La descente vers les cachots du château avait été expliquée longtemps auparavant à chaque enfant Black par les membres plus âgés de la famille – Grand-père tout particulièrement ne croyait guère dans l'effet de surprise, préférant que ses descendants sachent où mettre les pieds afin de ne pas trébucher dans un accès de nervosité et se rompe le cou, ou pire, ne devienne la risée de sa génération scolaire.
La salle commune également correspondait point par point aux explications, peut-être juste un peu plus usée par les ans, quelques marques de rénovation sur le plafond indiquant un récent dégât des eaux causé par la proximité du lac, un canapé de velours vert cachant son tissu défraîchi sous une abondance de coussins argentés. Ça conférait un aspect vécu, sous le poids de l'ancienneté et de l'élégance, ce qui était plutôt rassurant.
Bien sûr, quand Orion et Walburga Black répétaient à leurs rejetons le rituel qui les verrait officiellement accueillis au sein de la fosse à serpents, ils opéraient sous la certitude que Sirius et Regulus seraient au beau milieu de la foule des premières années, et que les autres membres de la famille attendraient la fin de la présentation des préfets et de la tournée des dortoirs pour approcher et reprendre contact.
Forcément, ils n'avaient jamais imaginé que Sirius ne serait pas là du tout, fourré dans une tour aux bannières rouge et or à la place, ni qu'une disparition de trois ans de la part de son tout jeune cousin pousserait Narcissa à garder Regulus à côté d'elle tout du long, se souciant telle une guigne des sourcils haussés et des murmures peu discrets provoqués par cette conduite scandaleusement affectueuse à la vue du grand public – les démonstrations d'affection se devaient de rester cantonnées à la sphère privée, enfin.
Comme quoi, il ne fallait juger de rien. S'il existait une force cosmique guidant l'univers au-dessus des dieux, et Regulus ne refuserait pas de prendre en compte cette hypothèse vu qu'il était lui-même la preuve irréfutable de l'existence du panthéon grec, celle-ci était dotée d'un sens de l'humour abjectement immature qui ne trouvait rien de plus irrésistible que de mettre un coup de pied dans le château de sable que vous vous étiez évertué à bâtir.
Une fois la présentation officielle terminée, ce fut le moment des questions – pas toujours adressées aux préfets, c'était aussi un moment pour faire connaissance avec les autres élèves, poursuivant la tâche entamée lors du banquet de début d'année, mais un moment qui n'était pas sensé durer trop longtemps puisqu'il était tard, que la journée avait été consacrée à voyager, et qu'un repas copieux tendait à monopoliser votre énergie afin de digérer.
Narcissa n'en avait cure. Pipelette née, la benjamine des cousines Black ne demandait qu'à papoter jusqu'à s'en faire tomber la langue ou que ses interlocuteurs s'évanouissent, et même alors, ça ne l'arrêterait vraisemblablement pas.
Contraint de s'asseoir dans un large fauteuil de velours vert abominablement moelleux, assez large pour recevoir le postère d'une jeune femme et de son cousin prépubère malgré l'obligation de se serrer un tantinet, Regulus songea qu'il aurait encore préféré courir au-devant d'une nuée de rapaces stymphaliens en simple caleçon et le claquement de ses dents pour lui servir de maracas, il aurait eu de meilleures chances de survie.
« Alors » roucoula Cissy, lui caressant nonchalamment les frisettes et entortillant l'une des mèches noires soyeuses autour de son index, « j'ai l'impression que tu as beaucoup de choses à me raconter, petit cousin. »
Regulus avala sa salive et fit de son mieux pour ignorer la démangeaison le long de son dos, provoquée par la sueur froide perlant sans prévenir.
« D'habitude, c'est toi qui racontes » rétorqua le garçon d'un ton serein ne laissant en rien entrevoir son agitation intérieure.
