tendu s'installa alors que Jehd réfléchissait à ce qu'il venait de lui confesser. Ce n'était pas une si grosse affaire, tout le monde savait que Link était celui que la famille royale avait décidé de sélectionner pour leur bourse, pour la durée de ses études, ce qui était une chance dont peu pouvait se vanter. Et pourtant, il venait de lui avouer l'avoir accepté uniquement pour faire plaisir à d'autres que lui.

— Mais… tu aimes tes études ?

— Non. J'aime le sport, j'aime pouvoir dépenser mon énergie de manière utile, mais si j'avais pu choisir, j'aurais préféré une voie qui serait utile pour mon village. Comme étudier d'autres agricultures qui seraient compatibles avec nos techniques, ou justement comment les améliorer, ce genre de choses… Mais nous n'avons pas les moyens pour que je change de filières et tu as bien vu que je n'aurais jamais le temps pour le faire en parallèle de mes journées…

Peut-être était-ce le manque de luminosité, mais Jehd était troublé par le sérieux de Link, mais plus encore par son quasi aveu. Il sentait bien que c'était sans doute la première fois qu'il se permettait de le dire tout haut. À qui d'autre aurait-il pu le partager ? Pas ses camarades à l'université qui le considéraient comme un étudiant modèle, la future étoile des championnats nationaux, pas ses professeurs ou le personnel administratif qui n'avaient le temps de rien, et sûrement pas le village ou sa famille, d'après ce qu'il venait de dire.

Il était loin d'être quelqu'un de tactile, mais il sentait bien que Link en aurait besoin. Alors, le plus discrètement possible, il se rapprocha de son voisin et appuya une main timide sur son épaule. Et il garda le silence.

Parfois, ne rien dire était plus réconfortant que n'importe quel mot.


"Tu es mon colocataire et le seul du campus qui n'a pas prévu de rentrer chez lui pour Noël à cause de problèmes familiaux. Mon parent ne voit aucun aucun souci à ce que tu restes avec nous pour les fêtes. Ainsi, tu ne seras pas seul"

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