C'est mon chapitre préféré.
Silence, ça tourne!
Chapitre 8
Parce qu'il était un enfant gâté boudeur, Loki annonça à Tony qu'il prendrait les transports en commun à partir du lendemain. Il avait conscience d'être parfaitement juvénile et de blesser l'autre homme, mais à ce stade, c'était la stratégie qu'il avait choisie. Il n'avait jamais affirmé être un enfant de chœur, et il était plutôt un adepte du «dent pour dent». Puisque Tony le rejetait, il en ferait de même.
Immédiatement, ses relations avec les autres membres de l'équipe de tournage en pâtirent. Personne ne comprit ce qui avait piqué le jeune homme, mais tout le monde se mit à le fuir. Loki en tira une de ses meilleures scènes, une dispute avec Artemis, sa femme.
Heureusement pour tout le monde, le week-end arriva vite, et Amora obligea Loki à sortir avec elle. Elle poussa le vice à venir le chercher le samedi, en fin de matinée, directement au manoir. Elle semblait également très au courant de ce qui se passait dans la vie de Loki, peut-être pas au niveau psychologique, mais en tout cas, au niveau événementiel. Et pour cause, elle emmena Loki manger dans un petit restaurant de Brooklyn, où ils rejoignirent Darcy.
«Salut! s'exclama-t-elle quand elle les vit arriver.»
Et Amora se pencha pour l'embrasser sur la joue.
«Je vois, marmonna Loki. Toujours dans les bons plans, Amora.
—Tu ne crois pas si bien dire, répondit Amora en bougeant les sourcils de manière suggestive. Je suis retournée au studio dès le lendemain, mais tu n'étais pas là. Darcy m'a invitée à boire un verre le soir même. Et c'est un très bon plan. N'est-ce pas Darcy chérie?
—Tu parles du fait que je connaisse toutes les rumeurs des studios? Ou du fait que je sache faire ce truc avec ma langue et tes-
—Je ne veux pas savoir ça! réagit immédiatement Loki. Trop d'infos d'un coup pour ma pauvre imagination très fertile, merci beaucoup.
—Parlons sérieusement, déclara Amora après avoir commandé un bon gros burger américain. Apparemment, depuis la visite de Thor, tu es d'une humeur massacrante. Au sens figuré, mais comme je te connais bien, j'imagine que c'est aussi au sens propre. Qu'est-ce qui s'est passé?
—Thor? répondit ironiquement Loki. Ce n'est pas suffisant?»
Amora fit une moue déçue, parfaitement agaçante.
«Ne sois pas insultant, veux-tu? répliqua-t-elle sèchement. Je veux bien croire que la visite de ton frère, et de moi aussi, soit dit en passant, ne t'ait pas enchanté, je ne crois pas une seconde que cela ait eu un aussi grand impact sur ton humeur. Certes, quand on s'est parlé, tu n'étais pas dans ton meilleur état, mais tu n'étais pas non plus complètement hérissé. Donc je réitère ma question: qu'est-ce qui s'est passé?»
Le serveur apporta les assiettes, ce qui permit à Loki de réfléchir à une réponse.
«Beaucoup de choses sans doute, admit-il de mauvaise grâce.
—Est-ce que cela a un rapport avec le fait que tu cours après le patron? demanda Darcy d'un ton presque avide.
—Je ne… rhâââ, et mince. D'accord. Je me suis pris un râteau. Cela soulage-t-il votre curiosité, mesdames?
—Presque, répondit Amora en avalant goulûment une demi-douzaine de frites. Tu n'es pas le genre à te prendre des râteaux ni à en concevoir une rancœur excessive.
—Oh, mais tu ne connais pas Iron Man, Amora, gloussa Darcy. Il a pour principe de ne pas coucher avec ses acteurs. Ou aucun membre de son équipe d'ailleurs. Il est connu pour ça dans le milieu.