« Oh, ne t'inquiète donc pas, mes oreilles sont en excellent état et piaffent d'impatience, surtout quand il s'agit d'excuses – pas la moindre lettre, en trois ans, et pauvre tatie qui s'est tellement renfermée sur elle-même, tu croirais qu'elle a été remplacée par une poupée animée qui suit les instructions de son créateur et rien de plus. »
Le jeune demi-dieu ferma les paupières, ses yeux le brûlant à la mention de Walburga Black, la femme qui avait été insultée par l'infidélité de son mari et qui persistait à souffrir les conséquences de cette sordide affaire, pour avoir eu la bonté de s'attacher à un bâtard.
« Oui, j'espère que tu as honte, petit vaurien. Si j'osais, je convoquerais un elfe de maison ou je te traînerais dans la cheminée pour un détour chez tes parents, et je lui permettrais de te hurler dessus à s'en casser la voix pour le restant de l'année. Je ne sais pas ce qui me retient, d'ailleurs, certainement pas ma propre magnanimité, mais quoi que ce soit, tu devrais te mettre à genoux pour exprimer ta reconnaissance. »
Très franchement, Regulus ne pensait pas pouvoir accomplir l'acte sans que l'un des Olympiens s'offusque pour le principe, les divinités grecques étaient basiquement la définition de la jalousie et de la possessivité, si elles soupçonnaient un rejeton de loucher sur un panthéon différent ça risquait de déchaîner la Troisième Guerre Mondiale.
« Tu te retient car tu es une fille bien élevée et respectueuse des convenances, et parce que tes deux sœurs ont accaparé tout le quota de scandales réservé aux enfants d'oncle Cygnus» se borna-t-il à déclarer.
« … C'est un argument de poids » grommela Cissy, le froncement de ses sourcils bien audible dans la tension de sa voix. « Hélas pour ta pomme, tu as peut-être échappé au courroux de ta mère pour l'instant, mais tu es entre mes griffes et je ne compte pas te lâcher de si tôt. On y sera la nuit entière si besoin, je me fiche du règlement, des préfets et de Slughorn, tu ne bouges pas avant de m'avoir avoué en long, en large et en travers à quoi tu t'es amusé pendant trois ans. »
« A survivre si je me retrouve face à une hydre en maraude » confessa Regulus tout à trac, ce qui était la vérité – juste une partie des activités à la Colonie des Sang-Mêlés, certes, mais la vérité.
Cissy lui adressa un regard torve. Curieusement, ça produisit moins d'effet qu'elle ne l'aurait sans doute voulu – les conséquences inévitables de grandir au beau milieu d'un essaim de sœurs, on finissait par gagner une immunité flagrante à l'ire féminine et ses manifestations diverses et variées.
« J'ai aussi découvert ma vocation pour la danse » ajouta le garçon, parce que mine de rien, c'était tout important que de découvrir qu'il était un bâtard partiellement inhumain et nettement moins compromettant à mentionner.
« Voyez-vous cela » renifla sa blonde cousine. « Serais-tu en train de prétendre que tu as joué le coup classique de la fugue artistique ? L'enfant de bonne famille décampant d'un foyer étouffant pour rejoindre la troupe de théâtre ambulant passant sous les fenêtres ? »
« Pas le théâtre, l'opéra » rectifia Regulus.
« Morgane et Circé, tu ne mens pas » souffla Cissy. « Tu as joué le coup classique de la fugue artistique ? Façon roman du dix-huitième siècle ? C'est supposé être un cliché ! Autant que la demoiselle qui renonce à sa fortune et à son nom de famille pour épouser un vaurien sans le sou ! »
« Pour que ce soit un cliché dans les romans, il faut bien que ça trouve une base dans la réalité » glissa perfidement le garçon, mais il doutait que la jeune femme blonde puisse encore l'entendre.
Visiblement, la perspective d'avoir des personnages de roman dans la famille lui provoquait une rupture d'anévrisme.