—Et Loki, tu as toujours aimé un bon défi. Mais encore une fois, les échecs te mettent rarement dans un état pareil, à moins que…»
Elle s'interrompit et le fixa d'un air calculateur.
«On se connaît depuis combien de temps, Loki? demanda-t-elle faussement grave. Toujours?
—Le lycée, Amora. On s'est rencontrés au lycée.
—C'est bien ce que je dis. Depuis que le monde est monde. Je te connais, Loki Asgard. Je connais tes goûts et tes réactions.
—Toutes ces fleurs que tu te lances ont-elles un objectif? railla Loki qui pourtant la voyait venir à des kilomètres.
—Tu es amoureux, mon cher, triompha-t-elle.»
Cela arracha un petit couinement à Darcy.
«Je le savais! s'exclama-t-elle. On avait raison!
—On? tiqua immédiatement Loki.
—Edda et moi! Enfin, Sigyn. Oh, et je sais plus quel nom utiliser à la fin. C'était notre théorie préférée!
—À qui en avez-vous parlé? demanda Loki en tentant d'ignorer la sensation d'humiliation qui brûlait dans sa gorge.»
Il avait reposé ses couverts et sirotait un peu d'eau, mais il avait perdu tout appétit.
«Personne, jura Darcy. C'est notre délire à nous. Je pense que tu as remarqué que j'aime les potins, et Sigyn aussi. Mais promis, on n'a rien dit aux autres.
—Intéressant, remarqua Amora toujours autant fasciné qu'une biologiste venant de découvrir une caractéristique nouvelle chez une espèce végétale. Tu ne tentes même pas de nier.
—Que veux-tu que je nie? L'évidence? Même Darcy, qui passe sa journée à l'accueil, est capable de faire cette conclusion. Le reste de l'équipe doit s'en douter aussi. Ne faites pas ces têtes-là, je ne suis pas là pour élaborer je ne sais quel stratagème pour séduire Tony. On a déjà discuté et il est ouvert à l'idée de rendez-vous une fois le tournage terminé.
—Quel est le problème alors? demanda Amora avec humeur.»
Loki poussa sa nourriture du bout de sa fourchette sans conviction.
«Quand on est que tous les deux, il y a quelque chose. Je ne sais pas, une attraction. C'est très convenu ce que je dis.
—Continue! s'exclama Darcy qui buvait ses paroles. C'est peut-être convenu, mais c'est passionnant et si romantique!»
Loki lui jeta un regard vaguement dégoûté, et reprit son explication.
«C'est compliqué de gérer la frustration et les rejets répétitifs, décréta-t-il d'un ton définitif.
—Mais se braquer et renvoyer tout le monde se faire foutre n'est peut-être pas la stratégie la plus efficace, contra Amora en finissant son assiette. Tu ne manges pas tes frites? Je peux les prendre?»
Loki leva les yeux au ciel et lui passa son assiette de fish and chips à peine entamée, qu'elle dévora à belles dents.
«Et tu veux que je fasse quoi? Que je vénère le sol qu'il foule et que je lui fasse une cour discrète, mais assidue?
—Ne sois pas dramatique, espèce de tragédien. Il y a un juste milieu entre être un paillasson et être un hérisson. De toute évidence, tu n'as pas réfléchi, ce qui ne m'étonne pas, tu restes un homme après tout.
—Eh! s'insurgea Loki.
—Je ne suis pas misandre, affirma Amora avec tout le sérieux du monde. J'ai un ami homme.
—C'est moi, ton ami homme, et je me sens insulté.
—Tu as raison de te sentir insulté, répliqua-t-elle. Mais tu sais ce qu'on dit…
—Y a que la vérité qui blesse! chantonna joyeusement Darcy en piquant des frites dans l'assiette que Loki avait laissée à sa plus vieille amie.
—Donc, je termine ma pensée si tu veux bien, continua Amora sans se laisser émouvoir. Il te faut tout simplement un nouvel angle d'attaque.
—Suis-je bête, répondit Loki pince-sans-rire.
—Non, non, vraiment. De toute évidence, tu es en train de t'aliéner tout le monde à ton boulot, donc déjà, faut redresser la barre.
—Ma barre est très droite, merci beaucoup, répliqua-t-il toujours sans laisser transparaître la moindre émotion.»
Darcy s'étouffa avec une frite.
«Nouvelle règle, décida Amora. Les blagues de cul sont interdites.»
Loki n'avait pas envie d'admettre que son amie avait raison, néanmoins, il devait se rendre à l'évidence: elle n'avait pas tort. Il pouvait tenter de détourner autant qu'il le voulait la conversation, les faits restaient les mêmes: il avait un comportement de connard, et cela devait changer.
Elle avait aussi raison sur un autre point: il n'était pas dans son caractère de se répandre en excuses ou de cirer les pompes de qui que ce soit. Il n'était pas non plus acceptable de rester campé sur ses positions, et il devait donc trouver un compromis avec lui-même.
La première chose qu'il fit dès le lundi matin fut de reprendre la voiture avec Tony. Il se présenta dans le garage, à l'heure habituelle, comme si rien ne s'était passé. Tony, qui n'était pas le dernier des imbéciles, accepta l'excuse silencieuse, et ne fit aucun commentaire. Au contraire, il caqueta plus qu'à l'habitude, d'un ton léger, mais qui semblait parfois un peu forcé.
Les journées ne s'organisaient plus de la même manière depuis peu, car toutes les scènes de sexe avaient été tournées. Il manquait évidemment les scènes à l'extérieur, et plus particulièrement celle qui faisait peur à Loki (pas qu'il l'admît à quiconque, mais en son for intérieur). En attendant de pouvoir quitter Brooklyn pour rejoindre les pâturages enneigés appartenant à Tony, on tournait les scènes d'intrigue plus générale.
Loki s'épanouissait bien plus dans ce type de scène. Il était un comédien doué et un acteur en devenir prodigieux. Certes, il avait aussi l'égo d'une diva, ce que ne manquait pas de souligner Amora, mais il était conscient de ses faiblesses, et jouer n'en était pas une.
Il recevait effectivement de nombreux compliments de la part de ses collègues et les appréciait grandement. La modestie n'était pas non plus un de ses vices.
Alors que Loki trouvait à nouveau un certain équilibre dans son travail et dans sa vie privée, entre frustration, attente et excitation (pas celle-là, l'autre), il reçut un message de son frère. D'abord irrité par le fait qu'Amora ait encore cédé aux yeux de chien battu de Thor, il fut surpris par le contenu du message, puis complètement abasourdi par ses implications.
Thor allait être nommé co-CEO du groupe, ce qui signifiait qu'Odin prévoyait de prendre une retraite prochaine. Le message de Thor allait droit au but: son intronisation allait avoir lieu pendant une réception avec tout le gratin et il souhaitait que Loki participât.
Il ne répondit pas. Il ne savait pas quoi répondre. Il n'avait pas donné signe de vie à ses parents depuis des mois, et même si parfois ils lui manquaient (oui, même Odin), il n'était pas prêt pour revenir dans leurs vies.
Néanmoins, ne pas se présenter à un événement aussi important pour Thor, une sorte de couronnement, était une trahison terrible. Loki culpabilisait déjà de la décision qu'il s'apprêtait à prendre. Alors, il préféra ne pas prendre de décision et n'envoya aucun message en retour. Quelques jours plus tard, Thor le relança, stimulant ainsi le sentiment de culpabilité qui s'était logé dans l'estomac de Loki, en vain.
Ce même jour, alors que le tournage en studio en était à ses derniers instants et que Ant-Man commençait à devenir nerveux quant à l'organisation du futur tournage en plein air, un homme, de taille moyenne, arborant une calvitie impressionnante et un costume sur mesure tout aussi impressionnant, se présenta à Loki pendant qu'il se préparait.
«Phil Coulson, se présenta l'homme. Je représente le Syndicat Hollywoodien des Indépendants de l'Événementiel, du Loisir et du Divertissement.
—Sacré nom, répondit Loki perplexe.
—On y travaille, répliqua aussitôt Phil Coulson avec calme.
—Hollywoodien? Vous êtes bien loin de chez vous.
—Nous avons des bureaux à New York. À Washington D.C. aussi, et dans d'autres villes majeures des États-Unis. Nous aimons garder un œil sur les nouvelles entrées intéressantes dans le métier.
—Vous n'avez pas l'air de faire partie de l'industrie du sexe, déclara Loki en croisant les bras.
—Parce que nous n'en faisons pas partie. Et les studios Arc Reactor sont bien plus qu'un studio de films pornos.
—J'en suis conscient, dit Loki toujours sur la défensive. Qu'est-ce que tout cela a à voir avec moi?
—N'est-ce pas évident? questionna l'homme avec un sourire amusé. Tony Stark, je veux dire Iron Man, nous sommes dans ses locaux après tout, et à Rome, faisons comme les Romains. Iron Man nous a envoyé quelques rushs de vos prestations. Nous aimerions vous proposer un contrat d'agent artistique. Oubliez le "Hollywood" dans le titre. Nous avons été créés à Hollywood, mais nous sommes partout sur le territoire fédéral désormais.»
Loki resta pensif pendant quelques instants, avant d'éluder.
«Peut-on prendre rendez-vous à la fin de mon contrat? On revient du Mont Rainier dans deux semaines.
—Parfait. Voici ma carte, n'hésitez pas à me contacter si vous avez des questions.
—Une, cependant, avant que vous partiez. Je n'ai pas l'intention de continuer ma carrière dans quoi que ce soit de pornographique, et même si j'aime scandaliser les bonnes gens, j'aimerais aussi que cela ne me porte pas trop préjudice.
—Aucune inquiétude. Ce n'est pas pour rien qu'Iron Man impose une utilisation stricte des alias dans ses locaux. Quand bien même l'histoire sortirait dans la presse, nous avons un service pour gérer les scandales. Et certaines productions adorent ce genre de publicité.»
Loki hocha la tête et regarda l'homme partir en silence. Il reprit ses échauffements de longues minutes plus tard.
Dans sa tête, les pensées se bousculaient. Tony avait contacté de lui-même l'agence, ce syndicat, pour lui ouvrir des opportunités.
D'un côté, le geste était apprécié. Iron Man ne s'était jamais caché d'aimer découvrir de nouveaux talents et de donner une impulsion à leurs carrières. Pour Loki il s'agissait aussi d'une reconnaissance qui lui manquait dans sa famille. Non seulement, désormais, on reconnaissait son talent de comédien, mais en plus on agissait en sa faveur pour le faire avancer, évoluer et obtenir de prochains rôles. Loki était réellement touché par le geste de Tony, qui mobilisait son réseau, qui l'accueillait chez lui, et qui pourtant n'était pas toujours remercié par Loki à la juste valeur de ses services.
D'un autre côté, et paradoxalement, Loki était irrité par ce geste, par tous les gestes gentils de ses nouveaux amis. Loki ne méprisait pas la gentillesse par principe, au contraire, mais quand elle était dirigée vers lui, il avait du mal à ne pas y voir un dessein caché ou de la charité dédaigneuse. Sa relation contrariée avec Tony n'arrangeait pas les choses, et les sentiments de Loki oscillaient dangereusement entre deux extrêmes.
Cela aboutit à un début de conversation un peu tendu le soir même.
«Est-ce que tu essaies de te débarrasser de moi?»
La question aurait pu être dite sur le ton de l'humour, elle aurait pu être formulée différemment, mais Loki était trop passif-agressif dans sa propre tête pour parvenir à atténuer ses intentions.
C'était injuste pour Tony, le jeune acteur en avait, au moins un peu, conscience. Cela partait d'une bonne intention, même si la mise en œuvre laissait à désirer. Le réalisateur ne méritait pas cette attaque, à plus forte raison parce que Loki ne lui en voulait pas à ce point. Mais vous commencez à comprendre que Loki était une personne complexe, qui n'était pas toujours très au clair avec ses propres sentiments.
«Oui, répondit Tony franchement. Enfin, plutôt, j'essaie de me débarrasser d'Eskil Silvertongue.»
Cela eut le mérite de surprendre Loki, qui s'attendait à une avalanche d'explications autour de «le prends pas mal, c'est pour ton bien». Sa colère avait été désamorcée, ne laissant que son insécurité.
«Tu te rends compte que, si le SHIELD accepte de me représenter, je serai amené à travailler aux quatre coins du pays. Le théâtre implique des tournées.
—Est-ce que tu as déjà été dans une relation longue sérieuse? Une relation qui dure?»
La question, à nouveau, prit Loki au dépourvu. Il ouvrit la bouche pour envoyer Tony sur les roses et revenir au sujet initial, mais celui-ci lui coupa encore l'herbe sous le pied.
«Je te jure que ça a un rapport.
—Ok, comme tu veux. Hmm. Les rares relations que j'ai eues ont rarement duré plus de quelques semaines. La plus longue a duré quatre mois.
—Et, à ton avis, qu'est-ce qui n'a pas fonctionné dans ces relations?
—Celle-là est facile. Je tiens des listes de doléances très complètes. Tyr était au placard, et utilisait ça comme argument pour tout contrôler. Il devait tout valider, les lieux de sortie, les dates, à quelle heure on se voyait. Aucun espace pour l'imprévu, la spontanéité. Ça a duré six semaines, et je me demande aujourd'hui pourquoi j'ai enduré ça si longtemps. Norman était profondément jaloux et c'est mignon absolument pas plus longtemps que deux secondes. Vingt jours. Svaldifari est celui qui a duré le plus longtemps, mais il était… collant. Toujours à vouloir savoir où j'étais, ce que je faisais, pas parce qu'il était jaloux, ce qui aurait pu au moins l'expliquer. Si je ne répondais pas assez vite, il boudait. Le pire, c'est que c'est même pas pour ça que je l'ai largué, bien que je pense que je l'aurais fait en définitive. Non, beaucoup plus banal. Il m'a trompé.
—Ouch, compatit Tony. Donc, c'est toujours toi qui romps, jamais l'inverse?
—Si, c'est arrivé, dans des relations, je ne sais même pas si on peut parler de relation. Plutôt des plans cul qui finissent par trouver quelqu'un, ou un coup d'un soir qui prend les devants et dit "c'était fun, mais je ne recherche pas l'amour". Ce genre de choses.
—Mais, du coup, tu penses qu'il y a un point commun entre toutes ces ruptures?
—Que ces personnes n'étaient pas faites pour moi? Qu'elles ne comprenaient pas ma façon d'être, et que je ne comprenais pas la leur.
—Et ta façon d'être, ce serait quoi?»
Cette fois, Loki prit le temps de réfléchir. Ce n'était pas une conversation comme il pouvait en avoir avec Amora. Tony était un ami, certes, mais il était aussi plus que cela et serait plus que cela. Loki ne souhaitait pas mettre fin à une relation qui n'avait pas commencé parce qu'il n'avait pas pris au sérieux son potentiel partenaire. Il repensa à ce qu'il avait vécu avec Tyr, Norman et Svaldifari, à ce qu'il avait dit à Tony.
«L'indépendance, je suppose.»
Tony se contenta de sourire sans rien répondre.
«Tu connaissais déjà la réponse, râla Loki. Bien sûr, putain de génie.
—Donc, ce qu'il te faut, c'est une relation qui respecte ton indépendance. Apparemment, tu as essayé d'entrer dans les cases d'une relation normale.
—Tony, je suis homosexuel. Par définition, pour une bonne partie de la population, je ne suis pas normal.
—Au-delà de la merde homophobe qu'une telle affirmation contient, cela t'immunise contre la pression sociale, parce que?»
Loki leva les yeux au ciel, mais refusa de reconnaître que Tony avait raison.
«Je pense que tu as essayé, inconsciemment, de faire plaisir à ton père, en cultivant une relation normée. Tu sais, ce genre de couple qu'on voit partout, qui affirme avec des cœurs dans les yeux que depuis qu'ils se connaissent, ils sont inséparables. Qu'on ne les voit plus l'un sans l'autre, qu'ils deviennent une seule entité. Sauf que pour des gens comme nous, ces relations sont insupportables.»
Loki retint un sourire. «Comme nous» sonnait bien.
«Donc, ce qu'il te faut, c'est un modèle de couple libre. Pas au sens de libertin, je ne suis pas du genre jaloux, mais j'ai des limites. Plutôt un couple libre en termes de temps. D'agenda. D'emploi du temps.
—J'ai saisi l'idée, Tony.
—Et c'est là que j'en viens à ce qui te préoccupait, et mon timing est impeccable parce qu'on arrive déjà à la villa. Si tu pars en tournée, ce que je te souhaite, ce ne sera pas un problème. Tout comme je suis sûr que dans ton esprit, que je puisse partir plusieurs semaines en tournage n'en est pas un non plus.»
Tony coupa le moteur et se tourna vers son passager. Dire que Loki était troublé serait un euphémisme.
«Donc d'après toi, tu es la personne qu'il me faut, ironisa Loki pour tenter de reprendre le contrôle sur ses émotions.
—Je n'ai pas cette prétention, répondit Tony avec un petit rire. Peut-être un peu. Je ne sais pas si ma personne est la meilleure, mais mon mode de vie et mon fonctionnement semblent s'accorder avec les tiens.»
Loki hocha lentement la tête.
«Tu sembles y avoir beaucoup réfléchi, dit-il.»
Ni l'un ni l'autre ne bougea pour ouvrir sa portière.
«Pendant que tu boudais, et ne me fais pas croire que ce n'était pas une bouderie, j'ai beaucoup réfléchi, oui.»
À la grande surprise de Loki, Tony prit sa main gauche entre les siennes. Il avait les mains chaudes, un peu moites sans être désagréables, à cause du chauffage de la voiture, pendant le trajet.
«J'ai réalisé que nos réactions respectives étaient le reflet de nos compatibilités. J'ai aussi conscience que prendre contact avec le SHIELD à ton propos va à l'encontre total de tout mon argumentaire. Mais tout ce que je veux, c'est précipiter les choses.
—Il ne tient qu'à toi de précipiter les choses, fit remarquer Loki avec un peu d'amertume.
—Je hais mes propres principes la plupart du temps, et maintenant plus que jamais. Mais ce sont eux qui ont sauvé mon âme. Un jour, je te raconterai cette histoire, mais pas aujourd'hui. Elle est trop… Je n'y joue pas un rôle séduisant, et même si j'ai conscience d'avoir changé, j'ai aussi souvent l'impression que ce n'est pas suffisant.
—Racheter ses fautes, c'est impossible, dit doucement Loki. On peut chercher le pardon, mais on ne peut pas changer ce qui a été fait. J'ai un peu le même problème avec Thor. Mes décisions récentes l'ont beaucoup blessé, et je le regrette.»
Loki se tut soudainement. Sa main gauche, toujours tenue par Tony, se referma sur les doigts chauds de son presque-partenaire.
«Tu sais quoi? Je sais exactement ce dont nous avons besoin tous les deux. Ça va faire passer mon envie de te faire l'amour sur ta banquette arrière et ça pourrait même nous amuser.»
